Cita bibliográfica: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Ed.): "Discours I.", en: Le Mentor moderne, Vol.1\001 (1723), pp. 1-11, editado en: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Los "Spectators" en el contexto internacional. Edición digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4032 [consultado el: ].


Nivel 1►

Discours I.

Cita/Lema► Ille quem requiris.

C’est l’homme qu’il vous faut. ◀Cita/Lema

Nivel 2► Il n’y a point de passion plus generale, que le desir de se faire connoitre, & de communiquer aux autres hommes ses talens, ses vertus, ses sentimens, & ses lumieres. Quoi qu’elle se varie sous differentes formes, elle est de la même nature dans toutes les ames. Les gens d’un genie superieur en sont tellement gouvernez, qu’ils ne peuvent pas souffrir même, que le public tombe dans quelque erreur par raport à leur Physionomie. Un certain Mr. Airs, excellent Maitre à écrire, a eu soin de placer son Portrait à la tête d’un savant Traité, où il enseigne à la jeunesse Bri-[2]tannique l’Art important d’acquérir une belle main.

La même particularité est encore remarquable dans l’Auteur d’un Livre intitulé : La Clef des interêts simples & composez, contentant des regles pratiques claires & étendues, pour toutes sortes d’interets, & pour les termes du payement, quels qu’ils puissent être. Cet honnête homme se dedommage lui-même & le public du malheur qu’il a de vivre à Chester, en nous venant voir à Londres, placé vis à vis de son Titre, en Perruque de Sénateur, en Robbe flottante, & entouré d’un feuillage de Lauriers. Ce n’est pas tout ; pour ne nous laisser rien ignorer de ce qui concerne un Auteur si utile, il a orné son Portrait de l’Inscription suivante : Johannes Ward, de Civitate Cestrie, ætat. fuæ an. 58. Dom. 1706.

Rien ne me confirme d’avantage dans l’idée que j’ai de l’étendue de cette sorte d’ambition, que l’air serain & content, qu’on remarque dans ces Portraits, & la grande vanité, qu’un de nos Compatriotes titre d’une pareille source. On le connoitra facilement sans que je le nomme, c’est 1 homme de l’univers le [3] plus peint, ses traits & sa Phisionomie courent toutes les rues de cette bonne Ville ; tous les plus habiles Peintres se sont exercés sur lui ; & leur zele a été soutenu par tous nos Graveurs, & par tous ceux qui ont le talent de multiplier les Tableaux.

Je me souviens d’avoir vu ici un certain Jean Gale, Musicien vagabond, qui en joüant de la Musette, procuroit au peuple le plaisir de former des danses rondes à l’entour de sa figure. Rien n’étoit plus connu que son visage, & tous les Peintres se disputoient l’honneur de la réüssite. Je ne sai pas trop, s’il y avoit quelque chose de moins solide dans l’honneur que ces Messieurs faisoient à ce celebre Joueur du Musette, que dans la réputation que s’est acquise notre dit Compatriotte, aussi bien que tous ceux, qui aiment à se trouver dans le cerveau des autres. Quoi qu’il en soit le motif de nos plus grands efforts d’esprit, & de la plupart des actions éclatantes & utiles, qui devroient sortir d’une source plus noble & plus pure. Par bonheur, il [4] n’importe gueres au public, quel principe nous anime à travailler pour lui, pourvû que les services, qu’on s’efforce à lui rendre, soient réels & importants. Metatextualidad► J’avoue ingenument, que cette espece de vanité entre beaucoup dans l’entreprise que j’ai formée de guider la conduite de ma Nation, & que je me flatte même, que mon Lecteur ne renvoyera pas mon amour-propre tout-à-fait mécontent, mortifié ; sur tout si mon Projet n’a rien que de louable. On en jugera par une exposition concise, que je m’en vais en donner.

