Le Mentor moderne: Discours XIII.
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Discours XIII.
Il arrive souvent dans notre pais,
que les cadets, quand ils suppléent au malheur de leur naissance
par leur genie & par leurs sentimens, forment de nouvelles
branches aussi vigoureuses & aussi fécondes, que celle dont
ils sont sortis. Leur éducation par conséquent merite toute
l’attention possible. Les jeunes gens, quand ils sont bons à
quelque chose, abandonnez à leurs propres penchans se livrent
d’ordinaire avec une espece de fureur aux exercices du corps, ou
bien à l’étude des belles lettres.
Je suis
persuadé que des idées nettes produisent des expressions propres
& claires, & que ces sortes d’expressions entrainent
après elles un ton & un geste convenables. Ce sera pour moi
une maxime infaillible jusqu’à ce qu’on me montre un seul
exemple du contraire. Jusqu’ici, je puis assurer, que je n’ai
jamais vu un orateur parler comme il faut, sans penser d’une
maniere distincte. Il n’y a rien qui fasse échouer tant de
jeunes gens, malgré leur genie & leur habileté, que
l’imitation servile des meilleurs modelles. Il <sic>
imitent d’ordinaire les grands hommes dans certaines choses, que
faute d’experience & de penetration, ils considerent à tort
comme les sources des applaudissemens qu’on leur prodigue. Il
arrive souvent qu’un avocat, dont la réputation est établie, a
un certain air de suffisance qu’on pardonne à son mérite ; la persuasion où il est en plaidant, qu’il possede
à fond son sujet, & qu’il est en état de prouver la bonté de
sa cause, peut lui donner certaines attitudes, & certains
airs de tête, qui conviennent plutôt au Tribunal, qu’au Barreau.
Quel ridicule ne donneroit pas à un jeune homme, qui ne feroit
qu’entrer dans cette carriere, un extérieur qu’on excuse à peine
dans le Jurisconsulte le plus distingué ? Je souhaite de tout
mon cœur que mon jeune homme évite un pareil écueil ; ce qu’il
fera certainement, s’il continue à être docile à mes preceptes.
Zitat/Motto
Pudore & Liberalitate
liberos
Retinere satius esse credo, quìm metu.
Retinere satius esse credo, quìm metu.
Je crois qu’il vaut mieux tenir les Enfans dans le devoir, en les piquant d’honneur, qu’en leur inspirant de la crainte.
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Metatextualität
Il ne manque au Lecteur pour
connoitre toute la famille des Lizards que les caracteres
des fils Cadets.
Fremdportrait
M. Thomas, le second fils de notre famille, s’est partagé
avec modération entre ces deux occupations de la premiere jeunesse : il en a pris autant qu’il faut,
pour éclairer son esprit, & pour donner de la grace à
son corps : ce qui le met à l’abri de la pédanterie de toute
espece ; écueil fatal des gens de son âge. Il y a dans toute
sa conduite quelque chose de si aisé & de si
accommodant, qu’il est agréable à tous ceux, qui le
fréquentent, de quelque humeur ou de quelque inclination
qu’ils puissent être. Son air n’a rien de présomtueux :
jamais il ne se préfere aux autres. Par là, il gagne les
bonnes graces de tout le monde, sans s’exposer à l’envie :
par là il concentre en lui les vœux de tous ceux qui le
connoissent ; c’est une chose à remarquer, que depuis son
enfance jusqu’à l’âge de vingt-quatre ans, il ne s’est
jamais brouillé avec ses amis. Son intention est de se
pousser à la Cour, & quand je réflechis sur son
caractere, il me paroit presque impossible, qu’il n’y
réüssisse. Il a joint à sa complaisance naturelle une grande
sagacité, une pénétration des plus vives ; & il
distingue mieux que personne la réalité d’avec l’apparence.
Dans un train de vie, où tous nos compagnons sont nos
rivaux, on a besoin de la circonspection la
plus attentive, pour éviter les querelles, qui doivent
naitre de tant de differents interêts ; mais, quand on est
comme lui d’une humeur fléxible, la nature même nous fraye
le chemin de cette prudence éxacte, & la moindre
reflexion nous y conduit sans peine. Ce qui me charme le
plus en lui ce sont ses manieres avec les femmes. Il a
l’addresse de vivre avec elles, comme un homme prudent se
conduit, avec un seigneur dont il espere de la protection,
sans vouloir la lui demander directement. Il est à leur
égard poli & galant, sans leur débiter des complimens
& des fleurettes. Il ne fait sa cour à aucune Dame en
particulier, & tout le beau sexe semble s’être donné le
mot pour dire mille biens de lui. Je croi qu’il a été aimé
plus d’une fois ; mais, je ne sache pas qu’il ait jamais été
amoureux. Il sait que le grand secret de leur plaire à
toutes, c’est de se rendre aimable, sans paroitre avoir des
vues particulieres ; & il pratique avec la plus grande
dexterité, ce qu’il sait là dessus. Il a un langage naturel
& coulant, un son de voix agréable, une Physionomie où aucune passion ne domine, un geste aisé
& convenable. Il conte à charmer ; de sa maniere de
narrer un fait on tire plus de satisfaction, que si l’on en
étoit témoin oculaire. Outre l’image vive & fidelle de
la chose qu’il dépeint, on voit avec plaisir, dans son air,
l’impression qu’elle a faite sur lui, & les sentimens,
qu’elle a excitez dans son cœur. Quand il raille, il
assaisonne son discours de tant d’ironies délicates &
neuves, qu’on est forcé de détourner son esprit de ce qu’il
