Le Mentor moderne: Discours III.
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Discours III.
Cet
Ouvrage a pour titre, Discours touchant la liberté de penser,
occasionné par l’Origine, & par les progrez d’une secte
appellée Esprits-forts. L’Auteur commence fort méthodiquement
par definir son sujet.
On s’attendroit, à voir cette definition, à une impartialité
entiere de la part de l’Auteur ; & l’on ne croiroit jamais,
qu’il marqueroit de l’attachement ou de l’aversion pour quelque
objet que ce fût, avant que de l’avoir attentivement consideré.
Cependant, il renonce d’abord au Caractere d’un homme qui aime
la Liberté de penser, & il expose à nos yeux sans détour sa
prevention contre tout un corps de personnes pour lequel tous
les honnêtes gens ont les plus grands égards. C’est du Clergé
que je parle. Il est naturel, ce me semble, que des personnes,
qui depuis leur enfance se sont dévouez au service de Dieu,
passent pour venerables, dans l’esprit de tous ceux qui font
possession de craindre ce Dieu ; & rien ne caracterise mieux
un esprit déréglé & sans principes, que la licence de parler
mal en general de tous les Eclésiastiques. Il est bien certain,
que dans le grand nombre, il doit s’en être glissé
dont le naturel répond mal à leur charge sacrée ; mais, de ce
que l’avarice & l’ambition logent quelque fois dans un cœur
qui devroit être le sejour de la dévotion, & de la sainteté,
il est ridicule de conclure qu’il est permis d’exposer tout
l’ordre aux mépris du public. Pour voir que l’Auteur ne daigne
pas seulement déguiser le moins du monde sa haine contre le
Clergé, il suffit de remarquer, qu’il n’insinue nullement qu’il
y ait de la nécessité, ou la moindre utilité même, dans
l’Etablissement de certaines personnes destinées au service
Divin, & à l’instruction de ceux qui leur sont inférieurs en
lumieres. Il ne songe par tout qu’à les attaquer directement, à
miner leur crédit, & à frustrer la societé du fruit de leurs
travaux. On voit ici tout ce que les gens d’Eglise se sont
laissé échapper inconsidérement dans la chaleur de la dispute,
allégué avec l’affectation la plus malicieuse ; & certains
passages, qu’ils ont avancés, mis à la torture, pour en tirer
des conséquences, qui sappent les fondemens de la saine
Doctrine. En un mot, l’Auteur ne néglige rien, pour ruiner la
Religion, en surprenant pour ainsi dire les
suffrages de ceux, dont le devoir principal est de prouver la
vérité e cette Religion, & d’en enseigner les préceptes. Si
l’Accusation que j’intente ici à cet Ecrivain, est fondée, comme
il est palpable à ceux, qui parcourent son Traité avec quelque
attention ; & si l’on avoue en même tems que la Religion est
le plus fort lien de la societé ; de quelle maniere faut-il
traiter cet Ennemi commun du genre-humain ? Comment faut-il agir
avec un homme, qui travaille avec le plus grand zêle à la
propagation de la Doctrine des Esprits-forts ? Un homme, qui,
après avoir mis le feu à une maison, voudroit se justifier par
sa prérogative d’être un Agent libre, seroit plus excusable que
notre Auteur, qui fonde des Priviléges plus horribles encore sur
son droit de penser librement. Quelque odieuse que soit sa
conduite, elle me paroit pourtant dans un certain sens digne de
la pitié, & dans un autre, digne de la raillerie des
honnêtes gens. Il y a une espece de gens sombres, steriles,
mélancholiques, qui, destituez des talens nécessaires, pour
faire quelque figure dans le monde en suivant les principes d’une généreuse Charité, s’efforcent à sortir
de leur bassesse naturelle, en traversant les efforts de ceux
qui excellent dans les Sciences les plus salutaires au
genre-humain. Si l’on pouvoit se résoudre à se divertir d’une
matiere, où il s’agit d’une chose aussi importante que le Salut,
on pourroit entrer dans un éxamen assez Comique des
satisfactions merveilleuses, des plaisirs piquans, & du
libertinage délicieux, que nos Esprits-forts se procurent en se
débarassant des liens, qui tiennent les passions humaines, pour
ainsi dire, garottées. Pourroit-on s’empêcher de rire, en voiant
que les Chefs respectables de cette Secte, dont on vante tant
les progrès, sont des Libertins sobres, qui n’animent leurs
longues conversations, que par quelques tasses de Caffé, &
qui n’ont pas assez de feu dans l’imagination, & dans les
sentimens, pour tirer leur libertinage des bornes de la Théorie.
