Le Mentor moderne: Discours XVIII.
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Niveau 1
Discours XVIII.
Citation/Devise
Animæque capaces Mortis. Des
cœurs fermes à l’approche de la mort.
Niveau 2
L’idée de la mort considérée en
elle-même a quelque chose de si sombre, & de si afreux, que
si elle étoit toujours présente à notre esprit, elle répandroit
de l’amertume sur tous les instans de notre
vie ; c’est pour cette raison, que l’Auteur débonnaire de notre
existance, nous a formez d’une telle maniere, que susceptibles
d’un grand nombre de sensations, nous rencontrons par tout des
amusements & des occupations capables de nous distraire d’un
objet, qui d’ailleurs, à cause de l’éloignement dans lequel il
s’offre à l’imagination, ne fait sur nous que des impressions
foibles. Mais, quand même nous ne risquerions rien à considerer
la mort comme éloignée, la certitude où nous sommes pourtant
qu’il faut mourir, nous devroit porter à mettre à part une
portion de notre vie, & à la destiner à des reflexions sur
sa fin. Il est très-utile même de séparer de nos occupations un
tems fixe, pour une méditation si interessante. Un principe
d’amour-propre nous doit exciter, en qualité d’hommes, à
éxaminer ce que nous deviendrons après la séparation de l’ame
& du corps ; & notre conscience en qualité de Chrétiens,
doit nous apprendre que notre conduite décidera de notre
bonheur, ou de notre malheur éternel. Si nous prêtons une
attention serieuse à ces véritez, nous trouverons la plus
haute extravagance à ne nous pas armer contre
ce moment terrible ; &, quand nous pensons que cette nuit
même pourra nous amener cet instant critique, nous ne pouvons
pas nous animer à une trop grande vigilance. J’ai été charmé
d’une conversation, que j’eus, sur cet article, il y a quelque
tems, avec un venerable Ecclesiastique. Voici ce qu’il me dit
entre autres choses :
Il n’y a point d’hommes, de quelque profession
qu’ils puissent être, à qui cette vigilance pieuse soit plus
nécessaire, qu’à un Guerrier : son devoir l’expose
continuellement aux plus grands harzards ; & la mort, que
les autres humains voyent comme dans une perspective à perte de
vue, se présente sans cesse aux yeux d’un homme de guerre, &
à chaque instant semble ouvrir le tombeau devant ses pas.
Malheureusement, on fait d’ordinaire de cette vérité si palpable
un usage tout opposé. Ce qu’on gagne dans cette profession coute
des travaux infinis, & l’on n’est pas sûr d’en être
long-tems possesseur ; Cette considération porte ces sortes de
gens à s’en servir d’une maniere brusque, & à doubler pour
ainsi dire une vie, qui peut être d’une si courte durée. Voilà
la source de tant de déreglemens, & de cette suite continuée
de plaisirs tumultueux. On s’y livre avec d’autant plus de
facilité, que quoi qu’ils donnent dans le crime, ils ne sont
point punis sévérement. Ceux, qui doivent tenir les gens de
guerre dans le devoir connivent à ces sortes d’irrégularitez,
pour ne pas décourager des hommes, qui ont besoin d’une espece
d’étourdissement, pour se précipiter tous les
jours dans les périls les plus afreux. Cette espece de courage
peut avoir son utilité ; mais, il y en a un autre infiniment
mieux fondé, qu’une valeur si brutale. La certitude d’avoir une
bonne conscience, & de passer par une mort glorieuse, au
sejour de la véritable gloire doit donner de la force au bras
d’un Guerrier & remplir son cœur de l’intrepidité la plus
genereuse. De toutes les ruses de Mahomet, celle qui a le plus
contribué à le rendre puissant & formidable, c’est
l’asseurance qu’il donna à ses Sectaires, qu’en tombant dans une
bataille, ils entreroient d’abord dans ce paradis voluptueux que
son imagination lascive avoit inventé. Les anciens Druїdes
enseignoient aux Gaulois une Doctrine, qui faisoit le même
effet, en leur persuadant que les ames de ceux qui mouroient les
armes à la main, passeroient dans d’autres corps, où elles
recevroient des récompenses proportionnées à leur merite. Lucain
nous propose cette Doctrine avec son tour d’esprit ordinaire.
