La Spectatrice. Ouvrage traduit de l'anglois: Livre Treizieme.
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Livre Treizieme. Fin de la treizième Partie.
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Rien ne montre
mieux un Esprit foible, petit, que de se plaire à repandre sourdement tous les mauvais
Contes qu’on nous fait au préjudice de nos Voisins. C’est un Défaut, dont on accuse
particuliérement notre Sexe, &, ce qui me fait une véritable Peine, avec trop de
Justice. Quelques Personnes prétendent que ce malheureux Penchant vient de ce que nous
avons plus d’Envie & de Malice dans notre Caractère ; & d’autres
l’attribuent uniquement à un Manque de quelque chose, qui puisse nous occuper. La dernière
Conjecture est certainement la plus vraie. Nous voyons très souvent des Femmes, qui, à tout
autre égard, ne peuvent point être accusées de Méchanceté, & qui se plaisent cependant
à ouir toutes les Histoires scandaleuses, quoiqu’elles n’ayent aucun Démêlé, ni de sujet
d’Envie contre les personnes, qui en sont l’Objet. Mais ce Motif, quoique moins criminel,
est également honteux ; & lorsqu’elles s’occupent à raconter des Affaires, où elles
n’ont aucun Intérêt, elles devroient rougir de Honte, en pensant qu’elles ne peuvent pas
donner à leurs propres Affaires l’Attention qui leur est due, & dont elles ont, sans
doute, un très grand besoin.
Il y a des personnes qui ont une si grande Vanité de passer pour être les prémieres
à apprendre les Nouvelles, qu’elles sacrifieront toute autre Consideration à cette ridicule
Ambition ; dirai-je de quoi ? d’être une Rapporteuse ! une Causeuse ! d’aimer à éplucher
les Ordures ! Infame Caractére ! même pour la personne la plus mal élevée, encore plus pour
une Femme de Qualité & de Distinction ! Aucune, je pense, n’avouera que c’est son
Caractère, mais il n’y en a que trop qui en donnent des Marques infaillibles. Je veux être
assés charitable pour supposer que quelques-unes ne s’apperçoivent point de ce Défaut dans
leur Caractère, mais je leur demande pourquoi elles sont dans cette Ignorance ? Ne leur
a-t-on jamais recommandé d’examiner leur propre Cœur ? Ne leur a-t-on pas parlé
de cette Etude comme de la prémiere & de la principale qu’elles doivent faire ?
N’est-elle pas à la portée des plus Petits, comme des plus Grands ? N’est-elle pas
également nécessaire aux uns & aux autres ? Tous n’ont pas ce fond de bon Naturel,
nécessaire pour traiter leurs semblables, avec cette Tendresse que les Loix humaines &
divines demandent ; nous devons donc y suppléer par Principe, ce qui ne peut venir que de
la Raison & du Recueillement. Lorsqu’on fait en notre Présence des Réflexions malignes
sur une personne absente, seroit-il trop pénible pour nous de penser qu’elles peuvent être
mal fondées ; ou, en supposant qu’elles soyent vraies, que nous ne devons point condamner,
ni censurer en nous-mêmes les Fautes des autres, encore moins les repandre dans le Public ?
C’est être cruel que d’insulter aux Foiblesses de la Nature Humaine. Mais il est encore
plus bas & plus injuste d’accuser sans Fondement, comme il n’arrive que trop souvent.
Ceux qui aiment les Nouvelles de cette Espéce devroient, lorsqu’ils en entendent, se faire
cette Question : Ne peut-on pas me dire ceci pour m’amuser & parce qu’on
sait que ces rapports me plaisent ? Il y a en cela plus que de la vraisemblance. Combien
d’Honnêtes Réputations ont été ternies, ou par cette folle Vanité d’avoir toujours quelque
chose de nouveau à dire, ou par les Vûes basses des Rapporteurs qui veulent se mettre bien
avec ceux dont ils connoissent le Goût pour les Histoires scandaleuses ! Si chacun étoit
résolu de ne prêter jamais l’Oreille à des Informations de cette Nature, on en seroit
bientôt délivré ! Si les Histoires contraires à l’Honneur de certaines personnes se
repandent, c’est parce qu’on les encourage ; & suivant moi, ceux qui leur prêtent
Attention, sont également coupables, comme les Rapporteurs. Ainsi, que doit-on penser de
ceux qui les repètent, qui se plaisent à sonner de la Trompette d’Infamie, & triomphent
en voyant le Naufrage de la Vertu, tandis qu’ils devroient la plaindre & lui tendre une
Main sécourable pour la relever ? Oh ! il n’y a point de Termes pour exprimer une
Disposition si barbare, si opposée au Caractére du Sexe féminin ! Il y en a qui
sont prévenues de cette Idée, toute fausse & absurde qu’elle est, que leur propre
Réputation s’élève sur les Ruines de celle des autres ; que leurs bonnes Qualités, réelles
ou prétendues, brilleront davantage, en jettant une Ombre sur celles des autres ; mais bien
loin que ceci réponde au But qu’elles se proposent, ceux qui les entendent soupçonnent
d’abord, qu’en s’étendant sur les Fautes & les Folies de leurs Voisins, elles ne le
font que pour détourner l’Attention du Public de leurs propres Fautes, & ils ne se
trompent pas toûjours, en portant ce Jugement sur celles qui aiment à médire. Mais
supposons que l’Objet de notre Risée soit juste, que les Fautes que nous condamnons soient
si palpables, qu’on ne puisse pas les révoquer en doute ; ne sommes-nous pas sûres qu’elles
attireront infailliblement sur la Personne coupable, une foule d’Infortunes, qui dévroient
plutôt exciter notre Compassion que notre Mépris ? D’ailleurs, quoique nous puissions être
instruites de la Faute, nous le sommes rarement des Circonstances qui y ont entraîné les
Personnes que nous blâmons ; & il arrive souvent qu’en même tems que nous
les tournons en ridicule à ce sujet, une Conviction secréte est parvenue à leur Cœur ;
elles se jugent peut-être avec plus de Sévérité que nous ne pouvons le faire ; & elles
prennent peut-être la Résolution d’expier leur Conduite passée par la plus grande
Régularité à l’avenir. N’est-ce donc pas une grande Inhumanité de les exposer, &
vraisemblablement, de renverser leurs bonnes Intentions ? Enfin il n’y a point de
Circonstances qui puissent justifier une Personne qui avilit le Caractère d’une autre,
& comme je pense que cette Habitude de médire vient plus souvent d’une trop grande
Liberté de Langue, que d’aucun mauvais Dessein, je voudrois que tous ceux qui sentent du
penchant à ce Défaut, daignassent se rappeller cette Réflexion de Shakespear.
La Curiosité est la Mère
de ce Vice. Si nous n’étions pas tant empressées de voir dans les Affaires des autres, il
nous seroit impossible de les connoître si bien, la Passion de pénétrer les Sécrets règne
tellement parmi notre Sexe, que nous avons Besoin d’un grand Fond de bon Sens & de
beaucoup d’Attention, pour nous en garantir. Cependant si nous pensions avec qu’elle
Sévérité les Hommes nous traitent à cause de cette Foiblesse, nous ne plaindrions pas, à
mon avis, une légère Peine, pour montrer que nous pouvons nous défaire de ce Vice.
Deviendrons-nous plus sages ou plus heureuses en apprenant ce que les autres font ? Oui,
repondront quelques personnes. Nous pouvons profiter du bon Exemple des uns,
& éviter les Excès dans lesquels les autres sont tombés. Cette Raison pourroit avoir
quelque Force ; si nous ne trouvions pas dans l’Histoire assez d’Exemples pour notre
Instruction ; mais, graces au Ciel, il y en a un grand nombre, dont on peut tirer plus
d’utilité que de nos Observations présentes. Dans un Siécle, où le Vice & la Folie sont
sur le Trône, le vertueux & le sage aiment mieux rester dans l’Ombre que de s’exposer à
un Soleil trop ardant. Ainsi leurs bonnes Actions sont moins remarquables, & ne peuvent
servir de Modele qu’à très peu de Personnes ; & à l’égard des autres, si le Témoin que
nous avons au dedans de nous-mêmes, manque de nous avertir, lorsque nous faisons mal, aucun
Exemple du déhors n’aura assez de Force pour nous empêcher de tomber dans les mêmes Fautes
que nous blâmons. C’est pourquoi la Curiosité à une Excuse bien foible, & celles qui le
proposent, se font illusion ; nous n’avons point d’autre Motif pour nous informer des
choses qui ne nous regardent point, que le Plaisir de les repandre, & la folle Vanité de passer pour une Personne, à qui rien n’échappe. Les Hommes eux-mêmes,
ne sont pas tout-à-fait exemts de ce Foible, quoiqu’ils puissent nous condamner à ce
sujet ; sur-tout ceux qui affectent d’être grands Politiques.
Cependant le meilleur moyen de leur
imposer Silence, seroit que nous ne leur donnassions aucun sujet de nous blâmer ; & je
pense que rien ne seroit moins difficile, si nous voulions nous y appliquer sérieusement,
& réflechir combien nous nous exposons nous-mêmes à la Censure, tandis que nous y
exposons les autres ! Combien il est naturel qu’on nous rende cette Injure en mêmes
espèces ! & que, si ceux dont nous noircissons le Caractère sont moins vindicatifs que
nous ne devons nous y attendre, nous sommes assûrées de passer dans l’Esprit de ceux qui
nous entendent pour un mauvais Caractère. Il est étrange, à mon avis, que ce vaste Univers,
& toutes les différentes Scénes qu’il nous présente, ne fournissent pas assez de sujets
pour la Conversation d’un Etre raisonnable, sans dégrader le plus excellent
& le plus parfait de ses Ouvrages, au moins de ceux qui habitent ce Monde sublunaire,
ou que nous pouvons découvrir avec nos foibles Yeux.
La parole nous a été donnée pour nous communiquer tout ce qui peut servir à notre
utilité réciproque ; c’est pourquoi ne faisons pas servir ce noble Avantage à un But si
contraire à l’Intention de celui qui nous l’a conféré. Que notre Langue, au-lieu de montrer
des Talens qui nous mettent de niveau avec les Hommes, ne soit pas employée à avilir la
Dignité de notre Sexe. Nous devrions cacher & pallier, autant qu’il nous est possible,
les Fautes que nous découvrons parmi nous ; les Hommes ne sont que trop promts à s’en
appercevoir, & tandis qu’ils nous traitent d’Anges, ils sont assés
disposés à nous mettre dans le nombre de ceux qui sont tombés. Mais comme je l’ai déjà
remarqué, le nombre de celles qui inventent, ou repandent des Histoires scandaleuses, est
bien petit en comparaison de celles qui ne le font que pour plaire à d’autres, ou parce
qu’elles n’ont rien à dire. Ainsi je suis obligée de revenir à mon vieux Raisonnement,
savoir la nécessité de rentrer de tems en tems en nous-mêmes & de ne parler jamais
d’une chose de quelque importante, sans en avoir bien pésé les Conséquences, avec autant de
Soin que s’il falloit agir. La plus légère Médisance, ou même une Insinuation obscure,
qu’on aura lâchée en présence d’une personne, qui peut en tirer un cruel Avantage, est
sujette à être changée dans le Conte le plus noir, & ne l’a été que trop souvent, à la
ruine de la Réputation & de la Fortune de ceux qui en étoient l’Objet. Chaque soufle de
Haine, d’Envie & de Calomnie enfle les Voiles de la Médisance. Même les vains Soupçons
servent d’Escorte à cette Cargaison envenimée, jusques à ce qu’elle parvienne
au Port de la Persuasion, où elle ne manquera pas d’être fatale, en empoisonnant toute
l’Amitié, toute la Tendresse, & toute la Considération qui peuvent subsister entre les
plus chers Amis, ou Parens. Combien de fois un seul Mot inconsidéré n’a-t-il pas occasionné
des Querelles irréconciliables ! Combien de malheureux Différens se sont élevés, combien de
Jalousies sans Fin ont été excitées, uniquement pour satisfaire l’a Fantaisie, ou
l’Extravagance de ceux qui aiment tout ce qui est susceptible d’une mauvaise
Interprétation !