y a d’odieux dans les sujets qu’il satirise, & de ne les
considérer que de leur coté ridicule. De cette maniere, il
semble que ses railleries mêmes sont des effets de son bon
naturel. Il n’y a point d’homme plus amusant ; & ce que
je trouve de plus admirable en lui, c’est qu’il plaisante
avec toute la finesse possible, sans se laisser échapper
jamais le moindre trait offensant. Il est l’arbitre general
de tous les differents qui naissent entre les personnes de
sa connoissance ; &, s’il y a moyen de les reconcilier,
on peut compter, qu’il en viendra à bout. Il lui arrive
souvent d’être employé par les deux parties chacune à part,
à tater le pouls à l’autre & à voir s’il
est possible d’en venir à un accommodement. Il tache alors
d’avoir parole de l’un & de l’autre, de s’en remettre à
la décision de quiconque il plaira à leur adversaire de
choisir : il se prévaut de cette heureuse conjoncture, rien
ne lui est plus aisé que de se faire choisir lui-même, &
il se sert de l’autorité qu’on lui donne avec tant
d’addresse, que l’animosité fait bien tôt place à une amitié
sincere. C’est ainsi qu’il devient le lien de ces nouveaux
amis. Il lui doivent toute l’estime, qu’ils ont conçue l’un
pour l’autre, & pour peu qu’ils ayent le cœur bienfait,
ils se disputent l’honneur de lui en marquer la plus vive
reconnoissance. Mon jeune homme brille sur tout à tirer d’un
sujet même de quoi l’embellir, & le mettre dans son jour
le plus avantageux : Par là, il trompe agréablement ceux à
qui il représente ce sujet, & qui ne le croyoient pas
susceptible de tant d’agrements. Il sait se proportionner
toujours à ses matieres, & jamais il ne parle avec
chaleur que quand la matiere l’éxige absolument. De maniere
que la véhémence paroit sortir non de son naturel, mais du
sujet même dont il s’agit. En un mot, ce qu’on
appelle gracieux fait son caractere distincitif, &
brille dans tous ses discours, & dans toutes ses
actions.
Fremdportrait
M. Guillaume, qui le suit en âge,
n’est pas d’un tempérament si souple, & si prêt à
s’accomoder aux humeurs & aux penchants des autres. Il
refuse à se rendre à toute autre chose qu’au raisonnement le
plus rigide : il veut toujours percer jusqu’aux sources
& aux causes primitives de tout ce qui s’offre à sa
reflexion, & reduire la coutume & la mode même à des
principes fixes. Cette exactitude scrupuleuse ne peut que
lui donner avec le tems un ridicule dans le monde, à moins
que la conversation & l’expérience ne réussissent à le
rendre plus accommodant. Je n’ai pas jugé à propos cepandant
de traverser en lui cet esprit d’éxamen & de recherche,
parce que je sais qu’il lui doit être d’un grand usage dans
le genre de vie auquel il se destine. C’est la
Jurisprudence, qui est son étude favorite, & il se
propose de briller un jour dans le Barreau. J’ai fait tout
ce qui m’a été possible, pour le détourner de l’éxacte
imitation de certains avocats, qui se font admirer generalement. Je voudrois que leur éxemple ne
l’animât qu’à faire tous les efforts imaginables pour se
distinguer dans sa profession. Pour l’y faire réüssir, je
l’exhorte continuellement à mettre à profit le talent qu’il
a de creuser les matieres, & d’en considérer
distinctement toutes les differentes faces.
Fremdportrait
Pour M. Jean, le cadet de
toute la famille, il n’est pas possible d’en faire de trop
grands éloges. Il y a de la grace & de la dignité dans
toute sa personne : on decouvre dans son corps, & dans
son esprit, de la force, & de la majesté. L’air serain
& tranquille, qui regne dans sa phisionomie, lui attire
une espece de tendresse, qui dez qu’on connoit les principes
de cette serenité devient la plus parfaite estime. Il a une
noble verve pour la Poesie sublime, & un art admirable
de faire passer dans l’esprit des autres les véritez, dont
il est persuadé lui-meme, & qui excitent
en lui des sentimens vifs. Avec ces qualitez & ces
lumieres, cet excellent jeune homme s’est dévoüé au
ministere de l’Evangile ; & il a résolu de prendre les
ordres sacrez, avec des dispositions qui pourroient le faire
briller dans une cour, ou dans une armée. Il a une
connoissance éxacte de la nature de sa profession, & de
la maniere dont il faut l’excercer, quand on la choisit par
un pur motif d’amour pour la vérité, & par un juste
mépris de tout ce qu’on appelle grand dans le monde, &
qu’on ne sauroit considérer que comme très petit, quand on
le met en parallele avec ce qui est éternel, & immuable.
Notre pieux jeune homme a résolu de faire pour le salut des
ames tous les efforts, qu’arrache aux autres la plus forte
passion pour la gloire, ou le plus ardent amour pour la
patrie. Je suis sûr qu’il éxécutera un jour glorieusement un
si beau dessein, & qu’il se fera considérer comme un
vrai Héros du Christianime ; le moyen d’en douter ! il
dirige à ce seul but son imagination, sa mémoire, son
jugement : toutes les facultez de son ame sont occupées à ce
seul sujet. J’espere même qu’un jour je
pourrai offrir à la jeunesse de ce siecle un recueil
d’actions Chretiennement heroiques, composé par ce jeune
Théologien, & d’une lecture plus agréable, que tout ce
qu’on peut trouver de plus attachant dans les Cyrus &
dans les Cassandres ; impertinentes legendes du faux
honneur, & de la fausse vertu.