Qu’on ne peut point rendre raison du Goût, c’est une
Maxime que nous entendons fort souvent répéter ; & ce qui
fait qu’on en dispute rarement, c’est que nous voyons tant de
Fantaisies extraordinaires qui se succèdent, & sont
soûtenues avec Véhémence par leurs Partisans respectifs. Mais
cette Considération ne paroîtra d’aucun Poids auprès d’une
Personne, qui prendra la Peine de distinguer entre ce Goût, qui
dépend des Sens, & celui qui est uniquement l’Effet du
Jugement. Dans notre Nouriture, dans notre Habillement, nos Equipages, notre Manière de bâtir & de meubler
nos Maisons, il y a, sans doute, un vrai & un faux Goût,
& il n’arrive pas toûjours que ce qui coûte le plus, ou qui
a le plus d’Eclat, mérite les plus grands Eloges. Mais ces
Objets sont peu importans, en comparaison d’autres qui dépendent
également de notre Choix. Car quoique des meilleurs Juges
puissent trouver que nous manquons d’Elégance à cet égard, nous
n’en serons pas moins vertueux, ni moins dignes Membres de la
Société, malgré toutes nos Méprises. Mais il n’en est pas ainsi
de cette sorte de Goût, qui vient de la Pensée & de la
Réflexion ; c’est une Règle suivant laquelle nous jugeons les
autres & nous sommes jugés nous-mêmes, nous méritons
l’Estime, ou la Censure du Monde. On ne peut rien ajoûter à un
Goût Délicat, il renferme tout ce qui est grand & estimable,
& un mauvais Goût a pour Objet tout ce qui est bas &
digne de Mépris. Plusieurs se flattent de posséder cet aimable
Talent au plus haut dégré & généralement parlant, ce sont
ceux qui en sont le plus dépourvûs. Ils s’imaginent qu’ils étalent merveilleusement leur Goût, lorsqu’ils ne font
que suivre les Impressions de quelque Penchant irrégulier, ou de
quelque Caprice. Il est présque impossible de guérir ceux qui
ont persisté long-tems à se tromper eux-mêmes, parce qu’ils ont
de la Répugnance à se laisser convaincre qu’ils ayent jamais été
dans le tort. C’est pourquoi, combien ne convient-il pas que
ceux, à qui on confie le Gouvernement de la Jeunesse, employent
leurs plus grands Soins à former l’Esprit encore docile &
traitable, à l’égard de ce Point important ! En effet rien ne
mérite le Nom de vrai Goût, que ce qui est réglé par la Raison,
& qui nous incline à ce qui nous rendra meilleurs, &
plus sages. Car ces deux qualités sont inséparables ; être bon,
c’est être sage, dans le sens le plus exact de ce mot, & si
nous sommes sages, nous ne pouvons manquer d’être bons. C’eux-là
<sic> raisonnent extrêmement mal, qui prétendent qu’il y a
des Humeurs si bourrues, si rudes & si perverses, même dès
l’Enfance, que tous les Efforts pour les rendre obligeantes,
douces, & pliantes, sont entiérement inutiles. J’ai toûjours pensé, que même la Personne du Monde la plus
désagréable, ne l’étoit pas naturellement, & je trouve
chaque Jour des Raisons pour me confirmer dans ce Sentiment. Ce
sont uniquement de mauvaises Habitudes contractées dans notre
Jeunesse, & qui n’ayant pas été suffisamment réprimées par
ceux qui en avoient le Pouvoir, se sont enracinées dans notre
Ame, & font comme une Partie de nous-mêmes. Mais si nous
connoissons de bonne heure le Monde & nous-mêmes, ces
mauvaises Habitudes ne s’introduiront pas facilement dans notre
Cœur ; & à mésure que cette Connoissance meurira, nous
acquererons ce Discernement auquel nous donnons le Nom de vrai
Goût ; si nous ne possédons pas cette Connoissance du moins dans
un dégré passable, nous n’atteindrons jamais la moindre
Perfection à l’égard du Goût. Notre Entendement, sera toûjours
flottant, ou peut-être s’égarera-t-il ; nous serons exposés à
nous laisser éblouïr par l’éclat de nos propres Talens, au point
de ne faire aucune Attention au Mérite des autres ; ou une trop
grande Confiance dans les premières Impressions que nous
pourrons recevoir, nous rendra partiaux &
injustes, nous portera à condamner ce qui est bien, & à
applaudir à ce qui mérite d’être censuré. De ce faux Goût
viennent ces petites Affectations dans notre Conduite ; ces
Délicatesses excessives, qui font que nous nous offensons de
tout ; de-là vient encore que nous sommes toûjours extrêmes dans
notre Goût, ou notre Dégoût, pour tout ce qu’on nous présente ;
& que nous embrassons tant de Fatuités, pendant que nous
négligeons totalement, en quelque manière tout ce qui pourroit
contribuer à notre propre Bonheur, comme à celui des autres. On
doit, sans doute, beaucoup de Compassion à ceux dont les Parens,
soit par une trop grande Indulgence, soit manque de Capacité,
ont toléré les Egaremens, quoiqu’ils dussent les corriger. On ne
peut attendre que d’eux-mêmes le Changement, & il y a peu
d’Apparence qu’une Personne, à qui on a appris que tout ce
qu’elle fait, est bien, veuille prendre la Peine d’examiner, si
elle mérite les Applaudissemens qu’on lui prodigue. Une longue
Habitude à l’égard d’une Passion favorite de nos Mœurs, ou de
nos Usages, ne peut-être déracinée que par les
plus grands Efforts de Raison. Les Reproches que nous recevons
du déhors ne servent qu’à nous inquiéter & quelques fois à
nous endurcir. Combien de fois n’ai-je pas entendu des Personnes
s’écrier, lorsqu’on les avertissoit avec la plus grande
Condialité <sic> de quelque Faute grossière. Pour l’Amour
de Dieu, ne me prêchez point ! c’est mon Naturel, & je ne
puis qu’y faire. Et voilà la Raison pourquoi ceux qui ont le
Droit de reprimer nos Inclinations, ne font souvent aucune
Tentative à cet égard. Ils vous diront, qu’ils ne peuvent
approuver telles, ou telles choses, dans la Personne qui est
sous leurs Soins ; qu’ils sont fâchés de les voir intraitables.
Mais qu’il n’est pas plus possible de changer les Tempéramens
que la Taille, ou les Traits du Visage ; & cette Excuse
d’une Indolence, qui est à peine ne pardonnable, donne une
espèce de Sanction à la moitié des Fautes qui se commettent
chaque Jour. Mais je prendrai la Liberté de leur répondre, que
s’il n’est pas possible de reformer ce qui est réellement
défiguré par la Nature, ou par une longue Habitude, ce qui est effectivement la même chose, & d’en
faire une Beauté ; cependant si on prenoit autant de soin a
former l’Esprit que le Corps, on pourroit le faire atteindre de
plus prés à ce qui est aimable. Les Dames, qui s’inquiètent le
moins au sujet de leurs Charmes personnels, peuvent trouver les
Moyens d’embellir leur Teint, d’enlever les Boutons, les
Rousseurs, & les Tâches dont leur Peau est couverte ; leur
Miroir leur apprend à donner de la Douceur à leurs Regards,
& des Graces à leur Sourire. L’Art du Tailleur corrige les
Défauts de leur Taille, & le Maître à danser reforme tous
leurs Mouvemens. Pourquoi donc la Raison, & la Réflexion ne
nous mettront-elles pas en état d’effacer les Tâches de notre
Ame ! Assurément elles le feront, & il ne faut qu’une ferme
Résolution de les appeller à son aîde. C’est parce que nous ne
les prénons pas uniquement pour nos Guides, que nous n’acquerons
pas ce Caractère qui est l’objet de notre Ambition, quoique nous
prenions un fort mauvais Chemin pour y parvenir.
Livello 3
Il y a trois choses, qui
distinguent principalement notre bon & notre mauvais Goût ; ce sont premièrement le Jugement
que nous portons sur tout ce qui se présente à nous ; 2. la
manière dont nous distribuons & conférons nos Faveurs,
& enfin le Choix que nous faisons de nos Amusemens, de
nos Plaisirs & de nos Occupations. Au premier égard ;
une Personne qui a un vrai Goût, ne s’en rapportera jamais
au Jugement des autres. Elle examinera elle-même, jugera
comme il lui paroîtra, & sera ferme dans sa première
décision, pendant que celle dont le Goût est faux, & qui
n’est gouvernée que par le Préjugé, exaltera tout ce qui est
de Mode, condamnera tout ce que la Mode condamne, &
changera de Sentiment aussi souvent que la Mode variera. La
première est timide & lente à censurer ce qu’elle ne
peut pas approuver. La seconde est décisive, impérieuse
& se plaît à condamner. L’une ne sort jamais de sa
Sphére, & ne se mêle point de choses qui ne la
concernent pas. L’autre est hautaine, dédaigneuse, entêtée
de ses Sentimens & aime à dominer. L’une affectera
plûtôt d’avoir moins de Connoissances qu’elle n’en possède
réellement, l’autre veut passer pour être
infiniment plus savante. La seconde Distinction entre le
vrai & le faux Goût, ne se présente pas généralement
aussi aisément que la première ; la Réconnoissance &
l’Intérêt rempliront d’Eloges sur notre discernement, ceux
qui profitent de notre bonne Volonté ; & ceux qui ne
sont pas admis à notre Confidence, qui ne participent pas à
nos bontés & aux marques de notre Faveur, invectiveront
peut-être avec autant d’Injustice contre notre Partialité.
Il n’y a que ceux qui sont désintéressés qui puissent juger
sainement de nous à cet égard, & pour le faire avec
quelque Certitude, il faut qu’ils examinent le Caractère de
la Personne obligée, aussi bien que celui de la Personne qui
oblige. Un bon Goût, un Discernement exquis, est prompt à
discerner le Mérite par tout où il se cache ; est
industrieux à le faire briller, & à rendre heureux celui
qui le possède ; le goût Grossier ne cherche que sa propre
Satisfaction ; le Flatteur, le Rapporteur, celui qui ne sert
que pour un tems, sans Naissance, sans Talens, sans
Intégrité ou aucune qualité estimable, sera souvent caressé,
protégé, & même avancé à une Elévation
ridicule par un Protecteur qui aime ce Tour d’Esprit. Dieu
sçait combien d’Exemples nous en voyons chaque Jours. O !
comment des Personnes de Condition, qui ont en leur pouvoir
d’encourager l’Esprit de la Vertu, & de décourager le
Vice & la Folie, peuvent-elles prétendre à quelque dégré
de bon Goût, pendant qu’elles laissent languir les uns dans
l’Obscurité, & peut-être dans toutes les Misères, qui
vont à la suite de l’Indigence & du Mépris, &
qu’elles font en même tems aux autres l’Accueil le plus
obligeant, & les comblent de Faveurs ! Combien de
Misérables ne voyons-nous pas à la Table, ou dans les
Carosses des gens de Qualité, pendant que leur Naissance,
leur Education, ou leur Conduite, sembloient devoir les
confiner à l’Ecurie, ou aux Offices ! Je sçais l’Excuse
qu’on allègue généralement, savoir, qu’on ne fait Accueil à
des Gens de ce Caractère, que pour amuser le reste de la
Compagnie. Si vous demandez à un Seigneur, ou à une Dame de
Qualité, comment ils peuvent souffrir un Homme si indigne de
leur présence. Pourquoi ! vous repondront-
ils, pour nous faire rire ; & ce Prétexte leur suffit,
parce que dans les anciens Tems, non seulement les Rois,
mais encore les grands Seigneurs, avoient leurs Fous, ou
leurs Bouffons, à qui on permettoit de dire, ou de faire,
présque tout ce qui leur plaisoit. Mais dans ce cas, ceux
qui aiment aujourd’hui qu’on les fasse rire, oublient que
ces Bouffons étoient toûjours des Gens d’Esprit, qui se
servoient du Privilège qu’on leur accordoit, pour corriger
aussi bien que pour divertir leurs Patrons, chose qui ne
seroit point goûtée à présent. L’Histoire est remplie de
plusieurs Avis remarquables que ces Bouffons ont donné, en
plaisantant, & qui ont fait souvent plus d’Effet, que
les Conseils qui venoient des Personnes les plus graves.
