Citazione bibliografica: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Ed.): "Discours IV.", in: Le Mentor moderne, Vol.1\004 (1723), pp. 30-41, edito in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Gli "Spectators" nel contesto internazionale. Edizione digitale, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4035 [consultato il: ].


Livello 1►

Discours IV.

Citazione/Motto► Aussi-tôt tu verras Poetes, Orateurs,
Rheteurs, grammairiens, Astronomes, Docteurs,
Degrader les Héros, pour te mettre en leurs places,
De tes titres pompeux enfler leurs Dedicaces,
Te prouver à toi même, en Hebrew, Grec, Latin,
Que tu fais de leur art, & le fort, & le fin.

Boileau. ◀Citazione/Motto

Livello 2► Quoi qu’un grand nombre de choses très mauvaises dans leur nature trouvent un sauf-conduit dans ce seul mot la Coutume, il ne laisse pas d’y en avoir d’une conséquence si dangereuse que ce terme significatif ne sauroit les sauver des censures de tout homme qui reflechit un peu. Je ne puis m’empêcher de placer dans cette classe la pratique usitée des Dedicaces, qui mene à des suites d’autant plus mauvaises, que ce sont d’ordinaire les productions de ceux, qui prétendent avoir puisé de la politesse dans les belles Lettres, & qui auroient bien fait d’y chercher des sentimens nobles & genereux. Par cette prostitution de l’éloge, non seulement on fourbe d’une maniere indigne la masse générale [31] des hommes, qui se fait un devoir d’emprunter ses idées des savans, mais on éteint encore chez les gens de merite cette soif de réputation qui est le grand motif des actions nobles, & qui se degoute, quand elle voit le prix de la vertu donné sans choix à ceux qui le meritent, & à ceux qui s’en rendent indignes. Les Auteurs de ces pieces eux-mêmes malgré toute l’imagination & tout le genie qu’on puisse leur supposer, ne sont pas en état d’honorer par là les qualitez le plus réellement estimables. Quelque verité, qu’il y ait dans l’admiration, qu’ils sentent pour leurs Mecenas, il leur est impossible de trouver des Phrases & des tours, qui n’ayent deja été usurpez & avilis par une adulation servile, & trompeuse.

La plus pure verité même, qui se hazarde dans une Dédicace, ressemble à un honnête-homme deguisé en fripon, & qu’il est impossible de distinguer d’avec ce qui lui est le plus contraire. Mais, supposons que le merite de quelqu’un soit incontestable, & genéralement avoüé, je ne vois pas que la vertu éclatante d’un homme puisse authoriser l’impertinence d’un autre à donner à cet illustre de [32] l’encençoir au travers du visage.

C’est justement là le revers de la coutume de l’ancienne Rome, qui apostoit à ses Heros triomphans, des gens payez pour les tourner en ridicule, & pour leur inspirer de l’humilité ; au lieu que nous faisons tourner la tête à nos grands hommes, en les enivrant de louanges, & en faisant tous nos efforts pour les étourdir par un sot orgueil. Supposons même que l’Auteur ne soit pas animé d’un esprit mercenaire, je ne vois pas que son Patron lui doive savoir gré de ses peines, & qu’il ait plus d’obligation à cet indiscret Panegyriste, qu’à un Marchand qui prend son portrait pour enseigne de sa boutique. Je dis plus ; on fait moins de tort à un homme, en agissant cavalierement avec sa figure, qu’en profanant ses talens & ses qualitez, qu’il doit regarder comme la partie la plus noble & la plus sacrée de soi-même. Passe encore si l’on ne fait une telle entreprise, qu’avec la permission préalable du Mecenas, & si suivant ses vues on fait tous ses efforts pour en tracer un tableau fidelle ; mais malheureusement la plupart des Auteurs imitent ce Peintre de taverne, qui, après avoir fait plu-[33]sieurs portraits à tout hazard, alloit chercher les Originaux, dont les traits pouvoient y avoir quelque rapport pour leur persuader, que c’étoient leurs véritables copies.

Pour exprimer dans un mot mon sentiment là dessus, louër un homme en face, au delà de ce qu’on pense de son mérite, est une friponnerie, si l’on agit par un principe d’intérêt ; & c’est une extravagance, si l’on agit par tout autre motif. Quiconque a travaillé de cette maniere avec succès doit être persuadé dans sa propre conscience, qu’il est un malhonnête-homme lui même ; & que son patron, qui l’a cru sur sa parole, mérite une place dans l’Hopital des foux.

