N°. XLII. Anonym [Jean Rousset de Missy / Nicolas de Guedeville] Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Hannah Bakanitsch Mitarbeiter Karin Heiling Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Herausgeber Veronika Mussner Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 27.04.2018 o:mws.6432 Anonym: Le Censeur ou Caractères des Mœurs de la Haye. La Haye: Henri Scheurleer, 1715, 329-336 Le Censeur ou Caractères des Mœurs de la Haye 1 042 1715 [1714] Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Menschenbild Immagine dell'Umanità Idea of Man Imagen de los Hombres Image de l’humanité Theater Literatur Kunst Teatro Letteratura Arte Theatre Literature Arts Teatro Literatura Arte Théâtre Littérature Art Netherlands The Hague The Hague 4.29861,52.07667 France 2.0,46.0 Netherlands Amsterdam Amsterdam 4.88969,52.37403 Italy Milan Milan 9.18951,45.46427

N°. xlii.

Le Lundi 24. de Décembre 1714.

Puis que tous les Entretiens ne roulent à présent que sur la mort soit des Hommes, soit des Animaux ; j’espére qu’on ne trouvera pas mauvais que je parle aujourd’hui le langage des autres. J’en prens la résolution d’autant plus volontiers, que je n’ai pû encore trouver l’occasion de répondre aux reproches & aux objections qu’on m’a fait & de vive voix & par écrit sur mon Dans mon Discours IV. sentiment sur la Mort.

L’Auteur d’une Lettre qu’on m’écrivit le 4. Mai 1714. le traite d’inhumain ; vous auriez dû, dit-il, être plus humain à cet égard ; il y auroit une vanité Stoïcienne, fole, & peu sincére à vouloir paroître insensible.

Je lui avouë que si les Stoïciens ont pensé comme moi sur cet Article, je ne puis m’empêcher d’avoir quelque estime pour leur Secte ; puisqu’ils avoient trouvé le moïen de se mettre au dessus de tant de ridiculitez, d’impertinences & de fausses demarches, dans lesquelles nous voïons qu’on donne tous les jours dans l’apréhension de ce moment aussi certain qu’inévitable.

En effet, quelle conduite voïons-nous que tous les hommes gardent à l’égard de ce fa-tal moment ? La seule pensée de la mort leur est insuportable, on remarque sur leur visage je ne sais quels mouvemens d’indignation & d’horreur lorsqu’on en parle en leur presence ; tout ce qui peut leur en presenter l’idée est évitée avec grand soin. Gracion entre chez moi la larme à l’œil, le tein pâle & éfraïé, les yeux abatus, l’air interdit, il ne me parle pas, il s’asseoit, demande de l’Eau-de-la-Reine, je cours à son secours, je le presse de me découvrir la cause d’une révolution générale de toute sa machine ; ha ! laissez-moi, s’écrie-t-il, c’est fait de moi, je viens de rencontrer deux hommes chargez d’un Cercueil. Est-ce cette Boëte ? Sont-ce ces autres Planches qui excitent toutes ces agitations dans le corps & dans l’Ame de Gracion ? Non, non, c’est l’idée de la mort qu’il fuit, & que ce Cercueil lui ofre à l’improviste ;

. . . . . Nam comes altra premit sequiturque fugacem.

Si la seule pensée de la mort jette tant de troubles dans l’esprit, dans quelles extravagances ne donne-t-on pas lors qu’on s’imagine la voir prête à nous percer de son dard fatal. Quel apareil de précautions ! Médecins, Apoticaires, Purgations, Vomitifs, Saignées, tout ce que la Médecine, la Chimie & la Pharmacie ont de plus secret & de plus précieux, est mis en usage ; à quelle fin ? J’en apelle à Philobie, & à la raison : pour prolonger une vie dont les limites sont fixées par la main puissante de l’Etre immuable. Encore si Philobie avoit des raisons probables pour se persuader de l’éfet de ses soins, ou s’il avoit recours à ces remédes dans la seule vûë d’adoucir les maux qu’il ressent de l’ardeur de la Fiévre, à la bonne heure ; mais bien loin de-là ; il voudroit en soufrir dix fois, vingt fois davantage pourvû qu’on pût l’assurer de sa vie. Quelle chaîne d’absurditez sur tout quand on pense que Philobie est Chrêtien & Homme raisonnable !

