Sugestão de citação: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Ed.): "Discours VIII.", em: Le Mentor moderne, Vol.1\008 (1723), S. 74-82, etidado em: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Os "Spectators" no contexto internacional. Edição Digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4039 [consultado em: ].


Nível 1►

Discours VIII.

Citação/Divisa► Animum rege. Hor.

Maitrisez vos passions. ◀Citação/Divisa

Nível 2► Rien n’est plus du ressort d’un homme qui s’erige en Directeur des mœurs de tout un peuple, que de decouvrir les écœuils, où nous sommes jettez par la violence dereglée de nos passions. J’ose avancer là dessus une proposition qui parroitra paradoxe à cause de sa nouveauté ; & je soutiens qu’il arrive très souvent, qu’entrainé par la fougue de ces passions on fait des choses directement contraires aux interêts de ces passions mêmes. La vérité de cette maxime paroit évidemment dans une Histoire que j’ai lue depuis peu dans les Commentaires Royaux du Perou. On y voit un Tiran orgeuilleux devenir le plus lache des hommes, aussi tôt qu’il se voit privé du poste, qui étoit l’unique baze de son insolence ; on y voit un de ceux qu’il avoit oprimez, tellement possedé du démon de la van-[75]geance, qu’avant que de parvenir à son but il n’a pas le loisir de songer à sa propre conservation. Mais aussi tôt que sa passion furieuse est satisfaite, ce sentiment naturel, & la crainte d’un danger prochain, rentrent dans son ame avec violence, & l’agitent tellement, qu’il est incapable de profiter de l’occasion de se sauver, & qu’il se jette dans le peril, par la crainte du peril même.

Il est vrai qu’à proprement parler les motifs de la conduite de ces deux hommes ne furent pas tant des passions, que de mauvaises habitudes contractées par les passions ; à mon avis l’orgœuil & la vangeance ne sont que des plans & des systemes de dedain & de colere. Voici l’Histoire.

Nível 3► Retrato alheio► Le Licencié Esquivel Gouverneur de la Ville de Potosi commanda un jour à deux cens hommes de cette Garnison de marcher vers le Tucuman, avec ordre exprès de ne se point servir d’Indiens, pour porter leur bagage. Il se mit dans un lieu convenable pour observer de quelle maniere il seroit obei, & il vit bien-tôt un grand nombre d’Ameriquains chargez du Bagage des Espagnols. Il trouva [76] pourtant à propos de laisser passer tous les rangs, & il se contenta de saisir dans le dernier un Soldat appellé Aguire, dont les hardes étoient portées par deux Indiens : il le fit mette aux arrêts, & peu de jours après il le condamna à recevoir, deux cens coups de fouet. Aguire fit representer au Gouverneur par ses amis, qu’étant Gentilhomme, & ayant un Frere dans le Païs, qui possedoit des Terres considerables, il esperoit que sa naissance l’exemteroit d’une punition si infame. Cette représentation ne fit rien sur la Dureté du Gouverneur, qui s’obstinoit à vouloir faire exécuter la Sentence, ce qui jetta Aguire dans un tel desespoir, qu’il conjura Esquivel de la condamner plutot à un supplice, auquel il ne seroit pas forcé de survivre, & de le faire pendre quoi que sa noblesse semblât le mettre à l’abri d’une mort si honteuse. Quoique notre Licencié, avant que de parvenir à une charge si considerable, eut fait parade pendant toute sa vie d’un caractere de douceur & d’humanité, sa fortune l’avoit tellement changé, que les soumissions du pauvre Soldat ne faisoient que nourrir & enfler son insolence. Dans le tems même, que les amis d’Aguire lui [77] addressoient de la part de ce malheureux une priere attendrissante, il ordonna d’un ton orgoeuilleux que la Sentence fut mise en execution dans le moment même.

Là dessus, comme il arrive d’ordinaire dans ces sortes d’occasions, toute le peuple accourut pour voir ce triste spectacle, mais les principaux habitans de la ville, touchez de compassion pour ce jeune Gentilhomme, allerent en corps prier le Gouverneur de suspendre du moins la punition du coupable, s’il ne vouloit pas l’addoucir ; tout ce qu’ils purent obtenir par leurs instances, fut un délai de huit jours. Malheureusement lorsqu’ils coururent vers le cachot, pour porter cette nouvelle au Prisonnier, ils le virent deja depouillé de ses habits & monté sur un ane, posture dans laquelle les criminels de les plus vils sont fouettez parmi les Espagnols. Ils se mirent à crier otez le, otez le, & firent voir l’ordre du Gouverneur pour differer son supplice ; mais le jeune homme peu content d’une grace si cruelle la meprisa. Tous les efforts que j’ai faits auprès du Gouverneur, dit-il, n’ont eu pour but, que de m’épargner la honte de monter sur cette [78] beste, & d’être exposé nud aux yeux du peuple ; mais puisque j’en suis là, en n’a qu’à passer outre ; la douleur, que je vais soufrir, n’est rien en comparaison des craintes, & des inquietudes, qui me dechireroient pendant les huits jours dont on veut me gratifier. Qu’on execute seulement la sentence, je veux exemter mes amis de la peine de nouvelles intercessions, & de la honte e nouveaux refus. Dez qu’il eut prononcé ces parolles d’un ton ferme, on fit avancer l’ane, & Aguire receut les coups de fouets, ou il avoit été condamné : la maniere calme, dont il receut ce cruel afront, & le mepris, qu’il avoit marqué, pour le delai, qu’on lui avoit obtenu persuaderent aux spectateurs, qu’il trouvoit une source de consolation, dans quelque resolution secrette de vanger son honneur d’une maniere éclatante.

