Zitiervorschlag: Anonym [Jean Rousset de Missy / Nicolas de Guedeville] (Hrsg.): "N°. VIII.", in: Le Censeur ou Caractères des Mœurs de la Haye, Vol.1\008 (1715 [1714]), S. 57-64, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4011 [aufgerufen am: ].


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N°. VIII.

Le Lundi 30. d’Avril 1714.

Ebene 2► Metatextualität► Les plaintes que je viens de recevoir de quelques-uns de mes Corespondans sur ce que je n’ai pas encore daigné (c’est le terme dont ils se servent) faire atention à ce qu’ils ont pris la peine de m’écrire, sont trop justes pour n’y pas avoir égard. Je vais donc joindre ici quelques-unes de leurs Lettres telles qu’elles me tomberont sous la main, & sans donner la préférence à personne. ◀Metatextualität

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Mr. le Censeur,

« Allgemeine Erzählung► On ne peut vous exprimer avec quel plaisir nous avons lû dans notre petit Cercle votre Discours sur la Jalousie. Quoi qu’aucune de nous ne soit exposée à cet afreux fleau, puis que nous ne sommes pas encore sous le joug d’Hyménée, nous en avons cependant reconnu les horreurs aux traits dont vous l’avez dépeint ; & d’une commune voix nous avons toutes prié le Ciel de nous garantir du malheur de Corine. Mais une d’entre nous s’étant plainte de ce qu’après avoir frondé [58] ce vice, vous n’avez déterminé ni qui y étoit le plus sujèt de l’Homme ou de la Femme, ni un moïen, soit de le prévenir, soit d’y remédier ; il s’est élevé parmi nous un débat presque aussi grave que dans un Parlement d’Angleterre ; chacun prit Parti, & après de longs Discours, on tomba d’acord, que les Hommes y sont plus sujèts que les Femmes, par des raisons qui furent fort bien expliquées entre nous, & que je ne peux vous raporter, parce que vous êtes Partie dans l’afaire. La question proposée par une Hollandoise de notre Cercle, si les Femmes ne contribuent pas à faire tomber leurs Maris dans ce Vice, fut bien plus dificile à décider. Quand chacune eut dit son avis, on lui demanda le sien ; &, à notre grand étonnement, elle soûtint qu’il n’y avoit pas de femme dont le Mari fût jaloux, qui ne dût s’en acuser elle même. Que si comme autant de sages Lucréces, dit-elle, elles donnoient à leur Famille tous les soins qu’elles donnent avec tant de prodigalité à leurs Parures, à leurs Visites, à leurs Jeux, & à leurs Sociétez ; elles vivroient d’un côté bien plus contentes, à l’abri qu’elles seroient des inquiétudes qui naissent d’ordinaire de l’embarras où l’on est de trouver comment subvenir à tous ces vains amusemens, & de l’autre elles ne se trouveroient jamais dans l’ocasion d’exciter la jalousie d’un Mari délicat, qui, quand il est honnête Homme, ne prend une Femme que pour être certain d’avoir un Cœur dont il est véritablement aimé, & qui, par cela [59] même, est digne d’un retour sans réserve. Mesdemoiselles, ajoûta-t-elle, conluez vous-mêmes, à qui est la faute, si ce que je dis est vrai. Elle ajoûta par surcroît quelque Citation du Poëte Catz, & nous obligea toutes à donner dans son sentiment. Quelques Messieurs qui entrérent, nous empêchérent de chercher le moïen de prévenir ce mal ; ◀Allgemeine Erzählung & d’y remédier dans l’impatience où je suis de le savoir, je m’adresse à vous, & j’espére que vous ne refuserez pas de répondre à l’empressement d’une Personne qui est votre admiratrice. »

