Le Mentor moderne: Discours XVII.
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Livello 1
Discours XVII.
Citazione/Motto
Minimumque libidine peccant.
Juven. La Volupté les entraine dans des crimes plus
odieux.
Livello 2
S’il étoit possible de résister au
torrent de la Mode, qui jette un ridicule sur la vénération,
qu’on doit aux choses sacrées, je me hazarderois à dire,
que1la semaine dans
laquelle nous sommes est un tems d’Humiliations, que toutes les
circonstances, qui nous environnent, nous la demandent, &
que nous ferions bien de tourner toutes nos pensées de ce
côté-là. Il y a environ trente ans qu’un Prédicateur très habile, & qui savoit parfaitement bien son
monde, dit à ses auditeurs, en prechant à Witehall, que s’ils ne
vouloient pas s’engager à donner à leur conduite un tour
nouveau, ils iroient certainement, au sortir de cette vie, dans
un endroit que la politesse lui defendoit de nommer devant tant
de gens de Cour. Je me trouve à peu prez dans le cas de ce
galant homme, & je voudrois bien dépeindre les vices favoris
du siecle, & sur tout ceux, qui ont relation avec la
galanterie, d’une maniere à me faire lire des gens qui savent
vivre. Il seroit impertinent de jetter les grossieretez de la
Théologie, & de la morale à la tête de Gentilshommes, &
de Dames de qualité qui se piquent uniquement de politesse,
& de belles manieres. Je ne ferois pas mal, par conséquent,
d’intituler les reflexions que je vais faire sur l’Incontinence,
Essai de Critique sur la fornication, & de faire voir que
ceux qui s’adonnent à ces sortes de plaisir avilissent leur
gout, & sont peu judicieux dans le choix de leurs
divertissements. Si je n’appliquois cette maxime qu’à ceux, qui
donnent dans un vil Commerce avec les femmes publiques, elle ne
trouveroit pas beaucoup de contradiction chez
les personnes qu’on appelle dans le monde honnêtes-gens ; mais,
si je pouvois prouver clair comme le jour, que ceux qui
s’efforcent à augmenter le nombre des femmes galantes tombent
dans de plus grandes bassesses, que ceux qui frequentent les
lieux infames, il me semble que je ferois retomber sur la
galanterie, le ridicule, qu’à la saveur de la mode elle a su
jetter sur la sagesse. Cette preuve est très facile, & à la
portée de tout le monde. Le Debauché, qui sans gout, sans
bienséance, promene sa volupté vagabonde de grisette en
grisette, n’est coupable que de se prostituer lui-même, &
d’exposer sa santé ; mais celui qui se livre à ce plaisir avec
plus de gout & de délicatesse, ne sauroit éxécuter ses
dangereux desseins, sans trahir quelque homme, à qui il doit de
l’amour & de l’estime, & sans courrir risque d’attirer
le mépris public à celles, qu’il fait profession de chérir le
plus tendrement. Se sentir toujours l’esprit enceint de quelque
trahison ; réfléchir sur l’infamie, où l’on veut jetter un
Epoux, ou une famille, qui n’ont pas mérité de nous cet affront,
& qu’on voudroit exterminer si l’on en avoit
reçu une pareille offense ; c’est là à mon avis, une situation
qui devroit faire rentrer en lui-même un homme qui a quelque
idée de l’honneur, & le porter à refréner ses passions
impétueuses. Ces véritez sont palpables, & qu’est-ce qu’il y
a de plus propre à décrediter dans l’esprit d’un prétendu
honnête homme les plaisirs qu’il recherche, que la persuasion où
il doit être, dans le tems même qu’il songe à se les procurer,
qu’il est un lache, & un traitre. Entrer dans un commerce de
galanterie, c’est renoncer absolument au caractere d’un homme de
probité. Selon le cours ordinaire de ces entreprises galantes,
l’amour ne subsiste pas long tems entre le fourbe & la dupe.
Dez qu’elle sait qu’elle est trompée, elle hait l’imposteur
d’une haine furieuse : cette haine devient bientôt mutuelle ;
& ce qu’ils trouvent de plus odieux l’un dans l’autre, ce
sont leurs plus grands agrémens, & leurs meilleures
qualitez, qui ont été l’origine de leur malheureux commerce. Ce
n’est pas tout : le Crime du galant ne rend pas seulement la
personne, dont il triomphe, malheureuse ; mais, le plus souvent, il la pousse de crime en crime. Si, après
avoir franchi une fois les bornes de la pudeur, elle ne se livre
pas à une prostitution ouverte, du moins elle tache d’infecter
d’autres personnes de son sexe, de la contagion de sa faute :
elle se fait un plaisir secret de conduire ses compagnes dans le
même abime, sans en attendre d’autre satisfaction, que l’idée
flatteuse d’amoindrir son infamie, en la partageant avec
plusieurs autres infortunées. Si un homme de cette classe a
quelque consideration pour la victime de ses plaisirs, dans
quelle contrainte ne doit-il pas vivre, avec quelle précaution
ne doit-il pas veiller sur ses paroles & sur ses actions,
que de fourberies ne doit-il pas inventer pour cacher son
intrigue ? Pour être fidelle à sa maitresse, il est forcé de
tromper tout le monde, & il marche continuellement la
fausseté dans le cœur, & le mensonge dans la bouche. Voilà
ce que lui coutent les plaisirs brutaux de quelques moments,
goutez à la dérobbée, & accompagnez d’ordinaire de crainte,
& d’allarmes. Le tour agreable, que la morale lubrique de
plusieurs Poëtes ont donné à ce crime, est une
foible consolation pour un homme qui sait encore refléchir sur
la situation de son cœur, & à qui la solitude depeint sa
conduite passée avec les couleurs les plus afreuses. Des traits
d’esprit peuvent faire rire ; mais ils ne sauroient tarir une
source de tristesse & d’inquiétude que la conscience repend
dans l’ame. La maladie, la douleur, & la misere, sont des
malheurs, qu’aucun mortel ne peut se prometttre d’éviter. N’y
a-t-il donc pas de la folie à se ménager de longue main tout ce
qui peut ajouter du poids à la maladie, à la douleur, à la
misere ? S’il y en a parmi ceux, à qui je m’addresse ici, des
gens trop vifs pour être attaquez dans ces tristes situations,
par des pensées mortifiantes, je suis sur que cet étourdissement
ne durera pas toujours, & que leur insensibilité ne fait que
leur accumuler un afreux trésor de ces mêmes inquiétudes, dont
pour le présent, ils ont le malheur de n’être pas susceptibles.
