Le Mentor moderne: Discours XVI.
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Nivel 1
Discours XVI.
Cita/Lema
Ne forte pudori
Sit tibi Musa Lyræ solers, & Cantor Apollo.Ne Rougis pas Phillus d’être sensible au
son
Sit tibi Musa Lyræ solers, & Cantor Apollo.
Ne Rougis pas Phillus d’être sensible au
son
D’un air tendre & charmant dicté par Apollon.
Nivel 2
Il y a deux jours qu’un Cavalier vint
prendre du Thé avec nous chez Myladi Lyzard. C’est un homme qui
se fait distinguer par son gout delicat pour toutes les
productions de l’esprit, & sur tout pour celles qui
concernent l’amour & la galanterie. Il y a quelque chose de
grotesque dans toute sa figure, mais en récompense il a l’air
aizé, de belles manieres, & le veritable esprit de la
conversation. Pour lui faire plaisir nos Dames tournerent
d’abord le discours sur la Poesie, ce qui donna occasion au
Cavalier de tirer de sa poche deux chansons nouvelles, dont il
parla comme de deux pieces achevées dans leur
genre ; la premiere, dit-il, est composée par un auteur, à qui
personne dans le pais ne dispute le premier rang dans tous les
genres de poesie, & l’autre est l’ouvrage d’une Dame, qui me
fait la grace d’être amoureuse de moi, par ce que je ne suis pas
beau. Là dessus notre aimable Annabelle, que sa vivacité porte
assez souvent à de petites actions un peu brusques, mit la main
sur ces vers, & les lui ayant arrachez, elle y jetta l’œuil
avec un petit air d’impatience, & les lut à toute la
compagnie : elle s’adressa ensuite fort obligeamment au bel –
Esprit, pour le prier de lui envoyer une copie de ces petites
pieces, & de l’accompagner de quelques regles de critique,
sur les chansons en general. Je pourrois avoir un jour un amant
Poete, ajouta-t-elle, & je voudrois bien être en état de
juger de ses ouvrages, & de lui en savoir gré à proportion
de leur merite. Le Cavalier le lui promit, & le lendemain
étant à sa toilette, elle reçut, de la main d’un valet de
chambre aussi bien mis que son maitre, les pieces que voici.
Nivel 3
Carta/Carta al director
Premiere Chanson. Panché sur
le beau sein d’une belle inflexible Thyrsis troublé par
de fougueux desirs
Dit, en poussant mille brulans soupirs, Tu m’appris la premiere à devenir sensible, Que de toi j’apprenne à mon tour,
Ce que c’est qu’un heureux amour. Non, non, lui dit Philis, cruelle par prudence, Notre interêt veut qu’un volage amant.
Sente toujours augmenter son tourment. Mes crédules bontez détruiroient ta constance. Apprendre à devenir heureux
C’est oublier d’être amoureux.
Tu plais à mon gout égaré,
A tout autre tu peux déplaire.
Tu me parois bien-fait & beau,
Pour d’autres d’amour vrai remede.
D’où vient ? Je me sers du bandeau
Du petit Dieu, qui me possede.
La source de ma passion
N’est rien qu’un caprice burlesque ;
Tes appas sont de la façon
De mon penchant pour le Grotesque.
Tes charmes ont tout emprunté,
Du seul excez de ma tendresse,
Et le degré de ta beauté
N’est que celui de ta foiblesse.
Songe à tes plus chers interêts,
Tache d’entretenir ma flamme.
Thyrsis, adieu tous tes attraits.
Si ce feu s’éteint dans mon ame.
Dit, en poussant mille brulans soupirs, Tu m’appris la premiere à devenir sensible, Que de toi j’apprenne à mon tour,
Ce que c’est qu’un heureux amour. Non, non, lui dit Philis, cruelle par prudence, Notre interêt veut qu’un volage amant.
Sente toujours augmenter son tourment. Mes crédules bontez détruiroient ta constance. Apprendre à devenir heureux
C’est oublier d’être amoureux.
Seconde Chanson,
à Thyrsis, qui n’est aimable qu’à mes yeux.
L’amour que tu m’as inspiré Ne doit pas trop t’en faire accroire ;Tu plais à mon gout égaré,
A tout autre tu peux déplaire.
Tu me parois bien-fait & beau,
Pour d’autres d’amour vrai remede.
D’où vient ? Je me sers du bandeau
Du petit Dieu, qui me possede.
La source de ma passion
N’est rien qu’un caprice burlesque ;
Tes appas sont de la façon
De mon penchant pour le Grotesque.
Tes charmes ont tout emprunté,
Du seul excez de ma tendresse,
Et le degré de ta beauté
N’est que celui de ta foiblesse.
Songe à tes plus chers interêts,
Tache d’entretenir ma flamme.
Thyrsis, adieu tous tes attraits.
Si ce feu s’éteint dans mon ame.
Metatextualidad
Ces vers étoient accompagnez d’une
Lettre du bel-Esprit en question, addressée à Mademoiselle
Annebelle Lyzard.
Nivel 3
Carta/Carta al director
« Mademoiselle, Pour vous
faire voir que vos ordres sont absolus sur moi, &
que j’ai grande opinion de votre bon-sens, je vous
donnerai, sans aucun préambule dicté par la fausse
modestie, les reflexions que j’ai faites sur le génie
Chansonnier, & je vous les donnerai dans le même
ordre où elles se sont présentées à mon esprit.