Mais rien n’excite plus, dirai-je, ma compassion, ou mon indignation, que quand je vois Philobie disputer contre la mort, & contre la Providence, & malgré ses Décrèts & l’ordre de la Nature, se flater de l’agréable plaisir de vivre encore cinquante, soixante ans après sa mort où il étend ses commandemens, ses soins, ses ordonnances ; il régle sa Succession, celle de ses Enfans, celle de ses Petits-Fils, il leur interdit, sous peine d’être deshéritez, (moïen le plus puissant !) de faire alliance avec une telle Famille, d’habiter dans un tel endroit, d’aller dans cet autre, d’embrasser cette profession, &c. N’est-ce pas là vouloir triompher de la Mort ? & maîtriser Dieu même ? Voila ce qu’on fait tous les jours, voila ce que font ces gens qui regardent la Mort comme un objet hideux, comme leur Ennemi, voïons ce que fait & ce que pense un Homme qui est dans mes sentimens.

Un Homme qui ne craint point la mort, un Homme, en un mot qui raisonne, donne-t-il dans un tel ridicule ? est-il agité de tant d’inquiétudes ? Persuadé qu’il est, qu’il ne vit que pour aprendre à mourir, que le tems qu’il est sur la Terre n’est que l’Enfance d’une immortelle Adolescence vers laquelle il avance tous les jours, il regarde le moment qui doit le faire entrer en possession de cet état, comme le moment le plus fortuné de sa course. Il atend la Mort non en ennemie, mais comme une Amie qui vient à son secours, & qui le tire d’un mauvais pas. Si nous faisons un mauvais usage de la vie elle nous est inutile, & nous ne perdons rien en la perdant. Si nous en usons bien, pourquoi avoir peur de la perdre ? craint-on donc une récompense ?

Je ne puis comprendre comment on peut tant craindre un moment imperceptible ; jusqu’à notre dernier soûpir nous vivons, & dès que nous sommes expirez on ne peut dire avec vérité que nous mourons, puisque nous ne sommes plus. Mais après tout, peut-on donner une bonne raison des craintes qu’on a de la Mort, sur tout puisqu’on ne peut regréter la vie lorsqu’on l’a perduë ; si, en craignant la Mort, on se faisoit un moyen assuré de l’éviter, cette crainte seroit excusable, même dans les plus grands Hommes, mais ne pouvant produire cet éfèt, elle ne sert qu’à faire mourir mille fois celui qui ne doit perdre la vie qu’une fois. Enfin, la Mort est-elle moins de l’ordre de la nature que la vie, on a commencé à vivre sans attachement, pourquoi ne pas mourir de même ? Ne seroit-il pas surprenant qu’un domestique ne voulût nous obéïr que dans les choses qui lui plairoient, il n’est pas moins étonnant qu’un Homme que Dieu a crée pour vivre & pour mourir, se donne tout à l’un, & se refuse tout à l’autre.

