Le Mentor moderne: Préface.
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Niveau 1
Preface.
Niveau 2
Metatextualité
Mes Lecteurs sauront apparemment,
que le Jazeur, le Spectateur, & le Gardien sont les
productions des mémes esprits, & que se succédant d’un à
l’autre ils ont partagé l’estime & l’admiration du
Public Anglois. Un jeune homme de cette Nation dit un jour
son opinion de ces trois ouvrages, de la maniere suivante:
S’il
faut qu’il y ait des Modes dans le bel-esprit, & si les
Antitheses autrefois si fort en vogue doivent être
rejettées, simplement par ce que ce sont des Antitheses,
j’avoue que le jeu d’images, qui accompagne le
jugement en question ne merite pas qu’on lui fasse grace :
mais quand ces badinages de l’esprit expriment une pensée de
la maniere la plus precise & la plus forte, & qu’ils
ornent le bon sens, au lieu de le mettre à la torture, j’ose
croire qu’on peut les estimer à l’égal de tout autre heureux
tour d’expression. Telle est à mon avis l’Antithese, que je
viens d’alleguer. Elle saisit parfaitement bien les
characteres de ces trois livres, & elle les peint avec
toute la force, & avec toute la vivacité possibles
<sic>. En effet dans le Jazeur la gayeté, & le feu
de l’imagination dominent, mais on y sent presque par tout
la direction d’une raison exacte. L’agrement y tient le
premier rang, mais d’ordinaire, il mene à l’instruction. Le
Spectateur deploye dans des portions egales les talents de
divertir & de plaire. Le jugement & l’imagination y
partagent pour ainsi dire le terrain, entre
l’utile & l’agreable, entre le brillant & le solide.
La force, l’étendue & la beauté de la raison forment le
charactere distinctif du Gardien, mais elles y tirent du
secours & de l’embellissement d’une imagination heureuse
& séconde ; son but direct est d’instruire, & de
developper les veritez les plus grandes, les plus nobles,
les plus interessantes, mais il parvient à ce but par la
route de l’agrément. Ces admirables productions me
paroissent encore marquer trois differentes saisons dans un
beau genie, dans un genie, où le feu de l’esprit, la
vivacité de la penétration, & la justesse du
raisonnement, se soutiennent & s’embellisent. Le Jazeur
semble le fruit de la jeunesse d’un tel genie ; tout y est
gay, brillant, agreable, ce sont des images neuves, des
pensées extraordinaires, une invention
perpetuelle ; mais cette nouveauté, cet extraordinaire,
cette espece de création ne perdent jamais le bon-sens de
vue, & paroissent toujours dociles à ses Loix. Je croy
voir dans le Spectateur l’age viril d’un genie de cet ordre.
J’y découvre une raison plus forte, mieux exercée plus
charmée d’elle même ; elle peut disposer des mêmes thresors
que lui offre une imagination séconde, mais son gout
fortisié, éclairé, ecarte tout l’esprit, où il y a plus de
parure que de solidité, & il ne met en usage que celui
où l’utilité egale l’ornement. Dans le Gardien je trouve ce
même genie dans une virilité plus avancée, ou si l’on veut
dans le commencement de la vieillesse. Mais c’est une
vieillesse robuste, saine, aimable ; elle possede encore
tout le feu de l’esprit, qui a fait ses plus grandes delices
à la floeur de l’âge, mais elle s’en sert avec
sobrieté ; la grandeur & la Majesté de la raison ont
pour elle des charmes si puissants qu’elle commence à sentir
une espece de dégout pour tous les agréments qui ne sortent
pas du sein de la raison même ; si elle a encore souvent
recours à l’imagination, c’est par charité, c’est par une
espece de condescendence pour des hommes foibles, qui n’ont
pas encore l’amour pur de la sagesse, qui doivent être
seduits pour etre éclairez, & qu’il faut amuser par le
plaisir, pour les rendre accessibles à l’instruction. Qu’on
n’infere pas de là, que je m’imagine que les Auteurs de ces
livres les ont produits dans ces differentes saisons de leur
âge ; non ; le genie a son age à part ; L’exercice qu’il se
donne c’est sa vie. Un genie tel que celui que j’ai supposé,
s’il se forme par un exercice continuel ne sauroit rester
long tems dans l’Adolescence ; souvent quand le
corps n’est qu’à la flœur de l’age, ce genie est deja
parvenu à la virilité, qui dans un tres petit nombre
d’années peut faire place à la vieillesse saine &
robuste dont j’ai j’ai <sic> parlé ; cette noble &
aimable vieillesse se soutient d’ordinaire long-temps ;
