Zitiervorschlag: Anonym [Jean Rousset de Missy / Nicolas de Guedeville] (Hrsg.): "N°. XXXIII.", in: Le Censeur ou Caractères des Mœurs de la Haye, Vol.1\033 (1715 [1714]), S. 257-264, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4019 [aufgerufen am: ].


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N°. xxxiii.

Le Lundi 22. d’Octobre 1714.

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Billet.

Ebene 3► Brief/Leserbrief► CRoïez-m’en, Monsieur, & quittez la Plume. Toutes vos réfléxions ne serviront à rien, vous voudriez rendre vos Concitoïens gens de bien ; ils n’en feront rien. Tant que Polimas aura un sol, on rencontrera celles qu’il entretient faisant le Tour avec les Personnes du premier rang, pendant que sa triste Epouse garde la Maison. Sansurion & ses Confrérers bâtiront, en dépit de vous, de magnifiques Maisons de la solde de tant de Braves Officiers, qui ont sacrifié leur vie pour enrichir des gens autrefois habillez de verd ou de jaune. Quoi que vous disiez, les Docteurs en us diront blanc, & feront noir. En un mot, ne croïez pas ceux qui, pour vous encenser, tâchent de vous persuader que votre Censure éfraïe les gens. Si cela étoit * * * n’auroit point passé, la semaine derniére, toute une nuit dans un tête à tête avec un certain J *. dont elle vouloit emprunter [258] une certaine somme à un certain intérêt. Je vous le répéte, c’est vouloir laver la tête d’un Etiopien que de vouloir coriger les hommes, croïez votre Ami intime.

Jules Sincere. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Cet Ami a quelque raison. Et en voïant la conduite générale des hommes, il faut avouër qu’il est assez difficile d’exprimer tout ce qu’on en pense ; je vais encore faire l’Héraclite, dira sans doute le judicieux Philodeugde ; mais peut-on être de bon humeur quand on voit tous les hommes convenir de ce qui est honteux & honnête, blâmer le premier dans les autres, & y couronner le second, & eux-mêmes tomber tous les jours dans ce honteux ; & s’irriter contre ceux qui veulent le leur faire sentir & leur inspirer de l’amour pour ce qu’ils reconnoissent être honnête & digne de louange, mais ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on a dit 1 Zitat/Motto► il arrive à tous les hommes de découvrir plûtôt les fautes des autres que les leurs propres. ◀Zitat/Motto

Ebene 3► Fremdportrait► De ce nombre est Philoselve ; on lui entend souvent dire avec l’Ancien que je viens de citer, les bons Poëtes voyent avec plaisir que chacun éxaminent leurs Ouvrages afin de coriger ce que les autres y repren- [259] nent. Eux-mêmes avec les autres en recherchent les fautes sans se flater. Il a encore assez souvent dans la bouche le Sutor ad Crepidas ; cependant, dans quelle fureur Philoselve n’entre-t-il point, quand un Ami charitable veut lui ouvrir les yeux. Cèt Ami est prévenu, ou il veut juger sans avoir les talens propres. C’est l’envie & non pas l’équité qui dicte le jugement de cet Ami ; c’est sur ce ton-là que Philoselve écrit une longue Lettre à celui qu’il croit l’avoir accusé de ridicule dans une Piéce qui est la risée du Public ; c’est ainsi que Philoselve met au nombre de dix ou douze de ses mortels Ennemis, tous ceux qui osent lui dire ce qu’ils pensent de son Pégase. ◀Fremdportrait ◀Ebene 3