Otons à la mort le masque que nous lui donnons & elle ne nous fait plus peur. Ne nous la représentons pas sans cesses acompagnée d’une troupe de Médecins, assistée d’un Prêtre lugubre, précédée par les larmes d’une femme & par les cris de quelques enfans. Alors nous la verrons aprocher sans crainte & sans éfroi, nous la regarderons comme une loi indispensable à laquelle nous nous soûmétrons sans répugnance, notre vie qui n’aïant pas été troublée par ses fraïeurs, aura été douce & tranquille, s’éteindra comme ces flambeaux bien allumez qui s’éteignent peu à peu. Pour en bien parler la mort d’un tel homme est moins une mort qu’un promt passage à une plus longue, plus hureuse & plus tranquille vie. Je finis par un réfléxion d’un célébre Evêque de Milan, qui dans un Discours où il parle de la mort comme d’un Bien, dit que ce n’est pas la mort qui est terrible, mais l’opinion qu’on en a, ce n’est pas un mal à redouter que mourir, mais un très-grand que de vivre dans une crainte continuelle de la mort  ; si on entroit, comme on doit, dans ces sentimens au dessus du Riche Cliton, du voluptueux Gunagophile, de l’Ambitieux Aléxandre, du glouton Cleobule : verroit-on ces fraïeurs à la vûë d’une maladie contagieuse, entendroit-on ces plaintes, ces murmures, ne se soûmetroit-on pas à l’Etre Souverain, & n’atendroit-on pas la mort sous telle forme qu’elle vint. Mais c’est assez parler sur une matiére qui sera du goût de si peu de personnes, laissons parler un autre.

Mr. le Censeur,

Avouez que rien n’est si rare & rien si commun que ce qu’on apelle Bel-Esprit ; avouerai-je un paradoxe, direz-vous. Paradoxe si vous voulez, la chose est constamment telle : qu’on consulte C. . . , K. . . . , S. . . . , A. . . . , T. . . . . , Ils ont ce rare talent en partage, mais qu’on en croïe le Bon-Sens & la Raison, on trouvera que rien n’est plus mince que ce talent, rien de plus borné que leur prétendu Bel-esprit. Voila la solution de ce Paradoxe, qui a fait dire à un Auteur nouveau, qu’en fait d’esprit tout le monde est content de sa portion, parce qu’on croit toûjours en être mieux partagé que son voisin. Je mets volontiers au nombre de cès prétendus Beaux-Esprits, ces gens idolatres de leurs productions, tels que cet Eparme dont Polymorphe vous fit le caractére cès jours passez ; mais après tout il y a de l’injustice à déclarer la guerre à ces sortes de génies, qui se tourmentent assez eux-mêmes sans que quelqu’autre vienne augmenter leur suplice, leur folie excite ma compassion & je m’écrie avec le Satirique.

Qu’heureux est le mortel, qui du monde ignoré Vit content de soi-même en un soin retiré !Que l’amour de ce rien qu’on nomme RenomméeN’a jamais enyvré d’une vaine fumée.

Cependant, quand on voit de ces Fanfarons, qui n’ont rien écrit qui n’ait été la risée du Public, ne pas se rebuter, & entasser Ouvrages sur Ouvrages, on ne peut s’empêcher de perdre patience, & on est contraint de donner quelque chose à la Misantropie, sur tout quand on voit la maniére ridicule dont on s’y prend pour débiter des pauvretez. Que direz-vous, par éxemple, Mr. le Censeur, de deux Personnages tels que je vais vous les dépeindre. L’un hérissé de Grec & de Latin, & armé d’un volume de Collections ramassées sans choix & sans jugemens dans toute sorte d’Auteurs, vient s’ériger en Ecrivain dans une Langue qui lui est inconnuë, il barbouille du papier, y séme de tous côtez, sans discernement, des lambeaux de ses Collections, & après avoir composé une espéce de potpouri de ces pensées pillées de côté & d’autre, envoïe sa composition à l’Imprimeur à qui il laisse le choix du Tître. Je vous laisse le soin, après avoir inquiré le ridicule d’un tel génie, de le noter comme il mérite. L’autre est un de ces génies orgueilleux.

Qui sous le nom de sage est le plus fou de tous.

