Le Mentor moderne: Discours XIX.
Permalink: https://gams.uni-graz.at/o:mws.6455
Ebene 1
Discours XIX.
Zitat/Motto
Ne te semper inops agitet vexetque
Cupido,
Ne pavor, & rerum mediocriter utilium spes :
Ne pavor, & rerum mediocriter utilium spes :
Horat..
Que l’avarice toujours necessiteuse ne t’agite pas : ne te rend point la victime de la crainte, & ne te laisse pas duper par l’esperance de choses, qui n’ont qu’une utilité mince.Ebene 2
Parmi les vices principaux, comme un
certain Auteur a observé assez judicieusement, il y en a trois
qui donnent du plaisir, l’avarice, l’Intemperance, & la
Luxure, il y en a un dont le gout est amer sans aucun mélange ;
c’est l’envie ; dans tous les autres on trouve un mélange de
plaisirs & de peines ; tels sont, par exemple, la Colere
& l’orgœuil. Les vices, qui sont accompagnés de quelque
agrément paroissent les plus excusables, parce que la nature,
qui nous inspire de l’amour pour nous mêmes, nous en fraye, pour
ainsi dire, le chemin ; mais par cela même, ils sont plus
dangereux que les autres, & il nous faut de plus grands
efforts, pour fermer les yeux à leurs agrémens imposteurs. Quand un homme entre dans l’examen de son cœur,
comme tous les Chrétiens le devroient faire naturellement dans
ce tems de Préparation, il trouve que la meilleure barriere,
qu’il puisse opposer à toutes sortes de vices, c’est une
reflexion continuelle sur tout ce qu’il y a de plus grand, &
de plus noble dans son propre Être. Un homme, qui a le cœur bien
placé, peut être la dupe de certaines circonstances, qui
l’entrainent insensiblement dans des passions honteuses.
L’occasion de faire un gain considérable, le desir de briller,
la mauvaise fortune d’un ennemi, les caresses seduisantes d’une
femme, peuvent l’attirer dans l’avarice, dans l’envie, dans la
volupté ; dans une joie maligne & vindicative ; mais, tant
que ses foiblesses réïtérées n’ont point formé d’habitude, la
réflexion seule sur l’excellence de sa nature est capable de la
tirer du gouffre : elle lui inspirera une certaine grandeur
d’ame, qui lui donnera un noble mépris pour ses fautes
passageres, & les lui rendra odieuses. De tous les vices,
qui avilissent l’homme, il n’y en a point qui jette de si
profondes racines dans l’ame, & qui s’empare si absolument
de toutes nos facultez, que l’Avarice. On voit des
personnes, à ce défaut près, très aimables, & dignes de la
plus grande estime, si possedées par l’amour des richesses,
qu’ils s’effrayent de la moindre pensée qui les menace, quoique
de loin, de quelque dépense. L’homme du monde le plus pieux ne
peut pas veiller avec tant d’attention sur sa conscience, que sa
circonspection ne soit surpassée par la vigilance d’un avare,
qui craint pour sa bourse. Le moyen de tomber dans une pareille
petitesse, si nous aimions ce qu’il y a de plus beau dans
nous-mêmes, & si nous prêtions une attention serieuse à
cette approbation naturelle qu’on se trouve pour tous les
sentimens, qui répondent à la Majesté de notre Ame ! Si nous
n’étouffions pas des pensées si dignes de nous, n’est-il pas
certain que malgré nos foiblesses, & nos rechutes, notre
cœur seroit toujours accessible à la vertu, & au véritable
honneur ? Ce qui me fait craindre qu’une maxime si bien fondée,
ne fasse que de foibles impressions sur l’ame de mes Lecteurs,
c’est que nous vivons dans des temps, où la tyrannie de la
Coutume détourne l’homme de l’admiration, qu’il se
sent naturellement, pour la vertu, & pour tout ce qu’il y a
de plus grand & de plus sublime. La Richesse, & la Pompe
en ont pris la place, & personne ne se trouve petit, qu’à
mesure qu’il est pauvre. Ce sentiment méprisable avilit toutes
nos facultez, & détourne nos passions de leur pente
naturelle. Il faut de nécessité, que malgré la
bassesse de sa condition, ce pauvre garçon ait le bonheur d’être
d’un excellent naturel. J’en suis convaincu par la pitié vive,
qu’il marqua pour un illustre malheureux, dans le tems que ses
yeux novices pour ces sortes de spectacles ne devoient se fixer
naturellement que sur des décorations, & sur de beaux
habits. Je reviens à l’avarice. Le vrai caractere de la
genérosité & d’une Réligion pure c’est de visiter les veuves
& les orphelins, & de se garder de l’impureté du monde.
