Le Censeur ou Caractères des Mœurs de la Haye: N°. XXXIX.
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Nivel 1
N°. xxxix.
Le Lundi 3. de Décembre 1714.
Nivel 2
Nivel 3
Carta/Carta al director
Ma chere, « Rendez graces au
Ciel avec moi de ce que notre m . . . . Censeur a perdu
le détestable Recueil de ses détestables matiéres. Quel
afreux Catalogue ! je frémis quand je le relis ! Comment
le Sacré Sacerdoce n’y est-il pas traité ? Et qui sait
ce que contenoient ces Lettres encore cachetées, puis
que celles qui étoient déja sommairées (permettez-moi ce
mot) ne contenoient pas moins que des Intrigues de
quelques vénérables Docteurs, & qui sait si ce
n’étoit pas de celui qui nous vient quelque fois
entretenir des choses du Ciel ; ainsi, ma Chére, nous ne
l’aurions pas échapé ; avez-vous remarqué toutes ces
odieuses questions qu’il devoit traiter ? La raison de
la mauvaise éducation des Enfans de nos Docteurs : . . .
le bonheur d’un Peuple sans Prêtres ;
encore s’il avoit dit sans Médecins, ou sans
Procureurs ; mais, sans Prêtres ! ô l’abominable
proposition ; je vous atens, ma Chére, cette
après-dîner, pour parler de cela avec Monsieur * * *,
& nous en écrirons ensuite à ce Censeur, en vous
atendant croïez-moi, Votre, &c. »
M. L. . . te.
M. L. . . te.
Metatextualidad
Celui ou celle qui m’a envoyé
cette Lettre me marque comment elle lui est tombée entre les
mains, ce qui n’importe guéres au Lecteur ; mais je ne puis
m’empêcher de lui faire remarquer, que quoi que les injures
qu’on y vomit contre moi m’autorisassent, par voïe de
récrimination, à en faire connoître l’Auteur : cependant,
j’ai bien voulu en celer le nom, & même déguiser ceux
dont il est parlé dans le corps de la Lettre. Mais qui ne
voit que cette Lettre est un de ces Avortons de ce zèle
aveugle, ignorant & supersticieux, qui régne dans toutes
les Sectes. Qu’on médise de toute la Ville en présence de la
scrupuleuse L . . . . te, s’en irritera-t-elle ? Dira-t-elle
des injures aux médisans ? Consultera-t-elle son Directeur
sur ce qu’elle en doit croire ? Ne sera-t-elle pas la
premiére, sinon à en entamer le discours, du
moins à y fournir de la matiére, en découvrant les
foiblesses vraïes ou fausses des personnes qu’elle connoît.
Mais ose-t-on ouvrir la bouche pour dire des Véritez à des
gens que son zèle & sa superstition lui rendent plus
vénérables que d’autres ; elle est au champ, tout est perdu
à l’entendre, il n’y va pas moins que du bouleversement du
Ciel & de la Terre ; sans Prêtres ! s’écrie-t-elle, sans
Prêtres ! ceci lui tient au cœur. Tâchons ou de la
convaincre, ou du moins de nous disculper. L . . . . te,
j’entreprens donc de vous prouver cette proposition, qu’un
Etat sans Clergé seroit parfaitement hûreux &
tranquile ? Ces courtes
réfléxions sufiroient pour convaincre, à mon avis, toute
Personne sans prévention ; mais où la trouver ? Ose-t-on
aujourd’hui se mettre au dessus des Préjugez, & sur tout
de cette sorte de Préjugez, sans s’exposer à tout ce que
l’Anathême a de plus afreux. Ainsi, ajoutons quelques
considérations prises de la chose même.
Nivel 3
C’est ce dont vous
ne disconviendrez pas aussi-tôt que vous considérerez
qu’un tel Etat a été au pied de la lettre ; consultez
l’Ecriture & les Histoires, trouverez-vous que dans
les premiers Siécles du Monde il y ait eu des Prêtres,
ou un Clergé ? Chaque Pére de famille étoit le Prêtre,
le Ministre de sa famille, c’étoit lui qui adressoit des
vœux au Ciel pour elle, c’étoit lui qui faisoit pour
elle des ofrandes de bonne odeur à l’Etre Souverain,
c’étoit lui qui rendoit graces pour elle à
la divine Providence, pour les biens dont elle étoit
comblée par une abondante moisson, & par la
nombreuse multiplication de ses Troupeaux. Hé ! quels
étoient ces hûreux tems ? Combien différoient-ils du
nôtre ? C’étoit un Siécle d’Or : on n’y connoissoit ni
le tien, ni le mien, ni l’avarice, ni la fraude, ni
l’adultére, ni les horreurs de la Guerre, ni l’éfroïable
discorde, ni tant de vices & de maux qui subsistent
aujourd’hui. Il n’y avoit alors ni Sistême, ni Secte,
aussi n’y avoit-il ni préjugez, ni opinions, ni
animositez, maux inséparables d’un Clergé. J’en apelle à
l’expérience. L’Etre Eternel en étoit-il moins bien
honoré ? qu’au contraire. Et où est l’Assemblée
d’Ecclésiastiques qui osera se vanter de lui offrir
aujourd’hui un Encens aussi agréable que celui que lui
brûloient ces premiers Habitans de l’Univers. Les
Consciences en étoient-elles moins tranquilles ?