Qui croit que jusqu’au plus petit événement de sa vie tout est digne d’être sû & d’être admiré du Public, encore s’il se contentoit de nous donner l’Histoire incroïable de ses Romanesques Avantures, & de nous avouër la cause véritable de tant d’incidens, mais prendre plaisir à faire imprimer contradictions sur contradictions, c’est ce qui me révolte : d’un côté se peindre en régénéré, en pécheur repentant rentré en grace, atribuër à inspiration les Ecrits qu’on publie, ne parler que de Dieu, de Saints, d’Antousiasmes sacrez, de Piété, de Zèle, de Soufrance, de Croix, de Martirs ; & d’un autre côté vomir les injures les plus basses contre ceux qu’on dit être ses Ennemis, les dépeindre avec une plume trempée dans le fiel, découvrir les vices qu’ils ont, ou qu’ils ont pû avoir ; s’en prendre même à la bizarrerie de leur naissance, & à leurs défauts corporels, comme s’ils avoient été les maîtres de ses faire aussi beaux Hommes que celui qui les ataque ; comment apeller cette conduite ; j’ai lû toutes les figures de Rhétorique, mais je n’en ai trouvé aucune à laquelle on puisse raporter des contradictions si grossiéres, à moins qu’on ne les apellât des Hyperboles au superlatif, du moins seroit-ce le nom que je donnerois au discours d’un Homme qui ne rougiroit pas de m’avancer qu’il a écrit, par éxemple, une quinzaine de bons Sonnets en une matinée, ou quatre ou cinq Lettres par jour, entrelassées chacune de trois ou quatre cens Vers souvent en Bouts-rimez ; peut-être, dites-vous, mon cher Censeur, que vous vous passeriez fort bien de mes supositions & de mes éxemples ; mais n’allez pas si vîte, je n’ai pas pris ces éxemples dans le Monde de la Lune, ou du moins si on les y pouvoit trouver, je serois en droit de dire avec Colombine & Angélique,

C’est tout comme ici.

de tels Ecrivains ne feroient-ils pas mieux de croire un Ami sincére & de garder le silence ?

Mais voila en trop dire sur une matiére si ridicule, je reconnois même que j’ai tort de vous avoir fait perdre votre tems à la lecture de cette longue Lettre, sur tout après avoir reconnu que vous aviez raison de dire avec La Bruyére, que la Passion des Auteurs est une rage & une manie, dont les menaces de la mort même ne les gueriroient pas  ; mais si je suis en droit, ce me semble, de vous demander s’il y a assez d’Ellebore pour ces sortes de Fous, je ne dirai pas à Anticyre mais sur toute la face du Globe.

Nescio an Anticyram ratio illis destinet omnes.

L. P. F.

A la Haye,

Chez Henri Scheurleer.

Et à Amsterdam chez Jean Wolters.