Mais, j’ai meilleure opinion de ceux, qui n’ont pas encore
effacé entierement les impressions qu’une éducation sage &
éclairée a faites dans leur cœur. J’espere qu’ils sentiront
d’abord la vérité de cette maxime : celui qui
s’abandonne entierement à la volupté doit voir bientôt que la
volupté est le moindre de ses crimes. Un voluptueux de l’espece
en question contracte une haine irréconciliable contre ceux la
mêmes, qu’il a offensé le plus cruellement. Il invente mille
fourberies, pour cacher ses crimes, si par une bassesse plus
afreuse il ne s’en fait pas un honneur. Son amour-propre lui
rend odieux les gens d’une vie réglée : il méprise tout ce qu’il
y a de loüable & de sacré, dez qu’il y trouve un obstacle à
ses desirs criminels. Toutes sortes de vices honteux s’emparent
de toutes les facultez de son ame, & la rendent entierement
inaccessible aux nobles plaisirs qui découlent de la vertu,
& du veritable honneur. Heureux ceux de ce caractere, qu’une
maladie, ou quelque desastre, reveille de cette Lithargie
funeste, qui rend le cœur insensible aux plus grandes
satisfactions, dont l’homme puisse être capable. Il y a eu des
gens, dont le caractere étoit plutôt composé d’heureuses
dispositions & de foiblesses, que de vices & de vertus ;
qui bien loin de profiter de toutes sortes de bonnes fortunes,
ont eu la generosité d’arreter sur le bord du
précipice l’innocence, qui y étoit conduite par la force
presqu’invincible de la plus cruelle nécessité. Quelle
imagination est assez forte pour se représenter les plaisirs
merveilleux dont une action de cette nature doit être suivie,
dans une ame assez belle pour en avoir été la noble source. Ces
sortes de plaisirs résident dans la raison même : on les goute
particuliérement en qualité d’homme ; ils ont une pureté, une
force, & une durée, qui la rend infiniment supérieure à
celle qu’on peut tirer de la possession de toutes les belles
femmes d’un Royaume entier. Ils ne peuvent qu’augmenter l’amour
raisonnable, que nous avons pour nous mêmes, & qui fait
notre plus grande félicité. Un homme, qui n’a été debauché que
par foiblesse, n’a qu’à faire une action de cette nature, pour
avoir du dégout pour tout ce qui a fait auparavant sa plus douce
joie : elle lui doit paroitre vile & méprisable au prix de
l’inexprimable douceur, que sa généreuse charité vient de faire
couler dans son ame. Tous les hommes coupables de ces sortes de
fautes n’ont pas le moyen ou l’occasion, de les
réparer d’une maniere si glorieuse ; mais, du moins, dans cette
semaine de preparation, ils devroient faire tout ce qui est dans
leur pouvoir, pour témoigner leur repentir. J’en veux indiquer
ici un moyen, dont je prévois que la seule proposition me rendra
ridicule à la délicatesse impertinente des gens, qui ne
raisonnent point. N’importe : je m’y exposerai avec plaisir,
pourvû que par là je puisse faire quelque heureuse impression
sur les coupables, que j’ai en vue. J’ose recommander les plus
malheureuses & les plus méprisables de toutes les créatures
humaines à la charité de ceux, à qui les mêmes crimes n’ont pas
attiré les mêmes punitions. Je leur recommande ces martyrs de la
débauche, séparez par leur sexe en deux différens Hopitaux de
cette Ville, qui en contiennent à peine toute la multitude. Les
gens, à qui des fautes de ce genre inspirent de véritables
remords, devroient se charger eux mêmes, dans le cœur, de toute
la soufrance, & de toute la honte, que leur seul bonheur les
a fait eviter. Rien ne leur convient mieux, que d’en témoigner
leur juste reconnoissance, en soulageant dans leur misere ceux
en qui le vice paroit dans sa plus grande
difformité. Ils devroient considérer, que s’ils n’etalent pas un
semblable spectacle d’horreur & de dégout, ils en sont
redevables à la Providence, & non pas à un moindre dégré de
crime. Ce qui est très propre à donner plus de vivacité à leur
compassion, c’est de penser que peut-être parmi ces personnes à
présent effroyables, il y en a dont les charmes ont été
autrefois les objets de leurs plus vifs transports. Le nom de
Chrêtien ne doit pas se prononcer devant les honnêtes gens, je
le sai : mais, en qualité d’honnêtes gens, en qualité de gens
d’honneur, faut-il que nous abandonnions nos bonnes amies pour
un nez de plus ou de moins ?
1La Semaine sainte.