Esempio
Notre inimitable
Shakespear, qui connoissoit parfaitement le Génie de son
Siècle, & de ceux qui l’avoient précédé, introduit
dans la plus part de ses Pièces un Rustre, ou un
Bouffon, qui, sous une apparence de Simplicité, dit des
choses plus Spirituelles & plus hardies qu’aucun
autre Personnage de la Piéce.
Mais j’en appelle
aux Observations les plus communes, si
c’est-là le Motif, qui engage nos illustres Aspirans au bon
Goût, à faire ce Choix de leurs Amis, ou de leurs
Compagnons. Et ce n’est pas seulement dans les grandes
choses que le véritable bon Goût se fait voir. Les plus
chetifs Actes de Charité en sont autant de Preuves ; une
Personne peut être libérale, même jusque à la Profusion,
mais si elle distribue ses Faveurs sans discernement, on ne
peut pas dire qu’elle possède réellement cette Vertu. La
Raison & le Jugement devroient diriger la Compassion,
non seulement pour donner à celui qui le mérite le mieux,
mais encore pour donner de façon, qu’on rende un Service
réel au malheureux ; l’Enfance abandonnée, la Vieillesse
décrépite, le Malade & le Prisonnier, ont un Droit
indisputable à notre Compassion & à notre Charité.
Ceux-ci seront le premier Objet des soins d’une Personne qui
a un vrai Goût, & quelque soit son Rang, elle ne sera
jamais au-dessus de donner quelque Attention aux Calamités
des malheureux qui implorent son Assistance, afin de pouvoir
proportionner ses Bienfaits à leur Situation. Repandre son
Argent parmi une Foule de Mendians, qui
assiégent notre Porte, sans considérer ceux qui le
reçoivent, c’est, suivant moi, affecter un Air
d’Ostentation, & quoiqu’on puisse dire que Dieu fait
lever son Soleil, & envoye des Rosées refraichissantes
pour tous les Hommes, cependant comme les Riches d’ici bas
n’ont pas le même Fond inépuisable, la véritable Charité
& le vrai Goût nous obligent à être plus attentifs. La
Manière de conférer nos Faveurs, qu’elles soyent légères ou
considérables, est aussi un Indice clair de notre bon ou de
notre mauvais Goût ; & même je puis le dire, une de ses
principales Marques, du moins si nous reconnoissons (ce qui
est effectivement vrai) qu’un bon Naturel & une bonne
Education sont nécessaires pour un bon Goût. On peut rendre
un Service essentiel à un Ami, & le faire de façon qu’il
souffre de se voir reduit à la Nécessité de recevoir cette
Obligation ; pendant qu’un autre donnera un Prix très
considérable à la plus légère Faveur. Il y a une Douceur
particulière dans le vrai Goût, qui, sans lui faire perdre
rien de sa Dignité, augmente la valeur de tout ce que nous
faisons, double le Prix de chaque Faveur,
& ôte toute l’Amertume de nos Refus.
Metatestualità
Je sçais fort bien que plusieurs de mes
Lecteurs trouveront que je vais trop loin, & que,
suivant ma définition du bon Goût, il est moralement
impossible qu’il se rencontre nulle part.
Mais
cette difficulté sera aisément réfutée par la troisième
Proposition que j’ai avancée, & on peut montrer que le
Choix de nos Amusemens, de nos Récréations & de nos
Occupations, n’est pas seulement une Preuve du bon Goût,
mais nous mettra aussi en état de l’acquérir, si nous ne
l’avons pas naturellement.
Esempio
Quand nous voyons une Personne prodiguer son Tems pour
des Bagatelles, & être uniquement passionnée pour
des Amusemens qui ne peuvent point servir à
perfectionner son Esprit, nous pouvons en conclure
hardiment, que cette Personne manque de Goût pour des
Objets qui ont plus d’Elégance, & qu’elle n’en aura
jamais ; parce qu’en s’abandonnant à ces Idées basses
& grossières, elle ôte à la Faculté de penser le
Pouvoir de se produire, & que sa Raison perd
insensiblement sa Force naturelle. L’Esprit deviendra,
aussi bien que le Corps, foible, infirme,
manque d’Exercice, & ne sera plus que le Sépulchre
de ses propres Perfections.
Mais quoique
l’Indolence soit très contraire à cette partie de nous-mêmes
qui est Spirituelle, l’Activité dans des choses qui ne
conviennent pas, l’est encore davantage ; soûtenir avec
véhémence des Préjugés, soit que nous les ayons sucés avec
le Lait dans notre Enfance, ou que nous les ayons adoptés
dans un Age plus mur, ou au-contraire n’avoir point
d’Opinion fixe, mais flotter continuellement, &
embrasser ordinairement le dernier Avis que nous entendons ;
être transporté de chaque nouveau Caprice, & se
précipiter incessamment d’une Folie à une autre, c’est ce
qui confond bientôt l’Entendement le plus Droit & qui
produit une sorte de Chaos dans l’Esprit. Mais ceux qui
peuvent une fois se resoudre à s’occuper, comme il convient
à une Personne de bon Goût, viendront à bout de l’acquérir
insensiblement, quoiqu’ils sentent dans les Commencemens de
la Répugnance pour cette Occupation. C’est déjà faire un
grand Pas du côté du bon Goût, que d’être
sensibles à nos Défauts à ce sujet. Cette Considération nous
empêchera du moins de faire des choses, qui découvriroient
chez nous un Goût éminemment mauvais. C’est pourquoi chacun
doit examiner son propre Cœur. De cette Manière on apprendra
à cacher, si non à rectifier, ces Penchans que la Raison
condamne. Mais je repète encore comme un <sic>
Opinion, de laquelle je suis fermément persuadée, que celui
qui a assez de force pour résister quelque Tems à une
Inclination vicieuse, viendra enfin à bout de subjuguer
cette Inclination & deviendra vertueux, autant par Choix
que par Principe. Mais, comme il est si difficile de se
délivrer des mauvaises Habitudes, & qu’il doit coûter à
la Personne, qui veut s’en délivrer par la Réflexion, bien
des Peines, avant qu’elle ait pû accomplir cet Ouvrage ;
c’est la plus grande Cruauté dans les Parens & les
Gouverneurs, de ne pas nous accoûtumer de bonne heure, à
aimer & à respecter les choses, qu’il nous conviendra
ensuite de pratiquer. La Curiosité est la première Passion
de l’Ame humaine & la plus naturelle ;
nous ne commençons pas plûtôt à penser, que nous montrons
une forte Envie d’apprendre ; cette Curiosité bien mênagée,
ou dirigée, contribuera en bonne partie aux éloges que nous
pourrons mériter dans la suite. C’est pourquoi, si on donne
une mauvaise Tournure à cette Disposition, si on nous permet
de l’exercer uniquement sur ces Objets, qu’il nous auroit
été plus avantageux d’ignorer, il n’est pas surprenant que
nous consacrions toute notre Vie à la Vanité & à des
Bagatelles. Si nous sommes de bonne heure des Connoisseuses
en fait de Mode, si nous pouvons faire des Remarques
critiques sur la Parure de ceux que nous voyons au Bal, à la
Cour, à l’Opéra, ou ailleurs, si nous prenons tant de
Plaisir à entendre & à rapporter les petits Accidens,
qui arrivent dans les Maisons, où nous sommes liées ;
combien plus de Plaisir trouverons-nous à examiner la Parure
belle & variée que la Nature donne à ces Plantes & à
ces Fleurs, qui ornent nos Jardins, & à nous instruire
de ces grands Evènemens, que l’Histoire nous présente, &
des Aventures encore plus surprénantes, des
Dangers, & des Fatigues, que nous trouvons dans les
Rélations des Voyageurs. C’est un Amusement, dont nous
pouvons jouïr dans notre bas Age ; & dûssions-nous les
parcourir avec la plus grande Précipitation, suivant la
Coûtume des Enfans, cette Lecture ne laisseroit pas de
préparer l’Ame pour des Réflexions plus solides ; elle ne
manqueroit pas d’étendre nos Idées, de perfectionner notre
Jugement, & par dessus tout de nous inspirer de l’Amour
& du Respect pour le grand Auteur, le Directeur & le
Dispensateur de toute choses. En commençant à passer notre
Tems de cette manière, nous fermerons l’Entrée de notre Cœur
à toutes ces Passions déreglées & désordonnées, que nous
avons ensuite tant de Peine à reprimer, & qui auroient
les plus fâcheuses Conséquences, si nous les favorisions.
Nous connoîtrons le Monde, avant que nous ayons rien à y
faire, & nous sçaurons régler notre Conduite de manière
à n’offenser jamais les autres, & à ne recevoir
nous-mêmes aucune Offense. Nous pourrons estimer chaque
chose, suivant sa Valeur réelle, & nous serons exempts de tout Préjugé & de tout
Attachement partial.
Enfin nous posséderons tous ces
Talens utiles & agréables, dont l’Assemblage compose ce que
nous pouvons appeller justement, le vrai & bon Goût ; car
quoique plusieurs Personnes soient assés malheureuses pour
dégénérer de l’Education réligieuse, qu’elles ont reçues, &
pour pratiquer le Revers de tout ce qu’on leur à enseigné ;
cependant je penche à croire que c’est parce qu’on leur a
inculqué les Préceptes de la Piété & de la Vertu d’une
Manière rude & peu délicate. Chacun n’a pas l’Art de rendre
l’Instruction agréable. D’ailleurs comme la Jeunesse est
naturellement obstinée, & ne se soumet qu’avec Peine à la
Contrainte, elle retient rarement ce qu’on lui a inspiré ; c’est
pourquoi les préceptes qui font la plus profonde impression, ne
sont pas ceux qui nous sont présentés comme tels, mais qu’on
nous déguise sous un extérieur d’Amusement & de Récréation.
Alors seulement nous les aimons & nous poursuivons avec
Empressement ce qui, sans cette Précaution, auroit été l’Objet
de notre Haine & que nous aurions évité,
autant qu’il nous auroit été possible. Je suis très persuadée
que nous pourrions acquérir les Sciences les plus utiles par des
Moyens, qui nous en rendroient l’Etude autant agréable que leur
Acquisition nous feroit ensuite d’Honneur.
Metatestualità
Mais je renvoyerai ce que j’aurois à dire de plus
sur ce sujet, afin de communiquer à mes Lecteurs cette
Lettre ingénieuse que je leur avois promise dans mon dernier
Discours, & que notre petite Société se plaît
particuliérement à publier, parce qu’elle est exactement
conforme à nos propres Sentimens, & avec ce que nous
voudrions dire nous-mêmes, si nous traitions le même sujet.
Livello 3
Lettera/Lettera al direttore
A la Spectatrice.
Madame,
« Comme les Discours dont le Public vous a Obligation
chaque Mois, sont particuliérement déstinés à réformer
les Sentimens & les Mœurs d’un Siécle,
qui à le plus grand besoin d’un Mentor si agréable ; je
me flatte que vous me pardonnerez, si je vous offre une
légère Ouverture qui peut rendre vos Desseins encore
plus efficaces pour l’Accomplissement d’une Entreprise
si louable. Votre Prédécesseur, le Spectateur, qui ne
sera jamais trop admiré, accommodoit souvent ses
Méditations aux différentes Saisons de l’Année, &
avec Raison, à mon Avis, parce que nous sommes beaucoup
plus touchés de ce qu’on dit sur des choses qui nous
sont présentes dans ce moment, que si elles étoient
passées, ou seulement à venir.