M. Liberté. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Metatextualität► Les décisions de ce Cercle féminin me paroissent trop sensées pour ne pas opiner avec celles qui les ont prises. J’ajoûterai seulement, qu’il me semble que la raison pour laquelle les Hommes sont plus sujèts à la jalousie, c’est qu’ils ont des Femmes une idée tout à fait desavantageuse, qui vient d’une certaine coûtume comme universellement reçûë de mal parler du Séxe en toutes ocasions. En éfèt, on donne aux Femmes un certain foible, & sur l’idée de ce Foible, qu’on s’imagine tel qu’on veut, on les croit toûjours persées de toutes parts des traits de Cupidon au moindre regard d’un Ami familier ; d’un autre côté, on a établi comme une [60] chose constante, que l’honneur du Mari dépend de la sagesse de sa Femme ; ce qui n’est pas réciproque de la Femme au Mari. Rien dont on soit plus jaloux que de l’honneur, joint à cela qu’on a trouvé à propos de régarder cette sorte d’honneur comme le plus délicat. Ainsi, il ne faut pas être surpris si un Mari aïant plus de raison qu’une Femme de devenir jaloux, soit plus sujèt qu’elle à ce vice : je ne prétens pas soûtenir, en disant ceci, qu’il ait raison d’être jaloux, puis que tous ces motifs de jalousie ne sont fondez que sur des idées les plus fausses & les plus arbitraires.

Pour répondre à la demande de Mademoiselle Liberte’, je me contente de la renvoïer au petit Discours de la judicieuse Hollandoise de son Cercle, qui, à mon avis contient le meilleur moïen de prévenir la jalousie, & de la faire cesser lors qu’on est assez malhûreuse, ou pour y avoir donné ocasion, ou pour en être le sujèt, souvent innocemment. ◀Metatextualität Metatextualität► Voici une Lettre d’un tout autre genre. ◀Metatextualität

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Monsieur,

« La liberté que vous donnez de vous [61] écrire me donne lieu de vous avouër franchement, que j’ai apris votre Projèt avec beaucoup de joïe, votre sixiéme Discours, que je viens de lire, l’a augmentée lors que j’ai vû que vous étiez bien éloigné de ce qu’on vous atribuoit de n’écrire que pour Pasquiniser, permettez-moi ce mot, & j’ose espérer avec vous du succès de votre Censure, puis que vous marchez sur les traces de Théophraste, de son Traducteur, de l’Abbé de Bellegarde, & de tant de sages Anonimes, qui, comme vous, ont tourné le vice en ridicule, en le personifiant dans de vifs caractéres. Mais le dessein de ma Lettre n’est pas de vous encenser ; j’ai un sujet à vous proposer qui ne me paroît pas indigne de votre atention, puis que travaillant au bonheur de la Société, en contribuant à celui d’un de ses Membres, vous aurez avancé d’autant. Allgemeine Erzählung► Plusieurs circonstances me mettent dans la nécessité d’entrer dans ce qu’on apelle la grande Confrairie : 1. un Oncle infirme qui a de gros biens qu’il me destine, & qu’il ne veut m’assurer que lors qu’il me véra fixé. 2. Une Belle-Mére que mon vieux Pére vient de faire la folie de prendre, pour faire donner la Famille au D. . . , & avec laquelle il m’est impossible de vivre. & 3. Deux Maîtresses qui me persécutent, chacune de son côté, à en venir à une conclusion. C’est ici le nœud. Hoc opus, hic labor est. Il faut vous les caractériser. Celle qui a le Droit d’ancienneté est environ âgée de trente-cinq ans, (j’en ai vingt- [62] deux) ou pourroit dire que c’est à son sujet qu’ont été fait cès Vers.

Ebene 4► Lyse à de beaux Partis pouvoit prétendre.

Mais à force d’atendre,
Les plus beaux & les meilleurs
Se pourvûrent ailleurs.
S’ils n’étoient Marquis, ils étoient Barons,
Et portoient encore des noms,
Lyse en est offensée,
Dit qu’elle n’est point pressée :
Mais le tems n’ofrit rien à ses atraits,
Que Maris au rabais,
Et la Pauvrette fut délaissée.
◀Ebene 4