Ces Sages par excellence, ces profonds Docteurs de
l’incrédulité, ne sont que des débauchez spéculatifs, trop
contens de voir une jeunesse évaporée, affranchie par leurs
Rhapsodies officieuses du joug de la Reflexion, nager dans les
plaisirs, sans participer eux-mêmes à ces délices,
dont leur doctrine leur fraye le chemin. C’est ainsi, que des
humains d’un genie pesant, pour complaire à une vanité stérile,
renoncent à une felicité éternelle, sans songer à s’en
dédommager par les charmes d’une vollupté passagere. Quelle
pitié, de savoir se délivrer des entraves de la vérité, & de
n’avoir pas l’esprit de profiter de cette liberté bienheureuse !
Quelle conduite mal suivie, que d’être aussi étroitement
emprisonné dans son indolence, qu’un Chrêtien l’est dans son
devoir ! Un Esprit-fort de ce caractere a l’ame, pour ainsi
dire, léthargique : il est incapable d’avoir la moindre idée de
ces sentimens agréables, que la Religion fait naitre dans un
cœur véritablement genereux & sensible ; il ne sait pas ce
que c’est que ces ravissemens délicieux que la pieté sait
exciter dans une ame grande & noble. N’en déplaise à la
vanité de ces Messieurs, s’il leur est impossible d’être dévot,
c’est faute de genie & de sentimens. Les sentimens, qui ont
leur source dans la pieté, aussi bien que ceux, qui procedent
des objets sensibles, ne sont vifs qu’à proportion
de la vivacité naturelle de l’esprit & du cœur. Sur ce
pied-là, notre auteur peut s’assurer, qu’il ne connoit point ce
qu’il s’efforce à décrier, & que son Athéïsme prétendu n’est
qu’une stupidité réelle : je le croi aussi peu capable de faire
une Priere servente, qu’un Poeme épique. Quand les gens
resserrez de cette maniere dans la sphere étroite de leurs idées
sont en même tems maitrisez par l’orgueil, ils sont portez
naturellement à croire que leur pénétration a les mêmes limites
que la verité, & que ce qu’ils ne comprennent point est
absolument incomprehensible. Chaque argument qu’ils alleguent
contre les veritez, dont les autres soutiennent avoir des idées
claires & distinctes, est une preuve de leur ignorance,
& de leur manque de lumieres. La troupe d’Athées, qui
deshonora le siecle passé, ne servoit pas le Diable gratis,
comme nos Chef de la nouvelle Secte : ils se distinguoient par
des excès convenables à leurs principes ; au lieu que nos fameux
contemporains ne nuisent à la societé, que pour lui être
nuisibles, sans y gagner le moindre plaisir réel. Leur maniere
de vivre comme des especes d’Anachorettes, tous
livrés à l’étude & à la méditation, sans autre dessein que
de troubler les hommes dans la possession de leurs sentimens sur
la Religion, me rappelle dans l’esprit les divertissemens
monstreux d’une troupe de débauchez, qui a brillé dans
l’extravagance depuis peu. Elle se faisoit le plaisir le plus
vif de courir les rues, & de donner des coups d’épée &
de couteau à ceux qu’ils rencontroient ; sans avoir d’autre
motif de leur cruauté, qu’une insolence infame. Quand des
écrivains de l’espece du nôtre, qui n’ont qu’autant d’esprit que
la malignité est capable de leur fournir s’érigent en Docteurs
& en Philosophes, je ne vois pas que des assassins, que le
meurtre divertit, ne puissent se faire passer pour des gens
agréables & divertissants. On s’attendra sans doute à voir
ici quelque échantillon de la malice de notre auteur, qui, pour
être digne d’une censure aussi forte que la mienne, doit être
extrémement criminel ; mais, pour sentir que je ne le traite pas
avec trop de rigueur, on n’a qu’a lire ce qu’il debite pag. 52.
