Le Mentor moderne: Discours XIV.
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Discours XIV.
Citazione/Motto
Néc scit qua fit iter, nec si sciat
imperet. . .
Ovid.
Il ne sait pas le chemin, & quand il le sauroit, il ne sait pas s’y conduire.Livello 2
Lettre a l’Auteur Le 21 de Mars.
1Seconde Lettre
Livello 3
Lettera/Lettera al direttore
« La déclaration que vous avez
faite dans votre premiere feuille, que vous ne
negligerez aucune occasion de contribuer au bien de la
societé civile, m’inspire la liberté de m’addresser à
vous, & d’implorer votre secours.
Il m’est impossible de prévoir à
quoi aboutiront de pareils divertissemens ; mais, je
croi que quelques unes de vos réflexions sur cette
matiere pourroient sauver à une illustre famille des
chagrins très vifs, dont elle est menacée par la
conduite inconsiderée de ces jeunes gens. On y lit vos
feuilles volantes, & ce que vous pourrez dire
touchant de pareils travers d’esprit, la portera peut
être à prendre des mesures pour tenir en bride
l’extravagance de ces Phaetons. Votre &c. »
Eteroritratto
Il s’agit de redresser par
vos leçons la conduite de deux jeunes Messieurs, que
je sers. Vous verrez vous même qu’ils ne sont pas
indignes de vos soins, quand je vous aurai dépeint
leur âge, leur qualité, & leurs occupations. Ils
sont naturellement aussi dociles que jeunes gens au
monde, & l’on en pourroit tout esperer, si l’on
trouvoit un moyen de les garantir de la contagion
des mauvaises compagnies, & de les arracher de
l’habitude malheureuse de perdre leur temps dans des
amusements indignes de leurs talents, & de leurs
naissance. L’ainé a dix sept ans, l’autre quinze.
Ils sont d’une maison très illustre, & dans
l’attente de posseder un jour de grands biens. Leur
Pere & leur mere sont gens de mérite : ils ont
encore un Gouverneur très propre à leur donner une
bonne education, mais il ne voyent jamais qu’a
contrecœur, & par contrainte, & ceux qui
leur ont donné la vie, & celui qui voudroit
travailler à les rendre honnêtes-gens. J’ai remarqué
que rien ne leur fait plus de plaisir, que les
courses des Chevaux, & les combats des Cocqs,
spectacles favorits de nos
compatriotes. Ils entendent ces matieres si bien,
que j’en suis au desespoir. Ils vous diront
positivement à la premiere vue, quel cheval doit
emporter le prix, & quel cocq gagnera la
bataille. Si vous n’êtes pas de leur sentiment ils
vous parieront tout ce que vous voudrez, & vous
jouez d’un grand bonheur, si vous ne perdez pas la
gageure. Ce qui me chagrine le plus, c’est qu’ils
aiment mieux s’enfermer dans une Ecurie, que dans
leur cabinet, & qu’ils ont plus de commerce avec
les Laquais & les palfreniers, qu’avec leur
parents & d’autres personnes de condition. Je
suis sur même, qu’à l’heure que je vous parle, ils
savent mieux conduire une Berline, qu’expliquer un
vers de Virgile ou d’Horace. Il y a quelques jours,
qu’allant se promener ensemble, ils rencontrerent
deux jeunes Demoiselles avec lesquelles ils firent
d’abord connoissance, & dont la conversation
leur plut beaucoup. Quoi qu’ils ne les eussent
jamais vues auparavant, ils voulurent s’insinuer
dans leur faveur, en leur montrant un
échantillon de leur addresse ; & ils leur
proposérent de prendre l’air dans un de leurs
carosses qui les attendoit prez de là. Les jeunes
filles y topperent, & mes cavaliers, ayant
ordonné à leur cocher de s’arrêter là jusqu’à leur
retour, monterent l’un sur le siege, & l’autre
derriere le carosse, pour faire les rolles de cocher
& de Laquais, qu’ils avoient etudiez pendant
long-tems avec un très grand succès. Aussi, s’en
acquiterent-ils au grand contentement des jeunes
Demoiselles.
Du même.