Livello 4
Londres, Madame, devient à présent un
Désert parfait. La Comédie, l’Opéra, la Mascarade,
les Dés & les Bals, n’attirent plus le beau
Monde. Une Scène tracée par la main du Ciel,
commence à se développer dans ce Mois charmant,
& chacun se hâte de participer aux Agrémens
d’une Vie champêtre. Dès qu’on a abandonné ces
Plaisirs tumultueux, qui sembloient derniérement
s’être emparés de tout notre Tems,
& ces Occupations dont les Grands même ne sont
pas exempts, combien d’avantages l’Esprit ne
trouveroit-il pas parmi cette Variété d’Amusemens
que la Campagne nous présente, si nous contemplions
la Nature, comme nous devons ! Mais si nous ne les
considérons qu’en courant, & si nous jouissons,
sans Attention, du somptueux Régal qui est préparé
pour nos Sens, nous nous privons nous-mêmes de la
plus grande & de la plus noble Satisfaction,
& nous nous opposons à l’Intention du grand
Auteur de tous les Biens. Il ne nous suffit pas de
considérer ces Champs, ces Près, ces Paturages, qui
nous présentoient, il y a quelques Mois, le
Spectacle le plus lugubre, chargés à présent de
Fruits & de tout ce qui peut servir d’Aliment
aux Hommes & aux Bêtes ; ces Jardins, privés de
tout Ornement, excepté quelques Ifs, ou quelques
Cyprès restés seuls ici & là, maintenant revêtus
de Couleurs, que l’Art ne peut point imiter, &
qui surpassent même l’Arc-en-Ciel. Ce n’est pas
assés que nous sentions le Parfum, que dix mille différentes Fleurs repandent dans
l’Air, qui nous environne ; ni que nous trouvions à
satisfaire notre Goût avec l’excellente Fraise,
l’aima- <sic> Cérise, la Salade
rafraichissante, & toutes les Productions
Printannières de l’utile Potager ; ni que nos
Oreilles soient ravies par les Tons, qui partent de
chaque Bosquet, plus mélodieux que ceux de Handel,
ou de Bononcini, quoiqu’ils fussent chantés par un
Farinelli, ou un Curzoni (*
1). Ce n’est pas même assés que
nous soyons reconnoissans de tous les Biens qui nous
environnent de tous côtés. Il nous manque encore
quelque chose pour rendre notre Félicité complète,
quelque chose qui dépend entiérement de nous-mêmes,
quoique ce soit un Don du Ciel, parce que nous
sommes libres d’en jouir, ou de nous refuser cette
Satisfaction. Vous concevrez aisément, Madame, que
je veux parler de l’Etude de la Philosophie
naturelle, mais quoiqu’on puisse donner le Nom
d’Etude à toute Contemplation sur quel
sujet que ce soit, comme c’est principalement à
l’Avantage du beau Sexe, que sont destinées vos
Méditations, on ne doit pas s’imaginer que je
veuille recommander aux Dames cette partie profonde
& abstraite de la Physique, qui leur ôteroit
beaucoup de leur Enjouement. Au-contraire je leur
conseille de ne pas se remplir la Tête avec les
Sytèmes d’un Aldovrandus, d’un Malebranche, ou d’un
Newton. Les Idées de ces grands Hommes ne sont pas à
la portée de tous les Esprits, Elles demandent un
profond Savoir, un Jugement ferme, & un Tems
considérable pour les ranger, & les digérer de
façon à les rendre utiles, ou agréables. Je ne veux
point nier, qu’il n’y ait des Dames douées de tous
les Talens nécessaires pour faire Progrès dans les
Sciences les plus abstraites ; mais mon propre Sexe
ne me pardonneroit jamais, si j’incitois un Sèxe qui
repand tant d’Agrémens dans le <sic> Société à
quoique ce soit qui puisse nous priver pour quelque
Tems de sa Compagnie. Non, non, je ne
suis pas tellement ennemi de moi-même. Ce que
j’entends par l’Etude de la Philosophie naturelle,
est uniquement ce que la Nature elle-même enseigne,
& qu’une Curiosité légitime nous doit faire
désirer de savoir. Il me semble que lorsque leurs
Yeux sont frappés de la Beauté peu commune de
quelque Plante, elles ne devroient pas se contenter
d’en admirer la Surface, mais qu’elles devroient
passer à d’utiles Réflexions sur l’étonnante
Fertilité, dont cette même Plante est douée, sur le
grand nombre de Plantes semblables, qui seront
produites de sa sémence dans une autre Saison. Même
la Plante la plus commune, qu’ils foulent sous les
pieds en se promenant, à quelque Vertu particulière
qu’il leur conviendroit de connoître. Si elles ne
contribuent toutes immédiatement à notre Nourriture,
où à nous guérir de ces Maladies, auxquelles notre
espèce est sujette, elles servent au moins d’Aliment
à plusieurs Animaux, & même à des Insectes, qui
nous sont très utiles. Nous ne pouvons
faire un Pas, ou jetter nos Regards autour de nous,
sans voir mille & mille Créatures vivantes,
toutes curieuses dans leur Espèce, toutes crées pour
notre Usage, & qui ne montrent pas moins la
Sagesse & la Bonté du tout-puissant que les plus
grands & les plus nobles de ses Ouvrages. Si
nous considérons même ces Vermisseaux, qui nous
paroissent les plus méprisables, nous les trouverons
dignes d’Admiration. En vovant <sic> comment
dans ces petites Créatures des Corps sont enchassés
dans d’autres Corps ; comment, lorsqu’une Enveloppe
se sèche & périt, l’heureux Insecte en a une
autre en Reserve, & comment, en se défaisant de
sa vieille Enveloppe, il paroit de nouveau avec
toute la Fraîcheur & la Vigueur de la Jeunesse ?
Que ne donneroit pas une certaine Dame, dont il a
été souvent Question dans vos Essais, &
plusieurs autres Beautés Surannées, pour éprouver la
même Métamorphose ? Quel Amusement plus agréable,
que d’observer comment ces Insectes volans, qui plaisent le plus à l’Oeuil, sortent en
peu de Jours d’autres Insectes, qui se traînoient
sur la Terre ? Nous admirons la Béauté du brillant
Papillon, mais nous ne réfléchissons pas comment il
naît de la rampante Chenille, ni comment cet
Insecte, après avoir changé diverses fois de peau,
se revêtit d’une Forme différente, prend des Aîles
décorées des plus belles couleurs, & s’élève au
sommet de ces grands Arbres, au-lieu qu’il ne
pouvoit parvenir auparavant sur leurs branches les
plus basses, sans beaucoup de Peine & sans y
employer un Tems considérable. Il y a quelque chose
d’extrêmement curieux & de bien digne de
remarque dans la Mort & dans la Résurrection de
ces Insectes, si vous en mettez dans une Boëte, que
vous avez percée de plusieurs petits Trous au sommet
pour y laisser entrer l’Air, & & <sic>
si vous leur fournissez les Feuilles nécessaires
pour leur subsistance, vous les verrez, après un
certain Tems, cesser de manger, & commencer à se
bâtir une sorte de sépulchres. Comme il y a
plusieurs sortes de Chenilles, elles
ont différentes Manières de former cette Enveloppe,
mais toutes en général la travaillent avec un
certain Glû, qu’elles extraient de leurs Entrailles,
& qui par leur Manière de le filer & de le
tourner autour de leur Corps acquiert de la
consistence, ce qui joint à la Tête, aux Pieds &
à la Peau velue de l’Insecte, forme une espèce de
Coquille, qui renferme l’Embryon du Papillon. Les
Savans donnent à cette Coquille le Nom de
Chrysalide ; elle reste dans cet état durant tout
l’Hyver, & au commencement de l’Eté, elle
s’ouvre à une extrémité, & montre le Papillon,
lequel après avoir volé d’un côté & d’un autre,
& joüi de la belle Saison, dépose ses Oeufs pour
la Production d’une nouvelle Génération de
Chenilles. C’est ce que n’ignorent pas les Dames,
qui entretiennent des Vers à soye, qui, quoique plus
utiles & plus beaux que les Chenilles, ne
laissent pas d’être de la même Nature. Elles vous
diront, que ces petites Créatures, qui tirent de
leurs entrailles une si belle Substance, après avoir
fini leur Ouvrage, se forment une petite Tombe, semblable à celles dont je viens de
parler, & en sortent ensuite sous la forme de
Papillons, afin de multiplier leur espèce. Mais ce
que les yeux seuls sont capables de découvrir, est
fort au-dessous de ce qui leur échappe. La Nature ne
nous a pas donné le Pouvoir de discerner les
merveilles de ce qu’il y a de plus petit dans la
Création. C’est pourquoi l’Art doit suppléer à ce
qui nous manque. Les Microscopes nous montrent tant
de Magnificence & de Délicatesse dans les
moindres Insectes, que toute la Splendeur d’un Jour
de Naissance n’en approche pas. Plusieurs ont la
Tête ornée d’une Couronne avec des Aîles nuancées,
des Couleurs les plus vives, & des Habits, où
brillent l’Or & la Pourpre. La Mouche commune,
quoique noire, n’est pas sans Beautés ; soit que
vous considériez la Structure de son Corps ; la
curieuse Transparence de ses Aîles, ou l’Ouvrage qui
les borde. Mais par dessus tout ses Yeux méritent
notre Attention ; ils ressemblent à deux demi-lunes
composées d’un nombre infini de petits Yeux, qui voyent en même tems de tous côtés,
fournissans par-là à cette Créature, si on peut
donner ce nom à un Insecte, un moyen de satisfaire
sa Curiosité & de se défendre de tout Danger qui
la menace. Les Verres qui nous procurent tant de
Satisfaction, sont aussi aisés à transporter qu’une
Tabatière, & je suis étonné que les Dames n’en
fassent pas plus d’Usage, lorsqu’elles font de
petites Courses dans les Champs, les Près & les
Jardins. Il n’y a, en vérité, aucune partie de ce
Globe terrestre, qui ne nous présente une diversité
infinie de Créatures vivantes, & quoique nous ne
les regardions pas, que nous ne puissions pas même
les discerner, quand nous les rencontrons, ou
peut-être que nous les foulions aux Pieds, elles
serviroient beaucoup à étendre notre Capacité, de
même qu’à nous amuser agréablement, si nous les
considérions à travers ces Instrumens, qui
grossissent les Objets. Chacun à ouï parler de la
Fourmi. Son Oeconomie, son Industrie & sa
merveilleuse Prévoyance ont occupé la
Plume de plusieurs savans Auteurs. C’est pourquoi je
suis surpris que tant de gens puissent fouler aux
pieds les petites Levées qu’elles forment avec un
Travail infatigable, sans avoir envie d’examiner
comment, & de qu’elle manière elles en viennent
à bout, & dans quel Dessein elles prennent tant
de Peine. Lorsque l’Homme veut élever ou renverser
un Edifice, creuser ou égaliser la Terre, enfin
travailler pour son Plaisir, sa Commodité ou sa
Défense, il a entre les mains des Outils & des
Instrumens propres pour le Dessein qu’il entreprend.
Mais la Fourmi est redevable à la Nature seule de
tout ce qu’elle exécute. Ces Animaux sont enfermés
dans une Enveloppe, qui ressemble parfaitement à une
côte de mailles, & qui les défend de toutes les
Insultes, que leurs tendres Corps recevroient d’une
trop grande quantité de Terre, qui viendroit à
s’ébouler. Elles ont des griffes qu’elles étendent,
de quel côté il leur plaît & de plus si aigues,
qu’elles s’attachent à tout. Elles ont deux Cornes
devant & autant derriére, qui leur servent, comme d’Oreilles à les avertir de tout
ce qui se passe. Elles ont des petites Trompes, qui
pénètrent dans la Terre la plus dure, & une
espéce de Scie à chaque Jambe, qui par un Travail
continuel leur sert à aggrandir leurs Cavités ;
& comme plusieurs milliers travaillent ensemble,
elles se bâtissent bientôt des demeures
soûterraines, où elles se retirent à l’apparence de
quelque Danger, & où elles déposent leurs
Provisions pour l’Hyver ; c’est aussi là qu’elles
placent leurs Oeufs, qu’elles élèvent leurs Petits,
& qu’elles prennent du Repos après leurs longues
Fatigues. Leur Sagacité, aussi bien que l’Ordre
qu’elles conservent entr’elles, ont été célébrés par
plusieurs anciens Poëtes. Chacun sçait ce que le
fameux Virgile & Horace ont dit à ce sujet
(*
2).