Dans un autre endroit, cet Auteur poursuit le même sujet, sous des Figures
& des Expressions différentes. Je ne puis m’empêcher de citer ici un autre Poëte, qui se plaint, avec beaucoup
d’Emphase, de la Sévérité du Monde à l’égard de la Réputation. Mais
il n’est pas nécessaire d’entasser des Autorités pour montrer combien la
Réputation est un Joyau inestimable ; & comment on a toujours traité de Scélératesse
& de Cruauté toutes les Tentatives pour nous en priver ; il ne faut avoir que la
Capacité la plus commune pour le sentir. La chose parle d’elle-même ; la Nature & le
Sentiment nous persuadent plus que le Raisonnement. Pourquoi donc badinons-nous si
sérieusement avec la chose la plus sérieuse ? une chose qui fait le Bonheur, ou le Malheur
de la Personne intéressée ? A-t-on quelque Ombre d’excuse pour nuire à un autre, sur un
sujet qui, bien loin de nous procurer à nous-mêmes aucun Avantage, nous rend au-contraire à
charge à la Société. Si on ne trouvoit ce Défaut que dans les Personnes qui manquent de
Jugement, nous en serions moins étonnées ; mais je suis fachée de dire, que des personnes
de très bon Sens à d’autres égards, s’y laissent entraîner, à l’instigation de quelque
Passion Favorite, qui n’a pas été suffisamment reprimée par ceux qui ont eû soin de leur
Jeunesse, & contre laquelle leur Orgueil, ou leur Indolence, les empêchent de
combattre.
Mais pour me servir d’une Phrase de l’Ecriture. La Passion pour les Histoires scandaleuses
vient uniquement de ce qu’on ne sçait à quoi s’occuper ; l’Ame est naturellement ennemie du
Repos, & veut de l’Action, si on n’a pas soin de lui donner de l’Occupation, elle en
choisira elle-même. Peut-être ne se décidera-t-elle pas toûjours pour ce qui tourne à son
Honneur ou à l’Avantage de ses Voisins. Il est plus nécessaire de réfléchir à ce sujet
qu’on ne le pense ordinairement ; car si nous ne présentons pas à l’Etre pensant
quelqu’Objet, dont il puisse s’occuper, il s’embrouillera lui-même parmi une multitude
d’Idées différentes, qui se confondants les unes les autres détruisent le Jugement & la
Réflexion ; desorte <sic> que si nous faisons quelque Bien, c’est ordinairement par
hazard ; mais le Mal que nous faisons, nous appartient réellement, parce que nous n’avons
pas réglé suffisamment les Principes qui nous font agir.
Ceci ne
doit pas paroître étrange à une Personne qui considère la Nature ; si nos Cheveux venoient
à grisonner & notre teint à jaunir, sans que nous nous apperçussions de ce Changement,
jusques à ce que nous le vissions tout d’un coup dans un Miroir, il feroit beaucoup plus
d’effet sur nous, que si nous le voyons arriver par dégrés. La surprise a, sans doute,
beaucoup d’Influence sur l’Esprit dans tous les cas ; c’est pourquoi on ne doit pas
s’étonner, que les Leçons nous soient si peu utiles quand elles partent d’où nous les
attendons. Si nous les écoutons, c’est avec Indolence, & elles ne font sur nous qu’une
très petite Impression, si même elles en font une. Mais quand nous cherchons quelque chose
de contraire, elles ont alors une très grande force sur nous. Les Ouvrages d’une
Auteur qui passe pour être Satyrique, ne sont lus qu’avec une espèce de Préjugé, &
quoiqu’ils ne manquent pas de Lecteurs, c’est uniquement parce que chacun s’attend à voir
les Folies, ou les Vices de ses Voisins tournés en Ridicule ; il n’a pas le moindre
Soupçon sur ses propres Défauts, & quoiqu’ils puissent le rendre Ridicule aux Yeux des
autres, il ne fait aucune Attention à ce qui s’addresse particulièrement à lui. Mais un
Auteur, qu’on ne soupçonne pas de Satyre, & cependant qui introduit sur la Scéne
quelque chose de Parallele aux Circonstances de son Lecteur, a quelquefois le bonheur de
frapper l’Ame, de la reveiller de sa Léthargie & de l’engager à réfléchir. Cependant on peut repondre que nous
avons des Vices parmi nous, ou des Folies, ce qui revient présques à la même chose, dont
les Loix ne prennent point Connoissance ; & il faut convenir que cette Objection est
fondée sur des Faits trop connus pour être révoqués en Doute ; aussi faut-il observer, que
je ne parle point ici de ces coupables qui sont revêtus d’un Caractère Public, & qui
en profitent pour opprimer le Corps de la Nation ; car dans ce cas chacun est endroit de s’écrier, & de demander hautement justice ; mais je ne voudrois pas
que les Clameurs s’étendissent au-delà des Griefs, & s’ils sont publics, on n’a pas
besoin d’y joindre les Fautes particulières. J’ai souvent trouvé étrange, que dans les
Elections pour les Membres de Parlement, la plus vile Populace ait une si grande Licence
pour diffamer. On me dit, que l’Usage de l’ancienne Rome autorise ce Procédé, je
voudrois que nous imitassions cette illustre République à d’autres égards qui le méritent
mieux ; il m’a toûjours parû qu’en ceci nous avons une Coutume barbare & qui ne
s’accorde nullement avec les Mœurs d’une Nation, qui prétend être civilisée. J’espère donc
qu’on appliquera à la Vie privée ce que je dis du Silence à l’égard des Fautes des
autres ; & à l’égard des Injures Publiques, on peut, on doit même s’en plaindre,
quelle que soit la Qualité de la Personne qui les fait, puisque la Nation n’a point
d’autre moyen d’obtenir le Redressement de ses Griefs ; dans ce cas tâcher de mettre à couvert, ou de protéger l’Offenseur, c’est se rendre coupable envers le Peuple
d’une Trahison, qui ne doit pas être pardonnée. L’Amour de notre Pays demande nos prémiers
& nos plus grands Soins, & lorsque nous découvrons un Dessein, même le plus
éloigné, de l’opprimer, quoiqu’il ait été formé dans le Sein de la Personne qui nous est
la plus chère, toute Tendresse partiale, toute Liaison d’Amitié particulière doit céder à
la Sûreté générale, comme dit Cowley dans sa justification de Brutus.
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Fremdportrait
J’ai vû une belle Dame, comme accablée de Lassitude,
mourante à cause de ses Vapeuss <sic>, & dans une telle Léthargie ; qu’elle
avoit de la Peine à prononcer une seule Parole, ou à remuer le Doigt : & cependant
cette insensible, à toute autre chose, n’a pas plutôt entendu parler de quelque nouvelle
Intrigue, vraie ou fausse, n’importe, ou entre des Personnes de sa
connoissance, ou entre d’autres qu’elle ne connoit que de Nom, que ses Yeux ont brillé
d’un nouvel Eclat. L’agréable Sourire est revenu orner ses Joues ; elle s’est levée sur
le champ, à <sic> fait mettre les Cheveux à son Carosse, & à presque tué ces
pauvres Animaux en courant la Ville avec cette Intelligence.
Fremdportrait
puisqu’une Femme dont la Réputation est entiérement ruinée, ne se fait scrupule de rien,
parce qu’elle n’a rien à perdre. Tout Sentiment de honte est mort dedans d’elle-même,
& elle croit n’avoir rien à faire que de défier le Monde, & de mépriser les
Censures, dont elle ne peut pas arrêter le Cours.
Zitat/Motto
Le joyau le plus précieux d’un Homme, ou d’une Femme, c’est
une bonne Réputation. Celui qui dérobe ma Bourse, ne fait pas un grand gain, c’est quelque
chose, ce n’est rien ; elle étoit mienne, elle lui appartient à présent ; & elle a été
l’Esclave de plusieurs millions. Mais celui qui me dérobe mon Honneur, m’enlève une chose,
qui ne l’enrichit pas, & qui m’appauvrit réellement.
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Fremdportrait
On en voit, qui ne peuvent, ni manger, ni dormir, s’ils ont
appris un Secret, qu’ils ne l’ayent communiqué à toutes les personnes de leur
Connoissance ; & ceux qui ont la Réputation d’être plus sages & plus prudens, ne
peuvent s’empêcher, lorsqu’on parle d’une affaire, de donner à connoître par un mouvement
de tête, un coup d’œuil, un sourire, & mille autres Indices, qu’ils en savent plus
qu’ils ne jugent à propos d’en dire. Des Hommes de ce Caractère fréquentent les Levers
des Grands ; ils occupent l’Antichambre, la Galerie, ils s’imaginent de pouvoir lire sur
le Visage de tous ceux qui sont présens, & si par avanture, ils entendent un Mot en
passant, ils se félicitent de ce qu’ils ont eû la pénétration de découvrir des choses
étonnantes dans une simple Sentence ; ils courent ensuite d’un Caffé à l’autre, &
avec une contenance assûrée, ils font le tour de la Chambre en disant tout
bas à l’Oreille d’un chacun ce Secret imaginaire.
Metatextualität
Mais en voilà assez sur les Hommes de ce Caractère ; je n’en
aurois pas fait mention, si je n’avois pas voulu les engager à retrancher ce que leurs
Railleries contre nous ont de trop piquant.
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Exemplum
Les Turcs soûtiennent que les Femmes n’ont point d’Ame,
& il y a bien des Chrétiens qui penchent à cette Opinion ; ainsi qu’elle bassesse n’y
a-t-il pas de donner lieu à des Raisonnemens de cette nature, en nous conduisant comme si
nous étions incapables de penser & de réflechir, ce qui constitue l’Essence de l’Ame.
Zitat/Motto
O Réputation, dit le vieux Poëte Brome,
l’Objet favori de l’Honneur, dont l’éclat est si passager ! Toi, l’Idole d’une heure !
Comment un seul Instant suffit-il pour ternir tout ton Lustre ! l’Innocence elle-même ne
peut pas te mettre à l’abri des noires Exhalaisons, que la Calomnie envoye contre toi ;
des Mâts qui ne sont pas destinés à atteindre ta Sphère de Crystal, l’obscurcissent
souvent, enveloppent dans de sombres Vapeurs la Récompense de la Vertu, & rendent tes
Titres douteux, si non faux, à des yeux de Boue, qui ne voyent point à travers les Nuages,
dont tu ès environnée.
Zitat/Motto
Bonne Réputation, toi, un
tendre bouton d’un Printems hâtif ! Comment ne fleurirois-tu pas & n’épanouïrois-tu
pas tes Feuilles délicates, si une Gelée perçante ne venoit pas les rider à mesure
qu’elles s’ouvrent ! Et lors même que l’Eté arrive, combien de fois tes Fleurs & tes
Fruits sont-ils gâtes par des Vents cruels, & une Saison peu favorable ! Tout ce qui
devroit charmer le Monde, vient concentrer en toi les Eloges qui lui sont dûs. Toi seule
connois ce que tu es : cependant l’homme ne trouve pas toûjours en toi ce qu’il attendoit.
Zitat/Motto
Combien vaine est la Vertu, qui conduit nos Pas à travers des Dangers assurés à
des Eloges incertains : Stérile & frivole Nom ! la Fortune te fuit avec ton Chetif
Train. L’Homme pieux & sage, le Ciel te laisse avec ton seul Nom sans aucune
Considération, & permet que tu sois bien pauvrement ta propre Récompense.