Je me serois bien gardé de prendre dans cet Ouvrage le titre de Gouverneur, si je n’avois pas été persuadé, que les qualitez nécessaires pour s’aquiter dignement de cet emploi ont plutôt leur source dans l’intégrité du cœur, que dans le genie & dans les talens de l’esprit. Tous homme est le maitre de parvenir à cette premiere sorte de merite : il est vrai, que plus il en approche, plus il se rend accessibles la justesse du raisonnement, & les agrémens de l’esprit. Ce que vous demanderez sur-tout dans votre Gouverneur, c’est la probité, la justice, & en un mot le caractere d’honnête-homme.

[5] Si, avec ces qualitez du cœur, vous le trouvez spirituel, ingénieux, agréable, vous tirerez de ses Leçons non seulement les moiens de marcher d’un pas ferme dans la route de la vertu, mais encore celui de l’embellir, & de la parsemer de fleurs. L’Histoire de ma vie passée, que je vous tracerai dans quelques paniers suivans, vous fera voir, si j’ai donné d’assez fortes preuves de cette integrité, qui doit nécessairement être la baze de mon Caractere, & si j’ai les talens & les secours qu’il faut, pour assaisonner d’un sel agréable & piquant la solide bonté de mes preceptes.

Le grand but de mon Ouvrage sera de proteger le vrai merite & l’industrie, de faire l’éloge de la valeur & de l’habileté, d’encourager les honnêtes gens & les gens de bien, de confondre l’impudence, d’exposer au mépris l’oisiveté, la vanité, & la bassesse d’ame, & de rompre les mesures de la profanation, & du libertinage. Il ne me sera plus possible de remplir un projet de cette nature, à moins que de garder une impartialité parfaite, à l’égard des choses & des personnes, & de m’attacher inviolablement non seulement aux regles d’une seine mo-[6]rale, mais encore aux bonnes manieres, & à cette politesse, qui a son principe dans une raison épurée. Comme l’usage déraisonnable, qu’on fait d’ordinaire de l’éducation, & de la fortune, est la source de tous les malheurs publics & particuliers, rien ne saroit être d’une utilité plus generale, que les censures, ou plutôt les avertissemens, d’un Gouverneur attentif, qui suit ses Eleves dans tous les differens états, & dans toutes les circonstances diverses de la vie ; surtout, si ses preseptes sont marquez au coin de la charité, & de la bonté du cœur.

Pour contribuer au bien public tout ce qui me sera possible, je m’efforcerai à augmenter par mes reflexions, les douceurs du commerce civil, les charmes des Dames, la richesse des négocians, & l’industrie de ceux qui s’appliquent aux arts : je m’engage même à avoir un égard tout particulier pour ceux qui excellent dans les metiers, qui influent si fort sur le bonheur du genre-humain. Un bon nombre de personnes, qui n’ont jamais daigné tourner leurs reflexions de ce côté-là, ont de la peine à se mettre dans l’esprit, que la Providence, pour [7] unir d’avantage les hommes, & pour les rendre plus chers les uns aux autres par des besoins mutuels, a trouvé à propos de mettre la liaison la plus étroite entre le cerveau d’un citoïen, & la main d’un autre. Le Charpentier, & le Serrurier sont aussi nécessaires aux Mathématiciens, que mon Clerc l’est à moi, dont l’écriture n’est pas assez lisible pour être imprimée. Je suis tellement convaincu de la vérité que je viens d’établir que j’ai résolu de donner dans mon Ouvrage aux artisans distinguez un rang parmi les personnages les plus illustres. Pour montrer le respect que j’ai pour eux, je commencerai par le Peintre. Il est artisan par raport à l’execution de son Ouvrage, mais à l’égard de l’invention, de la disposition, & de l’esprit qu’il donne à ses Tableaux, il est à peine au dessous du Poete. Je trouverai peut-être ailleurs occasion de m’étendre sur ceux qui brillent dans cet art : pour à présent, je me contenterai d’avoir fait voir aux hommes qu’il y a entre toutes les productions humaines, qui sont utiles à la societé, une rélation plus étroite & plus nécessaire, qu’elle ne paroit à l’orgueil des savans : l’experience m’a fait voir [8] jusqu’à quel point leur vanité se trompe ; c’est pour cette raison que je me déclare protecteur de tous ceux qui professent les arts méchaniques, depuis M. Rowley qui travaille à perfectioner <sic> les Spheres, jusqu’à Bartholomée Pigeon, fameux Coupeur de cheveux.