Elle n’en fait point de façon, tous les jours elle ne m’entretient que de Comtes, Marquis, Barons, qui ont été dans ses fers, & dont elle conserve les Portraits comme autant de trophées de ses atraits, & au nombre desquels elle a fait au mien la grace de l’y placer. En un mot, au milieu de ses empressemens, faisant parade de la Vertu la plus sévére, & d’un ridicule point d’Honneur, elle me témoigne assez, que si je lui fais le plaisir de l’épouser, elle gagne beaucoup sur son esprit en descendant jusqu’à moi. L’autre aproche plus de mon âge, dont elle a tout le feu. C’étoit une véritable Agnès, lors que je la vis la premiére fois. Son Cœur, qui étoit encore tout neuf, sentit à peine le plaisir d’être aimé, qu’elle changea du blanc au noir : & le plaisir, que je m’imagine qu’elle trouvoit à ma compagnie, lui faisoit rechercher toutes les occasions de nous trouver ensemble ; c’est ce qui l’a mise en goût des Sociétez, où depuis ce tems-là elle assiste très régu-[63]liérement, & dont elle a malheureusement pris toutes les maniéres : Le Jeu sur tout est une fureur qui la posséde à un point qu’on auroit peine à concevoir :

Ebene 4► . . . . . Si ce Démon du Jeu

Nourit dans son Esprit sa ruïneuse rage,
Tous les jours mis par elle à deux doigts de naufrage,
Je vérois tous mes biens au sort abandonnez,
Devenir le butin d’un Pique & d’un Sonnez. ◀Ebene 4

L’envie de plaire qui n’a pas moins d’empire sur son ame, lui fait passer aisément une entiére matinée à sa Toilette, sous la main d’une Coëfeuse.

Ebene 4► Qui d’une main savante avec tant d’artifice,

Bâtit de ses Cheveux le galant Edifice. ◀Ebene 4

Les Modes qui sont encore plus changeantes que les Femmes mêmes qui leur sont si assujetties, font encore une de ses ocupations la plus sérieuse. Ainsi toute sa vie est partagée entre les Cartes, la Toilette, un 1 Mousquetaire, un 2 Desespoir, une 3 Belle-Malade, un 4 Pélican, 5 une Colinete. Sauve quelque quart-d’heure qu’on daigne bien me consacrer. Joignez à tout cela une fantaisie où elle est, qu’avant de l’épouser je me fasse recevoir Docteur en Droit. Rien ne peut la guérir de la passion d’avoir un Mari à long Rabat, & grande Péruque. Envain je lui raconte ce qui est arivé à mon Ami Van Prachtig, qui, obligé par sa Maîtresse à aspi-[64]rer au même Degré, & intérogé par un grave Professeur quid est matrimonium ? ne lui répondit autre chose sinon, est desiderium meum. Comme s’il n’avoit jamais vû ses définitions, que je ne sais pas mieux que lui. Cependant, il faudra passer Docteur, car elle le veut. Quoi qu’il en puisse ariver. Je ne vous parle pas du bien ; il est assez égal chez l’une & chez l’autre, ainsi il n’y a rien de ce côté qui me fasse pancher plus vers l’une que vers l’autres. ◀Allgemeine Erzählung Aidez-moi à me déterminer, soit par quelques avis, soit en faisant connoître mon embaras à celles qui le causent, & à qui je n’ose le déclarer, afin qu’elles changent de maniéres pour m’engager plus éficacement à me déterminer promtement. Je vous avouërai même franchement, que je pancherois assez vers la derniére, si seulement elle vouloit faire tréve avec l’Ombre, le Lansquenet, la Bassette ; quite pour augmenter tous les ans sa Garderobe & sa Toilette, de tout ce que Paris & Londres nous envoïeront de nouveau. »

J. Perplexe. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Metatextualität► Je n’ai rien à ajouter à cette Lettre qui vaut mieux que tout ce que mon génie Censeur auroit pû me fournir pour faire voir tout le ridicule de la conduite des jeunes Personnes du Séxe, & je l’insére ici autant pour le leur faire sentir, que pour servir son Auteur, en faisant connoître son embaras à ses deux Maîtresses. ◀Metatextualität ◀Ebene 2

A la Haye,

Chez Henri Scheurleer.

Et à Amsterdam chez Jean Wolters1714. ◀Ebene 1

1Ruban sur les Cheveux.

2Ruban qu’on lie entre deux Cornettes sur le Sein.

3Cornettes négligées.

4Coëfure à la Françoïse aporté en ce Païs par une Demoiselle de la suite du Duc d’Ossune.

5Cornettes de nuit à deux plis.