Metatextualität
On connoit trop bien les Maux que les Langues, qui se
plaisent dans le Scandale, ont occasionnées, pour que j’aie besoin d’en citer des
Exemples. Cependant je ne puis m’empêcher d’en communiquer à mes Lecteurs un, qui est tout
recent, & qui a quelque chose de très particulier.
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Allgemeine Erzählung
Philamour & Zimene passoient pour deux Epoux très
heureux. Ils étoient mariés depuis environ trois, ou quatre Mois, & il ne paroissoit
pas y avoir la moindre Diminution dans leur première Tendresse, lorsqu’Ariane qui étoit
une de ces Dames gayes, inconsidérées, dont j’ai fait le Portrait, vint faire visite à
Zimene, grosse d’un Secret, qu’elle venoit de découvrir. Il paroit que quelcun de ces
gens empressés, qui se mêlent de tout, l’avoit informée que Sophronie, qui affectoit tant
de Vertu, avoit des rendez-vous secrets avec un Jeune Cavalier dans une Maison, où l’on
vendoit des Habits de Mascarade ; qu’ils s’y rendoient deux fois chaque Semaine, & ne
se séparoient jamais que bien tard dans la Nuit. Ariane assûra à Zimene que son Avis
étoit certain ; que Sophronie, toute prude qu’elle étoit, avoit certainement
une Intrigue ; & finit en disant, que ce seroit une chose charmante de découvrir la
Personne qui avoit fait la Conquête d’un Cœur, qui prétendoit être imprénable. Zimene ne
sentoit pas moins de Curiosité, & elles commencèrent d’abord à concerter ensemble les
Moyens qui pourroient les faire réüssir ; enfin elles s’arrêterent à celui qui leur parut
le plus vraisemblable, & qui répondit réellement au But qu’elles se proposoient.
Ariane, comme la moins connue dans le Quartier, ou étoit le lieu de l’Assignation, alla
louer un Logement dans la même Maison, ajoûtant que c’étoit pour une Parente qui devoit
arriver au plûtôt en Ville. Après avoir convenu du Prix, elle y revint deux ou trois fois
le même Jour, sous le Prétexte de voir chaque chose en Ordre ; le Prix excessif qu’on
devoit payer, excusoit l’Incommodité continuelle qu’elle causoit aux Gens de la Maison.
D’ailleurs elle avoit soin de les regaler chaque fois de Thé, de Vin & de Douceurs.
Enfin elle s’apperçut qu’ils paroissoient plus occupés qu’à l’ordinaire, on montoit &
descendoit sans cesse, & on avoit allumé du Feu dans l’Appartement
au-dessus du sien ; elle ne fit pas semblant d’y faire Attention, mais elle sortit tout
doucement & elle envoya son Laquais, qui faisoit Sentinelle au coin de la Rue, à
Zimene, pour lui dire que les Amans étoient attendus ce même Jour. Celle-ci se rejouït en
recevant cet Avis, de ce qu’elle auroit une Occasion favorable de retorquer contre
Sophronie quelque amère Plaisanterie, que cette Dame avoit autrefois lâchée contr’elle.
Enfin elle arriva enveloppée, comme si elle ne faisoit que d’arriver en Ville, & elle
s’excusa de ce qu’elle n’avoit point de Domestiques avec elle, parce qu’elle les avoit
laissés avec son Bagage, qui ne devoit arriver, leur dit-elle, que dans deux ou trois
Jours. Les Gens de la Maison ne s’embarrassèrent point de considerer si cette Excuse
avoit quelque Vraisemblance ; ils ne doutèrent point, quelque fût le Motif qui
l’engageoit à venir loger chez eux, qu’ils n’y trouvassent leur Avantage ; &
peut-être soupçonnerent-ils l’une ou l’autre de ces Dames d’avoir besoin de leur Maison
comme Sophronie, pour y donner rendez-vous à quelque Amant favori. Quoiqu’il
en soit, les deux Dames s’enfermèrent dans leur Apartement, après avoir ordonné qu’on ne
leur servit à Souper qu’à dix heures du Soir ; comme si Zimene avoit besoin de prendre
quelque Repos après la Fatigue du Voyage ; mais dans le fond pour empêcher qu’on ne
soupçonnât leur Dessein, ce qui auroit pû rendre plus circonspects ceux qu’ils étoient
venus observer. Dès qu’elles furent seules, Ariane éteignit les Lumiéres, & ayant
ouvert fort doucement une des Fénêtres de la Chambre à Manger, elle observa fort
exactement ceux qui entroient, pendant que Zimene avoit pris son poste à la Porte de la
Chambre à lit, qui s’ouvroit précisément vis-à-vis de l’Escalier, ensorte qu’elle pouvoit
voir très-aisément par le trou de la Serrure, tous ceux qui montoient ou descendoient.
Elles n’avoient pas été long-tems dans cette situation lorsqu’Ariane vit arriver une
Chaise bien fermée, qui s’arrêta à la Porte, & vint jusques dans l’Entrée ; Zimene de
son côté vit clairement le Visage de Sophronie à la Lumière d’un Flambeau,
qui éclairoit la montée ; elles furent alors très contentes de voir qu’Ariane avoit reçu
un avis bien fondé, & elles attendoient avec Impatience l’Arrivée de l’heureux
Cavalier, afin de compléter leur Découverte & de pouvoir ensuite repandre cette
Histoire dans la Ville avec toutes ses Circonstances. Quelques minutes mirent la fin à
leur Incertitude ; & quoiqu’une telle Situation puisse être désagréable dans quelques
Cas, elle étoit un Paradis en Comparaison de la Fureur dont fut saisie un moment après
une de ces Dames. Ariane ayant vû arriver une seconde Chaise avec les mêmes Précautions
que la première, quitta la Fenêtre, & courut au trou par lequel Zimene regardoit
& qui étoit assés grand pour qu’elles pussent voir l’une & l’autre, en même tems.
Mais bon Dieu ! quelle fut leur Consternation quand Philamour (car c’étoit lui-même)
parut ! Son Epouse pouvoit à peine en croire ses Yeux, & se tournant du côté
d’Ariane, elle s’écria ; Qui est-il ? Ce ne peut pas être mon Epoux ! Chère amie,
délivrez-moi de ce Tourment, & persuadez-moi que je me suis méprise. Je
voudrois le pouvoir, repliqua Ariane présqu’aussi surprise ; mais l’homme que j’ai vû
passer n’est que trop sûrement le perfide Philamour. Il est incertain si cette Dame étoit
autant touchée de l’Injustice faite à son Amie, que cette Expression sembloit
l’insinuer ; parce que les Personnes de ce Caractère sont toûjours charmées de trouver
quelque Sujet qui fournisse à la Conversation, quoiqu’il puisse être triste pour ceux
qu’elles affectent d’aimer. Je ne dis pas, que ce fut exactement le Cas d’Ariane ; mais
au-lieu de raisonner avec Zimene, & de faire ses Efforts pour la calmer dans une
Circonstance si délicate, elle n’omit rien de ce qui pouvoit exagérer le Crime de son
Epoux, & par conséquent augmenter son Indignation. Elle lui conseilloit même de
s’addresser à un Juge à Paix, & d’exposer Sophronie, en se vengeant d’elle, comme une
personne de la lie du Peuple pourroit le faire dans le même Cas. Cependant quoique
l’autre eût trop de bon Sens pour entrer dans des Mesures semblables, qui ne pouvoient
servir qu’à amuser la Canaille, elle n’en eut pas assés pour supporter
l’Infidelité de Philamour, avec cette Patience qui auroit pû le rendre confus de ce qu’il
avoit fait. Elle ne s’apperçut pas plûtôt qu’on leur portoit à souper, qu’elle suivit le
Domestique assés promtement pour empêcher qu’on ne fermât la Porte sur elle ; elle vola à
Sophronie, pour lui arracher les Cheveux, & déchirer sa Coëffure, & l’auroit
effectivement fort maltraitée, si Philamour, tout confus qu’il étoit, ne se fût mis entre
deux, en lui criant ; Non, Madame, quels que puissent être vos Soupçons, ou quoique les
Apparences paroissent me condamner, je ne puis souffrir que vous vous abandonniez à des
Excès que vous condamneriez sûrement si vous étiez de sang froid. Il alloit continuer,
lorsque se tournant de son côté, elle lui arracha sa Perruque & la jetta dans le Feu.
Monstre ! Vilain ! lui dit-elle, une Injure comme celle que j’ai reçue, justifie tout.
