Le Lundi 24. de Décembre 1714.
Puis que tous les Entretiens ne roulent à présent que sur la
L’Auteur d’une Lettre qu’on m’écrivit le 4. Mai 1714. le traite d’inhumain ; vous auriez dû, dit-il, être plus humain à cet égard ; il y auroit une vanité Stoïcienne, fole, & peu sincére à vouloir paroître insensible.
Je lui avouë que si les Stoïciens ont pensé comme moi sur cet Article, je ne puis m’empêcher d’avoir quelque estime pour leur Secte ; puisqu’ils avoient trouvé le moïen de se mettre au dessus de tant de ridiculitez, d’impertinences & de fausses demarches, dans lesquelles nous voïons qu’on donne tous les jours dans l’apréhension de ce moment aussi certain qu’inévitable.
En effet, quelle conduite voïons-nous que tous les hommes gardent à l’égard de ce fa-mort leur est insuportable, on remarque sur leur visage je ne sais quels mouvemens d’indignation & d’horreur lorsqu’on en parle en leur presence ; tout ce qui peut leur en presenter l’idée est évitée avec grand soin. Cercueil. Est-ce cette Boëte ? Sont-ce ces autres Planches qui excitent toutes ces agitations dans le corps & dans l’Ame de
Si la seule pensée de la mort jette tant de troubles dans l’esprit, dans quelles extravagances ne donne-t-on pas lors qu’on s’imagine la voir prête à nous percer de son dard fatal. Quel apareil de précautions ! Médecins, Apoticaires, Purgations, Vomitifs, Saignées, tout ce que la Médecine, la Chimie & la Pharmacie ont de plus secret & de plus précieux, est mis en usage ; à quelle fin ? Chrêtien & Homme raisonnable !
Mais rien n’excite plus, dirai-je, ma compassion, ou mon indignation, que quand je vois Mort ? & maîtriser Mort comme un objet hideux, comme leur Ennemi, voïons ce que fait & ce que pense un Homme qui est dans mes sentimens.
Un Homme qui ne craint point la mort, un Homme, en un mot qui raisonne, donne-t-il dans un tel ridicule ? est-il agité de tant d’inquiétudes ? Persuadé qu’il est, qu’il ne
Je ne puis comprendre comment on peut tant craindre un moment imperceptible ; jusqu’à notre dernier soûpir nous vivons, & dès que nous sommes expirez on ne peut dire avec vérité que nous mourons, puisque nous ne sommes plus. Mais après tout, peut-on donner une bonne raison des craintes qu’on a de la Mort, sur tout puisqu’on ne peut regréter la vie lorsqu’on l’a perduë ; si, en craignant la Mort, on se faisoit un moyen assuré de l’éviter, cette crainte seroit excusable, même dans les plus grands Hommes, mais ne pouvant produire cet éfèt, elle ne sert qu’à faire mourir mille fois celui qui ne doit perdre la vie qu’une fois. Enfin, la Mort est-elle moins de l’ordre de la nature que la vie, on a commencé à vivre sans attachement, pourquoi ne pas mourir de même ? Ne seroit-il pas surprenant qu’un domestique ne voulût nous obéïr que dans les choses qui lui plairoient, il n’est pas moins étonnant qu’un Homme que
Otons à la mort le masque que nous lui donnons & elle ne nous fait plus peur. Ne nous la représentons pas sans cesses acompagnée d’une troupe de Médecins, assistée d’un Prêtre lugubre, précédée par les larmes d’une femme & par les cris de quelques enfans. Alors nous la verrons aprocher sans crainte & sans éfroi, nous la regarderons comme une loi indispensable à laquelle nous nous soûmétrons sans répugnance, notre vie qui n’aïant pas été troublée par ses fraïeurs, aura été douce & tranquille, s’éteindra comme ces flambeaux bien allumez qui s’éteignent peu à peu. Pour en bien parler la mort d’un tel homme est moins une mort qu’un promt passage à une plus longue, plus hureuse & plus tranquille vie.
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Avouez que rien n’est si rare & rien si commun que ce qu’on apelle Bel-Esprit ; avouerai-je un paradoxe, direz-vous. Paradoxe si vous voulez, la chose est constamment telle : qu’on consulte C. . . , K. . . . , S. . . . , A. . . . , T. . . . . , Ils ont ce rare talent en partage, mais qu’on en croïe le Bon-Sens & la Raison, on trouvera que rien n’est plus mince que ce talent, rien de plus borné que leur prétendu Bel-esprit. Voila la solution de ce Paradoxe, qui a fait dire à un Auteur nouveau, qu’en fait d’esprit tout le monde est content de sa portion, parce qu’on croit toûjours en être mieux partagé que son voisin. Je mets volontiers au nombre de cès prétendus Beaux-Esprits, ces gens idolatres de leurs productions, tels que cet
volume de Collections ramassées sans choix & sans jugemens dans toute sorte d’Auteurs, vient s’ériger en Ecrivain dans une Langue qui lui est inconnuë, il barbouille du papier, y séme de tous côtez, sans discernement, des lambeaux de ses Collections, & après avoir composé une espéce de potpouri de ces pensées pillées de côté & d’autre, envoïe sa composition à l’Imprimeur à qui il laisse le choix du Tître. Je vous laisse le soin, après avoir inquiré le ridicule d’un tel génie, de le noter comme il mérite. L’autre est un de ces génies orgueilleux.
Qui sous le nom de sage
Qui croit que jusqu’au plus petit événement de sa vie tout est digne d’être sû & d’être admiré du Public, encore s’il se contentoit de nous donner l’Histoire incroïable de ses Romanesques Avantures, & de nous avouër la cause véritable de tant d’incidens, mais prendre plaisir à faire imprimer contradictions sur contradictions, c’est ce qui me révolte : d’un côté se peindre en régénéré, en pécheur repentant rentré en grace, atribuër à inspiration les Ecrits qu’on publie, ne parler que de Hyperboles au superlatif, du moins seroit-ce le nom que je donnerois au discours d’un Homme qui ne rougiroit pas de m’avancer qu’il a écrit, par éxemple, une quinzaine de bons Sonnets en une matinée, ou quatre ou cinq Lettres par jour, entrelassées chacune de trois ou quatre cens Vers souvent en Bouts-rimez ;
C’est tout comme ici.
de tels Ecrivains ne feroient-ils pas mieux de croire un Ami sincére & de garder le silence ?
Mais voila en trop dire sur une matiére si ridicule, je reconnois même que j’ai tort de vous avoir fait perdre votre tems à la lecture de cette longue Lettre, sur tout après avoir reconnu que vous aviez raison de dire avec la Passion des Auteurs est une rage & une manie, dont les menaces de la mort même ne les gueriroient pas ; mais si je suis en droit, ce me semble, de vous demander s’il y a assez d’Ellebore pour ces sortes de
L. P. F.
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Et à