Un soldat Chrétien tireroit-il de moindres
secours pour sa valeur, d’une Religion fondée sur des principes
infiniment plus solides ? Non, certainement, mais
par malheur, ce n’est pas d’ordinaire dans cette source que nos
Guerriers veulent puiser leur fermeté. La chose pourtant n’est
pas sans exemple ; témoin notre brave compatriotte le Chevalier
Philippe Sidney, cet illustre modelle de piété & de courage.
Je pense toujours avec plaisir à la peine qu’il s’est donnée de
traduire tous les Pseaumes de David. Un de mes amis m’a dit
qu’il en possede le Manuscript, & qu’on y voit au dessous du
titre, Fait par le très brave, & très vertueux Chevalier M.
Philippe Sidney.
Où de l’Eufrate on voit couler les eaux :
Sion absente augmentoit tous nos maux ;
Chacun en pleurs dans ce triste esclavage
Pendoit sa Lyre aux saules du rivage.
Lorsqu’aux douleurs notre ame étoit en proye,
Loin des lieux saints qui faisoient notre joye,
L’Assyrien presomtueux vainquœur
Nous commandoit par un discours moqueur
De lui chanter ces hymnes magnifiques
Qu’on entonnoit dans nos fêtes publiques.
Que je commette une action si lâche !
Plûtôt ma langue à mon palais s’attache ;
Ah ! que mes doits perdent le mouvement,
Si je t’oublie, O Sion, un moment,
Et si du Dieu présent à ma mémoire
Chez les faux Dieux, je profane la gloire !
Dans ton Courroux, Seigneur, détruis, efface,
Du fier Edom la criminelle race,
Oublîras-tu la sanguinaire voix,
Qui dit, d’Assur animant les exploits,
Que dans son sang la triste Sion nage,
Remplissez-la d’horreur, & de carnage.
Et toi, Babel, digne objet de la foudre
Un jour tes Murs seront réduits en poudre.
Heureux celui, bienheureux à jamais,
Qui punira l’orgœuil de tes forfaits :
Heureux celui, qui sourd à tes prieres
Ecrasera tes enfants sur les pierres.
Citation/Devise
« Mes
reflexions sur cette vie courte, & passagere m’ont fait
prendre, il y a déja long-tems un parti, auquel je dois la
plus grande satisfaction, dont un mortel puisse jouïr dans
ce monde. Chaque nuit, avant que d’addresser mes prieres à
mon Créateur, je m’occupe à fouiller dans mon cœur ; &,
après un examen severe de mes sentimens, je me demande à
moi-même, si sortant de la vie cette nuit là même, je puis
esperer d’avoir part aux glorieux efforts de la miséricorde
divine ? Les tristes inquiétudes, & les mortelles
angoisses, que me causa dans le commencement la connoissance
de moi-même, bien loin de me faire désesperer de cette bonté
de Dieu qui se répand sur tous ses Ouvrages, ne m’animerent qu’à veiller sur toute ma conduite
avec une plus exacte circonspection : mes inquiétudes
devinrent moindres de plus en plus, à mesure que je
m’exerçois dans ces méditations importantes ; &, en me
familiarisant avec l’idée de la mort, j’ai fait à la fin de
cet objet atterrant la source de ma plus douce satisfaction.