Elle lui cracha au Visage, frappa sur le Plancher, & se conduisit en tout comme une
personne entiérement privée de Raison. Dans le même tems Sophronie étoit tellement
accablée de Honte, d’Appréhension, & peut-être de Remords, qu’elle tomba
en Foiblesse. Dès que Philamour la vit dans cet état, aucune Considération ne put
l’empêcher de courir à elle ; ce qui augmenta à un tel point la Fureur de Zimene, que
trouvant sur la Fenêtre l’Epée de son Epoux, elle s’en saisit, & auroit sans doute
fait quelque acte de Désespoir, contre l’un ou l’autre, si Ariane qui l’avoit suivie, ne
lui avoit pas arrêté le Bras. Le Bruit qui se faisoit dans cette Chambre y attira les
Gens de la Maison. Ils s’apperçurent bientôt de ce qui l’avoit occasionné, & ils
emmenèrent Sophronie. Ensuite l’Epoux & l’Epouse continuèrent leur Dispute, dans
laquelle la derniére eut l’Avantage à tous égards. Philamour vouloit d’abord la persuader
qu’il n’étoit point là pour son propre Compte, mais pour celui d’un Ami, qui avoit une
Passion légitime pour Sophronie, & comme un Accident imprévu avoit empêché cet Ami de
venir lui-même, il l’avoit chargé de faire ses Excuses ; mais ce Prétexte étoit trop
foible pour en imposer à Zimene, & d’ailleurs il fut contredit par Ariane qui lui
dit, qu’il ne viendroit pas deux fois par Semaine avec autant de Précaution
pour un tiers. Enfin voyant que les Subterfuges ne lui servoient à rien, il se conduisit
en Epoux, & rejetta tout le blâme sur Zimene. Il lui dit, quoique sans aucun
fondement, qu’il lui avoit toujours reconnu un naturel inquiet & jaloux, que tout ce
qui s’étoit passé entre lui & la Dame en question, ne venoit que d’un désir de se
venger ; ajoûtant que, si une Femme s’abandonne une fois à la Jalousie & montre
qu’elle n’a point de Confiance en son Epoux, on ne peut plus l’accuser d’en abuser, &
il n’est plus obligé de s’imposer la moindre Contrainte à l’égard de ses Plaisirs. Cette
Réflexion, autant cruelle qu’injuste, ne manqua pas d’augmenter son Agitation à un point,
qui est à peine concevable. Si les Efforts pour couvrir sa Perfidie, choquoient le bon
Sens de Zimene, l’Aveu arrogant qu’il faisoit de son Crime, irritoit encore plus
l’Orgueil de cette Epouse offensée ; Mais il ne resta pas
assés long-tems pour en voir les Effets, & il s’échappa de la Chambre, la laissant
tempêter, autant qu’il lui plairoit. La maîtresse de la Maison, qui
craignoit les Suites de cette Affaire, n’épargna ni Juremens, ni Imprécations pour
persuader Zimene qu’elle étoit entiérement innocente ; qu’elle s’imaginoit que le
Cavalier & la Dame étoient Mari & Femme ; qu’ils lui avoient dit, qu’ils étoient
mariés en Secret, mais qu’ils étoient obligés de cacher leur Mariage à cause de leurs
Parens. Zimene fit peu d’Attention à l’Apologie de cette Femme, & comme elle pouvoit
être vraie en partie, elle n’entreprit pas de la contredire ; Ariane l’accompagna dans sa
Maison ; passa la Nuit avec elle. Car Zimene étoit résolue de ne plus coucher à côté d’un
homme, qui non seulement l’avoit offensée dans l’endroit le plus sensible, mais encore,
comme elle s’imaginoit, ajoûté l’Insulte à la Tromperie, en prenant si peu de Peine pour
excuser sa Faute, ou pour obtenir son Pardon. Il n’a jamais daigné me demander Pardon,
s’écria-t elle avec la plus vive Douleur. Il me méprise & ne fait aucun Cas de ma
juste Colère ; je le hais plus pour cela, que pour la Perfidie. On doit supposer qu’elle
ne laissa pas prendre beaucoup de Repos à Ariane pendant cette Nuit,
Punition trop légère pour cette Humeur curieuse, médisante, qui avoit occasionné tout ce
Désordre ; tout le tems qui s’écoula jusques au Matin fut employé à consulter de quelle
manière il leur convenoit de se conduire dans cette Circonstance ; enfin on convint
qu’elle quitteroit la maison de son Epoux, & se retireroit chez un Oncle, qui avoit
été son Tuteur ; en conséquence elle empacqueta ses Joyaux, sa Toilette, ses Nipes ;
& partit de grand Matin avec Ariane & suivie de sa Femme de chambre & d’un
Laquais. Avant son Départ elle appella le Valet de chambre de Philamour, & lui
ordonna de dire à son Maître, qu’elle avoit quitté sa Maison pour toûjours, & qu’il
pouvoit en remettre le Ménagement à la Dame, à qui il avoit donné son Cœur. Dans quelque
perplexité que se trouvât l’Epouse offensée, il est aisé de penser que le coupable Epoux
en eut sa Portion ; son Intrigue avec Sophronie étoit de vieille datte. La Véhémence de
sa Passion étoit déjà usée, même avant son Mariage ; & il ne souhaitoit rien autant que de voir diminuer celle de Sophronie, afin de pouvoir rompre avec
Décence, mais s’il entreprenoit d’insinuer les Inconveniens auxquels ils s’exposoient en
continuant leur Liaison, elle tomboit dans des Angoisses, dont il ne pouvoit être le
témoin, sans se sentir touché de la plus vive Compassion. Elle lui protesta que le
terrible Moment de leur séparation seroit le dernier de sa Vie, & elle ne parloit que
de la terminer par le Poison, ou le Poignard ; cette seule Raison l’obligeoit à lui
montrer quelque Reste d’Attachement ; & de se voir découvert actuellement &
surpris, sans pouvoir se défendre, c’est ce qui lui causoit le plus violent Chagrin qu’un
Cœur puisse sentir ; mais d’un autre côté la manière outrageuse & violente avec
laquelle Zimene s’étoit conduite dans cette Occasion alarmoit son Orgueil, & comme
Homme, & encore plus comme Epoux, il croyoit au-dessous de lui de se soumettre à ce
qu’on vouloit lui imposer avec tant de Hauteur. Malheureuse Zimene ! qu’il est fâcheux
qu’elle n’ait pas pû commander à son emportement ! Ce que la Fureur n’avoit pas pû
exécuter, la Douceur en seroit venue aisément à bout, & autant que
Philamour se condamnoit lui-même pour l’Injure qu’il lui avoit faite, autant, &
encore plus il la blâmoit pour le Ressentiment qu’elle avoit témoigné. Lorsqu’on lui dit
qu’elle étoit partie, & qu’on lui rendit compte du Message qu’elle avoit laissé pour
lui, il en fut réellement fâché à cause de ses Parens, & de ce que le Public, qui
alloit bientôt être informé de toute cette affaire, penseroit à son sujet ; mais il ne
sentit point, en se voyant privé de son Epouse, ces tendres Emotions, que plus de Douceur
& de Modération, auroient fait naître dans son Cœur. Cette Avanture devint bientôt,
comme il se l’imaginoit, un sujet d’Entretien pour toute la Ville. Zimene se recrioit
hautement contre l’Infidélité de son Epoux ; & lui, pour excuser ce qu’il avoit fait,
déclamoit avec autant de violence contre la mauvaise Humeur de son Epouse, qui l’avoit
obligé à chercher de l’Amusement hors de chez lui ; ils se haïtent <sic> bientôt
plus fortement qu’ils ne s’étoient jamais aimés. Envain leurs Parens tâcherent de les
raccommoder ; ils furent également irréconciliables ; & ils le devinrent
encore davantage par une malheureuse Délicatesse. Zimene, comme la Personne offensée,
trouvoit que la moindre chose qu’il devoit faire pour reparer sa Faute, étoit de la
connoître ; de promettre solemnellement qu’il n’y retomberoit plus, & de demander
Pardon pour le passé. Philamour de son côté, quoique convaincu de son Tort, regardoit les
Moyens qu’elle employoit pour le rendre Public, comme autant d’Offenses également
irrémissibles ; les Expressions amères que la Colère avoit arrachées à Zimene contre lui,
lui paroissoient encore plus inexcusables, que le sujet qui les avoit occasionnées ;
& il s’imaginoit, ou du moins, il trouvoit un Prétexte d’assûrer, qu’il y avoit dans
l’Ame de son Epouse des Sémences d’un mauvais Naturel, qui auroient poussé au déhors une
fois, ou une autre, quoiqu’il n’y eût pas donné lieu. Enfin ils ne manquoient pas de
sujet de s’endurcir l’un contre l’autre, & on ne put point les engager à s’accorder
sur aucun article, excepté sur leur séparation, qui fut reglée entr’eux. Zimene se retira
ensuite à la Campagne, où elle vit encore ; & Philamour accepta une
Commission dans l’armée, uniquement pour éviter les Discours sur cette Affaire, qu’il
n’auroit pas pû s’empêcher d’entendre en Ville dans toutes les Compagnies. A l’égard de
Sophronie, n’ôsant plus se montrer après avoir été découverte dans une Faute, qu’elle
avoit censurée avec tant de sévérité, elle se retira directement à Dunkerke & entra
dans un Monastère en qualité de Pensionnaire.
Zitat/Motto
la Rage d’une Femme
dans ce cas, dit un Poëte, ne respecte point de bornes.
Metatextualität
Si Ariane fut assés touchée du Désordre que son Naturel
curieux avoit occasionné, pour tâcher de le reprimer à l’avenir, c’est ce que je ne
prétends point assûrer ; mais j’espère que cet Exemple servira d’Avertissement à d’autres,
de ne se mêler jamais des Affaires des autres, & de n’être pas trop passionnées pour
rapporter ce que le Hazard peut leur découvrir. La Conduite de Zimene peut aussi montrer à
notre Sexe, combien peu on réüssit par la Violence, & par la Hauteur. Supporter avec
Patience & dans le Silence l’Infraction de ces Droits, que le Mariage nous donne sur
le Cœur & la Personne d’un Epoux, c’est une Leçon difficile, je l’avoue, à pratiquer ;
cependant qui manque rarement d’être suivie de sa Recompense, si on
l’observe comme il faut. J’ai souvent recommandé dans le cours de ces Spéculations la
Douceur, comme l’Arme la plus convenable & la plus efficace, dont nous puissions nous
servir ; & qu’on ne devroit jamais jetter de côté, lors même qu’on a le plus de sujet
de s’irriter ; une Lettre dont j’ai parlé dans mon dernier Discours, nous donne quelques
preuves des bons Succès que cette Qualité à produits ; elle mérite par conséquent toute
notre Attention.
Ebene 3
Brief/Leserbrief
A la Spectatrice.
Madame, « Le grand nombre de Séparations
& de Divorces que nous avons vûs derniérement, montre que peu de Dames
ont été élevées de manière à supporter, comme il seroit à souhaiter ce manque de
Considération pour elles-mêmes. On envoye, à la vérité, la jeune Demoiselle à la
meilleure Ecôle de Pension, dont on entende parler, mais alors la bonne Maman lui dit à
son départ. Ma chère, si chaque chose ne vous plait pas dans cette Maison, ou si l’on
vous chagrine, faites le moi savoir, & je vous retirerai. Quelle Education peut-on
attendre après une telle Promesse ! Comment les Mères peuvent-elles penser que leurs
Filles feront de bonnes Femmes, quand on leur permet d’être leurs propres Maitresses dès
le Berceau, & qu’on ne leur enseigne rien que ce qui leur plait, de peur de les
inquiéter ! Si nous leur voyons si souvent une brusque Impatience dans l’Age de Maturité,
c’est à cause de cette fausse Indulgence & parce qu’on ne les a pas accoûtumées de
bonne heure à la Contradiction. Mais quoique les mauvaises Habitudes contractées dans
notre Jeunesse s’effacent difficilement, la Raison & la Réflexion peuvent nous mettre
en état d’exécuter un Dessein si louable, si nous l’entreprenons avec une
ferme Résolution. Quel Plaisir pour une Femme de sentir qu’elle a rappellé son Epoux
uniquement par la Douceur de sa Conduite ! Quel sujet de s’énorgueillir plus excusable
& même plus louable. Si elle a assés de Mérite pour triompher des Extravagances d’un
Homme qui ne reconnoit point de Loi, & pour l’obliger à convenir qu’il a été
blâmable ! l’Affection gâgnée de cette manière est généralement plus tendre, plus forte
que jamais, & ne cesse qu’avec la Vie. Ainsi quels Combats qu’une Femme ait à essuyer
dans son Cœur, & quoiqu’elle puisse souffrir long-tems, elle sera à la fin plus que
dédommagée de toutes ses Souffrances.
Madame, Votre très humble Servante, Dorinde. Ce 25.
Mars 1745.
Madame, «
Metatextualität
J’ai lû avec beaucoup de Plaisir l’Histoire de Dorimon & d’Alithée, que
vous avez donnée à la fin de votre premier Volume ; je fais un très grand cas du
Caractère d’Alithée ; une Patience si exemplaire à l’égard de l’Offense qui irrite le
plus notre Sexe, demande à juste Titre notre Admiration ; & ce qu’il est encore plus
difficile d’imiter, c’est la Douceur & la Tranquillité surprénante avec
laquelle elle cacha l’Insulte qui lui avoit été faite, non seulement à tout le Monde,
mais encore à l’Homme qui l’avoit offensée. Il ne peut point y avoir d’Infortune si
terrible pour une Femme, qui aime tendrement son Epoux, que de savoir qu’elle a perdu
son Affection, & qu’une autre triomphe de ces Hommages, ou elle seule à quelque
Droit ; mais quand on ajoûte l’Insulte à l’Injustice, & que l’Epouse négligée y est
exposée de la part de la même Misérable qui l’a supplantée, pour se conduire dans une
telle circonstance décemment & avec Complaisance, il faut non seulement être
vertueuse à un haut Dégré, mais encore posséder une Discrétion plus consommée, qu’on ne
la trouve ordinairement parmi notre Sexe. Non que nous manquions d’une Capacité
suffisante pout <sic> l’acquerir, mais parce qu’on ne prend pas soin de former
notre Esprit convenablement dans notre Jeunesse.
Metatextualität
Je souhaiterois que
ce sujet fût mieux considéré & que les Dames voulussent suivre l’Exemple de votre
Alithée, ou de cette aimable Princesse, dont vous parlez dans le même Livre ; mais,
comme on ne peut pas donner trop d’Exemples de Patience & de Modération dans une
telle Circonstance, permettez-moi de présenter à vos Lecteurs un Reçit
abregé de ce qui est arrive <sic> à deux Dames de ma Connoissance, qui ont
rappellé leurs Epoux, & regâgné avec usure, l’amour qu’elles avoient perdu.