Il est vrai que, tout Misantrope qu’on ait sujet d’être, on a assez de peine à s’empêcher de rire en voïant de certaines personnes entêtées de leur mérite qui se proposent pour des modèles, & qui se persuadent que tout le monde les régardent sur ce pied-là. On remarque assez à certains traits & à certains gestes étudiez, qu’ils sont fort contens des belles qualitez dont ils se croïent en possession. On les entend fatiguer le tiers & le quart par le recit de leurs hautes perfections. [260] J’ai des graces à rendre au Ciel, dit modestement Philoselve, qui m’a fait part de certains talens qui ne sont pas à mépriser, & qui previennent aisément les gens en ma faveur ; Oui, Philoselve, il faut le reconnoître, vous avez beaucoup & même trop, mais c’est un sot entêtement qui vous empêche de vous connoître ; & une pareille prevention est souvent la source d’un grand nombre d’impertinences. Plus j’éxamine mon Mémoire & plus je trouve de gens du Caractére de Philoselve, de gens qui aiment leurs vices & qui haïssent ceux qui veulent les leur démasquer ; Ebene 3► Fremdportrait► Dave est de ce nombre, je trouve dans mes Mémoires qu’il a dit dans une Compagnie, qu’il ne veut plus lire mes Discours, parce que j’ai dit quelque part, que la vertu est préférable à tout, & que rien n’est plus préjudiciable au bien de la Société, que la préférence qu’on donne ordinairement aux Richesses sur le mérite.

Que Dave pense de moi & de ma sévérité tout ce qu’il voudra, mais les Personnes de bon sens avouëront avec moi, que jamais les friponneries d’un Pére qui a volé l’Officier & le Soldat, ne seront capables d’illustrer un Fils qui ne vaut pas mieux que lui ; Dave, je l’avouë, a un Palais plûtôt qu’une Maison, Dave a une [261] Table servie avec la derniére délicatesse, Dave est dans des Emplois considérables, Dave prétend même être Noble, quoiqu’il y ait encore des gens en vie qui ont été derriére le Carosse avec son Pére. Contentez-vous, Dave, d’être riche, contentez-vous qu’on vous reconnoisse pour tel ; mais n’éxigez pas qu’on se taise sur les voïes par lesquelles vous êtes parvenu à ces biens immenses, & par lesquelles vous les augmentez tôujours, vous ne pourez empêcher les autres de voir que vous êtes un fourbe, un usurier, un barbare envers vos creanciers, un homme qui fait ses Divinitez de son coffre & de son ventre. ◀Fremdportrait ◀Ebene 3

Rien ne marque plus la corruption des mœurs & la fausseté des jugemens que cette préférence que l’on donne aux Richesses au préjudice de la Vertu ; cependant, c’est un usage établi, & on ne parvient point aujourd’hui à certains grades sans avoir de ce métail qui y prépare les voyes. Ebene 3► Fremdportrait► Pendant que Dave s’éléve tous les jours, Deugsam demeure inconnu dans sa Cabane, exposé aux rigueurs du Nord, mal vêtu, pauvrement nouri, n’aïant pas un grain de ce métail qui procure tous, avec toute sa vertu, a-t-il seulement un lit de plume ; Le [262] Praticien sans conscience remplit ses coffres du sang se ses Cliens, & devient par ce moïen gendre d’un Comte, ou d’un Marquis ; Le Solliciteur pille à son tour l’homme de Guerre qui a réduit le Gentilhomme à la besace, & par ses rapines monte à un rang distingué ; Deugsam pouroit parvenir aux mêmes honneurs par les mêmes voïes, mais il se donne tout à lui-même, & les autres tout à leurs Passions, tout à leur opinion, tout à leurs Préjugez, tout au faux qui régne dans toutes les Sociétez. ◀Fremdportrait ◀Ebene 3 Puis-je ne point donner tout mon admiration à l’un, & enflammer toute mon indignation contre l’autre.

Mais c’est en vain, dira l’Ami Auteur du billet. C’est ce dont je ne conviens par <sic> tout à fait, je le renvoïerois aisément à vingt éxemples certains du pouvoir qu’a eu ma Censure ; Cependant en considérant d’un côté le grand nombre des vicieux, & le peu de ceux qui se laissent persuader, je puis, avec raison, dire avec Madame Deshoulieres.

