Cita bibliográfica: Anonym [Jean Rousset de Missy / Nicolas de Guedeville] (Ed.): "N°. XXIX.", en: Le Censeur ou Caractères des Mœurs de la Haye, Vol.1\029 (1715 [1714]), pp. 225-232, editado en: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Los "Spectators" en el contexto internacional. Edición digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4015 [consultado el: ].


Nivel 1►

N°. xxix.

Le Lundi 24. de Septembre 1714.

Nivel 2► Metatextualidad► Ayant déja fait mès réfléxions sur la Médisance qui régne si communément aujourd’hui, j’aurois volontiers suprimé la Lettre suivante, mais j’y ai trouvé quelque chose de si singulier & de si naturel que j’ai cru qu’on ne la liroit pas sans quelque agrément. ◀Metatextualidad

Nivel 3► Carta/Carta al director► « Vous n’avez pas encore épuisé Monsieur, la matiére des Sociétez ; si vous aviez bien feuilleté le Spectateur Anglois, vous en auriez trouvé un bien plus grand nombre sous le nom assez juste de Coterie. C’est d’une de ces Coteries dont je veux vous donner le plan, qui n’a rien de semblable, ni dans l’Anglois ni dans vos Discours précédens. Nivel 4► La Coterie dont il est question n’est composée que de Dames & Demoiselles du moïen âge. Leur Assemblée se tient assez réguliérement tous les jours environ les trois heures après midi. La Table autour de laquelle elles s’assoïent est ovale, & au haut bout est [226] la très-illustre Présidente. On ne tient aucune Séance qu’en bûvant, & on parle peu avant que tous les Membres soient assemblez. La très-illustre Présidente ni s’y rend jamais que la derniére. Dès qu’elle est assise une des plus jeunes initiées distribuë une Liqueur qui a la couleur du meilleur Brandevin d’Orleans. Mais qui n’a rien de si furieux, aussi le tems qu’on passe à vuider les tasses est assez tranquille : mais à peine produit-on sur l’Autel un gâteau d’un pied de Diamétre, qu’une sainte fureur anime toutes les Assistantes. On commence à se parler à l’oreille, & on entend dans la Sale un bourdonnement qui inspire je ne sais quelle vénération. La très-illustre Présidente faisant l’office de Prêtresse s’arme d’un sacré Couteau, & faisant autant de portions du Gâteau qu’elle a comté d’Assistantes, elle ne les distribuë qu’après s’être informée de chacune d’elles, ce qu’elle a à proposer à l’Assemblée. Slangtong Députée à l’inspection des affaires générales & particuliéres de l’Ost de la Ville, & Soûdoïenne de la Coterie, porte ordinairement la parole la premiére. Ses raports roulent d’ordinaire sur les intrigues amoureu-[227]ses qui se passent dans les Sociétez de Jeu, qui sont fréquentes dans son Département, elle y fait aussi raport de ce qui se passe à l’Opéra ; mais comme elle ne sait les faits de ce quartier que par ses Espions, la médisance y a rarement part, car pour rendre ses Histoires plus vrai-semblables, elle a recours à la calomnie la plus artificieuse. La jeune Rimante Députée aux affaires domestiques des Personnes du premier rang a la seconde place. C’est par elle qu’on sait les jalousies, les infidèlitez, &c. C’est par son canal qu’on aprend que Tumar ne roule carosse, n’a sa table mieux servie qu’un Prince, qu’aux dépens des Marchands qu’il bastonne, quand ils osent venir lui demander des sommes qu’il pouroit leur païer des revenus de trois pupilles, dont il fait passer l’une pour folle, pendant qu’il en laisse une autre chez son jardinier à sa Maison de campagne, & qu’il tient le troisiéme dans le méprisable poste de Cadet éternel. Mlle l’Intrigue a le Département de toutes les familles de la Nation, qui passent pour n’être pas des plus aisées ; c’est celle qui va s’informer soigneusement de ce qu’on sert sur les tables, de quelle maniére on s’habil-[228]le, quelles personnes on frequente, quelles dépenses on fait. Chaque quartier de la Ville a outre cela son Inspectrice & chacune tient des mémoires éxacts de tout ce qu’elle découvre pour en faire un raport fidèle à l’Assemblée. C’est sur ces raports que roulent toutes les délibérations, mais on ne prend jamais de résolutions, & jamais la Présidente ne va aux voix, car en devorant chacune son morceau de Gâteau, on envenime à qui mieux mieux <sic> le raport qui est sur le tapis, desorte que toutes les résolutions seroient toûjours, nemine contradicente, pour la réfléxion la plus maligne & la plus envenimée qui auroit été faite. ◀Nivel 4 Metatextualidad► Qu’il me soit permis de faire une petite comparaison pour vous donner en peu de mots une idée juste de cette Coterie. Mademoiselle la très-illustre Présidente est comme le Pape, les Assistantes tiennent la place des Généraux des Ordres Religieux. Le St. Pére par le moïen de ces Généraux d’Ordres est informé de tout ce qui se passe dans tout le Monde Chrêtien, dans les Cours des Princes, dans les consciences même des petits. Mlle la très-illustre Présidente se sert pour la même fin de toutes [229] ses Assistantes ; je ne m’étens pas davantage sur la comparaison pour vous laisser le plaisir d’en faire toute l’aplication. ◀Metatextualidad Reste à vous promettre quelque Relation de quelqu’une de ces Assemblées où l’insolente Médisance soufle un air empoisonné & mortel. »