Permettez seulement à mon amour-propre de vous dire, que
je ne sache pas, qu’on ait rien écrit
sur cette matiere. Par là, vous étes obligée de me
pardonner, si je me trompe ; mais, à votre tour, vous en
pourrez tirer cet avantage, que la prévention produite
par l’autorité ne genera pas la liberté de votre
jugement. J’entre en matiere. Dans tous les siecles,
& chez toutes les Nations où la Poesie a été en
vogue, la Classe des Chansonniers a toujours été très
nombreuse. Tout jeune homme d’une imagination un peu
vive, & un peu instruit de l’art de la
versification, s’erige d’abord en faiseur de chansons,
& prend la resolution d’immortaliser sa maitresse,
ou sa bouteille. De là toutes ces productions insipides,
dans ce genre, qui inondent notre patrie depuis le regne
du Roi Guillaume. Je ne les cherche pas de plus loin.
Heureusement, celles qui ont fatigué l’esprit & les
oreilles avan tcette <sic> époque, sont oubliées
depuis long-tems. La raison pourquoi tant de gens se
mélent de ce metier, c’est qu’ils croyent l’entendre,
& qu’ils ne l’entendent pas. Il est vrai, que pour
bien faire une chanson, il n’est pas nécessaire d’avoir une grande élévation d’esprit, ni un
genie extraordinaire, ni une grande étendue de
connoissances ; mais, il faut un assemblage d’autres
talents, qui n’est pas moins rare. Il faut penser avec
éxactitude, & avec délicatesse. Il faut savoir
joindre à la pureté & à la clarté du stile, les
nombres les plus aizez & les plus coulans : il faut
faire rouler tout sur un sujet unique, & l’exprimer
d’un tour d’esprit dont l’élegance soit naïve, &
sans la moindre affectation. De grands ouvrages ne
sauroient gueres être sans quelques négligences, &
sans quelques inégalitez remarquables, il est naturel de
les excuser ; mais une chanson perd tout son agrement,
si elle n’est pas soutenue d’un bout à l’autre, &
par tout également correcte, tant pour la pensée, que
pour l’expression. Ici la moindre faute ressemble à une
tache dans un Diamant, qui lui fait perdre presque toute
sa valeur. Je considere une Chanson comme un portrait en
mignature, qui demande les touches les plus délicates du
pinceau, la plus grande douceur, & les traits les
plus finis, en un mot toute cette
correction lechée, qui seroit ridiculement employée à de
grands tableaux, qui doivent toute leur grace à la noble
hardiesse d’une main de maitre. Puisque tout ce que les
anciens ont fait de meilleur est traduit dans notre
langue, vous ne m’accuserez pas de pédanterie, si j’ôse
vous alleguer les Odes de Sapho, & d’Anacreon, avec
les petites pieces Lyriques d’Horace, comme les modelles
les plus achevez des Chansons. Vous voyez presque
toujours ces auteurs poursuivre une seule pensée dans
tout le cours de ces petits ouvrages, & la
developper peu à peu, sans ces interruptions, & ces
détours, qui sont si ordinaires aux Chansonniers
Modernes. Si l’on veut rendre justice aux François on
doit avouër, qu’il n’y a point de langue, qui puisse
disputer à la leur la gloire d’avoir produit le plus
grand nombre de jolies chansons. Le génie de ce peuple,
& le tour aizé de leur Idiome, paroissent être faits
exprès pour ces petites pieces. Pour nos compatriotes,
ils en font d’ordinaire de mauvaises, à force d’esprit,
& de fécondité. Ils écrasent dans une
seule chanson assez de sujets, pour en remplir une
douzaine ; de cette maniere ils dessechent, ils
étouffent chaque pensée : semblables à un jardinier
mal-habile & avare, qui, pour elever un grand nombre
d’arbres dans un petit espace, les place si près l’un de
l’autre, qu’ils meurent faute de nouriture. Au lieu de
faire une seule chanson finie, ils nous donnent le
Canevas imparfait de plusieurs. C’est là une faute où
l’illustre Monsieur Waller tombe assez souvent, malgré
la beauté de son génie, qu’on ne sauroit trop admirer,
& qui pourroit bien en être la cause. Mais, ceux de
nos poetes, dont les chansons pechent le plus, par un
excez de feu, & de fécondité sont Messieurs Donne,
& Cowley. Leurs pensées sont des éclairs, qui se
suivent avec tant de rapidité, qu’ils étourdissent
l’attention, en l’éblouissant par un feu continuel.
Chaque ligne contient presque un nouveau sujet ; &
leur esprit peu économe vous mene jusqu’à la fin de la
chanson de pensée en pensée, sans vous en donner une
seule, qui soit pour ainsi dire dans son
point de maturité, & de perfection. Une chanson doit
être conduite comme une Epigramme, avec cette difference
que celle – ci peut se passer des nombres Lyriques &
n’est gueres employée qu’à la satire ; au lieu que
l’occupation de l’autre ne consiste qu’à exprimer dans
des nombres coulans Les aimables chagrins que mélange
Venus, Et les libres plaisirs du sincere Bacchus. Je
finirai ce que j’avois à dire sur ce sujet, en observant
que les François confondent souvent l’Epigramme & la
Chanson, & qu’ils prennent réciproquement l’une pour
l’autre. Témoin une certaine Epigramme très satirique,
& très jolie, qui a été une chanson fort en vogue.
Tu parles mal par tout de moi, Je dis du bien par tout
de toi : Quel malheur est le nôtre ! L’on ne croit ni
l’un, ni l’autre. Voilà, Mademoiselle, ce que pour obéir
à vos ordres j’ai ramassé dans mon petit
esprit. La vanité de m’ériger en Auteur Critique n’y a
pas eu la moindre part, & mon unique motif a été de
vous faire voir par une docilité outrée peut-être, que
je desire fortement que vous me regardiez comme Votre
très-humble & très obeissant serviteur. »