& elle ne devient âge decrepit, que lorsque les ressorts
du cerveau entiérement usez se refusent aux operations de
l’ame. Les Characteres que je viens de donner à ces trois
ouvrages, me paroissent aussi indiquez par leurs differents
titres. Le Jazeur, qui babille sans verbiage & d’une
maniere instructive, marque la jeunesse d’un beau genie, que
la succession brusque de mille & mille images porte à
une grande varieté de discours, dictez pour la plûpart par
le feu & par la gayeté. Le Spectateur designe un homme
maitre de son imagination, attentif à tout
ce qui se passe autour de lui & porté à en tirer des
réflexions utiles à lui-même, & aux autres. Le Gardien
ou le Gouverneur deja possesseur d’un riche threfor
<sic> de sagesse s’occupe principalement à le rendre
aimable & à le prodiguer à ses éléves. Ces mêmes idées
sortent comme d’elles-mêmes de la nature des preceptes,
qu’on trouve dans ces differents ouvrages. Les leçons
badinés de l’un tendent principalement à tourner le vice
& la sottise en ridicule ; l’instruction de l’autre
engagent sur tout l’homme à porter la fonde dans le fond de
son cœur, & à aller vers la sagesse par un examen
serieux de sa propre nature & de celle de la raison. Le
but le plus direct du troisieme c’est de porter l’esprit
cultivé aux vertus chretiennes, qui constituent la grandeur
essentielle & le veritable ornement de la
nature humaine. Ce n’est pas que toutes ces differentes
methodes d’instruire ne se trouvent dans chacune de ces
productions ; je ne pretends designer que la methode qui
regne dans chacune & qui la characterise. Dans la
plupart des préfaces on fait tous ses efforts pour prevenir
le gout du public en faveur d’un livre, mais de la maniere
dont les hommes sont faits, j’ai lieu de craindre, que ce
que je viens de dire de mon original, n’en dégoute le grand
nombre. Un livre serieux, un livre Philosophique, & ce
qu’il y a de plus criant un livre qui veut conduire les
hommes à une vertu exacte, à une pieté scrupuleuse n’est pas
ce qu’il faut à la multitude, qui lit pour s’amuser, &
qui ne considere la lecture, que comme un agreable milieu
entre l’occupation fatigante, & l’oisiveté ennuieuse.
Cette objection n’est par malheur que trop bien
fondée ; pour en diminuer la force, je ne me contenterai pas
de déclarer à cette populace du Genre humain, que cet
ouvrage est dans un grand nombre d’endroits assez solatre,
du moins en apparence, pour contenter un gout si pueril,
& qu’il est capable de plaire simplement à de petits
esprits, dans le temps, qu’il donne du plaisir & des
lumieres à des esprits d’une autre ordre. Cette response est
vraye & satisfaisante ; mais j’en ai une autre à donner,
qui me paroit aussi veritable, & beaucoup plus utile.
Cette multitude ennemie du serieux peut être partagée en deu
classes. La premiere consiste en gens absolument abrutis,
& impenetrables aux raisonnements les plus simples &
les plus forts ; L’autre est composée de personnes, qui ont
une ame, qui se developpera dez qu’ils le voudront bien,
& qui savent deja raisonner juste sur leurs
interets grossiers. Pour ce qui regarde les gens de la
premiere classe, je n’ai rien à leur dire ; que peut-on dire
à une espece d’hommes qui n’a pas le sens commun ? Mais
j’ose suplier les autres de préter un moment d’attention à
une verité palpable. Des Etres créez pour savoir, & qui
pourtant nourissent dans leur ame un dégout pour ce qui va
le plus directement à leur procurer des lumieres & de la
félicité, ne sont-ils pas dans la disposition du monde la
plus infame, & la plus monstreuse ? Ne doivent-ils pas
faire quelque effort pour en sortir au plus vite, & pour
commencer à repondre à l’excellence de leur nature ? Ils
n’est pas possible qu’on refuse son sufrage à un principe si
évident ; or un des livres les plus propres à guerir l’homme
d’un degout si bisarre, d’une Lethargie si funeste, c’est
celui-ci ; La vertu n’y paroit pas seche, rude
pesante, lugubre, telle qu’elle est dans l’imagination de
certaines honnestes-gens atrabilaires, qui l’enveloppant des
sombres vapeurs de leur cerveau malade croyent, qu’elle ne
doit produire que des soupirs & des gemissements. Elle
paroit dans cet ouvrage telle, qu’elle est dans sa nature,
faite pour l’homme, repondant à toute ses facultez
naturelles, noble, grande, riche, Majestueuse, capable