Metatestualità► J’ai quelquefois pris plaisir à considerer les Epitres dedicatoires, d’un point de vue qui n’est pas fort ordinaire. ◀Metatestualità Par les qualitez, qu’un Auteur croit les plus propres à chatouiller l’orgueil de son patron, on peut deviner le caractere de celui qui les prodigue si liberalement, & être persuadé qu’il se les croit naturelles à lui-même. A moins que de prendre garde à cette vérité d’experience, on ne sauroit à peine lire une seule Dedicace, qu’on ne s’étonne de la nature du Pane-[34]gyrique & de son application. J’ai vu un Heros de plus humains, complimenté sur la noble fierté, qui brilloit sur son visage après une victoire remportée sur ses ennemis, & un homme de qualité des plus entêtez de son rang, applaudi sur sa condescendence pour ses inférieurs. J’en aurois été dans la plus grande surprise, si je n’avois pas connu le naturel des Panegyristes. L’Auteur du premier éloge étoit un Cavalier raisonnablement suffisant, dont l’air & la demarche s’animoit d’un noble orgueil, quand il venoit d’honorer le public de quelque nouvelle production. Pour l’autre, c’étoit un homme assez ennemi des façons, pour faire la débauche, pendant des nuits entieres, avec les garçons imprimeurs, quand ils travailloient à faire éclore ses ouvrages.

On ne peut qu’observer par rapport aux auteurs femelles qui se mêlent de dedier, qu’elles portent les choses à un excez bien plus grand, que les hommes. Comme la beauté est la chose du monde dont elles se piquent le plus, elles en parlent dans un stile bien plus sublîme que nous ; & c’est aux agremens corporels, qu’elles s’attachent le plus : elles adorent de la même maniere dont elles [35] veulent être adorées. C’est ainsi qu’une Dame, qui a composé un Roman moderne, demande la permission à un jeune Seigneur de lui addresser ses adorations à genoux. On a lieu de s’étonner de cette expression ; mais, l’étonnement doit cesser dès qu’on se met dans l’esprit que cette posture humiliée d’un homme charme le beau Sexe, & flatte sa vanité le plus délicieusement. Les plus grands flatteurs sont ceux qui aiment le plus qu’on les flatte ; tout de même qu’il n’y a point de gens qui soient plus choqués de la Calomnie, que ceux qui sont le plus portez à en accabler leur prochain.

Metatestualità► Ce qui a entrainé mon esprit dans ses dernieres Reflexions est une Dédicace, qui m’est tombé entre les mains aujourd’hui, d’une maniere qui paroitra peut-être singuliere au Lecteur. Il saura s’il lui plait, que c’est ma coutume de traiter avec un profond respect tous les restes des vieux livres, monumens delabrez du genie des hommes. Cet amour pour les belles lettres, sous quelque apparence vile qu’elles s’offrent à mes yeux, m’a rendu si heureux dans la recherche du beau que jusques dans la doublure des boetes à chapeau j’ai trouvé des thrésors impaya-[36]bles d’esprit & d’érudition. Je considere ces édifices de carton, que nos Marchands ont soin d’orner en dedans de lambeaux de Literature, avec la même véneration, qu’un Antiquaire sent à la vue d’une mazure respectable, dont les murs conservent encore des inscriptions, qu’on chercheroit en vain ailleurs. Le matin, tandis qu’une des Demoiselles Lisard fouilloit avec attention dans une boete pleine de Rubans & de dentelles, je n’étois pas moins occupé à éxaminer la boëte même qui contenoit tout cet attirail. Elle étoit doublée de quelques Scenes d’une Tragedie composée, comme le titre le faisoit voir, par une personne du beau sexe. Ce qu’il y avoit de plus entier, & de plus lisible, étoit la Dédicace, grace à la grandeur du Caractere, qui n’avoit pas tant soufert que le reste, de certains ornemens Gothiques, sous lesquels il plait aux architectes de ces boetes d’ensevelir les ouvrages des savans. Je vais communiquer cette piece au Lecteur, éxactement de la même maniere dont il m’a été possible de la lire. ◀Metatestualità

[37] Livello 3► Lettera/Lettera al direttore► « Madame,

Quoique ce soit une espece de profanation d’approcher de votre grandeur avec une ofrande si meprisable, cependant quand je réflechis sur la satisfaction avec laquelle le Ciel recevoit le sacrifice de quelques fleurs, dans le premier & le plus pur âge de la Religion où elles étoient consacrées à l’Autel avec solemnité par l’ordre de Dieu lui-même, j’ose. . . . . Ce n’est que par cette considération que je ne croi pas pouvoir mieux marquer mon zele pour vous, qu’en vous dédiant. . . . Il n’est pas possible de vous voir sans vous adorer : cependant, eblouis & portés au respect par la gloire qui vous environne, les hommes sentent un pouvoir sacré, qui épurent leur flamme, & les rend semblable à celles dont il faut bruler pour la Divinité qui y habite : nous voyons dans votre Grandeur ce que la femme étoit avant la chute, & jusqu’à femme étoit avant sa chute, & jusqu’à quel point elle approchoit de la pureté & de la perfection des Anges.