Mais si les Fourmis demandent avec tant de Justice
notre admiration, que penserons-nous des Abeilles ?
Ceux qui ont été assés curieux pour leur préparer
une Ruche de Verre, vous diront tant de Merveilles
de leur Oeconomie, de leur Ordre, & de leur
Police, qu’on pourroit les faire servir d’Exemples
aux Gouvernemens les mieux réglés. Et en vérité nous
ne pourrions pas faire mieux que de devenir leurs
Imitateurs, puisque ce que nous appellons Instinct
chez elles, n’est que la direction immédiate de la
divine Providence, qui les porte irrésistiblement à
faire tout ce qui est nécessaire pour le Bien de la
Communauté, aussi bien que pour celui de chaque
Individu. Elle les a munies d’Armes Offensives &
Défensives ; elle leur a donné des Sacs pour
contenir & transporter chez elles les Alimens
dont elles se nourrissent, & pour renfermer ce
Suc venimeux, qu’elles dardent avec tant de Facilité
sur ceux qui viennent les attaquer. Le Tout-puissant
a donné à l’Homme la Raison, ce Souverain Pouvoir,
comme dit le Poëte, de discerner ce
qui est juste de ce qui est injuste ; mais quand
nous la voyons en Danger de s’égarer par l’Influence
des mauvaises Passions, comme cela n’arrive que trop
souvent, ayons recours aux Abeilles, &
réfléchissons que c’est notre Devoir, & qu’il
convient à la dignité de notre Nature, de faire par
Choix, ce qu’elles font par une Impulsion
irrésistible ; l’Ambition, la Convoitise, &
l’Avarice, ces Furies qui persécutent & font
périr la moitié du Genre Humain, qui pervertissent
le bel Ordre de la Nature, & en font un vrai
Chaos, seroient alors bannies du milieu de nous,
& le Monde, cette grande Ruche, jouiroit de la
même Tranquillité, que nous considérons dans chaque
Habitation de ces fortunés Insectes.
Metatestualità
Mais j’oublie que je
m’addresse à vos Lecteurs d’entre le beau Sexe,
qu’on ne peut pas soupçonner d’avoir aucune part à
ces Maux qui arrivent dans le Monde, si on en
excepte celles que la Fortune élève au rang de
Souveraines. Alors il ne faut pas s’étonner qu’elles
se défassent de tout ce qui est
particulier à leur Sexe, qu’elles puissent voir sans
Emotion des Provinces entières ravagées, & cela
uniquement pour l’Amour de cette vaine Gloire, qui
n’est que trop souvent un appendice de la Royauté,
& se réjouir & se repaître du Sang de
plusieurs millions d’Hommes qu’on égorge à leurs
Yeux.
Esempio
Telle étoit
Sémiramis, qui déscendoit de Nemrod, le premier
Tyran & le premier Oppresseur sur la Terre.
Telle étoit Thomiris, cette Reine des Scythes,
& peut-être en trouveroit-on encore dans ce
Siècle quelques Exemples.
Cependant toutes
celles qui ont porté des Couronnes, ne leur ont pas
ressemblé ; l’Angleterre peut se vanter de deux
illustres Reines, qui ont préféré les Oeuvres de
Compassion aux Charmes de la Conquête. Elizabeth
d’immortelle mémoire eut heureusement l’Art de se
rendre formidable à ses Ennemis sans Effusion de
Sang, & la Reine Anne trouva plus de Plaisir à
terminer une longue Guerre quoiqu’heureuse, qu’elle
ne s’étoit plue dans tous les Avantages que ses
armes avoient remportés. Pardonnez,
Madame, cette courte Digression. Une pensée qui,
m’est venue soudainement à la tête, sans que je
sache comment, m’a entraîné dans un Sujet fort
étranger à mon Dessein. J’allois observer, que,
Livello 4
quoique peu de Dames
puissent avoir Besoin de régler leurs Passions sur
l’Exemple de la sage Abeille ; cependant celles qui
aiment l’Oeconomie & la Tempérance, se plairont
certainement à remarquer les Occupations de ces
Animaux, dont ils s’acquittent sans doute avec
plaisir, malgré les Fatigues qu’ils endurent, &
qui nous sont si utiles à nous-mêmes. Leurs
Provisions de Cire & de Miel devroient, à mon
avis, nous intéresser en faveur de celles qui nous
procurent cet Avantage, & nous inspirer en
même-tems, l’Amour, le Respect, & la
Reconnoissance la plus grande pour la Divine Bonté,
qui nous a donné tant de Serviteurs, & qui de
plus les nourrit, les vêtit & les instruit à
travailler pour nous, & pour nous seuls, pendant
que nous jouissons à l’aise du Fruit de leurs
Travaux, qui ne nous occasionnent ni Soins, ni
Dépense. C’est pourquoi la
Contemplation des Oeuvres de la nature nous procure,
non seulement un Amusement très agréable, mais encor
la meilleure Leçon, que nous puissions lire, si nous
la faisons servir à perfectionner nos Sentimens
& nos Mœurs. Elle nous fournit aussi un Sujet
agréable de Conversation, & sur-tout pour ces
Dames, qui ne se plaisent pas toûjours à
s’entretenir de Parure, ou à entendre répéter les
belles choses, qui leur ont été dites par leurs
Admirateurs. Mais ici elles ne peuvent point manquer
de Sujet : elles verront chaque jour, à chaque
instant de nouveaux Sujets d’étonnement, &
celles qui ont la plus grande Volubilité manqueront
plûtôt de Paroles que d’Idées à exprimer. Comme les
Dames se promènent souvent à la Campagne en petites
Troupes, si chacune vouloit prendre un de ces Verres
qui grossissent les Objets, quelle aimable émulation
ne verroit-on pas parmi elles pour faire de
nouvelles Découvertes ? Elles appercevroient sans
doute, des Animaux qu’on ne trouve pas dans les
Traités les plus exacts d’Histoire
naturelle ; & & <sic> la Societé
Royale pourroit être rédévable à quelque Colomb
Féminin, de la Découverte d’un nouveau monde de
Créatures. Il n’y auroit rien que de louable dans
l’Ambition de voir leurs Noms insérés dans les
Mémoires de cette savante Compagnie, & ce seroit
une plus grande Addition à leurs Charmes, que si
elles avoient la Réputation d’avoir été les
premières à la Mode, ou d’avoir inventé la
Garniture, ou la Broderie la mieux imaginée, qui ait
jamais attiré l’Attention de leur Sexe, &
l’Admiration de l’autre. Tout ce Plaisir, cet
Honneur, & même cette Réputation immortelle
peuvent s’acquerir sans la moindre Peine, ou sans
Etude. Il ne faut que regarder pour s’instruire de
tout ce que les Livres peuvent nous enseigner sur
cet Article de la Philosophie naturelle, ce qui
convient extrêmement à ces Belles, qui ont l’Humeur
trop légère pour s’assujettir à parcourir ces
ennuyeux Volumes, qui traitent des autres Sciences.
Un seul Eté leur suffit pour les
rendre Maitresses de cette Science, & pour leur
fournir un fond de belles Idées pour toute leur Vie.
Ce n’est pas que, si nous avons une fois conçu le
Desir de nous instruire, & si nous avons eû
quelque Satisfaction à cet égard, cette Envie
s’arrête aux premiers Progrès ; elle augmente
au-contraire, à proportion des Objets qui
l’excitent.
C’est pourquoi quiconque a un
vrai Goût pour les Recherches dont j’ai parlé, ne les
terminera jamais, parce que le Sujet est sans bornes
& qu’on voudra toûjours aller jusques au Bout. Ainsi
chaque fois que l’aimable Printems commencera à appeler
la Sève hors des Racines des Végétaux, & à ranimer
l’Embryon caché, qui dormoit dans sa Cellule, la belle
Philosophe sera attentive à considérer cette
Résurrection, & à voir si la Mort apparente des
Plantes & des Insectes a fait quelque Changement sur
les uns & les autres. Elle ne trouvera dans les
premiers qu’un Renouvellement de l’état dans lequel elle
les avoit vûs auparavant, elle verra dans
présque toutes les espéces des Seconds, des
Transformations surprénantes, & il est aisé de
concevoir quelle vive Idée ceci donne d’une autre chose,
qui demande encor plus d’Attention.
Metatestualità
Je n’en parlerai pas ici de peur de
rendre le Sujet trop grave ; mais nous verrons de
nous-mêmes, d’une manière démonstrative, que l’Etude
de la Nature est l’Etude de la Religion. Je suis
bien sûr que celui qui connoîtra bien la première,
n’agira jamais contradictoirement aux Principes de
l’autre ; & je desire sincérement que toutes les
Dames, qui lisent votre Ouvrage, veuillent en faire
l’Essay.
Il n’y auroit rien de plus
agréable » Madame, Au plus grand Admirateur de
vos
Productions & par conséquent à
votre
très humble, très devoué
& très obéïssant
Serviteur. Philo-Nature. Juner-temple (*
3) ce
27 Avril 1745. P.S. « Si vous jugez que
cette Lettre mérite une Place dans votre Discours
suivant, ou qu’elle puisse plaire à vos Lecteurs, je
vous envoyerai dans la suite quelques Pensées détachées,
telles qu’elles se présenteront à mon Esprit, soit sur
le même sujet ou sur quelque autre, qui puisse être de
votre Goût, ou plaire au Public ».
Metatestualità
Je crois que tous ceux qui
verront cette Lettre, conviendront avec nous qu’elle est
extrêmement juste. Notre Sexe en particulier a infiniment
d’Obligation à l’ingénieux Autheur de cette Pièce, & je
me flatte que plusieurs d’entre nous montreront combien
elles sont sensibles à cet Avis, en le mettant en Pratique.
Il peut du moins s’assûrer, que notre petite Societé,
résolue de passer quelques jours dans une Maison de
Campagne, qui appartient à notre Présidente, l’excellente
Mira, ne partira pas sans se fournir de Microscopes &
d’autres Verres propres à faire les Observations qu’il
recommande. A notre retour, ou aussi-tôt que nous en aurons
le Loisir, nous serons charmées de voir l’Accomplissement de
sa Promesse ; puisque des Avertissemens donnés
avec cette Politesse & cette Elégance, ne peuvent
manquer de faire toute l’Impression qu’il en attend.
Il faut avouer qu’il n’y a rien de plus amusant, ou de plus
utile à l’esprit, que l’Etude de la Physique, ou qu’on puisse
acquerir avec moins de difficulté. Nous pouvons par-là nous
entretenir des Idées les plus agréables, & en amuser les
autres, en-sorte que notre Conversation soit recherchée de tous
ceux qui nous connoissent. Nous concevrons insensiblement les
plus hautes Idées de la Nature Humaine, & nous bannirons
entiérement de notre Cœur toute Froideur, toute Indifférence
pour cet Etre suprême & tout-puissant, qui a formé un si
grand nombre de Créatures pour notre Usage. Enfin l’Admiration
des Ouvrages de la Création & les Avantages que nous en
recevrions, produiroient dans nos Ames un Amour sincère &
ardent pour le Créateur, & il seroit impossible au Vice de
jetter chez nous de profondes Racines. Nous pourrions nous
écarter de la Vertu ; les meilleurs l’ont fait, mais nous ne
l’abandonnerions jamais entiérement. Si nous bronchons, nous ne
tomberons pas, du moins jusques à n’avoir plus la
Force de nous relever. Les Illusions qui étoient sur le point de
nous éblouir, s’évanouiront, & nous nous écrierons avec
Citazione/Motto
Salomon ; Tout n’est que Vanité
& que Rongement d’Esprit.