Depuis ce temps là les Habitants de Potosi, qui connoissoient la valeur de ce jeune homme, eurent beau l’exhorter a marcher avec ses compagnons a queque expedition militaire, il leur répondoit toujours d’un air noblement mortifié, qu’après l’infamie, sous laquelle il avoit été forcé de se courber, le metier de la [79] guerre étoit trop noble pour lui, & qu’il ne lui restoit d’autre source de consolation que la mort.

Il demeura dans le Perou enseveli dans cette profonde Mélancholie, jusqu'à ce que le tems du Gouvernement d’Esquivel fut expiré, & dez qu’il fut que ce Licencié eut quitté Potosi, il le suivit par tout comme un desesperé, & lui donna la chasse de lieu en lieu, ne cherchant que l’occasion de laver son affront dans le sang de son barbare juge. Esquivel informé par ses amis de cette résolution enragée de son ennemi, fit pour l’éviter un voyage de trois ou quatre cents lieues, dans la supposition, que l’esprit de vangeance, qui animoit Aguire ne seroit pas assez fort pour lui faire faire un si grand chemin ; il se trompa, sa suite ne fit que donner de nouvelles forces à la Haine d’Aguire. Dez qu’il fut qu’Esquivel s’en étoit allé à Los Reyes qui est à trois cent vingt lieues de Potosi, il le suivis d’un pas haté, & dans quinze jours de tems son ennemi l’y vit arriver. Là dessus le Licencié prit de nouveau l’essor, & crut trouver un azyle dans la Ville de Quito, éloignée de Los Reyes de quatre cent lieues ; mais à peine vingt jours se [80] passerent, qu’Aguire n’y fut : aussi tôt qu’Esquivel fut instruit de son arrivée, il s’enfuit encore jusqu'à Cozco, qui est à 500 lieues de Quito.

Mais son opiniatre ennemi le suivant à la trace y vint presque aussi tôt que lui, ayant parcouru un si grand espace de terrain à pied sans souliers & sans bas. Il disoit à tous ceux qui étoient surpris e le voir voyager dans un si triste état, qu’il n’appartenoit pas à un saquin fouetté par la main du Gentilhomme.

C’est de cette maniere qu’Aguire poursuivit son tyran pendant trois ans & quatre mois ; à la fin Esquivel lassé de cette suite continuelle résolut de fixer son sejour à Cozco, persuadé, que son ennemi n’ozeroit rien entreprendre contre sa vie par la crainte du Gouverneur de ce lieu, homme severe, inflexible, & peu accoutumé à adoucir la rigueur des Loix. Il prit une maison au beau milieu de la Ville, tout près de la grande Eglise, & ne négligea rien pour se précautionner contre l’esprit vindicatif du jeune Soldat. Il portoit toujours une Cotte de mailles sous ses habits, & ne marchoit jamais sans être armé d’une Epée, & d’un poi-[81]gnard, quoi que cet équipage fût très incompatible avec sa profession. Toutes ces mesures ne furent pas capables de rallentir l’animosité d’Aguire, qui le suivoit toujours & qui paroissoit attaché à ses pas. Las à la fin de le voir trop bien accompagné pour faire son coup dans la rue, Aguire resolut de l’attaquer dans sa maison même, où il se croyoit le plus en sureté ; il y entre un jour hardiment, le cherche de chambre en chambre, & le trouve dans son cabinet qui sommeilloit sur un lit de repos. Il lui perce d’abord le cœur d’un coup de poignard d’un air fort tranquille, & il cherche à loisir les endroits, qui n’étoient pas couverts de la cotte de maille, pour assouvir sa vangeance par mille blessures superflues. Il sort ensuite de la maison, sans avoir été observé de personne, mais à peine sa furieuse passion fut elle satisfaite, qu’il commença à réfléchir sur l’humeur inexorable du Gouverneur ; ces pensées le troublerent tellement, qu’il ne lui vint pas dans l’Esprit de se sauver dans l’Eglise, qui étoit tout près du lieu, où il venoit de commettre ce crime. Il se mit à courir les rues, comme un homme frenetique ; il informa tout le peuple de [82] l’action qu’il venoit de faire, & conjura tout le monde de le cacher. ◀Retrato alheio ◀Nível 3

Le triste sort, & la lacheté d’Esquivel, qui fait tous ses efforts pour se derober à la Haine d’un simple Soldat, qu’il avoit traité si insolemment, & le ressentiment prodigieux d’un homme aussi peu considerable qu’Aguire, sont d’utiles leçons, aux petits esprits qui se trouvent dans de grands postes, & leur doivent apprendre à respecter les braves gens, quelle que soit la bassesse de leur condition. ◀Nível 2 ◀Nível 1