Livello 3
Lettera/Lettera al direttore
« Je suis d’autant plus
mortifié de ce que vous n’ayez pas daigné faire
attention à ma Lettre du 1 Mars, que je suis sûr que le
Pere de mes jeunes gens eut senti, jusqu’à quel point il
étoit interessé dans les reflexions que j’attendois de
vous ; Malheureusement, elles viendroient trop tard à
present, puisque notre Phaeton s’est allé précipiter
dans le goufre du mariage avec une fille, qui ne lui
convient pas trop. C’est une de ces personnes, qu’il
avoit rencontrées en se promenant avec son cadet ; j’ai
su tirer adroitement de celui-ci, qui n’est que dans sa
seizieme année, & qui heureusement vit encore dans
le celibat, la maniere dont son ainé a conduit toute
cette intrigue : en voici tout le détail. Je ne suis pas
d’humeur, Monsieur, à faire une longue harangue sur
cette triste avanture : je remarquerai seulement, que si
dans l’Education de ce jeune Seigneur on s’étoit plus
attaché à lui former la raison, & moins à lui former
le corps, il auroit vêcu plus long tems, selon toutes
les apparences sans devenir Pere de famille. Toute la
ville saura dans peu de jours, les noms de ceux, que
concerne cette affaire, & toutes les circonstances,
qui l’ont accompagnée. Le malheur est irréparable : je
compte mon jeune maitre perdu, toute la sagesse de vos
avis est inutile à son égard ; mais l’emploi dont vous
vous étes chargé, vous oblige du moins de faire en
sorte, que d’autres jeunes etourdis ne fassent pas
naufrage contre le même écueil. »
Racconto generale
L’une de ces Demoiselles,
paroissant fort contente des
manieres du plus âgé de mes maitres, lui plut
extremement par cela même, & il obtint d’elle
& de sa compagne de vouloir bien passer quelques
moments dans une espece de cabaret peu éloigné de la
ville. Cette belle joua son Rolle si habilement, que
dans cette premiere entrevue notre Phaeton en devint
assez amoureux pour s’informer de sa demeure &
pour lui faire toutes les questions necessaires pour
former avec elle une liaison des plus étroites ;
Elle menagea ses réponses si adroitement, qu’il
désespera presque de la possibilité de la voir,
& elle fit extrémement valoir la severité d’une
mere, dont il étoit très difficile de tromper la
vigilance. On lui a voulu persuader, que j’étois
jolie, dit-elle, avec une modestie enfantine, &
elle craint que je ne me marie avec quelqu’un, avant
que d’être en âge de gouverner un ménage. Enfin,
elle fit semblant de n’oser pas penser à un commerce
particulier avec son amant, parce qu’elle craignoit
de n’être pas assez habile, pour le cacher à une
Mere si soupçonneuse. Les difficultez
qu’elle alleguoit ne firent qu’enflammer d’avantage
les desirs de notre étourdi, qui lui promit toute la
prudence imaginable, & qui eut plusieurs
rendez-vous avec elle dans l’Espace de vingt &
quatre heures. . La Mere étoit instruite de toute
cette intrigue, & elle sut si bien menager les
choses, que l’amant devoit s’imaginer naturellement,
qu’il deroboit à ses soupçons toutes les visites
qu’il rendoit à sa fille. A peine avoit-il passé un
quart d’heure avec sa maitresse qu’elle l’appelloit,
en la grondant d’une maniere, qu’il pouvoit
l’entendre, de ce qu’elle ne savoit pas demeurer
dans un même endroit. Toutes ces petites entrevues
interrompues si à propos agacerent tellement la
passion de notre jeune homme, que sa belle comprit
parfaitement qu’il ne pouvoit plus vivre sans elle,
& qu’il hazarderoit tout pour la posseder. Il
étoit temps alors pour la Mere de sortir de derriere
les coulisses : elle surprit les jeunes amans
ensemble, fit une vie épouventable, & defendit
sa maison au jeunhomme desespéré d’un contretems si
facheux. Quels efforts l’amour
n’arrache-t-il pas à l’imagination d’un jeunhomme !
Il sort le lendemain de bonne heure, suivi de son
cadet ; &, ayant gagné l’amitié d’un jeune
Fiacre par un modique present, il change d’habits
avec lui, se place sur le siege, & va se poster
au coin de la rue ou demeuroit sa belle, que le
cadet sous un autre deguisement avoit avertie par un
petit billet du stratageme de son ainé. Il resta là
dans l’impatience la plus vive pendant une grande
partie du jour sans trouver l’opportunité de mettre
son projet en éxécution. Sa Maitresse ne manqua de
se mettre de tems en tems à la fenetre, & de lui
lancer quelques œuillades consolantes, auxquelles il
repondoit en faisant claquer son fouet, & en
faisant rouler son fiacre en rond, pour faire voir
son habileté, & l’extreme desir, qu’il avoit de
la conduire par tout ou elle voudroit. Entre chien
& loup, un savetier jetta dans le coche un petit
billet, par lequel notre jeune homme aprit, qu’à
sept heures sa maitresse devoit monter en carosse
avec sa Mere, & l’amie qu’il connoissoit ; que
ces deux Dames descendroient dans le
Strand, pour rendre une visite ; mais qu’elle iroit
plus loin pour faire quelques emplettes ; &
qu’ensuite elle devoit aller rejoindre sa compagnie.
Cette heure fortunée arrive à la fin : notre noble
fiacre se trouve à portée, & reçoit sa belle
accompagnée de sa Mere, & de l’amie de la
promenade, qui descendent dans l’endroit marqué,
& qui la prient de les venir prendre dans une
heure. Voilà notre amant au comble de ses vœux : il
pousse ses rosses à toute bride, & se sauve avec
sa Proye. La Mere avoit instruit notre prétendue
innocente de tout ce qu’elle devoit faire quand son
amant le prieroit de l’épouzer ; & des personnes
qu’elle devoit envoyer chercher pour assister à la
ceremonie nuptiale en qualité de témoins. Il n’est
pas nécessaire d’entrer dans de plus grandes
particularitez : il suffit de vous dire que cet
aimable couple s’est marié hier au soir dans un
village proche d’ici, en presence de notre Cadet,
& de deux ou trois autres personnes. Ce qui fait
voir, que le marié croyoit faire une action très
méritoire, & qu’il etoit fort
content de sa petite personne, c’est qu’un moment
avant que de se lier par des chaines éternelles, il
prit son cadet à part, pour l’exhorter à épouser
l’amie de sa future moitié.
1L’Auteur fait semblant d’avoir negligé de répondre a la premiere Lettre ; il y a bien de l’apparence qu’elles sont toutes deux de sa façon.