On trouve tant
d’Avantages & de Satisfaction à se livrer à ces Occupations,
que Philo-Nature recommande, & à d’autres dont je parlerai
dans la Suite, que, si les personnes les plus abbandonnées aux
Vanités du Siècle vouloient se déterminer à en faire l’Essai, je
suis présque sûre, qu’elles ne retomberoient plus dans ces
Folies absurdes & ridicules, qui n’occupent à présent que
trop de leur tems. L’Amour de la Lecture, semblable à l’Amour de
la Vertu, est si louable que peu sont assés hardis pour avouër
qu’ils ont du Dégoût pour cette Occupation.
Livello 3
Eteroritratto
Je connois des Dames, qui
n’ont jamais eû la Patience de lire une Page entière
d’aucun Livre, à moins que ce ne fût un Opéra, ou un
Oratorio (*
4), & qui
ont toujours auprès d’elle quelque Livre
de Réputation. Aussi lorsqu’elles entendent arriver
Compagnie dans leur Chambre, elles ne manquent pas de le
saisir avec Précipitation, afin de paroître uniquement
occupées de ce qui est contenu dans ce Livre, dans le
même tems qu’elles avoient pensé uniquement à quelque
nouvel Ornement pour leur Parure, ou à débattre en
elles-mêmes laquelle des différentes Assemblées,
qu’elles fréquentent, auroit l’Honneur de leur Compagnie
ce même Soir.
Il n’y a que ceux qui s’accoûtument à la Lecture, qui
puissent concevoir le Plaisir qu’on peut trouver à lire de
certains Livres ;
Livello 3
Eteroritratto
une jeune Dame, qui a la tête
remplie des Plaisirs du monde, penche à s’imaginer,
qu’elle perdroit plus de Tems qu’elle n’en peut
consacrer à cet Amusement, si elle vouloit en faire
l’Essai. Mais dans ce cas, elle n’a qu’à faire lire sa
Femme de Chambre, tandis qu’elle s’habille ; ou
lorsqu’après la Fatigue & le tracas des Plaisirs,
elle tombe dans une espèce d’Indolence, qu’elle devient
de mauvaise Humeur, & est en Peine de savoir comment
elle tuera le Tems. Si elle a avec elle dans ces Momens
une personne assés sensée pour faire
Choix de quelque Trait d’Histoire intéressant, ce
qu’elle entendra attirera insensiblement son Attention ;
elle deviendra passionnée de connoître ce qui mérite
réellement d’être connu, & l’Amour de la Nouveauté
lui donnera d’abord du Goût, pour ce qu’elle ne pourra
plus négliger, dès qu’elle en connoîtra parfaitement
tout le Prix.
Ce que j’entends par un Trait d’Histoire intéressant,
c’est la Relation de l’Evènement qui intéresse le plus la
personne qui doit l’entendre. Comme il y a à peine une seule
Circonstance, ou un Seul Caractère dans notre siècle, qui ne
trouve son Parallele dans l’Antiquité, je voudrois qu’elle
commençât par les Evènemens qui pourroient lui arriver à
elle-même, ou aux personnes pour qui elle s’intéresse le plus
tendrement. De cette manière ses plus nobles Passions seront
reveillées de leur Assoupissement ; elle oubliera toute autre
chose ; elle se réjouira, ou elle pleurera, suivant que les
différens incidens l’exciteront à la Joye, ou aux Pleurs ; son
Ame entière prendra une nouvelle tournure, & deviendra toute
Douceur & Générosité. C’est déjà faire
beaucoup de Chemin pour acquerir ce bon Goût dont on parle tant,
quoiqu’on entende si peu ce que c’est ; mais le moyen de le
posséder entiérement c’est de ne pas s’arrêter ici. Quand
l’Esprit est une fois préparé par cette Lecture, il pourra
passer à d’autres Sujets, qui ne sont pas moins agréables.
L’heureuse personne qui se sera déterminée a cet utile &
agréable Amusement, trouvera toûjours quelque Raison de le
continuer ; elle n’entendra jamais parler d’un Auteur célèbre,
sans souhaiter d’examiner ses Ouvrages, afin de savoir si on
rend justice à son Mérite, ou si on l’estime trop. Si elle
apprend qu’un Evènement rémarquable se soit passé en pleine
Campagne, ou dans le Cabinet, elle sera impatiente de parcourir
les Annales des tems passés, pour voir si l’Evènement présent
surpasse tout ce qui a été auparavant, ou s’il est vrai, comme
l’assûre le Sage, qu’il n’y ait rien de nouveau sous le Soleil.
Et elle ne se contentera pas de savoir que telles & telles
choses ont été faites : elle voudra aussi pénétrer les Motifs
qui les ont occasionnées, & s’instruire, autant qu’il est en
son pouvoir, si elles sont, ou ne sont pas dignes
de Louange ; de cette manière elle sera en état de juger d’une
Affaire, non par le Succès, mais par l’Intention de celui qui
l’a conduite à bout. Je ne voudrois pas cependant que les Dames
renonçassent en faveur des Livres à leurs Amies & à leurs
Connoissances ; deux ou trois Heures chaque jour employées de
cette manière, suffiront, pourvu qu’on digère bien ce qu’on à
lû, & c’est ce que nos propres Réflexions, quand nous serons
seuls, ou les Entretiens que nous aurons à ce Sujet, feront
aisément : nous pouvons lire une Foule d’Auteurs, sans en
devenir meilleurs, ou même sans nous souvenir de rien, si nous
ne lisons pas avec Attention & dans le dessein de nous
instruire ; Mais si nous en avons une fois un violent Désir,
chaque Bagatelle que nous rencontrerons nous sera avantageuse.
Cependant il faut déjà du Jugement pour savoir ce que nous
devons tâcher de retenir, & ce qu’il nous convient
d’oublier. Heureux sont ceux qui choisissent des Livres, où il
n’y a point d’Yvraie mélée parmi le bon Grain. Après les Auteurs
sacrés, on peut mettre dans ce Rang les Histoires,
les Voyages, les Vies des personnes illustres. Mais alors même
il faut prendre soin de choisir les Auteurs, de qui la Veracité
est généralement reconnue. Des Recits fabuleux de faits réels,
au-lieu d’enrichir l’Esprit, ne sont que trop dangereux pour le
corrompre, & sont pires de beaucoup que les Romans ; parce
que ceux-ci nous avertissent par leur Titre, de ne pas leur
ajoûter Foi, & que les autres tâchent d’en imposer à notre
Pénétration, & ne réussissent que trop souvent sous le
Manteau de la Simplicité & de la Verité. Après les matières
de foi, il nous importe de ne nous pas laisser tromper, à l’gard
<sic> des Evènemens que l’Histoire nous rapporte ; la
Fiction se pare ordinairement d’un dehors plus agréable que la
Vérité, comme de fait elle a besoin de ces Ornemens, que l’autre
méprise ; c’est pourquoi elle peut faire une profonde
impression ; ou, pour parler plus proprement, elle peut nous
remplir de Préjugés, qui ferment quelques fois nos Yeux à la
Conviction ; en-sorte que dans la suite nous ne serons pas
convaincus, parce que nous ne le désirons pas.
Suivant les Caractères & les Circonstances, où l’on se
trouve, différentes Parties d’Histoire peuvent être utiles. Mais
à l’égard des Dames, qui n’ont pas besoin de s’appliquer à une
Etude particulière, & qui se contentent d’avoir de tout une
Idée générale, je leur conseille de jetter les Yeux sur la
Création dans son Enfance ; elles auront un Plaisir infini à
considérer les Mœurs de ce Siècle, qu’on peut justement appeller
un Siècle d’Or ; comment dans l’Espace de dix-huit cens Ans, les
Hommes ont vêcu dans une parfaite Liberté & dans une entière
Indépendance les uns des autres ; comment chaque Famille faisoit
alors un petit Etat séparé, de laquelle le Père étoit le seul
Chef & ne connoissoit point d’autre Supérieur. Ensuite nos
Pensées peuvent descendre de ces tems de Paix & d’Abondance,
au Changement qui est arrivé dans le Monde, bientôt après le
Déluge. A peine étoit-il répeuplé, & commençoit-il à revêtir
la même Face qu’avant ce terrible Fléau, lorsque l’Avarice &
l’Ambition, Vices inçonnus <sic> jusques alors, entrèrent
dans le Cœur de cette nouvelle Génération. Toute confiance,
toute Union, toute Affection Fraternelle
cessèrent. La Soif de dominer prévalut. Les Armes qu’ils avoient
inventées pour se défendre contre les Bêtes féroces, ils les
tournèrent bientôt avec une Fureur plus que sauvage, les uns
contre les autres, & en firent un Instrument pour réduire en
Esclavage leurs semblables.
Livello 3
Esempio
Nemrod, de qui parle
Philo-Nature, fut à la verité le prémier, qui se
trouvant plus fort que ses Voisins, se saisit de leurs
Territoires, & s’érigea en Monarque. Son Exemple
enhardit d’autres à faire la même chose, qui devinrent
aussi Rois, aux dépends de la Liberté publique ; car
quoiqu’il ait plû à quelques Ecrivains d’assûrer le
contraire, ce ne fut pas par Choix que le Peuple se
soûmit au Joug de la Servitude, mais par la Force &
la Violence des premiers Conquerants.
Livello 3
Esempio
Ainsi commença le fameux
Empire Assyrien, qui dura treize cens Ans, & tomba
enfin par l’Indolence & le Luxe que Sardanapale
introduisit. Trois puissantes Monarchies s’élévèrent sur
les Ruines de ce vaste Empire, qui furent à leur tour
détruites, & renversées par les Juifs, Alexandre le
Grand, & les Romains. Ceux-ci furent
les Maîtres de l’Univers, jusques à ce qu’ils tombèrent
dans les Vices & dans la Mollesse de ceux qu’ils
avoient subjugués, & qu’ils furent eux-mêmes
détruits par leurs propres Victoires.
Je ne veux pas cependant qu’on s’arrête trop sur ces
premiers Ages du monde : Un léger Examen de ces Evenemens
réculés nous mettra en état de les comparer avec ce que nous
voyons de nos jours, & donnera de l’Occupation à notre
Jugement. Plus nous descendrons, & nous approcherons de
notre Siècle, plus nous trouverons chaque chose intéressante ;
depuis l’Epoque dont j’ai fait mention jusques à ce jour, nous
ne lirons présques que des Révolutions étonnantes. Il est sûr
qu’il n’y a point de sujet de Contemplation plus agréable, que
l’Elévation & la Chute des Empires, de quels foibles
Commencemens ils sont arrivés à ce haut point de Grandeur
humaine, & de même par quels dégrés imperceptibles ils ont
décliné, & sont devenus enfin des Provinces d’autres
Empires, qui se sont élévés sur leurs Ruines. C’est ce qui est
toujours arrivé, depuis qu’on a mis l’Ambition des
grands hommes dans le nombre des Vertus magnanimes, & qu’on
a fait consister la Grandeur dans l’Acquisition de nouvelles
Conquêtes. Car, comme Otway le remarque fort bien,
Citazione/Motto
l’Ambition est une Passion qui
n’est jamais assouvie. Les Succès ne font que l’enflammer
davantage & la rendre plus furieuse.