Nous [38] le voyons, Madame, en benissant & en adorant en vous cette glorieuse ressemblance. . . » ◀Lettera/Lettera al direttore ◀Livello 3

Cette periode, & plusieurs autres, qui composent cette très pieuse Dédicace, ne pouvoient que convaincre la Duchesse, qui en étoit l’objet, de la sincerité de la Déclaration, dont l’Auteur se sert à la fin de cette Dédicace, savoir, qu’elle est sa très-humble servante avec la plus servante Dévotion. Je crois, au reste, que c’est là l’échantillon d’un stile tout nouveau, où les Critiques n’ont pas encore fait attention, & qui est si fort au dessus du stile sublime, qu’on pourroit l’appeler le stile Celeste.

Metatestualità► Comme j’ai naturellement beaucoup d’émulation, je voudrois bien n’en rien devoir de reste à cette Dame, & je veux faire mes efforts pour être le premier inventeur d’une nouvelle sorte de Dédicaces très differentes de la sienne & de toutes les autres, en ce qu’il n’y aura pas un mot qui ne réponde éxactement aux sentimens de l’Auteur. Elles pourront servir devant quelque Livre que ce soit, Vers ou Prose, deja publié ou à publier encore. Voici quel en pourroit être le tour. ◀Metatestualità

[39] Livello 3► Lettera/Lettera al direttore► L’Auteur a lui-meme.

Autoritratto► « Après une meure déliberation, je trouve que cet ouvrage vous appartient à meilleur titre, qu’à tout autre, & que vous avez sur lui des droits incontestables. C’est uniquement votre volonté toute puissante sur moi, qui a pu me porter à publier ce fruit de mes veilles ; & l’indulgence, que vous avez marquée, pour tout ce qui est de ma façon, m’asseure <sic> que personne n’a plus de penchant que vous à proteger cet ouvrage, & à le défendre avec chaleur. D’ailleurs, vous êtes plus capable que tout autre d’en découvrir toutes les beautez ; & même, il y a des passages dont le sens est impenetrable pour tout autre que vous. Soyez persuadé aussi, Monsieur, que mon amitié, mon estime, & mon respect pour vous, vont au delà de l’expression, & que je surpasse à cet égard de bien loin tous ceux, qui ont l’avantage de vous connoitre, & de vous fréquenter.

Pour ce qui regarde les defauts, que certains Censeurs atrabilaires pré-[40]tendent vous trouver, je puis vous déclarer avec toute la sincerité possible, que je n’en ai jamais apperçu seulement l’ombre ; & je ne doute pas que ces gens ne soient animez contre vous de cet esprit de malice & d’envie, qu’un grand mérite, comme me paroit le vôtre, ne manque jamais de s’attirer. On me blamera peut-être de faire violence à votre modestie, en vous disant ces choses d’une maniere si publique ; mais, du moins, puis-je vous assurer, qu’au pied de la lettre je pense sur votre chapitre éxactement de la même maniere, lorsque vous êtes l’objet de mes reflexions secrettes ; ce qui arrive très souvent. S’il m’étoit permis de suivre le penchant le plus fort de mon cœur, il n’y a rien au monde, où je travaillasse avec plus de plaisir, qu’à votre Panegyrique. Comme j’en suis détourné par la crainte de la Critique, qui n’épargne rien dans ce malheureux siecle, je finirai en vous protestant, que je ne souhaitte rien avec plus d’ardeur, que de vous conoitre d’une maniere plus intime, que je ne fais peut-être à présent. C’est alors, que je serois capa-[41]ble de vous témoigner ma tendresse & mon estime par des services réels. En attendant ce bonheur, je continuerai d’être plus qu’homme au monde, Monsieur, Votre affectionné Ami, & le plus grand de vos Admirateurs. » ◀Autoritratto ◀Lettera/Lettera al direttore ◀Livello 3 ◀Livello 2 ◀Livello 1