L’habitude de m’entretenir avec ces sortes de pensées m’a
rendu sérieux, mais non pas sombre & morne. Je dis
plus : bien loin d’aigrir mon naturel, & de répandre des
nuages sur mon front, elle me donne un air sérain, &
rend ma conversation agréable ; ce sont les effets naturel
du calme, qu’elle fait régner dans mon esprit, & de
cette source d’une joye durable & pure, qu’elle a
ouverte dans le fond de mon cœur. Je goutte tous les
plaisirs innocents que notre souverain bien-faiteur a
destinez aux hommes, & je les goute sans aucun mélange
d’amertume. J’évite avec soin toutes les autres délices, qui
laissent un afreux déboire après elle ; & je ne suis
point la dupe de cette joie empoisonnée, au milieu de
laquelle il y a de la tristesse. »
Citation/Devise
Ils pensent que des corps les
Ombres divisées Ne vont pas s’enfermer dans les champs
Elysées,
Et ne connoissent point ces lieux infortunez,
Qu’à d’eternelles nuits le Ciel a condamnez.
De son corps languissant une ame séparée
En reprend un nouveau, dans une autre contrée :
Elle change de vie, au lieu de la laisser,
Et ne finit ses jours, que pour les commencer.
Officieux Mensonge ! Agréable Imposture !
La Frayeur de la mort des frayeurs la plus dure
N’a jamais fait pâlir ces fieres Nations,
Qui trouvent leur repos dans leurs Illusions.
De là nait dans les cœurs cette bouillante envie
D’affronter une mort, qui donne une autre vie,
De braver les périls, de chercher les combats,
Où l’on voit se renaitre au milieu du Trépas.
Et ne connoissent point ces lieux infortunez,
Qu’à d’eternelles nuits le Ciel a condamnez.
De son corps languissant une ame séparée
En reprend un nouveau, dans une autre contrée :
Elle change de vie, au lieu de la laisser,
Et ne finit ses jours, que pour les commencer.
Officieux Mensonge ! Agréable Imposture !
La Frayeur de la mort des frayeurs la plus dure
N’a jamais fait pâlir ces fieres Nations,
Qui trouvent leur repos dans leurs Illusions.
De là nait dans les cœurs cette bouillante envie
D’affronter une mort, qui donne une autre vie,
De braver les périls, de chercher les combats,
Où l’on voit se renaitre au milieu du Trépas.
Metatextualité
Comme ces
Pseaumes n’ont jamais été imprimez, j’en donnerai ici à mes
Lecteurs, un des plus beaux, que mon ami m’assure avoir été
copié avec la fidélité la pus éxacte. Il n’y avoit qu’un
seul mot, que j’ai pris la liberté de remplacer par un
autre.
Citation/Devise
Pseaume CXXXVII.
Vaincus, captifs, chargez de rudes chaines, Nous gemissions dans les fertiles plainesOù de l’Eufrate on voit couler les eaux :
Sion absente augmentoit tous nos maux ;
Chacun en pleurs dans ce triste esclavage
Pendoit sa Lyre aux saules du rivage.
Lorsqu’aux douleurs notre ame étoit en proye,
Loin des lieux saints qui faisoient notre joye,
L’Assyrien presomtueux vainquœur
Nous commandoit par un discours moqueur
De lui chanter ces hymnes magnifiques
Qu’on entonnoit dans nos fêtes publiques.
Que je commette une action si lâche !
Plûtôt ma langue à mon palais s’attache ;
Ah ! que mes doits perdent le mouvement,
Si je t’oublie, O Sion, un moment,
Et si du Dieu présent à ma mémoire
Chez les faux Dieux, je profane la gloire !
Dans ton Courroux, Seigneur, détruis, efface,
Du fier Edom la criminelle race,
Oublîras-tu la sanguinaire voix,
Qui dit, d’Assur animant les exploits,
Que dans son sang la triste Sion nage,
Remplissez-la d’horreur, & de carnage.
Et toi, Babel, digne objet de la foudre
Un jour tes Murs seront réduits en poudre.
Heureux celui, bienheureux à jamais,
Qui punira l’orgœuil de tes forfaits :
Heureux celui, qui sourd à tes prieres
Ecrasera tes enfants sur les pierres.