Elles-mêmes faisoient l’ofice de vrais Prêtres ;
elles-mêmes dictoient aux hommes leurs devoirs, &
les hommes n’écoutoient qu’elles, n’obéïssoient qu’à
elles ; aujourd’hui il faut qu’elles-mêmes se soumettent
aux Loix que le premier Prêtre veut lui imposer. Dans
ces premiers tems un Pére de famille
alloit-il contraindre les Membres d’une autre famille de
sacrifier à l’Eternel selon sa maniére particuliére ?
l’anathêmatisoit-il parce qu’il vouloit sacrifier avec
le Chef de sa propre Maison ? mais aujourd’hui une Ame
se voit comme un foible Agneau au milieu de plusieurs
Loups. Chacun fait tous ses éforts pour en devenir
Maître & le Boureau. Que ce mot n’éfraïe pas votre
zèle, scrupuleuse L . . . te. Vingt opinions diférentes
sur un même sujèt, proposées à une Ame novice par vingt
Prêtres diférens, la tourmentent & la bourellent
avec bien plus de cruautez que n’en peut éxercer sur le
corps le Tyran le plus furieux. Des gens qui ne peuvent
vivre d’acord entr’eux peuvent-ils établir la Paix dans
la Conscience de leurs Disciples ? Quelle diférence de
Tems ! quelle diférence d’état ! Parlez à présent,
L . . . . te, mais parlez sincérement & sans
préocupation : considérez ces deux états, vers lequel
votre Conscience vous fait-elle pancher ? Vos préjugez
vous fournissent mille objections d’autant plus
méprisables qu’elles viennent d’une source si corrompuë.
Ecriez-vous donc avec moi, hûreux
1Hurons ! hureux & mille fois
hureux 2Outamagis ! qui ignorez jusqu’au
nom de Prêtre. C’est à cette hureuse ignorance que vous
devez votre chére innocence.
Nivel 3
Mais ne sont-ce pas les Prêtres, dites-vous,
Religieuse L . . . te, qui m’instruisent des Mistéres
sacrez de la Religion, de ces Mistéres, sans la
connoissance desquels je ne puis aspirer à la possession
du Souverain Bonheur. L’objection est spécieuse, c’est
le zèle préocupé qui la forme. Mais, L . . . . te,
n’êtes-vous pas tombé d’acord qu’il a été un tems où
sans Prêtres on étoit instruit de ces sacrez Mistéres ;
si vous le niez, quels inconvéniens ! combien de miliers
d’Ames innocentes allez-vous priver sans miséricorde du
bonheur de posséder le Souverain Bien ?
Mais disons quelque chose de plus. Votre Dieu lui-même
ne vous a-t-il pas donné ses Loix, ne vous a-t-il pas
découvert ses Mistéres, ne nous a-t-il pas tous douez
d’une Conscience interprête de ses volontez, desquels
elle porte l’empreinte, d’une Conscience, dis-je, dont
nous ne pouvons nous défaire, d’une Conscience, qui est
notre Docteur le plus éclairé, le plus croïable, le
mieux instruit, si cela est, permetez-moi d’enveloper ma
conséquence sous une comparaison,
si <sic> nous passons à l’esprit universel du
Clergé ; quels motifs de banir de la Société cette gente
vindicative & rétive. Pour la vengeance, je ne veux
que vous prier de consulter sur l’expérience, si une
Femme Poëte a eu tort de dire,
Et pour l’esprit de Cabale &
d’opiniâtreté, comme la place commence à me manquer,
permettez-moi de vous renvoïer au savant Mr. le
Clerc3. Je ne veux que le Portrait qu’il fait
de leur esprit de jalousie, d’orgueil, &
d’entêtement, en traçant celui du fameux Gomar & de
ses Partisans. Portrait, qui ressemble à bien des
Originaux de nos jours ! après cela je finis en vous
laissant le soin de conclure de toutes ces Réfléxions :
mais n’oubliez pas que je ne parle pas du Clergé tel
qu’il devroit être, mais tel qu’il est.
Ejemplo
vous avez deux bonnes jambes,
L . . . . te, vous pouvez marcher, sur tout en plein
jour, aussi-bien que qui que ce soit, si une de vos
Amies vouloit vous persuader de vous servir d’une
paire de béquilles, que lui répondriez-vous, ne
diriez-vous pas avec un air de dédain, que rien ne
vous oblige de recourir à ce secours, puis que vous
pouvez aller sans cela. . . . . . , &c.
Cita/Lema
Qu’ils sont à redouter !
sur une bagatelle, Leur cause-t-on le moindre
ennui,
Leur vengeance est toûjours cruelle.
On n’a point avec eux de légére quérelle.
Fache-ton un Dévot, c’est Dieu qu’on fache en lui,
Ces Apôtres du tems, qui des premiers Apôtres
Ne nous font point ressouvenir,
Pardonnent bien moins que les autres.
Contr’eux veut-on se maintenir,
Empêcher qu’à leur bien ils ne joignent les notres,
C’est une impiété qu’on ne peut trop punir.
De la Religion, c’est ainsi qu’ils se jouent,
Ils ont un air pieux répandu sur le front,
Que leurs actions desavouent,
Ils sont faux en tout ce qu’ils font.
Leur vengeance est toûjours cruelle.
On n’a point avec eux de légére quérelle.
Fache-ton un Dévot, c’est Dieu qu’on fache en lui,
Ces Apôtres du tems, qui des premiers Apôtres
Ne nous font point ressouvenir,
Pardonnent bien moins que les autres.
Contr’eux veut-on se maintenir,
Empêcher qu’à leur bien ils ne joignent les notres,
C’est une impiété qu’on ne peut trop punir.
De la Religion, c’est ainsi qu’ils se jouent,
Ils ont un air pieux répandu sur le front,
Que leurs actions desavouent,
Ils sont faux en tout ce qu’ils font.
Metatextualidad
Mr. Scheurleer, vous êtes prié
d’avertir les Lecteurs, qu’on m’a fait passer un peu trop
tôt du dîner au souper dans le Discours XXXVII. & qu’à
la page 290 lig. 23. il faut lire, servi le dîner, au lieu
du souper.