Ebene 4
Allgemeine Erzählung
La prémiere, que j’appellerai, Eudosie, auroit été la
Femme la plus malheureuse, si elle n’avoit pas eû autant de Patience que de bon Sens ;
elle se maria encore fort jeune à Sévère, homme d’un Caractère rude & hautain,
& qui, semblable à la plus grande partie de son Sexe, s’étoit mis dans l’Esprit que
les Femmes n’étoient crées que pour être les Esclaves des Hommes. Cependant la Beauté
& la Douceur de son Epouse lui inspirèrent pour elle une forte Passion, & ils
vecurent ensemble avec beaucoup d’Union, jusqu’à ce que Sévère ayant vû par hazard
Laconie dans un Endroit Public, en devint amoureux ; & comme il avoit trop
d’Orgueil pour tâcher de mettre aucun frein à ses Inclinations, il résolut dès ce
moment de former avec elle une Liaison intime, s’il étoit possible. Il découvrit en
s’informant exactement, qui elle étoit, & qu’elle n’avoit point de
Bien pour fournir à ses Dépenses extravagantes. Après cette Découverte, il réüssit
bientôt au gré de ses Désirs ; & quoiqu’il eût tout lieu de croire, après une plus
grande Familiarité, qu’il n’avoit pas été le prémier Mortel honoré de ses Faveurs, il
continua cependant dans son Attachement par une Fatalité invincible. Il s’embarrassoit
si peu de ce que le Public, ou sa Femme, pourroit penser de lui, que l’un & l’autre
furent bientôt instruits de cette Intrigue ; ses propres Parens prirent la Liberté de
lui réprésenter vivement son Injustice. Mais Eudosie engagea les siens à garder le
Silence, bien resolue de se taire elle-même, & jugeant très prudemment, qu’à
l’égard d’un Homme de son Caractère, l’Opposition ne feroit que jetter de l’Huile sur
le Feu ; & qu’il aimeroit mieux persister dans ce qu’il savoit être une Injustice,
que de se rendre aux Raisonnemens des autres. Il savoit fort bien qu’elle ne pouvoit
pas ignorer ce qu’il prénoit si peu de Peine à cacher ; mais lorsqu’on a
du Dégoût, comme il en sentoit alors pour sa Femme, rien ne peut obliger. On ne
reconnoit aucune Vertu ; au-lieu de l’estimer comme il devoit, de ce qu’elle ne venoit
point troubler son Repos par ses Murmures & ses Reproches sur sa Faute, il
attribuoit cette Conduite à une basse Timidité & à de la Pusillanimité dans son
Naturel, & il ne faisoit que se glorifier de ce qu’il savoit tenir une Femme en
Regle & la rendre dépendante de sa Volonté. Persuadé qu’il n’avoit rien à ménager,
il amena Laconie dans sa propre Maison, commanda à Eudosie de la traiter comme une Dame
qu’il estimoit infiniment, & après avoir donné cet Ordre à celle qu’il regardoit
seulement comme son prémier Domestique, il en donna de semblables aux autres. Cette
Créature devint alors Maitresse absolue dans la Maison, & quoiqu’Eudosie conservât
sa Place au haut bout de la Table1, cependant tout
ce qu’on y servoit avoit été ordonné par Laconie. Quelques Femmes regarderont cette
humble Tranquillité d’Eudosie, comme indigne d’une Epouse, & comme un grand
Encouragement pour d’autres Epoux à traiter leurs Femmes de la même manière ; mais ce
Modèle de Prudence & d’un bon Naturel connoissoit trop bien l’Humeur de la
Personne, avec qui elle avoit à faire, & qu’on ne pourroit rien gâgner sur lui par
des mesures rudes. Elle feignit donc de se trouver extrêmement heureuse avec Laconie,
la conduisit par tout comme son intime Amie, & fut si obligeante à son égard, que
l’autre, quoique sa Rivale, ne put s’empêcher de la considérer, ce qu’elle lui
témoigna, en querellant Sévère, lorsqu’il lui refusoit quelque chose ; & en vérité
cette pauvre Femme auroit été privée de plusieurs choses que son Rang demandoit, sans
l’Intercession de Laconie. Epreuve bien dure pour une Femme vertueuse & qui
conservoit encore la plus tendre Affection pour son Epoux, malgré son Injustice &
son Ingratitude. Cependant elle la supportoit avec une Tranquillité
apparente, mais lorsque le coupable Couple s’imaginoit qu’elle étoit tranquille &
résignée à son Sort, elle ne faisoit que former des Projets pour le changer. Elle
balança long-tems n’ôsant pas hazarder ce qui rendroit sa Condition pire, en cas
qu’elle ne réüssit pas ; mais enfin son bon Génie lui inspira une petite Ruse qui ne la
menaçoit d’aucun Danger, si l’Evenement ne répondoit pas à son Attente & qui lui
promettoit beaucoup si elle réüssissoit. Elle feignit d’être saisie d’une Indisposition
subite, garda le Lit, & joua si bien son rolle, que le Médecin qui la voyoit, y fut
trompé, & décida qu’elle étoit dangereusement malade. On ne doit pas supposer que
Sévère sentit un grand Déplaisir en apprenant cette Nouvelle. Cependant il ordonna
qu’on en eût un très grand soin, & il n’épargna rien de ce qui pouvoit contribuer à
son Rétablissement ; Laconie paroissoit fort assidue auprès d’elle, mais si ce Procédé
partoit d’une tendresse réelle, ou feinte, c’est ce que je ne prétends point
déterminer. Il servoit cependant à avancer les Desseins d’Eudosie ; &
un jour qu’elle paroissoit sortir d’une Foiblesse, tandis que l’autre étoit assise à
côté de son Lit, elle appella sa Femme de chambre, lui commanda d’apporter une Feuille
de papier, une Plume & de l’Encre ; elle écrivit ensuite quelques Lignes, & fit
placer auprès de son Lit une petite Cassette des Indes, où elle renfermoit
ordinairement ses Joyaux, avec quelques Bagatelles ; elle y mit ensuite son Papier,
& tourna la Clé à diverses réprises, comme si elle avoit voulu la fermer bien
exactement ; mais dans le Fond, afin qu’elle restât ouverte, sans qu’on soupçonnât son
Dessein. A présent, s’écria-t-elle, je mourrai tranquille, puisque mon cher Sévère
apprendra quand je ne serai plus, ce que je veux qu’il sache. Je vous prie, Madame,
continua-t-elle en se tournant du côté de Laconie, qui étoit fort attentive à ce
qu’elle faisoit, de dire à mon Epoux que ma dernière Volonté est renfermée dans cette
Cassette. Après avoir parlé ainsi, elle se laissa aller dans son Lit, comme si elle étoit fatiguée de ce qu’elle avoit fait, & l’autre ne douta pas que son
dernier moment n’approchât. Une femme dans la Situation de Laconie, ne pouvoit qu’être
extrêmement curieuse de découvrir ce qu’Eudosie avoit écrit ; mais ne sâchant comment
en venir à bout sans l’Assistance de Sévère, elle l’instruisit de ce que sa Femme
venoit de faire, ce qui lui donna autant d’impatience qu’a elle-même, & lorsqu’elle
paroissoit endormie, il se saisit de la Cassette, & l’emporta dans son Cabinet,
résolu d’examiner sans temoins ce qu’elle contenoit. Eudosie, qui étoit fort attentive
au Succès de son Projet, vit fort bien ce qu’il avoit fait ; mais regardant la
Reception qu’il feroit à ce Papier, comme la Crise de son Sort, elle passa le reste de
la Nuit dans des Emotions qui la rendirent présque aussi malade qu’elle l’avoit
affecté. Sévère ne fut guéres moins troublé à la Lecture de la Lettre qui lui étoit
addressée avec le Titre de son toûjours cher Sévère, & qui contenoit ces Lignes.
Il a avoué ensuite qu’il avoit lû cette Lettre plus de cent fois ; & que
chaque Mot se gravoit plus profondément dans son Cœur, à mesure qu’il l’examinoit ;
enfin tout à fait attendri il regarda avec Horreur sa Conduite passée ; tous les
Charmes qu’il avoit trouvés autrefois dans la Personne & le Caractère d’Eudosie, se
présentèrent à lui avec une nouvelle Force, & ceux de Laconie lui parurent de plus
en plus fades, insipides. Mais lorsqu’il réflechissoit qu’il alloit perdre pour
toûjours un Trésor si inestimable, comme il pensoit alors au sujet de sa Femme, &
que vraisemblablement ses Manières désobligeantes avoient avancé sa Mort, il se livroit
à la plus amère Colère contre lui-même, & contre l’Objet qui y avoit donné Lieu.
Laconie surprise de ce qu’il ne venoit pas se coucher (car il lui avoit promis de
passer cette Nuit avec elle) courut à son Cabinet, où elle le trouva dans
les plus grandes Agitations ; & comme elle lui en demanda la Cause, il lui répondit
d’un Ton brusque, que c’étoit elle-même, & lui ordonna de le laisser. Comme elle
n’avoit point été accoûtumée à ce Traitement, elle n’eût pas assés de Présence d’Esprit
pour déguiser son Ressentiment, & elle tomba sur le champ dans un accès de Rage,
que Sévère n’étoit pas d’Humeur à souffrir patiemment, & qui fit paroître à ses
Yeux le Caractère d’Eudosie dans un plus beau Jour ; il se contenta cependant de la
mettre hors de sa Chambre, après quoi il retourna à ses premières Méditations. Enfin il
réfléchit si long-tems, qu’il se convertit aussi parfaitement qu’Eudosie pouvoit le
désirer, & la Pensée qu’il alloit la perdre, le fit renoncer à cette Sévérité &
à cette Hauteur avec laquelle il l’avoit toûjours traitée. Il vint plusieurs fois à la
Porte de sa Chambre, mais comme on lui dit qu’elle paroissoit assoupie, il retourna sur
ses Pas & ne voulut point entrer qu’il n’apprît qu’elle étoit éveillée. Il lui
demanda alors avec la plus grande Tendresse, comment elle se portoit,
& elle lui repondit que sa Présence lui donnoit plus de Santé, qu’elle n’avoit
espéré d’en jouir dans ce Monde. O, s’écria-t-il tout-à-fait charmé de sa Douceur, si
ma Présence peut vous soulager, je ne quitterai jamais votre Chambre ; croyez-moi,
continua-t-il, lui prénant la main & la serrant, ma chère Eudosie, quoique j’aie
été très blamable, il n’y a rien de si terrible pour moi que la Pensée de vous perdre ;
ô que tout mon Amour, & toute la Tendresse que je sens actuellement, puissent vous
rendre la Santé ! que ne donnerois-je pas ! que ne ferois-je pas pour vous conserver !
En parlant ainsi il lui mouilloit les Mains de ses Larmes, ce qui ne permettoit pas à
Eudosie, de revoquer en doute la Sincérité de son Changement. Combien elle étoit
transportée de Joye ! chacun peut le deviner ; à Présent, dit-elle, s’élevant un peu
& lui passant les Bras autour du Col, que je vive, ou que je meure, je n’ai plus
rien à désirer. mais ce qui fit le plus de satisfaction à Eudosie, fut
l’assûrance que Sévère lui donna que Laconie quitteroit sa Maison ce même jour, &
qu’il ne la verroit plus. Eudosie insista alors qu’il devoit faire un Fond pour cette
Femme, lui disant qu’elle seroit assés punie, en perdant son Affection, dont elle avoit
joui si long-tems ; & que pour elle, si elle vivoit assés pour posséder le Bonheur
que ses Protestations lui faisoient espérer, elle en auroit moins de Satisfaction, en
voyant dans la Misère une Personne qu’il avoit aimée. Cette Générosité lui attira de
nouvelles Caresses de la part de Sévère, & il la pria de ne lui plus parler de
cette Femme, mais de le laisser agir à cet égard, comme il jugeroit à propos. Il tint
sa Parole ; Laconie fut mise dehors le même Jour ; on ne sçait pas de quelle manière
ils se séparèrent. Mais il est sûr que leur Intrigue ne fut jamais renouvellée.