Van Munikhuysen. ◀Carta/Carta al director ◀Nivel 3

Metatextualidad► Un bel Esprit réfléchissant sur le venin de la médisance, & sur le nombre des medisans par raport à celui des calomniateurs, disoit qu’il aimeroit mieux une recepte contre la morsure des Puces & des Cousins que contre celle des Lions & de Tigres, parce qu’on trouve plus de ceux là que de ceux-ci. Voici cette recepte que je tiens de la bouche même d’une fameuse Medisante, peut-être de la Coterie dont on vient de nous entretenir. Elle parloit de moi en ma présence & sans me connoître en termes assez durs. Pourquoi parlez-vous de moi ? lui dis-je avec impatience, C’est parceque <sic> vous en souciez, me repondit-elle. En effet, on ne dit du mal de nous que pour nous facher, ne nous fachons pas nous nous vengeons innocemment de la Médisance, le me-[230]pris des injures leur ôte leur force & le plaisir à ceux qui les font ; si nous y sommes trop sensibles il dépend du plus miserable ennemi, du plus lâche envieux de troubler le repos de notre vie ; j’ajoute enfin qu’il n’y a que des gens trop oisifs capables de troubler ainsi le repos des autres, ainsi on peut croire que les Assistantes de la Coterie des Médisantes sont de ces saintes Fénéantes qui sous le masque du Bigotisme passent leur vie à rien faire que du mal. ◀Metatextualidad

Metatextualidad► Je viens de dire que le Mépris des injures leur ôte leur force, & le plaisir à ceux qui les font ; on peut, ce me semble, appliquer la même pensée aux Flateurs outrez. Que ceux qu’ils encensent témoignent un juste mépris pour leurs louanges mal digerées, c’est le seul moïen d’oposer une digue au cours impétueux de leurs impertinences. C’est tout ce que j’ai à ajoûter à la Lettre suivante. ◀Metatextualidad

Nivel 3► Carta/Carta al director► Monsieur ou Mademoiselle,
(Car on vous fait à présent de genre douteux)

« On dit ordinairement que nous nais- [231] sons Poëtes & que nous devenons Orateurs. Pour moi, il me semble que c’est l’ocasion & l’indigence qui fait les Poëtes, ajoûtons-y encore un certain penchant à la flaterie. Mais je me trompe, ce n’est pas des Poëtes dont je veux parler, c’est des Versificateurs. Comme ils ne versifient que pour donner un voile à leurs fausses louanges, il ne faut pas être surpris si on y trouve par tout tant de fausses pensées, ou de flateries qui n’ont aucun sens. Nivel 4► Exemplum► Un Roi de Suéde se servit un jour d’un assez plaisant stratagême pour faire taire un monde de ces Versificateurs, qui l’obsédoient & lui disoient avec des louanges entrées que tout, jusqu’aux Elémens lui obéïssoient. Il se fit porter dans une Chaise sur le Rivage de la Mer, lorsqu’elle montoit, & pour se moquer de ces flateurs, il disoit à cet Elément je te defends de mouiller ma Robe, retire-toi, respecte la Majesté Roïale, mais il fut obligé enfin de se retirer lui-même, pour n’être pas mouillé. ◀Exemplum ◀Nivel 4 Si cette séne c’étoit passée à la Cour d’Aléxandre, d’Auguste, ou de quelqu’autre Prince fameux & dont l’Histoire fut plus connuë que celle du Prince qui en fut l’Auteur, je ne doute pas qu’elle n’eut épargné aux yeux & aux Oreilles du Grand & Mo-[232]deste Prince qui fait aujourd’hui notre admiration, tant de Vers sans sens, & on n’auroit pas été lui dire d’un ton aussi faux que ridicule.

Nivel 4► L’Air plus doux, l’eau plus pure, & la terre plus belle,

Prendront sous votre Régne une face nouvelle,
Le Soleil n’aura plus que des feux bien faisans,
Les Mers sous vos Vaisseaux seront sans ouragans.

* * *

Les perles germeront où rouloit le gravier.

* * *

Laissant dans leurs hameaux chommer les Laboureurs
Cérès d’épices dorez chargera la Campagne. ◀Nivel 4

Quand on voit de pareilles absurditez, ne dit-on pas volontiers avec un des plus grands Poëtes de nos jours.

Nivel 4► Non, desormais la Poësie

N’est pour moi qu’une Phrénésie,
Qu’un don méprisable à mes yeux
Je ne veux point d’un avantage
Qu’avec le Vertueux partage
Le flateur & le furieux. ◀Nivel 4

Donnez, je vous prie, des régles à ces sortes de Versificateurs, & s’ils veulent absolument parler le langage du Parnasse, qu’ils aprennent qu’ils doivent aussi parler raison. Je suis »

L. C. D. B. ◀Carta/Carta al director ◀Nivel 3 ◀Nivel 2

A la Haye,

Chez Henri Scheurleer.

Et à Amsterdam chez Jean Wolters. ◀Nivel 1