d’etendre d’elever l’ame, & d’y verser les sensations
les plus delicieuses : sensations, que l’amertume ne
troubles & ne suis jamais, & qui sont les sources de
satisfactions plus entieres, de plaisirs plus vifs &
plus tuchauts <sic>, en sorte que chaque sensation
agréable nous sert de dégré pour parvenir à une sensation
plus agréable encore. Voilà la nature de la vertu pour
laquelle on tache ici d’animer notre gout, en nous faisant
considerer les Loix de l’Etre suprême moins
comme des marques de sa souveraineté, que comme les effets
de sa bienveillance, qui nous promet un bonheur eternel,
pour prix d’avoir bien voulu consentir à être heureux sur
cette terre, ce n’est pas par des preuves seches, qu’on veut
nous inspirer des idées si grandes & si ravissantes ;
ces preuves sont revetues de l’Eloquence la plus vive, &
bien souvent enveloppées dans ces Allegories heureuses, où
la plus riche imagination suit pas à pas la direction d’un
esprit net & solide. Mon suffage ne doit point être ici
d’un grand poids, mais je ne saurois m’empecher de déclarer
que frappé & ravi des sublimes beautez de ce livre j’en
ai trouvé la traduction aisée & noblement
divertissante ; je dis plus, si elle a le bonheur de ne pas
déplaire au public éclairé, j’en serai plus satisfait que de
l’approbation dont on a bien voulu honorer
quelques ouvrages, que dans ma premiere jeunesse j’ai
composé à peu prez dans le meme genre. Je trouve ici
l’occasion naturelle de dire un mot sur ma traduction.
J’avoue qu’elle est assez libre, mais je crois qu’elle
devoit l’être pour être bonne ; j’ai voulu rendre des
pensées, & non des expressions, & j’ai fait de mon
mieux pour faire dans l’esprit de mes Lecteurs des
impressions semblables à celles que l’original fait sur les
Anglois. C’est là veritablement traduire, si je ne me
trompe. Lorsque certains preceptes appliqués aux mœurs &
au Charactere des Anglois m’ont paru appliquables à nos
mœurs & à notre charactere, je ne me suis point fait un
scrupule d’alterer un peu le texte ; quand j’ai cru voir
qu’une trop grand précision repandoit quelque obscurité sur
un passage, j’ai osé y ajouter quelques
periodes pour en developper le sens, & bien souvent j’ai
assez méprisé la petitesse d’esprit de certains Puristes
François, pour hazarder quelque expression afin de donner
tout l’équivalent de la force de l’Anglois. Au reste j’ai
écarté tout ce qui ne pouvoit être interessant que pour la
seule Nation Britannique, aussi bien que tout ce qui tiroit
son agrément ou son utilité de certaines circonstances, qui
en passant ont entrainé aprez elles cette utilité ou cet
agrément. J’ai bien voulu encore me donner la peine de
traduire en vers françois d’assez grands lambeaux de
quelques excellentes pieces angloises ; trop content si l’on
y entrevoit seulement la beauté des originaux. Pour ce qui
regards les sentences Latines, qu’on voit au frontispice de
chaque discours, j’ai été assez hardi, pour en oter quelques
une dont l’application me sembloit trop forcée,
& pour les remplacer par d’autres, qui me paroissent
plus justes & plus convenables. En les traduisant je ne
leur ai pas donné le sens qu’elles ont dans les livres dont
elles sont tirées, mais celui que les autheurs ont eu dans
l’esprit en les appliquant à leurs feuilles volantes. Cet
ouvrage s’appelle en Anglois le Gardien, titre qu’il est
impossible d’exprimer en François dans un seul mot. Il
signifie Tuteur & Gouverneur ; aussi voit-on dans tout
le cours de cet ouvrage, que les Autheurs considerent les
Anglois comme leurs Eleves, comme leurs Pupilles ; Le Titre
de Mentor m’a paru envelopper ces deux idées, & j’espere
que mes Lecteurs seront de mon sentiment. Le pretendu
Autheur s’y donne encore le nom d’Ironside, ce qui veut dire
flanc de fer, nom qu’il a pris sans doute pour exprimer la
vigoeur de sa vieillesse, fruit de sa
sagesse & de sa frugalité. Voilà ce que j’avois à dire
sur l’ouvrage & sur la traduction ; j’espere qu’elle
fera un heureux effet sur mes Lecteurs, & qu’ils
imiteront la Nation Britannique qui a bien voulu applaudir à
un autheur, qui a eu la noble audace de lui donner des
traitez de morale en guise de pieces divertissantes.
Citation/Devise
Dans le Jazeur l’esprit a
beaucoup de raison, dans le Spectateur la raison &
l’esprit suivent la même route d’un pas égal, & dans
le Gardien la raison a beaucoup d’esprit.