Eudosie, ayant ainsi réüssi dans son Dessein, fit semblant de se rétablir par dégrés,
& enfin d’avoir recouvert entiérement sa première Santé ; & comme
le Contentement de son Esprit lui donnoit encore de nouveaux Charmes, elle lui devint
plus agréable que jamais ; jamais il n’y eut une Epouse plus heureuse, ni un Epoux plus
heureux. Toutes leurs Connoissances virent avec Surprise ce Changement, mais aucune ne
fut informée du Stratagême innocent qui l’avoit occasionné. Eudosie eut la Prudence de
le cacher, non seulement à Sévère mais encore à tout le Monde ; & on ne le sçut
qu’après son Décès, qui arriva plusieurs Années après ce Dénouement.
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Brief/Leserbrief
Si j’avois des millions à donner, vous seriez mon seul
Héritier ; mais tout ce que j’ai, tout ce que je suis est déjà à vous, excepté mes
Avis, que je n’ai pas ôsé vous donner pendant ma Vie ; mais comme ceci vous
parviendra seulement quand je ne serai plus, il recevra peut-être un meilleur
Accueil ; c’est que, mon cher, aussitôt que la Décence le permettra, vous épousiez
Laconie ; vous ne devez pas faire, ni l’un, ni l’autre, un autre choix ; le Monde,
vous le savez, vous a blâmé hautement au sujet de cette Dame ; moi seule ai gardé le
Silence. Ce que le Devoir de Femme m’obligeoit à faire, pendant la Vie, je l’observe
encore après ma Mort ; ma seule Consolation contre les Angoisses inconcevables de mon
Esprit & de mon Corps, est de sentir que je me suis bien acquittée de toutes mes
Obligations. Je prie le Ciel que votre second Mariage vous soit plus agréable que le
prémier ; afin que celle, qui a si long-tems joui de votre Cœur, continue à le
mériter, en vous aimant autant que je vous ai aimée, & que vous soyez plus
heureux avec elle que vous n’auriez pû l’être avec L’Infortunée Eudosie.
Metatextualität
Il seroit trop long de rapporter les
choses obligeantes & passionnées qu’ils se dirent l’un à l’autre. Le Lecteur concevra aisément par le commencement de leur Discours, que rien ne pouvoit
être plus tendre ;
Ebene 4
Allgemeine Erzählung
J’appellerai Constance, l’autre Dame dont j’ai parlé,
comme d’un Exemple heureux, comment on peut recouvrer l’Affection Conjugale. C’étoit
une jeune Personne d’une grande Vertu, mais qui n’avoit point de Bien ; un riche
Marchand, qui se nommoit Tubesco, avoit employé plus d’une Année à lui faire la Cour,
avant que de l’épouser, mais à peine six Mois s’étoient-ils écoulés depuis son Mariage,
qu’elle s’apperçut qu’une autre Dame lui étoit beaucoup plus chère qu’elle
même. Elle supporta cependant ce Coup avec une Patience consommée, même après avoir
apris que Tubesco avoit eû un Enfant de cette Rivale, qui étoit la Fille d’un gros
Négociant, & elle n’ôsa jamais lui faire aucun Reproche à ce sujet, ni lui en
parler. Il eut même la Folie, aussi bien que l’imprudence d’avouër son Intrigue devant
elle ; mais elle ne se livra point à une Passion indécente ; quoiqu’elle ne fût pas
insensible à ce Traitement, & qu’elle souhaitât avec la plus grande Ardeur, de le
rappeller à son Devoir, pour l’Amour de lui-même & pour sa propre Satisfaction.
Elle eut recours à plusieurs Projets, mais sans aucun Succès, jusques à ce qu’un Ami
commun persuada son Epoux de quitter l’Angleterre, & d’aller s’établir à Dundée,
dont ils étoient natifs l’un & l’autre. Elle espéroit que l’Absence de sa Maitresse
feroit quelque Changement en sa faveur, mais elle fut trompée en ceci, du moins pour
quelque Tems. Pendant deux Années, qui parurent bien longues à la pauvre Constance, il
ne fit que murmurer, & en usa si mal avec elle, qu’elle se repentit
présque de l’avoir engagé à se séparer de sa Maitresse, puisqu’il paroissoit ne pouvoir
plus vivre sans elle. Pour surcroit d’Affliction les Parens de son Epoux eurent pour
elle de très mauvaises Manières, sur ce qu’elle n’avoit point apporté de Bien. Mais
lorsqu’elle désespéroit d’être jamais heureuse, elle étoit le plus près de le devenir.
Dieu permit qu’elle devint enceinte, ce qui joint à sa Douceur continuelle changea le
Cœur de Tubesco ; il devint du plus mauvais, le meilleur des Epoux ; actuellement il
déteste sa Conduite passée, & toutes les Femmes qui tâchent par leurs Artifices de
détacher les Hommes mariés de leurs Epouses. Constance est à présent fort heureuse,
& plus encore parce qu’elle sçait que, si elle a regâgné l’Affection de son Epoux,
elle doit uniquement ce Bonheur à sa bonne Conduite.
Metatextualität
Mais ma Lettre n’est déjà que trop longue. Si ces Exemples
peuvent fortifier les bons Avis que vous avez donnés à notre Sexe, ce sera
une Satisfaction infinie. »
Metatextualität
La Lettre de cette aimable Dame n’a pas besoin de
Commentaire ; mais nous croyons devoir la remercier du zêle qu’elle témoigne pour le
Bonheur de la Société. Si la Généralité des Femmes pouvoit penser comme elle, le Mariage
ne seroit plus un Epouventail pour les Gens sages, & un sujet de Risée pour les Foles.
Si elles vouloient, au-lieu de divulguer les Folies de leur Sexe, étaler, comme Dorinde
l’a fait, les Exemples brillants que quelques Femmes ont donné de leur Vertu & de leur
Prudence, les Hommes les respecteroient, au-lieu de les mépriser ; nous recouvrerions
cette Considération que nous avons perdue par notre manque de Conduite, & plus encore
par l’Amertume de nos Railleries, les unes contre les autres. J’avoue que j’apprends avec
Plaisir qu’une Femme, dont la Douceur ne peut lui conserver l’Affection de
son Epoux, en vienne à bout par son Esprit & son Addresse. Si Eudosie s’étoit soumise
lâchement à son Sort, & n’avoit combattu qu’avec ses Larmes contre l’Ingratitude &
la Perfidie de son Epoux, elle auroit peut-être succombé sous le Poids de son Affliction ;
& la coupable Laconie auroit triomphé sur ses Cendres, de ce qu’elle possédoit sans
Rivale le Cœur & la Personne de Sévère ; mais elle montra par ce petit Stratagême
qu’elle avoit autant d’Esprit que de Vertu. Ce qu’elle fit ne peut point passer pour une
Tromperie ; parce que tout son Caractère n’étant que Bonté & Douceur, il est très
vraisemblable qu’elle lui auroit fait la même Demande, si elle avoit crû être sur le point
de mourir, persuadée qu’il ne pouvoit pas s’en dispenser, après avoir entretenu si
long-tems une Liaison criminelle avec Laconie ; & elle ne fit que d’anticiper ce que
sa Douceur, sa Modération, & son Amour pour son Epoux lui auroient inspiré, avant
qu’elle eût quitté le Monde. On ne doit pas moins admirer sa Prudence à cacher le Tour
innocent qu’elle avoit joué à son Epoux. Si elle en avoit fait Confidence à
quelcun & que le Bruit en fût parvenu aux Oreilles de Sévère : un Homme de ce
Caractère auroit non seulement été fâché de se voir joué, quoique ce fût pour son Bonheur,
mais encore il se seroit imaginé qu’Eudosie, en le divulguant, vouloit triompher de sa
Crédulité ; & si elle n’en avoit fait l’Aveu qu’à lui-même, quoiqu’il n’eût point eû
de Raison pour la blâmer à ce sujet, il auroit peut-être été très mécontent, en pensant
qu’elle pouvoit se vanter de l’avoir attrapé ; ce qui auroit pû empoisonner toutes les
Douceurs de leur Reconciliation, cette Recompense de son Esprit & de sa Vertu. Le
Caractère doux & paisible de Constance peut aussi servir de modèle aux Femmes, quand
elles sont provoquées comme elle l’étoit. Présenter des exemples de cette Nature, c’est
rendre service à tout le Monde, & si ces Dames, qui se plaisent à repéter toutes les
malheureuses Avantures dont elles sont informées, vouloient imiter Dorinde, & nous
communiquer uniquement des exemples de Vertu, je suis persuadée que le Monde en
deviendroit meilleur.
Zitat/Motto
De l’abondance du Cœur la Bouche parle.
Metatextualität
Mais comme ceci ne peut point se faire sans un petit Examen dans la Nature de notre Ame, à
l’égard de la manière dont elle influe sur le Corps, & opère avec lui, je
présenterai ici à mes Lecteurs les Sentimens d’un Homme d’Esprit à ce sujet.
Ebene 3
Brief/Leserbrief
A la Spectatrice.
Madame, «
» Madame, Votre très humble Serviteur,
& constant Lecteur. H. L.
Madame, «
Metatextualität
J’ai lû avec plaisir les Réflexions sur l’Ame, qui sont contenues dans votre
onzième Livre, & je me joins de tout mon Cœur à Platonides, pour vous remercier de
ce que vous recommandez aux Dames l’Etude de la Philosophie, ou plûtôt la plus utile de
ses branches, qui nous enseigne quelle est la Nature de l’Ame; permettez-moi de la
recommander ici aux Hommes, qui sont présque autant Ignorans que les Femmes à ce sujet,
& si je ne suis pas trop présomptueux, je hazarderai sur votre Bonté & sur votre
Indulgence, à vous offrir mes Sentimens à l’égard de cette Question, encouragé par la
Promesse que vous avez faite au commencement du même Livre.