N°. xlii. Le Lundi 24. de Décembre 1714. Puis que tous les Entretiens ne roulent à présent que sur la mort soit des Hommes, soit des Animaux ; j’espére qu’on ne trouvera pas mauvais que je parle aujourd’hui le langage des autres. J’en prens la résolution d’autant plus volontiers, que je n’ai pû encore trouver l’occasion de répondre aux reproches & aux objections qu’on m’a fait & de vive voix & par écrit sur mon Dans mon Discours IV.sentiment sur la Mort. L’Auteur d’une Lettre qu’on m’écrivit le 4. Mai 1714. le traite d’inhumain ; vous auriez dû, dit-il, être plus humain à cet égard ; il y auroit une vanité Stoïcienne, fole, & peu sincére à vouloir paroître insensible. Je lui avouë que si les Stoïciens ont pensé comme moi sur cet Article, je ne puis m’empêcher d’avoir quelque estime pour leur Secte ; puisqu’ils avoient trouvé le moïen de se mettre au dessus de tant de ridiculitez, d’impertinences & de fausses demarches, dans lesquelles nous voïons qu’on donne tous les jours dans l’apréhension de ce moment aussi certain qu’inévitable. En effet, quelle conduite voïons-nous que tous les hommes gardent à l’égard de ce fa-tal moment ? La seule pensée de la mort leur est insuportable, on remarque sur leur visage je ne sais quels mouvemens d’indignation & d’horreur lorsqu’on en parle en leur presence ; tout ce qui peut leur en presenter l’idée est évitée avec grand soin. Gracion entre chez moi la larme à l’œil, le tein pâle & éfraïé, les yeux abatus, l’air interdit, il ne me parle pas, il s’asseoit, demande de l’Eau-de-la-Reine, je cours à son secours, je le presse de me découvrir la cause d’une révolution générale de toute sa machine ; ha ! laissez-moi, s’écrie-t-il, c’est fait de moi, je viens de rencontrer deux hommes chargez d’un Cercueil. Est-ce cette Boëte ? Sont-ce ces autres Planches qui excitent toutes ces agitations dans le corps & dans l’Ame de Gracion ? Non, non, c’est l’idée de la mort qu’il fuit, & que ce Cercueil lui ofre à l’improviste ; . . . . . Nam comes altra premit sequiturque fugacem. Si la seule pensée de la mort jette tant de troubles dans l’esprit, dans quelles extravagances ne donne-t-on pas lors qu’on s’imagine la voir prête à nous percer de son dard fatal. Quel apareil de précautions ! Médecins, Apoticaires, Purgations, Vomitifs, Saignées, tout ce que la Médecine, la Chimie & la Pharmacie ont de plus secret & de plus précieux, est mis en usage ; à quelle fin ? J’en apelle à Philobie, & à la raison : pour prolonger une vie dont les limites sont fixées par la main puissante de l’Etre immuable. Encore si Philobie avoit des raisons probables pour se persuader de l’éfet de ses soins, ou s’il avoit recours à ces remédes dans la seule vûë d’adoucir les maux qu’il ressent de l’ardeur de la Fiévre, à la bonne heure ; mais bien loin de-là ; il voudroit en soufrir dix fois, vingt fois davantage pourvû qu’on pût l’assurer de sa vie. Quelle chaîne d’absurditez sur tout quand on pense que Philobie est Chrêtien & Homme raisonnable ! Mais rien n’excite plus, dirai-je, ma compassion, ou mon indignation, que quand je vois Philobie disputer contre la mort, & contre la Providence, & malgré ses Décrèts & l’ordre de la Nature, se flater de l’agréable plaisir de vivre encore cinquante, soixante ans après sa mort où il étend ses commandemens, ses soins, ses ordonnances ; il régle sa Succession, celle de ses Enfans, celle de ses Petits-Fils, il leur interdit, sous peine d’être deshéritez, (moïen le plus puissant !) de faire alliance avec une telle Famille, d’habiter dans un tel endroit, d’aller dans cet autre, d’embrasser cette profession, &c. N’est-ce pas là vouloir triompher de la Mort ? & maîtriser Dieu même ? Voila ce qu’on fait tous les jours, voila ce que font ces gens qui regardent la Mort comme un objet hideux, comme leur Ennemi, voïons ce que fait & ce que pense un Homme qui est dans mes sentimens. Un Homme qui ne craint point la mort, un Homme, en un mot qui raisonne, donne-t-il dans un tel ridicule ? est-il