Je
crois que personne ne disputera à l’Auteur la parfaite
impartialité dont il fait usage en parlant de la baze de ces
differentes Réligions ; mais, cette impartialité même trahit ses
veritables pensées : l’Histoire d’un Homme né d’une Vierge
emprunte chez lui autant d’authorité de St. Sommonocodum, que
chez nous de St. Matthieu. Voilà comme il traite la Révélation.
Pour ce qui regarde la Philosophie, il nous dit que Ciceron
établit comme une Opinion probable, & même il
soutient, que le même grand homme conclut de l’examen de
plusieurs Notions differentes, Ce qu’il
nous débite ici sur les idées de cet illustre Romain est
suffisamment détruit par le passage, que j’ai mis à la tête de
cette feuille. Mais où est l’honnête-homme, qui puisse voir d’un
œil tranquille la liste d’infames Imposteurs dans laquelle il
place cavalierement l’auteur de notre sainte Religion ? Pour
moi, je ne decouvre d’autre but dans tout cet ouvrage, que celui
de ruiner de fond en comble, & de turlupiner l’autorité de
l’Ecriture sainte. La paix, & la tranquillité de la Nation,
sont les moindres motifs, qui nous doivent porter, à avoir pour
cet Ennemi public, & contre son détestable ouvrage la plus
haute indignation. Si jamais homme a merité, qu’on lui interdit
l’eau & le feu, c’est indubitablement l’Auteur du Discours
sur la liberté de penser
Zitat/Motto
Quidquid est illud quod sentit,
quod sapit, quod vult, quod viget, caeleste & divinum
est, ob eamque rem aeternum sit necesse est.
Ciceron.
Quelque chose que ce puisse être en nous, qui sent, qui goute, qui veut, qui est animé, il faut que ce soit quelque chose de divin, & par consequent d’éternel.Ebene 2
Metatextualität
J’aurois continué aujourd’hui à
vous donner l’Histoire instructive de ma vie, si je n’en
avois pas été détourné par un Livre, qui m’est tombé entre
les mains. Si je negligeois d’y faire quelques reflexions,
j’aurois tort de me donner pour un homme, qui prend à cœur
les intérêts de la societé & de la Religion.
Zitat/Motto
Par Liberté
de penser, dit-il, j’entends l’usage, qu’on fait de son
entendement pour comprendre le sens de quelque
proposition que ce soit ; en considerant la nature de
l’évidence, qu’il y a pour ou contre cette proposition,
& en proportionant le jugement, qu’on en fait, au degré
apparent de force ou de foiblesse de cette évidence.
Zitat/Motto
Tous les Prêtres répandus dans
le monde different sur les Livres sacrez, &
disputent sur l’autorité qu’ils doivent avoir ; les Bramins
ont une sainte écriture, appellée Shaster ; les Persans
vantent leur Zundavastaw ; les Bonzes de la Chine se
prévalent d’un Livre composé par les Disciples de Fo-h é,
qu’ils nomment Dieu & Sauveur du monde, né pour
enseigner le chemin du Salut, & pour expier les pechez
des Hommes ; les Talopoins de Siam ont un Livre écrit par
Sommonocodom, qui selon eux est né d’une Vierge, & le
Dieu qui est attendu dans le monde. Pour les Dervis, on sait
qu’ils s’appuient sur la divinité de l’Alchoran.
Zitat/Motto
que ceux qui étudient la Philosophie croient qu’il n’y a point de Dieux ;
Zitat/Motto
qu’il n’y a rien qui subsiste après la mort.