Ebene 4
Je regarde l’Ame comme un Etre immatériel,
dont l’Existence est mieux exprimée par ces Paroles, ; ce qui veut dire que l’Essence radicale de l’Ame consiste
dans la Pensée. C’est un Esprit qui n’a, ni forme, ni figure, autrement il seroit
matériel ; c’est un Etre simple, sans parties, indivisible, dont la Pensée & la
Raison, sont comme je viens de le dire, les seules Propriétés, ou Qualités. Maintenant
que l’Ame soit immatérielle, c’est ce qui se prouve aisément par les Propriétés de la
matière, dont l’Essence, qui consiste dans une substance revêtue de Forme, ou de Figure,
résiste à un Changement de situation, soit qu’elle soit en Repos, ou en Mouvement ;
ensorte <sic> qu’elle resteroit toûjours dans le même état, si elle n’étoit pas
mue ou arrêtée par un Agent extérieur. Ce raisonnement est à la portée de tous ceux qui
se voudront donner la peine d’y réfléchir ; qu’on prenne un Caillou, ou un autre Etre
matériel, & qu’on le place quelque part, il y restera jusques à ce qu’il soit mû par
quelque chose d’externe ; si cet Agent est matériel, il doit encore être mû par un Agent
aussi externe jusques à ce que nous venions à cet Etre, dont la seule
Volonté suffit pour mouvoir la Matière d’un lieu à un autre ; & ce Mouvement une
fois imprimé à la Matière subsisteroit toûjours, si une Force extérieure ne l’arrêtoit
pas ; mais l’Air, cette substance déliée, resiste au Mouvement de la Matière, à
proportion de la Force d’Impulsion, jusques à ce qu’enfin, il l’arrête. Puis donc que
des Substances matérielles une fois mises en Mouvement, ne peuvent pas retourner
d’elles-mêmes dans un état de Repos, mais qu’elles doivent continuer dans le même état
de Mouvement, à moins qu’elles ne soyent arrêtées par un Agent externe, &
lorsqu’elles sont en Repos, qu’elles doivent continuer dans le même état, & ne
peuvent point se mouvoir sens d’Impulsion d’un Agent extérieur ; il suit de là que
quelque chose d’immatériel doit-être le prémier mobile des Corps matériels. Plusieurs
Personnes, qui considèrent superficiellement la Vie animale & végétable, nient la
Nécessité d’un Agent immatériel. Mais qu’est cette Vie ? Nous devrions bien
exanimer <sic> ce sujet, avant que de décider si positivement ; elle consiste dans
une Circulation de Fluides, où la Matière, originairement mûe par un Pouvoir extérieur,
agit sur la Matière avec une Force déterminée, ce qui vient uniquement de la Résistance
au Changement de son état ; car toute Matière qui seroit dépourvûe de cette Résistance,
ne serviroit à rien dans un Corps mécanique. Il ne peut point y avoir de Notion moins
Philosophique, que de supposer une Machine faite de Matière, qui ne résistera point au
Changement de son état. On a prétexté que nous ne connoissons pas suffisamment les
Qualités de la Matière ; j’en conviens, mais nous savons très bien qu’elle ne peut pas
avoir des Qualités, qui se contredisent ; & nous sommes aussi certains qu’elle ne
peut pas se mouvoir de soi-même, que si nous la connoissions parfaitement. Le Docteur
Clark observe que la Matière est seulement capable d’un pouvoir négatif, savoir, qu’elle
restera toûjours & nécessairement, dans le même état, où elle est à présent. D’où
nous concluons que la Matière ne peut pas se mouvoir d’elle-même, &
ceux qui tâcheroient de trouver la Cause mécanique de la Circulation du Sang dans nos
Corps, ou des Fluides dans les végétables, se tourmenteroient en vain, s’ils entendoient
par une Cause mécanique, un Pouvoir Résident dans la Matière, qui exécute ces Mouvemens
sans l’Intervention, ou l’Influence d’aucune Cause immatérielle ; ensorte que la Matière
douée de ce Pouvoir, continue d’elle-même le Mouvement une fois imprimé. C’est chercher
une chose, qui ne peut pas se trouver, parce qu’elle n’existe pas ; car la Matière une
fois mûe continuera toûjours dans un Mouvement direct, à moins qu’une autre Force ne
change, ou n’arrête cette Direction ; & pour effectuer un Mouvement circulaire,
cette Force extérieure doit-être imprimée à chaque instant sur le Corps en Mouvement ;
car il est certain que la Matière d’elle-même tend à quitter la ligne circulaire & à
se mouvoir en ligne droite, c’est pourquoi il est incontestable, qu’un Pouvoir extérieur
doit agir à chaque instant sur elle pour surmonter cette Tendance. La
Circulation n’est qu’une branche, quoique la principale, de l’Oeconomie animale, car il
y a du Mouvement par-tout, dans le Cerveau, dans les Nerfs, dans l’Estomac, dans les
Intestins, dans les Glandes, & si nous disions que tout cela est conduit par la
Nature dans des millions de Corps différens en même tems, personne ne disputeroit contre
cette Explication, & elle passeroit pour être aussi bonne que la Philosophie puisse
en donner. Mais si on disoit, tout ceci est exécuté par le grand Maître de la Nature, on
s’élèveroit sur le champ contre cette Proposition, comme contre une chose absurde &
impossible. Car la Nature dans notre Bouche est comme le hazard, ou le destin, un mot
qui sert plutôt à couvrir notre Ignorance & notre Inattention, qu’à exprimer un Sens
raisonnable. Examinons donc avec quelque attention ce sujet, & convenons que le
Mouvement, qui existe dans chaque particule de la Matière, procède immédiatement du
Doigt du Tout-puissant, puisqu’il est certain que la Matière résiste
d’elle-même au Changement de son état. Reconnoissons, dis-je, avec humilité &
sincérité, qu’il y a un puissant Gouverneur de ce Monde, qui exerce son Empire sur les
plus chetives, comme sur les plus illustres Créatures ; que son Pouvoir & ses
Connoissances sont immenses, & qu’il agit constamment, auprès de nous, autour de
nous & au dedans de nous. On montre aisément que l’Ame est un Etre créé qui n’a pas
été séparé d’aucun autre Esprit ; car comment prendroit-on quelque chose de ce qui n’a
point de Parties ? & comment y auroit-il des Parties, où il n’y a rien de matériel ?
la Divisibilité & l’Etendue des Parties sont uniquement des propriétés de la
Matière ; laquelle ayant une Forme, ou une Figure, doit être composée de Parties qui
constituent cette Figure ; elle doit avoir des Parties intérieures & extérieures, ou
pour parler plus intelligiblement, elle doit avoir des Parties supérieures &
inférieures. Que celle qui est au-dessus, soit séparée de celle qui est au-dessous,
chaque Partie qui reste, aura les mêmes Propriétés que le tout ; elle aura
encore une Face supérieure & une Face inférieure, & ainsi de suite à l’infini.
Nous voyons par-là que toutes les Substances matérielles doivent être composées de
Parties, qui sont elles-mêmes divisibles en d’autres Parties, dont chacune est Substance
solide, divisible, étendue & figurée, & a les Propriétés essentielles du tout,
duquel elle est une Partie. Si nous avouons donc que l’Ame peut-être prise d’un autre
Etre, il s’ensuit que cet Etre d’où elle a été prise à des Parties, lesquelles doivent
avoir chacune séparément les mêmes Propriétés que le tout ; c’est-à-dire, qu’elles
doivent être des Substances actives, douées de la Faculté d’appercevoir, ensorte qu’un
Etre pris d’un autre ne peut pas être simple, ce qui seroit une Absurdité à l’égard d’un
Esprit ; car dans ce cas, la partie séparée ayant les mêmes Propriétés que le tout, ne
peut pas être simple, mais doit-être composée d’un nombre infini de Substances
distinctes, actives, douées de la Faculté d’appercevoir, ce qui est contraire à la
Raison. Puis donc, comme je l’ai montré en passant, qu’il doit y avoir
nécessairement un Etre immatériel au dedans de nous, afin de produire un Mouvement
Spontané ; & que cet Etre immatériel, ne peut-être composé de Parties, il doit-être
indissoluble & incorruptible de sa Nature ; ainsi puisque l’Ame ne tend pas
naturellement à l’anéantissement, elle doit être sans fin une Substance active,
intelligente, durant toute l’Eternité.
Zitat/Motto
je
pense, donc j’existe
Metatextualität
Je vous demande Pardon, Madame, de vous avoir incommodé
avec une si longue Lettre ; je crains que si vous la publiez, vos Lecteurs ne me blâment
de leur avoir dérobé quelques Pages que vous auriez beaucoup mieux remplies ; mais comme
je ne voulois que les engager à réfléchir sur un Sujet si important, j’espère qu’ils
voudront bien m’excuser. Le Docteur Clark, dans sa Démonstration de l’Existence &
des Attributs de Dieu, & Mr. Baxter, dans son Examen sur la Nature de l’Ame
humaine~, ont si bien manié ce Sujet, que je prends la Liberté de les recommander à vos
Lecteurs. Cependant comme il y en a plusieurs qui n’ont pas assez de
Patience pour parcourir des Traités entiers sur aucun Sujet, si vous vouliez montrer où
je me suis trompé, & ajoûter quelques Pensées de votre propre Fond, je crois que le
plus grand nombre de vos Lecteurs en sera très-charmé, & en particulier celui qui
est avec un profond Respect.
& constant Lecteur. H. L.
Chelsea ce 27. Mars 1745.
Metatextualität
On s’apperçoit aisément que le sçavant & judicieux
Auteur de la Lettre ci-dessus, se contente de prouver l’Immatérialité, & par
conséquent l’Immortalité de l’Ame humaine ; ce qui suffit effectivement pour nous montrer
le Cas que nous en devons faire. Le Tout-puissant, en nous donnant le Libre Arbitre, nous
a laissé Maîtres de perfectionner cette Particule divine, qui habite au dedans de nous
pour sa Gloire, pour le Bien commun de la Société, & notre Bonheur
éternel.
Ebene 3
Mr. Dryden exprime très élegamment ce Pouvoir dans sa Fable
du Coq & du Renard.
L’Immortalité de l’Ame, comme je l’ai déjà observé, est le grand point dont dépendent la
Vertu, la Morale & toute la Religion ; car il paroit totalement impossible, qu’un
Homme dans son bon Sens, puisse être assûré qu’il doit exister de toute Eternité, &
s’exposer en même tems au terrible Sort d’être malheureux durant toute cette
Eternité. Ainsi l’on a une grande Obligation à ceux qui ont, comme Mr. H. L., la Capacité
& le Vouloir de s’en servir pour élever une Digue contre cette Inondation de
Scepticisme, qui s’est repandue dernièrement parmi nous, à la destruction présque totale
de tout ce qui peut maintenir le bon Ordre dans ce Monde, ou nous mettre en droit de
former quelque Espérance raisonnable d’un Bonheur à venir. Je me suis souvent étonnée,
qu’on ne penche pas davantage à être convaincu de l’Immortalité de l’Ame, puisqu’une telle
Conviction seroit si flatteuse pour nos Passions favorites ! Quoi de plus Agréable pour
notre Ambition, que l’Assurance d’être à l’Abri de toute Corruption ou Anéantissement,
d’être doué de Facultés égales aux Anges, avec qui nous serons un jour en Société, &
d’être assis alors sur des Trônes, avec nos Têtes couronnées de Gloire ! Quoi de plus
flatteur encore pour cette Curiosité naturelle, dont nous avons tous notre part, que de
penser que tous ces Mystères, incompréhensibles aujourd’hui aux plus grands Savans, se
présenteront alors distinctement à notre vûe, que rien ne nous sera caché,
& que toutes nos Conjectures se changeront en Certitude ! Il ne peut y avoir Personne
parmi nous assez stupide, ou insensible, pour ne se rejouir pas dans l’Attente de posséder
ces immenses Bénédictions. Pourquoi donc élevons-nous des Difficultés &
encourageons-nous les Doutes à ce sujet ! Cette même Ambition, cette même Curiosité dont
j’ai parlé, quoique perverties & appliquées à des chetifs Objets, & à des Vûes
basses, nous ont été certainement données pour le plus noble But ; qui est de nous montrer
la Dignité de l’Ame, & de nous engager a élever les Yeux en haut au Ciel, dont nous
sommes sortis, & où nous devons retourner, à moins que nous n’abandonnions
volontairement nos Prétensions. Nous nous plaignons que nous ne voyons pas clair dans ces
Sujets ; j’en conviens. Mais nous en sommes nous-mêmes en bonne partie la Cause, comme une
légère Réflexion peut nous le faire voir. La Faute n’est pas tant dans notre Incapacité,
que dans l’Habitude de la confiner à des Vûes trop étroites ; nous ne pouvons nous
resoudre à jetter les Yeux au-delà du morceau de Terre que nous foulons sous
nos Pieds. Nous y plaçons notre Trésor & par conséquent notre Cœur. Le Monde par ses
attraits nous enchaine dans sa propre Sphère, & nous ne pouvons pas nous élever
au-dessus ; le Tems présent occupe toutes nos Espérances & toutes nos Craintes, &
nous faisons plus de cas d’un peu de Boue ici bas, que de tous les Espaces sur-lunaires.
