Le Censeur ou Caractères des Mœurs de la Haye: N°. XXXVI.
Permalink: https://gams.uni-graz.at/o:mws.6426
Niveau 1
N°. xxxvi.
Le Lundi 12. de Novembre 1714.
Niveau 2
Niveau 3
Lettre/Lettre au directeur
Monsieur, « N’aprouveriez-vous
pas qu’on dît de ce Païs-ci, qu’il est pour les humeurs
ce que Babel étoit pour les Langues. J’ai visité la
plûpart des Nations de l’Europe, mais je n’ai trouvé
nulle part une plus grande diversité en ce genre. La
Matiére seroit trop abondante si je voulois parcourir
tous les Etats & toutes les Conditions ;
bornons-nous donc à une seule espéce de Personnes. Je
choisis volontiers les Femmes, pour raisons : En Espagne
je les ai trouvées fiéres, mais tendres & peu
cruelles ; en Italie elles sont tout Amour, toute
intrigue & toute trahison : en Allemagne elles
passent pour grossiéres en toute leur conduite, &
pour trop impérieuses ; enfin, en France elles sont
autant sujètes du changement que de l’Amour. Mais en
Hollande on les trouve tout ensemble
fiéres, tendres, cruelles, amoureuses, changeantes,
& impérieuses.
Mon cher Censeur, quel Parti y a-t-il à prendre,
le moïen d’agir ici en Philosophe. Vous nous avez
dépeint la mort si belle, si digne de nos
vœux, me conseilleriez-vous de l’apeller à mon secours,
faites savoir mon triste état à ma cruelle, à ma
changeante Palmine, & donnez-moi vos Avis, puis que
je suis tout à Vous. » A * D * D *
Metatextualité
Vous
peindrai-je en particulier celles de chaque Ville.
Chacune a quelque chose de distinctif. L’entreprise
seroit trop vaste pour une Lettre, ainsi j’en
choisis une dans la foule (j’avouë que le seul
ressentiment m’en fait faire le choix) & si je
ne trouve en Elle toutes ces différentes affections,
du moins la plûpart s’y rencontreront-elles.
Niveau 4
Hétéroportrait
La jeune Palmine a
tous les agrémens qu’on peut souhaiter dans une
Brune d’une moïenne taille. Motif de hauteur &
de fierté ! car il ne faut aprocher Palmine, pour
ainsi dire, qu’en l’adorant, encore est-ce encens
perdu. Elle ne sait jamais si elle doit jetter un
œil favorable sur les Victimes que ses atraits
consument ; Mais la dépravation de son goût paroît
sur tout dans le choix qu’Elle fait de ses
Sacrificateurs, les plus Vieux sont les plus
favorisez ; est-ce par compassion pour leur
foiblesse, est-ce par orgueil de voir qu’elle est
capable de ralumer des feux qui étoient tout à
fait éteints ? Mais Elle n’excelle en rien
davantage qu’en changement. Je ne veux vous raporter qu’un fait, puis après jugez.
J’eus le souverain bonheur de plaire à ses beaux
yeux quoique je ne sois pas encore dans cet âge
inutile à tout & quelle semble tant favoriser.
Palmine soufre ma déclaration, Elle ne la
desaprouve pas, Elle fait plus, Elle me permet
d’apeller à temoin de ma Victoire Bachus & sa
suite. Au milieu des plats & des pots d’un
modeste repas, Palmine fait de saintes &
réïtérées libations sur l’autel de la Foi, le
lendemain sembloit devoir mettre le comble à mon
bonheur ; Mais si les autres Amans de Palmine
avoient été immolez à sa cruauté, à ses mépris, à
sa fierté, à sa pruderie, j’étois reservé pour
l’être à son humeur changeante : en effet, au
moment que j’attends à recevoir la confirmation
des sermens & des promesses de la veille, on
m’aporte mistérieusement la Sentence de mon Exil,
& un desaveu formel de tout ce qui s’étoit dit
en présence des Divinitez présidentes à la Table.
Metatextualité
Pourquoi blâmerai-je Palmine ?
Peut-être avoit-elle fait les choses trop à la légére, son
Séxe est sujet à ce défaut ; mais toutes changeantes que
soient les Femmes, rarement en trouve-t-on qui le soient
dans une telle circonstance. Ainsi je ne vois rien que de
raisonnable dans la maniére d’agir de cette Brune. Ainsi, si
l’Amant est raisonnable ou capable d’être Philosophe, qu’il
lui en sache bon gré, & qu’il vive, peut-être la
verra-t-il bien-tôt changer de nouveau ; combien a-t-on de
semblable éxemples ?