agité de tant d’inquiétudes ? Persuadé qu’il est, qu’il ne vit que pour aprendre à mourir, que le tems qu’il est sur la Terre n’est que l’Enfance d’une immortelle Adolescence vers laquelle il avance tous les jours, il regarde le moment qui doit le faire entrer en possession de cet état, comme le moment le plus fortuné de sa course. Il atend la Mort non en ennemie, mais comme une Amie qui vient à son secours, & qui le tire d’un mauvais pas. Si nous faisons un mauvais usage de la vie elle nous est inutile, & nous ne perdons rien en la perdant. Si nous en usons bien, pourquoi avoir peur de la perdre ? craint-on donc une récompense ? Je ne puis comprendre comment on peut tant craindre un moment imperceptible ; jusqu’à notre dernier soûpir nous vivons, & dès que nous sommes expirez on ne peut dire avec vérité que nous mourons, puisque nous ne sommes plus. Mais après tout, peut-on donner une bonne raison des craintes qu’on a de la Mort, sur tout puisqu’on ne peut regréter la vie lorsqu’on l’a perduë ; si, en craignant la Mort, on se faisoit un moyen assuré de l’éviter, cette crainte seroit excusable, même dans les plus grands Hommes, mais ne pouvant produire cet éfèt, elle ne sert qu’à faire mourir mille fois celui qui ne doit perdre la vie qu’une fois. Enfin, la Mort est-elle moins de l’ordre de la nature que la vie, on a commencé à vivre sans attachement, pourquoi ne pas mourir de même ? Ne seroit-il pas surprenant qu’un domestique ne voulût nous obéïr que dans les choses qui lui plairoient, il n’est pas moins étonnant qu’un Homme que Dieu a crée pour vivre & pour mourir, se donne tout à l’un, & se refuse tout à l’autre. Otons à la mort le masque que nous lui donnons & elle ne nous fait plus peur. Ne nous la représentons pas sans cesses acompagnée d’une troupe de Médecins, assistée d’un Prêtre lugubre, précédée par les larmes d’une femme & par les cris de quelques enfans. Alors nous la verrons aprocher sans crainte & sans éfroi, nous la regarderons comme une loi indispensable à laquelle nous nous soûmétrons sans répugnance, notre vie qui n’aïant pas été troublée par ses fraïeurs, aura été douce & tranquille, s’éteindra comme ces flambeaux bien allumez qui s’éteignent peu à peu. Pour en bien parler la mort d’un tel homme est moins une mort qu’un promt passage à une plus longue, plus hureuse & plus tranquille vie. Je finis par un réfléxion d’un célébre Evêque de Milan, qui dans un Discours où il parle de la mort comme d’un Bien, dit que ce n’est pas la mort qui est terrible, mais l’opinion qu’on en a, ce n’est pas un mal à redouter que mourir, mais un très-grand que de vivre dans une crainte continuelle de la mort  ; si on entroit, comme on doit, dans ces sentimens au dessus du Riche Cliton, du voluptueux Gunagophile, de l’Ambitieux Aléxandre, du glouton Cleobule : verroit-on ces fraïeurs à la vûë d’une maladie contagieuse, entendroit-on ces plaintes, ces murmures, ne se soûmetroit-on pas à l’Etre Souverain, & n’atendroit-on pas la mort sous telle forme qu’elle vint. Mais c’est assez parler sur une matiére qui sera du goût de si peu de personnes, laissons parler un autre. Mr. le Censeur, Avouez que rien n’est si rare & rien si commun que ce qu’on apelle Bel-Esprit ; avouerai-je un paradoxe, direz-vous. Paradoxe si vous voulez, la chose est constamment telle : qu’on consulte C. . . , K. . . . , S. . . . , A. . . . , T. . . . . , Ils ont ce rare talent en partage, mais qu’on en croïe le Bon-Sens & la Raison, on trouvera que rien n’est plus mince que ce talent, rien de plus borné que leur prétendu Bel-esprit. Voila la solution de ce Paradoxe, qui a fait dire à un Auteur nouveau, qu’en fait d’esprit tout le monde est content de sa portion, parce qu’on croit toûjours en être mieux partagé que son voisin. Je mets volontiers au nombre de cès prétendus Beaux-Esprits, ces gens idolatres de leurs productions, tels que cet Eparme dont Polymorphe vous fit le caractére cès jours passez ; mais après tout il y a de l’injustice