On me demandera, peut-être, quelle vocation je puis avoir pour m’ériger en Directeur de la conduite de tout le genre-humain ; mais, on n’a qu’à me lire avec attention deux ou trois jours de suite, pour être persuadé, que j’ai assez tong-tems exercé le métier de Gouverneur particulier, pour être qualifié duement, pour être Gouverneur public. Au reste, l’Ouvrage que je vais publier par Lambeaux est unique dans son espece, & l’on n’en voit point à present qui tendent à une fin semblable. Tous les autres sont presque des recits de ce qui se passe dans le monde : comme l’ordinaire ils ne servent qu’à animer les passions de mes Compatriotes, je prendrai quelquefois la peine le jour après l’arrivée de lettres étrangéres, d’en donner une idée exacte, & de rectifier les impressions qu’elles ont faites. L’esprit de parti est trop violent parmi nous, pour l’exclure de mes re-[9]flexions. Quoi que je sois impartial a cet égard, il m’est impossible d’être neutre : j’y suis trop intéressé, pour ne pas embrasser quelque parti ; & je suis bien aise de déclarer ici ouvertement, que par raport au Gouvernement Eclesiastique, je suis Tori ; & Whig, par raport au Gouvernement de l’Etat.

Mes correspondances, & la peine qu’il m’en coute, pour assembler mes pensées, pour les digerer, & pour les exprimer dans un stile convenable, m’oblige de mettre le prix de mon petit papier plus haut d’un demi sol que ce qu’on vend les autres feuilles volantes.

Tous ceux, qui ont quelque chose à me communiquer, sont priez d’adresser leurs Lettres Franco à M. Mentor Ironside Ecuier, chez M. Touson dans le Strand. Je déclare, que je ne prétens entrer en conversation avec personne, que par le moien <sic> d’un commerce de Lettres. Je suis un homme d’âge ; & l’emploi de Gouverneur particulier, dont je suis chargé dans une Famille considerable, demande une grande partie de mon tems, quoi que je trouve le personnage que j’y joue trop borné, pour y renfermer mes talens pendant toute ma vie. D’ail-[10]leurs, j’ai déjà si bien dressez mes Eleves, qu’ils savent se guider tous seuls, & que lorsqu’ils s’écartent de leur route, le moindre de mes signes les remet sur les voies aussi tôt.

Vous voilà au fait, ami Lecteur, vous voiez que mon but est de faire en sorte que la Chaire, le Bareau, & le Theatre, travaillent de concert à l’avancement de la pieté, de la justice, & de toutes les autres vertus. Je me trouve affranchi de tous ces égards, qui genent la candeur d’un homme, & je ne suis obligé à aucun ménagement pour aucun mortel, ni pour aucun parti. Je me vois un bon viellard <sic>, qui a déjà un pied dans la fosse, & qui se prépare à passer bientôt dans l’Eternité. Les seules sources de chagrin, qui subsistent encore pour moi, c’est la douleur & le vice ; & si je suis assez heureux pour me garantir de ces deux maux, je suis à l’abri de tous les autres. L’ambition, l’envie, la volupté, l’esprit de vengeance, sont des excrescences de l’ame, que j’ai réüssi à couper il y a long-tems. Comme elles ne difforment pas seulement ceux qui les nourrissent, mais qu’elles leur sont encore douleureuses, je ne négligerai rien [11] pour porter les autres hommes à travailler à leur guerison en suivant la même méthode, qui m’a si bien succedé. ◀Metatextualidad ◀Nivel 2 ◀Nivel 1

1Le fameux Sacheverel