Quelle
pitoyable Figure fera dans le monde un Homme, qui est totalement
Novice en fait d’Histoire ! Il seroit autant incapable d’aucun
Poste ou d’aucun Employ de conséquence, que peu propre pour la
Conversation. Mais quoique la Coûtume, & le manque
d’Attention à l’Education de notre Sexe, nous rendent moins
méprisables à ce Sujet, cependant comme nous avons, aussi bien
que les Hommes, des Ames raisonnables, ce seroit, à mon avis, un
Orgueil louable de montrer nos Talens à cette Occasion, & de
saisir tous les moyens d’acquerir ce qui nous fera plus
d’Honneur, parce qu’on l’attend moins de nous. Un Plaisir inné,
des Applaudissemens qu’on a mérités, & une Vertu sans
Affectation, sont les sûres Recompenses, de nos Efforts pour
acquerir des Connoissances, tandis que nous sommes
sur la Terre, & il n’y a rien de plus certain, que plus nous
nous perfectionnons ici bas, plus nous serons capables de goûter
ces sujets de Joye incompréhensibles, qui seront notre Partage
dans l’autre monde. J’ai oui autrefois un Homme connu pour ses
Comparaisons originales, assûrer, que si un Stupide étoit enlevé
dans le Ciel, avec toutes ses Imperfections, il s’y comporteroit
comme un Ane à l’Opéra, & ne demanderoit que de se descendre
à des choses plus proportionnées à sa Capacité. Je sçais fort
bien qu’on regarde comme un Obstacle à une Connoissance
approfondie de l’Histoire, l’Ignorance de la plus grande partie
de notre Sexe à l’égard des Langues mortes : & quoique les
<sic> plûpart des Auteurs Grecs & Latins soient à
présent traduits en Anglois, ou en François, (ce qui est présque
égal pour les personnes qui ont reçu une Education pussable,)
cependant nous ne devons pas espérer de les avoir avec la même
pureté que si nous entendions l’Original. Mais cette Objection
n’a point de Force, parce que nous trouverons,
même dans les moindres Traductions, les Faits tels qu’ils se
sont passés, & c’est leur Connoissance, non celle de la
Rhétorique, que je recommande aux Dames.
Livello 3
Esempio
Supposé qu’elles ne trouvent
pas l’Eloquence de Ciceron dans ses Lettres à son Ami
Atticus, cependant elles y verront les Causes secretes,
qui ont produit les Evènemens étonnans de ce Siècle.
Esempio
Valleius Paterculus nous a
donné une espèce d’Abrégé de toute l’Histoire, depuis le
commencement du monde jusque à la Seizième Année de
Tihère Cæsar, & la moindre Louange qu’on puisse lui
donner, c’est que son Ouvrage nous prépare très bien à
la Lecture des autres Auteurs.
Esempio
Saluste nous développe en
Maître la Conspiration de Catalina, & toute
l’Intrigue de cette mystérieuse affaire ; & quoique
son Ouvrage ne puisse être regardé que comme un Recueil
de quelques Traits d’Histoire, cependant la Lecture en
est autant instructive qu’amusante.
Esempio
Hérodote, Thucydide, Dion
& Xénophon nous présentent des Evènemens si
étonnans, qu’ils ont besoin de toute l’Authorité de l’Ecrivain, pour être crûs dans un Siècle
aussi porté à l’Incrédulite que le nôtre.
Esempio
Vous trouverez dans Hérodian
une Continuation de cette Histoire, que Dion n’avoit
poussée que durant l’Espace de deux Siècles, avec un
Détail de plusieurs choses que ce premier Historien
avoit omises.
Esempio
Suétone vous donne les Vies
des douze premiers Césars, & Plutaque des plus
grands Hommes de Grèce & de Rome.
Esempio
Josephe a inséré dans ses
Antiquités des Juifs, & dans la Guerre que leur fit
Vespasien, plusieurs Circonstances curieuses &
amusantes qui regardoient d’autres Nations.
Esempio
Tite-Live, Justin, Lucius
Florus, & Tacite, ont tous un Droit indubitable à
notre Attention.
Metatestualità
Mais je ne voudrois pas,
semblable à quelques Médecins, charger mes Patiens de trop
de Remèdes ; & je ne crois pas que les Dames ayent
besoin de donner tant de tems à la Lecture de ces longs
Détails que quelques Auteurs nous donnent des Batailles
& des Sièges. La Guerre n’est pas de notre Département ;
il nous suffit de savoir qu’il y a eû telle chose, & que
tel ou tel a remporté la Victoire, sans
examiner les Secrets d’un Art, que nous ne serons jamais
appellés à reduire en Pratique.
Il est aisé de voir,
que je n’ai pas l’Ambition de rendre mon Sexe profondément
docte ; je desire seulement que les Dames acquièrent une
Connoissance générale des Evènemens qui sont arrivés dès le
Commencement du monde jusques à présent ; afin qu’elles puissent
fournir agréablement à la Conversation, être en état de juger
par elles-mêmes, & se défaire de toute Partialité & de
toute Préjugé à l’égard de leur propre Conduite, comme à l’égard
de celle des autres. Ainsi, comme je leur conseille uniquement
de lire pour leur Instruction, il ne faut pas qu’elles jettent à
côté un Livre, parce que les Faits qui y sont contenus, ne sont
pas narrés avec tous les Ornemens que le sujet mérite. Nous ne
nous fâcherions pas contre celui qui nous apporteroit la
Nouvelle de quelque Augmentation de Fortune considérable &
inattendue, parce qu’il nous en feroit le Recit dans les Termes
les plus impolis. Par conséquent ces Avis, qui enrichissent notre Entendement, devroient être bien reçus, sous
quelle Forme qu’ils nous soient communiqués. A la verité il en
est très différemment de la Poësie ; car étant principalement
destinée à faire passer son Harmonie jusques à l’Ame & à
exciter chez nous des Idées sublimes, elle s’écarte de son but,
dès que le Sentiment, ou l’Expression, lui manque. On ne peut
pas, à mon avis, employer plus mal son Tems qu’à lire des Vers
foibles, ou qui péchent contre les Règles. Nous devons donc être
fort délicats dans notre Choix des Modernes, aussi bien que de
ceux des Poëtes anciens qu’on a traduit. On a gâté beaucoup de
bon Papier avec des syllabes mésurées, qu’on a qualifiées du Nom
de Vers. Une foule de Rimeurs font gémir la Presse chaque jour ;
mais un vrai Poëte est une espèce de Prodige dans ce Siècle,
& il est bien difficile d’en trouver un, qui reponde au
caractère que Dryden nous donne de Perse.
Citazione/Motto
Il est non seulement impétueux, mais terrible
dans ses Vers, courageux autant qu’il a de force, mais sage
jusques dans sa Fureur.
C’est assûrément un grand
Malheur, autant pour eux-mêmes que pour le Public,
que tant de gens se méprennent sur leurs Talens, au point de
griffonner continuellement de la Poësie, sans avoir aucun Génie
pour cet Art. Cependant ils méritent encore plus qu’on leur
pardonne, que ces Gens qui tâchent de débiter leur propre Métal
de bas alloi, pour le pur or des plus grands Auteurs de
l’Antiquité.
Esempio
Il ne suit pas de ce
qu’un Homme entend le Grec, qu’il sera en état de rendre
justice à Hésiode ; & il ne lui suffit pas d’être
parfaitement versé dans le Latin, pour nous donner Horace,
ou Virgile, tels que ces Auteurs sont en Original. Entendre
les Expressions d’un Auteur, & entrer dans son Esprit
sont deux choses différentes. Celui seul qui peut écrire
comme Horace, est capable de le traduire.
Metatestualità
Je crains que les Poëtes ne me
fassent point de quartier, sur ce que je donne mon Jugement
avec tant de Liberté. Mais c’est une chose si évidente à un
chacun, si on en excepte eux-mêmes, que le meilleur Parti
pour eux sera, à mon avis, qu’ils demeurent dans le Silence.
J’ai cependant fini avec eux, mais comme
j’étois sur le sujet du bon & du mauvais Goût, je ne
pouvois pas me dispenser de donner un Avis si nécessaire
pour perfectionner le prémier, & pour arrêter les
Progrès du second.
Après l’Histoire je préfère les
Recits des Voyages, sur lesquels on peut compter. Les
Merveilles, qui nous sont rapportées par ceux qui traversent
l’Abisme, & gagnent leur Vie sur les grandes Eaux, sont non
seulement extrêmement agréables, mais encore élèvent dans notre
Esprit les plus grandes, les plus Vives Idées du Pouvoir &
de la Bonté de la divine Providence. D’ailleurs je pense que
nous devrions nous intéresser par Reconnoissance à la Sûreté
& aux Succès des braves Mâtelots, dans quelle Capacité qu’on
les employe. Nous sommes redevables à la Flotte Royale de la
Conservation de tout ce qui nous est cher. Elle est le Boulevard
de nos Loix, de nos Libertés, de notre Religion, de nos Biens
& de nos Vies mêmes. C’est elle qui nous fait dormir en
Sûreté, sans craindre les Invasions & les Ravages des
Etrangers. C’est à elle que la Grande Brétagne
doit son Empire de la Mer, & c’est avec ce redoutable
Trident, qu’elle se fait rendre Hommage par les plus fiers
d’entre ses Voisins. Nous devons aux Voyages des Vaisseaux
Marchands tous les Délices que la Paix & l’Abondance menent
à leur suite. Quoique notre Isle soit pourvûe de tout ce qui est
nécessaire à la Vie, elle ne produit aucune de ces Délicatesses
qui rendent la Vie agréable. Les Fruits même qui croissent
maintenant dans nos Jardins, ne sont point originairement de
notre crû, mais nous ont été apportés successivement des Pays
étrangers. L’Art des Jardiniers les a ensuite comme naturalisés
à notre Climât. Cependant, malgré tout son Labeur, notre Soleil
& notre Terrain nous refusent jusques ici les Sucs délicieux
du Citron, de la Grenade, de l’Orange, du Limon, & de
plusieurs autres Fruits étrangers. Comment pourrions-nous
remplacer le Thé, le Caffé, le Chocolat, les Epices, les Huiles,
& les Vins, sin on ne nous en apportoit point du déhors ? Et
quelle médiocre Figure feroient nos Maisons & nos propres
Personnes, sans ces Ornemens pour nos Meubles
& notre Parure, que la Chine, la Perse, la Russie, la
France, la Hollande & Bruxelles nous fournissent ? Enfin
tous nos Plaisirs, tout ce que nous avons de plus élégant vient
des Pays étrangers, & nous est apporté par l’intrepide
Mâtelot, qui hazarde sa Vie, endure les excès du Froid & du
Chaud, & s’expose à la Fureur des Vents & des Flots pour
satisfaire nos Désirs & notre Luxe. C’est pourquoi le moins
que nous devons faire, c’est de plaindre leurs Souffrances,
& de se rejouïr lorsqu’ils échappent à ces Dangers éminens
qui les environnent continuellement, même dans leurs Voyages les
plus favorables. Les Livres de Voyage sont encore très utiles,
en ce qu’ils nous donnent du Goût pour l’Histoire, & nous
mettent en état de la retenir mieux, en nous instruisant de la
Géographie, lorsqu’ils nous d’écrivent <sic> les Lieux où
sont arrivés les Evènemens, que nous lisons dans l’Histoire.
Esempio
La Mottraye est fort exact
dans ses déscriptions, & il y a à peine un seul Endroit
considérable en Europe, en Asie, & dans la
plus grande partie de l’Afrique, où on ne s’imagine être,
lorsqu’on lit son Livre.
Esempio
Montfaucon est encore plus
circonstancié, & va même jusques à nous d’écrire toutes
les Curiosités de l’Art, ou de la Nature, qui se trouvent
dans les Pays qu’il a traversés.
Je ne fais pas
mention de ces Voyageurs pour diminuer le Mérite des autres,
tels que Dampierre, le Pere du Halde, Misson, le Brun,
Tavernier, le Chevalier Chardin & plusieurs autres qui ont
tous leur Mérité. Mais les Détails que ceux-ci nous donnent,
sont pour la plûpart fort abrégés, ou regardent des Parties du
Monde, qui ne sont pas autant intéressantes à un Lecteur
ordinaire. Mais ceux-mêmes qui procurent le moins de Plaisir,
sont fort exacts dans leurs descriptions Géographiques, &
répondent par conséquent à un But important d’entre ceux qu’on
doit se proposer.