Metatextualité
Pendant que je travaille à marcher
sur les traces du célèbre Spectateur Anglois, il vient de
m’ariver une Avanture assez semblable à celle qui lui est
arrivé & dont il parle quelque part dans un de ses
discours. J’ai perdu cette semaine non un simple Mémoire,
comme lui, mais un Porte-feuille entier qui renferme les
Piéces dont je vais faire un inventaire, afin
que ceux qui l’auront trouvé prennent la peine de les
renvoïer à mon Libraire. I. Dix ou douze Lettres dont quatre
sont encore cachetées, & sur le haut de l’une des autres
est pour sommaire, ou tître, Intrigue d’un M * * avec une
dévote . . . . . sur une autre, le ridicule d’une précieuse
surannée qui fait enrager ses domestiques pour les rendre
vertueux, lorsqu’elle enrage elle-même de ne pouvoir plus
être vicieuse . . . . sur une autre, description de la
contenance d’un Smakelyke broeder à Table . . . . . . sur
une autre, foible refutation de mon sentiment sur le mépris
de la Mort . . . . . . sur une autre, la frénésie C * * ne,
ou la Rage des Versificateurs . . . . . sur une autre, le
Casuiste sur le Jeu tourné en ridicule . . . . . sur une
autre, Question, pourquoi les Enfans des Docteurs sont moins
bien élevez que les autres ; Avis pour leurs Péres,
impertinente réponse d’un de ces Péres. Les autres sommaires
me sont échapez, passons à un petit Mémoire d’un quart de
feuille. II. Le Tableau de Suzanne. . . . . . . Les Armes du
Carosse du Seigneur R * * * de . . . . . Répondre à la
Question proposée par Mlle. Du S * * dans la
Société des Femmes beaux Esprits, s’il y a eu un
Tyresias. . . . . Les Rabats à large ourlé . . . . . la
Veuve inconsolable de la mort de son chien, & remariée
au bout de six semaines. . . . . Ce n’est pas le mérite qui
contribuë à l’Elévation, témoin la fortune naissante du
Comte T * * . . . . . . . les Grands sont vicieux
impunément. . . . . . Sentiment de Madame van P * * g. sur
l’utilité qu’un Etat retireroit, en rétablissant la
formidable dignité des Censeurs, telle qu’elle s’exerçoit à
Rome. . . . . . Pourquoi les Grands aiment à avoir des Fous.
III. Sur un autre grand Mémoire plein de ratures des
matiéres qui ont été traitées, il y en a encore
quelques-unes, entr’autres, Ce que c’est que Magicien &
Sorcier : les Prêtres Auteurs de tant de fausses Opinions,
ne le sont-ils pas de celle-là ? . . . . Réponse à la
question, s’il est du devoir des Docteurs de se mêler de la
Politique dans leurs Sermons . . . . . Mr. G * * soutient
que non, pour la gloire du Souverain, qu’un petit Homme, un
esprit sédicieux, ou du moins ignorant, se mêle de critiquer
à l’abri de son zèle pour la Religion, qu’il fait entrer par
tout. . . . . . Si un Païs sans Prêtres,
ni Docteurs Scholastiques ne seroit pas un petit Paradis ?
Exemples tirez de Leguat, de la Hontan, de le Clerc ;
. . . . . . . Idée de la Justice habillée à la
Moderne. . . . . la Maison deux fois démolie . . . . . . .
Une Femme qui fait l’Histoire de ses Echapades . . . . . .
Pourquoi quelqu’un en m’écrivant m’inscrit, Mr. ou
Mlle. . . . . . Le Trône de la Fortune, l’hôpital du
Mérite . . . . . la Mode . . . . . Idée d’une Assemblée de
Spectateurs pour voir un Opéra. . . . . . Réponse à une
plainte de l’Auteur de la Liberté de Penser, sur ce que les
M * * * parlent & écrivent si peu, ou point sur la
hardiesse avec laquelle on entretient & on protége tant
de Filles de joïe . . . . . . la Prédication hors d’œuvre ;
. . . . . . les douze Cachèts dont parloit Mr. R. chez mon
Libraire. Idée du Dictionnaire dont mon Libraire a la
Copie. . . . . . Mr. P * * a eu douze Maîtresses : ce qui
lui en reste : bel éxemple pour sa Famille, quelles leçons
un tel Pére peut donner à ses Fils qui savent ses
déréglemens, cependant P * * change tous les jours de
Domestiques sur le moindre soupçon qu’il a de leur
continence, &c. Voïez la Lettre signée
D *. K. r. g. . . . . J’ai épargné B * *. G * *. L * * *.
parce que tout le monde en parle. IV. Outre tous ces Papiers
il y a deux Portraits, le mien & celui d’un Singe
déguisé en Docteur, le premier n’est qu’au craïon, l’autre
sur une plaque d’Ivoire. Il me reste une chose à souhaiter,
que ce porte feuille tombe dans des mains dicrétes. Ciel
sauve le des mains de l’indiscret M * *. Car s’il se fait
mérite d’écrire des Lettres pour les faire voir dans les
Caffez, ou comme les aïant reçûës de quelques Dames, ou
comme s’il les avoit trouvées, comment ne triompheroit-il
point avec cette trouvaille, je croïois finir sans Censurer,
mais est-il possible, quand un caractére de ce genre se
présente à l’Esprit, & peut-on s’empêcher de dire que de
tous les caractéres de ces gens oisifs & à change à
eux-mêmes, c’est là le plus impertinent, mais qui ne connoît
à présent M * *. & qui seroit assez sot pour s’en
laisser donner à garder & être le duppe des
impertinentes fictions d’un menteur perpetuel & d’un
fanfaron indiscret & insuportable.