Chaque pas, qu’un homme fait vers un superflu excessif ôte
quelque chose à la grandeur de sa nature ; &
quiconque s’occupe entierement à faire sa fortune, travaille à
détruire en lui-même l’Etre raisonnable. Pour augmenter ses
thrésors, il devient sourd à la voix des misérables, il s’ôte le
gout des plus nobles plaisirs ; il arme son cœur de dureté,
& il concentre toutes ses pensées dans un amour-propre vil
& lache. On n’a qu’à se livrer entierement à une seule
passion immoderée, pour qu’elle se rende entierement Maitresse
de tous les principes de nos actions, & nous force à lui
sacrifier toute notre conduite. Heureux celui, qui entretenant
toujours dans son ame la vie raisonnable, montre toujours
l’homme à travers de sa fortune, quelle qu’elle puisse être. Je
viens d’alleguer un Soldat aux gardes, comme l’emportant en
grandeur d’ame sur tout un parterre Anglois, par la force d’un
bon naturel sauvé des impressions de la coutume, & d’une
éducation mal dirigée. Un pareil naturel non seulement donne de
la grandeur à l’état le plus bas, mais il embellit encore la
condition la plus relevée. Je le prouverai, en inserant ici, une
priere, que Henri quatre Roy de France fit à la tête de son armée, un moment avant la bataille de Coutras, où
il obtint une victoire signalée sur ceux de la ligue. Ce
grand Prince prononça cette priere d’un ton de voix & d’un
air, qui inspira du courage à tous ceux, qui en étoient les
témoins ; &, se tournant ensuite vers l’Esquadron, à la tête
du quel il alloit charger : La bravoure de ce
grand Capitaine étoit soutenue par une ferme confiance en Dieu,
laquelle lui inspiroit le mépris de la mort & l’assûrance de
vaincre. Sa noble indifference pour la couronne, si son regne
étoit incompatible avec la gloire de Dieu, & le bonheur des
peuples, prouve clairement, que la grandeur de
la nature humaine peut être au dessus de tout rang, sans en
excepter la souveraineté.
Allgemeine Erzählung
Ce fut une grande
mortification pour moi, il y a quelques jours, de voir à la
Comédie une grande troupe de canaille morale déguisée en
gens de qualité, marquer l’insensibilité la plus stupide
pour les plus nobles sentiments. Un soldat, qui étoit mis
sur le théatre en sentinelle pour empecher le desordre causé
si souvent par la plus insolente jeunesse qui fut jamais, me
donna quelque consolation. Attentif à une des plus
touchantes sçenes de la piece, il fut tellement attendri
qu’il ne put s’empecher de répandre des larmes : Là dessus,
la plus grande partie du parterre fit des eclats de rire
impertinens, dont le bruit gagna le dessus sur les
applaudissemens, que quelques gens sensez donnérent à la
généreuse foiblesse de notre soldat. Ce brave garçon,
s’essuiant les yeux, sans marquer dans son air la moindre
honte de ce qui venoit de lui arriver,
continua à prêter attention à la suite de l’intrigue.
Cependant, la piece devenant de plus en plus pathetique, il
fut si emu de nouveau, que pour cacher ses larmes il fut
obligé de tourner le dos à l’assemblée, qui trouva cette
scene plus divertissante cent fois que la farce la plus
boufonne. Le principal acteur, qui avoit le plus contribué à
exciter dans ce bon cœur des mouvemens si vifs, en sut
tellement gré au pauvre soldat, qu’au sortir du théatre, il
lui fit present d’un Ecu, pour le consoler dans son
affliction.
Zitat/Motto
« O Dieu des armées, dont les yeux
percent le voile le plus épais, & penetrent dans les
deguisements les plus profonds ! Toi, qui vois le fond de
mon cœur, & les desseins les plus cachez de mes
ennemis ; toi, qui a dans tes mains, & devant tes yeux,
tous les évenements de la vie humaine ; si tu sais, que mon
regne doit contribuer à l’avancement de ta gloire, & au
bien de ton peuple, & que je n’ai pas d’autre ambition
dans l’ame, que de travailler à la gloire de ton saint nom,
& à la conservation de ce Royaume, favorise, ô grand
Dieu, la justice de mes armes, & force tous les rebelles
à reconnoitre celui, que tes saints decrets, & les
droits d’une succession légitime ont fait leur souverain ;
Mais, si ta bonne providence en a ordonné autrement, &
si tu sais que je dois être un de ces Roys, que tu donnes
dans ta colere, ôte-moi, O Dieu de Miséricorde, ôte-moi ma
Couronne, & ma vie ; rend moi dans ce jour
la victime de ta volonté, que ma mort mette fin aux
calamitez de la France, & que mon sang soit le dernier
qui doive être répandu dans cette querelle. »
Zitat/Motto
Mes
compagnons, dit-il, si vous courez ma fortune, je cours la
vôtre. Votre sureté consiste à bien garder vos rangs. Si
pourtant la chaleur du combat vous met en desordre, que
votre soin principal soit de vous rallier. Si vous perdez de
vue vos Etendarts, cherchez seulement des yeux la plume
blanche que j’ai sur mon casque. Vous la verrez toujours
devant vous ; & elle vous conduira vers le chemin de
l’honneur & de la victoire.