Metatestualità
Il y a encore
d’autres Livres, que je pencherois beaucoup à recommander ;
mais notre digne Veuve me dit qu’elle craint que je me sois
déjà trop étendue à ce sujet, & que cette multitude d’Auteurs dont j’ai parlé, n’épouvante
quelques-unes de nos Dames, & ne les empêche d’en
toucher un seul.
Je voudrois avoir une meilleure
Opinion de mon Sexe. Mais je dois me rendre au Jugement
supérieur de cette Dame. Cependant, quoiqu’il en puisse arriver,
je hazarderai d’en nommer encore un, qui est comme le sommaire
de tous les Autres, savoir, le Dictionnaire de Bayle, qui forme
lui seul une Bibliothèque ; puisqu’il n’y a jamais eû d’Endroit,
de Personne, ou d’Evènement de quelque conséquence, depuis la
création jusques à notre Tems, dont il ne donne une Idée
générale. Ceux qui ne lisent que cet Ouvrage ne peuvent pas
passer pour des Ignorans, & s’ils ont la Curiosité de
connoître les Particularités des Evènemens, qu’ils trouvent dans
ce Livre, ils peuvent dans la suite avoir recours à d’autres
Livres plus circonstanciés. Voilà les principales Méthodes
d’acquérir cette aimable Qualité, qui comprend toutes les
autres. Car dès que nous avons le Goût bon dans les choses
essentielles, nous ne pouvons en manquer dans des Bagatelles. La
Connoissance de la Nature du Monde & de
nous-mêmes, nous mettra en état de juger de tout ce qui nous
environne. Nos Meubles, nos Equipages, notre Parure auront de
l’Elégance, sans que nous ayons pris beaucoup de Peine pour
cela ; & il nous sera présque impossible de faire aucun
Choix qui ne convienne soit à notre Age, soit à notre Situation,
ou à quel autre égard que ce soit. Nos Actions & notre
Conduite nous rendront chères à tous ceux qui nous connoîtront,
& nos Plaisirs mêmes auront un Air de Décence, autant digne
d’être imité que peuvent l’être nos plus sérieuses Occupations.
Vaines de nos Perfections personnelles comme nous penchons à
l’être, n’y auroit-il pas un Orgueil plus louable à rendre
celles de l’Esprit si remarquables, que la Beauté dans les plus
aimables d’entre nous, n’occuperoit que la seconde Place dans
l’Admiration des Hommes, ainsi que l’incomparable Mr. Addisson
fait parler Juba touchant Murcie dans sa Tragédie de Caton.
Citazione/Motto
Ce n’est pas un Arrangement de
Traits, dans son Teint, ou les belles Couleurs de sa Peau
que j’admire le plus ; la Beauté devient
bientôt familière à un Amant, se fanne à ses Yeux &
palit à ses Sens. Mais la vertueuse Murcie s’élève au-dessus
de son Sexe ; il est vrai qu’elle est belle. Oh, divinement
belle. Mais cette aimable Fille donne encore une nouvelle
Force à ses Charmes, par la Grandeur de son Cœur. Sa Sagesse
sans Affectation, & la Pureté de ses Mœurs. L’Ame même
de Caton brille dans tout ce qu’elle fait, ou qu’elle dit,
pendant qu’une Douceur engageante & des Sourires
attrayans règnent dans son air & ses Regards, &
qu’elle adoucit avec une Grace toute charmante l’Austérité
de la Vertu de son Père.
Enfin le bon Goût donne de
la Grace à tout, & se fait connoître même dans le moindre
Mot, dans un Regard, dans un Geste ; & comme il ne surpasse
pas la Portée d’une Personne qui n’a qu’une Pénétration
ordinaire, je voudrois que chacun tâchât de l’acquérir. Je ne
doute pas que plusieurs de mes Lecteurs ne disent en eux-mêmes.
Qu’avons-nous besoin de cet Avis ? La Spectatrice peut-être
assûrée qu’il n’y a Personne assés stupide pour ne pas
rechercher une Qualité si désirable. J’en conviens volontiers,
mais alors le plus grand nombre prend une Route
tout-à-fait contraire à celle qui les meneroit au But de leurs
Désirs, comme un illustre Auteur l’a dit derniérement.
Citazione/Motto
Le Monde est un Bois, dans lequel
la plûpart manquent leur chemin & s’égarent, quoique par
des sentiers différens.
Metatestualità
On a laissé chez notre Imprimeur
une Lettre qui vient de Mad. Sarah Oldfashion, la première
Correspondante que nous ayons eue ; mais nous n’insérerons
pas la Lettre qu’elle nous écrit maintenant, parce que le
Contenu n’en peut jamais être utile au public. Elle me
reproche amérement de lui avoir conseillé d’envoyer la Jeune
Biddy à la Campagne, où elle est devenue passionnément
amoureuse du Palefrénier d’un Gentilhomme voisin & l’a
épousé sécretement. Je me vois donc obligé de lui repondre
qu’elle n’a pas suivi mes Avis, mais les siens propres.
Quiconque voudra prendre la Peine de remonter à la Cinquième
Partie de mon Ouvrage, verra que j’étois tout-à-fait
contraire au Plan d’envoyer cette Jeune Dame dans une
Endroit, où elle ne trouveroit point d’Amusemens, pour
remplacer ceux auxquels elle seroit obligée de
renoncer. Cette bonne Dame avoue en même tems, qu’au-lieu
d’ordonner qu’on lui permît de goûter tous les Plaisirs
innocens d’une Vie champêtre, elle avoit expressément chargé
la Personne qui en avoit soin, de la tenir continuellement à
l’Ouvrage, & lui avoit fait à elle-même les plus sévères
Menaces, si elle n’achevoit pas, avant la fin de l’Eté, la
Broderie d’une Tapisserie destinée pour un Salon assez
vaste. C’étoit-là une fort mauvaise Méthode de lui faire
oublier les Plaisirs si chers de Renelagh, & les jolies
choses qu’on lui disoit sans doute non seulement là, mais
dans toutes les autres Assemblées publiques.
Je ne
puis approuver en aucune manière qu’on force les jeunes Dames à
travailler autant de l’Eguille, qu’on le faisoit autre fois,
& qu’un petit nombre le font encore aujourd’hui ; il y a
assez de celles qui sont obligées à vivre uniquement de leur
Eguille, & c’est présque un Vol que de faire nous-mêmes ce
qui est leur seule Ressource. A mon avis, une Dame de Qualité
devroit apprendre justement assez de Cuisine & d’Ouvrage,
pour savoir quand ceux qu’elle employe, lui en
imposent, & point au-delà. Donner trop de tems à ces deux
choses, peut lui acquérir la Réputation d’une bonne Menagére,
mais non d’une Femme de bon Goût, & ne la rendra nullement
propre pour une Compagnie choisie, ou pour s’entretenir
elle-même agréablement, quand elle sera seule. Je ne puis
m’empêcher de sourire, quand j’entends la Mère de plusieurs
belles Filles s’écrier ; Je tiens toûjours mes Filles à leur
Eguille. L’une travaille peut-être à une Robe, une autre à une
Couverture de Lit, & une troisième est occupée à faire une
douzaine de Chemises pour son Père. Et ensuite quand elle vous a
conduite dans sa Chambre d’Enfans, & qu’elle vous a montré
toutes ses Filles, elle ajoûte ; Il est bon de les préserver de
la Paresse ; quand les Jeunes Gens n’ont rien à faire, ils
souhaitent naturellement de faire ce qu’ils ne doivent pas. Tout
ceci est bien vrai. Mais il y a aussi certaines Occupations
auxquelles on peut appliquer l’Esprit, qui servent à le former
& sont plus agréables, telles que celles dont j’ai parlé.
J’en appelle à toute jeune Dame, qui est confinée
de cette manière, si elle n’aimera pas mieux s’appliquer à le
Lecture & à l’Etude de la Philosophie, qu’à manier son
Eguille. Ce n’est pas assez que nous ayons la Précaution
d’éléver la Jeunesse dans les Principes de la Vertu & d’une
seine Morale ; il ne suffit pas de les priver entiérement de ces
Amusemens dangereux qui sont à la Mode & qui ont causé la
Ruine d’un si grand nombre. Afin qu’elles se souviennent de
l’Education que nous leur avons donnée, & qu’elles se
conduisent en conséquence quand elles seront leurs propres
Maîtresses, nous devrions tâcher de les faire devenir sages,
& aussi de leur rendre la Vertu si agréable qu’elles ne
pussent pas s’en écarter le moins du Monde, sans la plus grande
Répugnance.
Citazione/Motto
Les Enfans semblables
au tendre Ozier, prennent le Pli qu’on leur donne, &
croissent toûjours comme on les a d’abord façonnés.
Ce n’est pas en encourageant la Hauteur naturelle d’une belle
& jeune Fille, & en la flattant de l’Opinion qu’elle
mérite tout, & qu’elle peut disposer de tout, qu’on arrêtera
le Torrent de son Inclination, si elle la fixe une fois sur un Homme au-dessous, ou indigne d’elle-même ; mais
en lui inspirant ces justes Notions, qui l’empêcheront de se
livrer si promptement à ces Inclinations, qui ne conviennent, ni
à son Rang, ni à sa Situation. Enfin c’est en cultivant son
Génie, en perfectionnant son Entendement, en lui choisissant des
Occupations qui puissent rectifier son Esprit, qu’on l’amenera à
ce bon Goût, qui ne lui permettra pas d’approuver, ou de se
plaire à rien d’indécent ou de peu convenable, même dans la plus
petite chose.
Metatestualità
A cette Occasion,
nous devons insérer ici une Lettre, qui nous est parvenue
dernièrement. Ce n’est pas que le sujet en soit fort
important, excepté qu’elle prouve que dans les plus grandes
Bagatelles, on peut montrer un bon ou un mauvais Goût. C’est
aussi pour cette Raison que nous allons la présenter à nos
Lecteurs.
Livello 3
Lettera/Lettera al direttore
A la Spectatrice.
Chère
Moraliseuse, «
Metatestualità
Vous
n’avez pas un Lecteur au Monde qui
penche plus que moi en votre Faveur ; cependant je
dois vous dire que je suis un peu fâchée contre
vous, de même que plusieurs Personnes de ma
Connoissance, de ce que vous bornez toute votre
Satire à notre Sexe, sans faire la moindre Réflexion
sur les Hommes, qui, j’en suis sûre, méritent autant
que nous la Critique, ou même davantage.
Je
défie le plus sévère Examinateur de trouver parmi nous
une Folie, qui ne règne chez eux dans le même dégré ; si
nous avons nos Marchandes de Galanterie, nos Tailleuses,
& nos Coëffeuses avec qui nous passons notre tems,
n’ont-ils pas leurs Tailleurs, leurs Perruquiers &
même leurs Raccommodeurs de Visage, qui occupent autant
du leur ? N’y a-t-il pas autant d’Attirails sur la
Toilette d’un Damoiseau, qu’il peut y en avoir sur la
Toilette de la plus grande Coquette ? Ne prend-il pas
autant de Peine à attirer l’Admiration ? N’en est-il pas
aussi passionné & aussi fier ? Les Hommes ne
courent-ils pas généralement avec un égal Empressement
après chaque nouvelle Mode ? Y a-t-il quelque Amusement autant absurde qu’il vous plaira, qu’ils
ne mettent à la Mode par leur Exemple ? Si nous
affectons dans notre Démarche & dans nos Gestes
quelque chose de la Grossière rusticité d’une
Campagnarde, ne prennent-ils pas dans tous les Endroits
publics l’air & le maintien d’un Hussard.