à déclarer la guerre à ces sortes de génies, qui se tourmentent assez eux-mêmes sans que quelqu’autre vienne augmenter leur suplice, leur folie excite ma compassion & je m’écrie avec le Satirique. Qu’heureux est le mortel, qui du monde ignoré Vit content de soi-même en un soin retiré !Que l’amour de ce rien qu’on nomme RenomméeN’a jamais enyvré d’une vaine fumée. Cependant, quand on voit de ces Fanfarons, qui n’ont rien écrit qui n’ait été la risée du Public, ne pas se rebuter, & entasser Ouvrages sur Ouvrages, on ne peut s’empêcher de perdre patience, & on est contraint de donner quelque chose à la Misantropie, sur tout quand on voit la maniére ridicule dont on s’y prend pour débiter des pauvretez. Que direz-vous, par éxemple, Mr. le Censeur, de deux Personnages tels que je vais vous les dépeindre. L’un hérissé de Grec & de Latin, & armé d’un volume de Collections ramassées sans choix & sans jugemens dans toute sorte d’Auteurs, vient s’ériger en Ecrivain dans une Langue qui lui est inconnuë, il barbouille du papier, y séme de tous côtez, sans discernement, des lambeaux de ses Collections, & après avoir composé une espéce de potpouri de ces pensées pillées de côté & d’autre, envoïe sa composition à l’Imprimeur à qui il laisse le choix du Tître. Je vous laisse le soin, après avoir inquiré le ridicule d’un tel génie, de le noter comme il mérite. L’autre est un de ces génies orgueilleux. Qui sous le nom de sage est le plus fou de tous. Qui croit que jusqu’au plus petit événement de sa vie tout est digne d’être sû & d’être admiré du Public, encore s’il se contentoit de nous donner l’Histoire incroïable de ses Romanesques Avantures, & de nous avouër la cause véritable de tant d’incidens, mais prendre plaisir à faire imprimer contradictions sur contradictions, c’est ce qui me révolte : d’un côté se peindre en régénéré, en pécheur repentant rentré en grace, atribuër à inspiration les Ecrits qu’on publie, ne parler que de Dieu, de Saints, d’Antousiasmes sacrez, de Piété, de Zèle, de Soufrance, de Croix, de Martirs ; & d’un autre côté vomir les injures les plus basses contre ceux qu’on dit être ses Ennemis, les dépeindre avec une plume trempée dans le fiel, découvrir les vices qu’ils ont, ou qu’ils ont pû avoir ; s’en prendre même à la bizarrerie de leur naissance, & à leurs défauts corporels, comme s’ils avoient été les maîtres de ses faire aussi beaux Hommes que celui qui les ataque ; comment apeller cette conduite ; j’ai lû toutes les figures de Rhétorique, mais je n’en ai trouvé aucune à laquelle on puisse raporter des contradictions si grossiéres, à moins qu’on ne les apellât des Hyperboles au superlatif, du moins seroit-ce le nom que je donnerois au discours d’un Homme qui ne rougiroit pas de m’avancer qu’il a écrit, par éxemple, une quinzaine de bons Sonnets en une matinée, ou quatre ou cinq Lettres par jour, entrelassées chacune de trois ou quatre cens Vers souvent en Bouts-rimez ; peut-être, dites-vous, mon cher Censeur, que vous vous passeriez fort bien de mes supositions & de mes éxemples ; mais n’allez pas si vîte, je n’ai pas pris ces éxemples dans le Monde de la Lune, ou du moins si on les y pouvoit trouver, je serois en droit de dire avec Colombine & Angélique, C’est tout comme ici. de tels Ecrivains ne feroient-ils pas mieux de croire un Ami sincére & de garder le silence ? Mais voila en trop dire sur une matiére si ridicule, je reconnois même que j’ai tort de vous avoir fait perdre votre tems à la lecture de cette longue Lettre, sur tout après avoir reconnu que vous aviez raison de dire avec La Bruyére, que la Passion des Auteurs est une rage & une manie, dont les menaces de la mort même ne les gueriroient pas  ; mais si je suis en droit, ce me semble, de vous demander s’il y a assez d’Ellebore pour ces sortes de Fous, je ne dirai pas à Anticyre mais sur toute la face du Globe. Nescio an Anticyram ratio illis destinet omnes. L. P. F. A la Haye, Chez Henri Scheurleer. Et à Amsterdam chez Jean Wolters.