Zitat/Motto► Mais d’où vient qu’aujourd’hui mon esprit est si vain,

Que fais-je ! & de quel droit est-ce que je Censure,
Le goût de tout le genre humain,
Ce goût favori qui lui dure
Depuis qu’une immortelle main
Du ténébreux Cahos a tiré la nature ;
[263] Ai-je aquis dans le monde assez d’Autorité
Pour rendre mes raisons utiles. ◀Zitat/Motto

Metatextualität► Toutes ces réflexions chagrinantes seroient plus que suffisantes pour m’engager à m’imposer silence, mais l’Auteur du Billet voudra bien me permettre de continuer de remplir mon plan, & d’arracher encore le masque à une douzaine de vicieux qui infectent la Société. Au reste, si j’ai si souvent parlé de ceux qu’on apelle Solliciteurs dans les lignes précédentes, ce n’a pas été sans dessein, aïant une Lettre très chagrine à insérer ici qui sera plus que suffisante pour caractériser ces sortes de Gens. ◀Metatextualität

Ebene 3► Brief/Leserbrief► « Monsieur, depuis deux mois que je suis ici, j’ai entendu parler de vous, & c’est avec plaisir qu’on vient de me dire que vous permettez qu’on vous écrive, souffrez que je profite, quoi qu’étrangére, de cette permission pour vous faire part de tout mon chagrin. Je suis la Veuve d’un ancien Officier qui a servi le Souverain pendant trente Campagnes, & qui étoit parvenu à un poste honorable en passant par tous les dégrez. Le Ciel m’a enlevé, cet Epoux, & un Pére à six infortunez Enfans. Je suis ici pour régler avec une de ces malheureuses Sansuës qui s’engraissent du sang des autres. Je fus ces jours passez chez lui, où je ne le trouvai pas, on ne trouve jamais ces gens quand on va leur demander ; son Epouse qui me reçût, avoit, je crois, résolu de me faire crever de dépit. Elle me proposa de voir sa Maison en attendant le retour de son Mari : j’y vis huit chambres les unes mieux meublées [264] que les autres, & la moindre avoit une Tapisserie de bande de Damas, couleur de feu & jaune. Les lits y sont d’une magnificence qui effaceroit celle de certains Princes de mon Païs. Les Plaques & les Lustres d’argent s’y trouvent par tout. La Porcelaine y est aussi abondante & aussi riche que dans aucune Mosquée du Japon. Je ne vous parlerai pas de la Toilette de la Dame qui étoit couverte d’une vingtaine de boëtes d’argent massif ; ni de sa Cassette aux Bijoux où je comtai jusqu’à cinq coliers de grosses Perles & quatre croix de cinq gros Diamans ou plus. Vous pouvez juger du reste par cet échantillon. Reste à vous dire que ce petit Prince n’étoit qu’un malhûreux Laquais il n’y a pas quinze ans, que sa Femme n’est qu’une très mince Bourgeoise, & que ces richesses immenses n’ont été amassées que de la maniére que vous pouvez penser. Le Ciel est-il donc juste de laisser subsister de telles gens contre qui tant de malhûreux Orphelins poussent tous les jours tant de cris amers, & de sensibles gémissemens ; que n’en est-il de ces gens là comme des Visirs en Turquie ! que le Souverain ne les fait-il dégorger, quand ils ont sû tant amasser ! ne pouriez-vous pas trouver moïen pour cela, vous feriez le plus grand plaisir à

M. P. . . . r. » ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Metatextualität► Il y a plusieurs de ces moïens, mais ce n’est pas à moi à les découvrir, puis que, comme je l’ai déja déclaré, je suis résolu, de ne porter les yeux, ni sur l’Autel, ni sur le Trône. ◀Metatextualität ◀Ebene 2

A la Haye,

Chez Henri Scheurleer.

Et à Amsterdam chez Jean Wolters. ◀Ebene 1

1Cicéron dans ses Offices.