Livello 4
Racconto generale
Je veux vous dire ce
qui m’arriva l’autre Jour dans le Mail. Nous
étions trois Dames parfaitement bien mises. Pour
moi j’avois un Habit neuf complet, & chacun me
disoit, qu’il étoit de très bon Goût. Pour dire
vrai, nous occupions toute la Largeur de l’Allée ;
& malheureusement pour moi, je me trouvois à
une des Aîles, lorsqu’un certain Homme, qu’on m’a
dit être de nos Héros de Dettingue, vint passer
rudement à mes côtés avec un Epée aussi longue que
lui-même, qui brandilloit à ses Génoux, & qui
venant à s’engager dans les Franges de ma Jupe, la
déchira de la plus terrible manière qu’on puisse
s’imaginer. Heureusement je ne m’intéresse pas
assés en Faveur d’aucune Personne de
ce Sexe, pour me mettre en Peine, à quel point ils
se rendent ridicules. Je ne fis que rire en voyant
son Chapeau troussé à la Kevenhuller, qui étoit
tant à la Mode il y a quelque tems, & les Airs
de Fanfaronade d’un Homme qui auroit peut-être fui
à la seule vûe d’une Sarbacane (*
5).
En un mot tout ceci ne me toucha point. Mais
comme tout mon Sexe, & moi-même en particulier, nous
avons été molestées par ces Epées d’une énorme Longueur,
& par la Manière dont-on les porte, je n’ai pû
m’empecher de vous communiquer mes Idées à ce sujet,
vous priant de les insérer dans le prémier Discours que
vous publierez. Si vous êtes réellement aussi impartiale
que vous voudriez passer pour telle, vous ajoûterez
quelque chose de votre propre Fond, pour faire rougir
les Hommes de ce qu’ils paroissent dans un Pays, qui,
graces au Ciel, jouit à présent de la Paix
dans son Intérieur, comme s’ils étoient sur le champ de
Bataille, prêts à commencer l’Engagement. Je suis aussi
très persuadée qu’un Mot sur quelques autres de leurs
Folies & de leurs Affectations, plaira extrêmement à
toutes les Personnes de votre Sexe qui lisent votre
Ouvrage, & obligera particuliérement celle qui est
avec un sincére attachement. » Madame, Votre très humble
& très
obéïssant Servante. Leucothée. Pall Mall
ce 30 Mai 1745. « P.S. Comme j’avois fini ma Lettre, une
jeune Dame est entrée pour me faire Visite, je lui ai
montré ce que je vous ai écrit, & elle m’a d’abord
prié d’insinuer quelque chose sur ce que les Hommes
perdent tant de Tems aux Fenêtres des Caffés, purement à
faire leurs Observations sur ceux qui passent, & à
les tourner en ridicule. Mais comme ce
sujet est trop vaste pour une Apostille, & que je
suis trop paresseuse pour recommencer ma Lettre, si vous
voulez consacrer quelques Pages à montrer la Folie de
cette Conduite, ce sera une nouvelle Obligation que je
vous aurai. Adieu pour cette fois, bonne Spectatrice ;
si quelque chose digne de vous être présenté se présente
à moi dans la suite, vous pouvez compter que je vous en
ferai part. »
Metatestualità
Je suis obligée à cette
Correspondante de ses bonnes Intentions en ma Faveur ; mais
je dois prendre la Liberté de dire, qu’il y a un peu
d’Injustice dans ses Plaintes. La Vanité, l’Affectation,
& toutes les Fautes de cette Nature sont infiniment
moins excusables chez les Hommes, que chez les Femmes, parce
qu’ils ont plus d’Occasions que nous de s’instruire. C’est
pourquoi si j’ai addressé particuliérement mes Avis aux
Personnes de mon Sexe, je l’ai fait par deux Raisons. La
première, parce que comme Femme je m’intéresse plus à leur
Bonheur ; & la seconde, parce que je n’ai pas une Idée
assés haute de ma propre Capacité, pour
m’imaginer qu’un Censeur Fémelle soit capable de déterminer
les Hommes à faire dans leur Conduite, la reforme qui y est,
je l’avoue, si nécessaire. A l’égard du Grief, dont elle se
plaint, c’est une commune Observation, qu’en tems de Guerre
les jeunes Garçons paroissent dans les Rues avec des Bonnets
de Grénadiers, des Epées de Bois pendues à leurs Côtés,
& se forment en petits Bataillons. Pourquoi donc
seroit-elle surprise, que des Garçons un peu plus âgés, mais
aussi jeunes pour leur Jugement, affectent un Air Guerrier
en Faveur de la Reine de Hongrie, & s’équippent autant
qu’il leur est possible, comme ceux qui ont combattu pour
cette fameuse Héroine Allemande ! Plusieurs ont déjà fait
une Campagne à son Service, & peut-être d’autres ont
l’Ambition d’en faire de même, si la Guerre continue comme
il y a apparence, & ils ne font que pratiquer à présent
les prémiers Rudimens de la Valeur, comme la Réverence
précède la Danse. Une marque distinctive de mauvais Goût
dans l’un ou l’autre Sexe, c’est l’Affectation d’une Vertu,
qu’on ne tente pas de pratiquer ; il paroit
de-là que nous considérons uniquement ce qu’on doit penser
de nous, non ce que nous devons être réellement. Un Air
arrogant, fanfaron, n’est pas plus une marque de Courage
dans un Homme, qu’un Air de Réserve & affecté ne prouve
la Modestie d’une Femme. Ces longues Epées, & qui
incommodent tant Leucothée, peuvent avoir été d’un grand
Service à la dernière Bataille de Fontenoy, parce que
chacune pouvoit servir à son Maître de Béquille dans le
Besoin ; mais ici dans Londres, à mon Avis, & suivant
mes Idées de Parure, elles ne sont pas seulement incommodes
aux autres, mais extrêmement indécentes, parce qu’elles ne
sont point nécessaires à ceux qui les portent.
Je
crois cependant que si les Dames vouloient retrancher une Verge
ou deux de ces vastes Paniers qu’elles portent à présent, elles
seroient beaucoup moins exposées non seulement aux inconveniens
dont ma Correspondante fait Mention, mais aussi à plusieurs
autres Embarras, auxquels elles s’exposent en marchant dans les
Rues. Combien de fois les Aîles de ces immenses
Machines, quoiqu’élevées présque jusques au creux de l’Aisselle,
ne saisissent-elles pas ces petits Poteaux qui supportent ce
grand nombre de Bancs qui abondent dans cette grande Ville,
& renversent ou du moins mettent en Danger toute la
Fabrique, au grand dommage du Fruitier, du Poissonnier, du
Marchand de Boucles & de Peignes, & d’autres petits
Boutiquiers. Il est arrivé plusieurs vilains Accidens de cette
nature, mais j’en ai vû un des ma Fénêtre qui peut servir
d’Avertissement à mon Sexe, soit prendre une un <sic>
Carosse, soit de laisser chez elles leurs énormes Paniers,
chaque fois qu’elles ont Occasion de sortir le Lundy, ou le
Vendredy, & sur tout le matin.
Livello 3
Racconto generale
Ce fut un de ces Jours
malheureux, qu’une jeune Personne, qui, j’ôse l’assûrer,
n’avoit pas besoin de laisser Personne chez elle pour
avoir soin de ses meilleures Nipes, passoit en trottant
avec un de ces Paniers, qui causent tant de Désordre. Le
sien en particulier s’étendoit, depuis le Pas de ma
Porte jusques aux Pôteaux, qui défendent le Passage
contre les Carosses & les Charettes. On conduisoit
dans le même instant à la Boucherie un
nombreux Troupeau de Moutons, lorsqu’un Accident ayant
fait écarter de son Chemin un vieux Bélier, qui étoit à
la tête, il courut directement dans le Passage des gens
de pied, & alla d’abord embarrasser ses Cornes dans
le Panier de cette belle Dame, en même-tems qu’elle
l’élévoit d’un côté suivant la Mode, & comme la
Forme de ces paniers l’exige ; l’épouvante fit qu’elle
le laissa tomber, ce qui embarrassa encore davantage le
Bélier, parce qu’il tomba sur son Cou. Elle essaya de
courir & lui de se débarrasser. Ni l’un, ni l’autre
ne pouvant en venir à bout, elle jetta des Cris, il
bêla, le reste du Troupeau fit l’Echo, & le Chien
qui suivoit le Troupeau, se mit à abboyer, ensorte que
le tout faisoit une fort vilaine Musique. Bientôt la
pauvre Dame ne pouvant plus résister aux Efforts que le
Bélier faisoit pour obtenir sa Liberté, se laissa
tomber ; ce qui l’exposa aux Huées de la Populace qui
s’étoit amassée dans un instant. Enfin celui qui menoit
le Troupeau, & qui étoit assés éloigné, arriva, pour
aîder à mettre en Liberté sa Bête, & à lever la Dame
de terre. Mais jamais Parure ne fut plus
endommagée. Les dernières Pluyes avoient rendu le Pavé
si excessivement sale, que sa Robe & sa Jupe, qui
étoient auparavant jaunes, Couleur si respectée à
Hanovre, & qui est tant à la Mode aujourd’hui en
Angleterre, furent alors cruellement barbouillées d’un
brun sale. Ajoûtez encore sa Coëffe de gaze à moitié
hors de sa Tête dans le Débat, & sa Tête de mouton
suspendue sur une épaule. La Populace toûjours
grossière, au-lieu de la plaindre, insultoit à son
infortune & continua ses Huées, jusques à ce qu’elle
se fût réfugiée dans une Chaise, & qu’on l’eût
perdue de vûe.
Metatestualità
J’avoue qu’il est au-dessous de
la dignité d’une Spectatrice de prendre Connoissance des
accidens de cette Nature ; mais j’y ai été entraînée par les
plaintes de Leucothée, & l’envie qu’elle témoigne devoir
sa Lettre insérée dans ce Discours.
Cependant ee
<sic> n’est pas une chose tant impropre de montrer,
comment dans un Article aussi trivial que la Parure, on peut
distinguer le bon, ou le mauvais Goût, & dans quels étranges
Inconveniens le dernier peut nous faire tomber.
Nous pouvons être sûrs de ceci, que là, où il y a une
Impropriété, il y a aussi un manque manifeste de bon Goût ;
& si nous examinons les Ouvrages de la Source & de
l’Origine divine de toute Excellence, nous y remarquerons
l’Ordre & l’Harmonie la plus exacte. Aucun Atome ne trouble
les Mouvements des autres, chaque chose en haut, ici bas, &
autour de nous, est tenue dans une parfaite Régularité. Tâchons
donc de suivre la Nature d’aussi prés qu’il est possible, même
dans les choses qui semblent mériter le moins de Considération,
aussi bien que dans celles qui sont reconnues pour en demander
le plus, & je suis sûre, que nous ne serons point exposées
aux Censures du Public pour avoir un mauvais Goût.
Metatestualità
Notre Imprimeur vient de nous
apporter un gros Paquet de Lettres ; nous n’avons eû encore
le tems que d’en lire trois. Celle d’Eumène mérite quelque
Considération, & si en pésant mûrement cette Affaire,
nous pouvons nous assûrer, qu’elle n’offensera Personne,
nous lui donnerons une Place dans notre Discours suivant
avec quelques Réflexions sur le sujet qu’elle contient. A l’égard de l’Invective de Pisistrata, (nous
espérons qu’elle nous pardonnera l’expression) comme nous
nous sommes fait une Règle de ne jamais entrer dans un sujet
de Scandale particulier, nous sommes surpris qu’elle
s’attende de voir la Spectatrice répandre une Histoire de
cette Nature. Les Remontrances d’Amonie ont plus de Droit à
notre Attention & cette Dame peut s’assûrer, que nous
lui donnerons une Attention convenable, pourvû que les
autres Lettres, que nous n’avons pas encore eû le Plaisir de
parcourir, ne nous obligent pas à différer jusques au mois
suivant, à en prendre une juste connoissance.