Ainsi notre trop grand Attachement aux Objets que les Sens nous présentent, obscurcit
notre Entendement à l’égard des choses à venir ; nous ne les considerons pas aussi
clairement que nous devrions & que nous pourrions, parce que nous avons de la Peine à
perdre de vûe les Objets de ce Monde ; ensorte que notre Ignorance procède de notre propre
Volonté, comme le dit fort bien un de nos Poëtes. Je ne veux pas insinuer que la Raison humaine suffise pour
nous instruire de ce que nous serons dans la suite ; mais qu’on me permette d’insister sur
ceci, qu’elle peut nous convaincre, si on s’en sert convenablement, que nous serons quelque chose, & dans un certain état, après que ce qu’on appelle
ordinairement la Vie, & qui n’est autre chose que l’Ame animale, nous aura laissés. Je
sais qu’il y a bien des Gens naturellement, ou manque d’Application, ou assez stupides,
pour ne pas sentir la différence entre l’Ame animale & l’Ame immortelle. Il est
cependant aisé de concevoir, que nous avons non seulement deux, mais encore trois Ames,
qui nous sont distribuées graduellement dès notre première Formation dans le Sein de notre
Mère. Les plus grands d’entre nos Poëtes, Philosophes ou Théologiens, ont paru favoriser
cette Opinion ; mais je n’en connois aucun, que se soit exprimé plus clairement & plus
élégamment à ce sujet qu’un Auteur, que j’ai pris la Liberté de citer souvent dans cet
Ouvrage. Je parle de Mr. Dryden, qui s’exprime de cette manière dans son Poëme de Palémon
& d’Arcite. Et en effet que
sommes-nous avant notre Arrivée dans le Monde, sinon des végétables ? Ou qu’avons-nous
dans notre Enfance qui nous distingue des Animaux ? Même ce qu’on appelle instinct, leur
vient plûtôt, ou du moins est plus aisé à distinguer, que ne l’est chez nous la Faculté de
raisonner ; mais quand nous l’avons une fois acquise, dès que nous sentons en nous-mêmes
le pouvoir de comparer & de juger, il faut convenir que nous sommes peu dignes de
posséder cet Avantage ; mais si nous ne voulons pas le reconnoître, que nous tâchions même
de l’avilir, il n’y a point de Paroles qui puissent exprimer la Noirceur de
notre Ingratitude à l’égard du Grand Auteur de notre Existence, ou une Injustice & une
Indignité si monstrueuses, à l’égard de notre propre Nature. Cependant on le fait tous les
jours. Des Personnes, qui s’imaginent voir plus clair que les autres dans les Ouvrages de
la Nature, se font même Honneur de cet Egarement ; ils veulent opposer la Raison à l’a
<sic> Raison, & affectent d’être libres de toute Partialité, & de n’avoir
pas la Vanité, comme ils s’expriment, d’attribuer plus à l’espèce dont ils sont, qu’à
aucune autre de ce Monde animal. Mais la véritable Philosophie, aussi bien que la Réligion
nous apprendra de meilleures choses. Elle nous enseignera, non seulement la Nature &
l’Excellence de notre Etre ; elle nous montrera encore comment nous devons nous préserver
de ces Inclinations qui tendent à dégrader notre Dignité native, en jettant une
Ressemblance, ou en nous mettant de niveau avec les plus viles Créatures. Consacrons donc
une partie de notre Tems à l’Etude & à la Méditation. Nous devrions aussi être continuellement sur
nos gardes, afin que nos Sens n’usurpent pas trop d’empire sur nous ; ils nous trompent
souvent, & nous présentent des Joyes imaginaires, quand nous en attendons de réelles ;
d’ailleurs, comme ils ne peuvent nous montrer que des choses qui sont sur le point
d’arriver, & qui passent vîte, nous ne devrions en jouir qu’en passant, & il y
auroit la plus grande Stupidité à en faire l’unique Objet de ses Pensées. Le Fameux Abbé
de Bellegarde donne cette Maxime, parmi plusieurs autres très sensées, & qui méritent
d’être universellement observées. Il est sûr qu’une Personne
qui a toûjours cette Maxime dans l’Esprit, ne se livrera jamais entièrement aux plaisirs
frivoles & passagers de ce Monde, ou Soucis qui accompagnent la
poursuite de ses Grandeurs ; elle pourra jouir avec Modération des premières, quand elle
les trouvera dans son Chemin ; mais elle ne croira point être misérable lorsqu’elle en
sera privée ; & à l’égard des dernières, elle pensera qu’elles sont de trop courte
durée, pour qu’elle doive sacrifier son Tems & prendre tant de Peine pour les
acquérir. Combien ne sont pas aveugles, inconsidérés & malheureux, ceux qui plaçent
leur Souveraine Félicité dans ce Monde, soit qu’ils réüssissent, soit qu’ils ne
réüssissent pas dans leurs efforts ! Qui plus est ne voyons-nous pas chaque jour que ceux
qui échouent sont en plus grand nombre que les premiers ? Cependant avec quel Empressement
ne saisissons-nous pas la première Ombre d’Espérance, & ne consumons-nous pas dans de
vaines Attentes un tems toûjours précieux2.
Zitat/Motto
Il n’est rien, dit-il, qui puisse
brider notre Liberté Naturelle, l’Homme peut toûjours agir, ou s’en abstenir ; le Ciel
nous a fait des Agens libres au Bien ou au Mal, & ne nous a point forcés, quoiqu’il
ait prévû notre Volonté. La Liberté a été premiérement accordée au Genre humain, & la
Préscience n’a tenu que le Second Rang. Si Dieu a pû faire des Agens doués d’une telle
Liberté, c’est de quoi je ne disputerai point. Le Sujet est trop relévé pour moi ; car où
est l’Homme qui puisse sonder les Profondeurs du Très-haut, ou mettre des Bornes à sa
Toute Puissance ? Il nous à faits à son Image, tous en conviennent. Cette Image est l’Ame
& elle doit-être libre, où elle n’est pas l’Image de son Créateur.
Zitat/Motto
Notre
raison ne nous a pas été donnée en vain, & elle ne devient jamais esclave, que de son
propre Consentement.
Zitat/Motto
Ainsi l’Homme qui n’étoit d’abord qu’un
Vermisseau, se dilate par la chaleur, il s’étend peu-à-peu. Déjà le petit Cœur commence à
battre ; caché dans sa cellule, il se nourrit sans Réflexion ; enfin quand le tems est
venu qu’il doit éclore, il brise lui-même sa Coquille, il vient se débattre
en commencant à respirer, & demander par ses cris du secours ; alors il trouve sa
Subsistance dans le Sein de sa Mère, il rampe, il marche, & devenu Homme, il murmure
contre celui qui lui a donné la Vie ; Ennemi des Loix, il veut dominer seul, il
s’inquiète pour commander. Sur le Trône même il n’est pas tranquille ; premièrement il a
végété, il sent ensuite, & enfin il raisonne. Riche avec trois ames, il vit pour les
mettre toutes en Usage, quelques-uns atteignent ce But, mais des milliers meurent à la
Fleur de leur Age, sans avoir pû courir dans la dernière Lice.
Zitat/Motto
Quand l’Ame est employée dignement, dit un illustre Auteur, le Corps devient
Spiritualité, mais quand nous permettons à la Lassitude d’engourdir nos Facultés,
l’Esprit même dégénère en Matière.
Zitat/Motto
N’ayez de l’Attachement
& de l’Amour pour le Monde, qu’à proportion du Tems que vous y devez être. Celui qui
fait Voyage ne s’arrête pas dans la première belle Ville qu’il trouve sur sa Route, il
sçait qu’il doit passer outre & aller plus loin.
Metatextualität
Mais je désobligerois les trois quarts de mes Lecteurs, si
je m’arrêtois plus long-tems sur un Sujet, que tous connoissent, quoique ceux qui y
donnent une Attention convenable, soient en bien petit nombre ; d’ailleurs on ne publie
pas ces Spéculations pour abattre leur Courage, mais plûtôt pour leur inspirer une
nouvelle Ardeur ; & comme il est impossible de recommander la Valeur de cette Partie
de nous-mêmes qui est immortelle, sans remarquer combien l’autre est moins digne de notre
Attention, je n’ajoûterai rien de peur de passer pour être trop grave, Faute, qu’on ne
pardonne point aujourd’hui à un Auteur. Mira reconnoît elle-même que ces Spéculations ont
un peu penché quelque tems de ce côté ; & m’exhorte à me ressouvenir que le Public
& sur-tout les Personnes de Condition sont plus aisément corrigées de leurs
Extravagances par le Ridicule que par le Raisonnement.
Ebene 3
Exemplum
Il est certain que si une Personne gaye, ennemie de la
Réflexion prend un Livre, qu’elle n’imagine n’être composé que pour l’Amusement, & si
elle rencontre, avant qu’elle soit sur ses Gardes, quelcun de ses Vices
favoris exposé avec beaucoup d’Art & de Ridicule, elle sera frappée de cette
Ressemblance avec elle-même, & peut-être sera-t-elle rappellée à la Raison & à la
Vertu ; au-lieu qu’elle auroit pû entendre mille Sermons les plus excellens &
prononcés avec le plus de Grace sur le même sujet sans en être touchée.
Exemplum
Le Roi David écouta, sans aucun trouble, la Parabole de Nathan,
touchant la jeune Brebis, jusques à ce que le Prophète enhardi par sa Mission divine, lui
eut dit nettement : Tu ès cet Homme là. Alors touché de cette soudaine Remontrance, il se
frappa la poitrine & s’écria ; j’ai péché contre l’Eternel.
Metatextualität
Comme nous avons débuté, en assûrant le Public, que nous ne
voulions exposer que le Vice & non le Vicieux, & que ce Livre est
particuliérement destiné à montrer combien il est odieux de diffamer les Caractères, nous
devons prier nos Lecteurs de ne pas fixer les Reproches que nous faisons dans ces
Spéculations, sur aucun Individu, comme si nous l’avions eû en vûe, & de tâcher
plûtôt d’éviter eux-mêmes les Fautes qu’ils sont si prèts à remarquer dans les autres.
Tout ce qui ne tombe pas sous la Connoissance des Cours de Judicature, devroit-être à
l’abri des Chicanes particulières ; & en effet Personne, excepté le Magistrat, n’a le
droit de condamner un autre que soi-même.
Exemplum
Il est vrai que, si un Candidat a montré
dans une Session précédente, ou autrement, par sa conduite, qu’il n’a pas réellement à
Cœur le Bien de son Pays ; s’il ne s’est pas employé fortement à maintenir la juste
Balance du Pouvoir entre le Prince & le Peuple ; s’il a accepté des Faveurs de
Corruption, tant pour lui que pour sa Famille, afin de soûtenir des Intérêts opposés à la
Cause publique, alors le moindre des Electeurs à un droit indisputable de déclarer le
Motif qui l’oblige à lui réfuser sa Voix. A l’égard de son Oeconomie, s’il est un Avare
ou un Prodigue, on a quelques Raisons de croire qu’il sera entraîné aisément dans des
Mesures qui lui promettront un Accroissement de Biens, ou de nouveaux Secours pour
continuer ses Extravagances ; & alors on a le droit de lui opposer
toutes les Preuves qu’on peut ramasser de sa mauvaise Conduite ; mais je ne puis
comprendre ce que les Fautes d’une Mère, d’une Femme, d’une Sœur, ou d’une Fille ont à
faire ici ; cependant on rappelle dans ces Elections tous les sujets de Médisance contre
la Famille du Candidat, comme si le pauvre homme étoit obligé de répondre pour la Vertu
de ses Parens.
Zitat/Motto
Pouvons-nous voir à nos côtés notre Mère volée, liée & violée, sans courir
à son Secours, parce que la Force & la Beauté de son Ravisseur nous plaisent ! Ou
craindrons-nous de le tuer, s’il a porté auparavant le Nom de notre Ami ? Traitent-ils
Brutus d’ingrat ? César seul l’étoit, qui avoit pû asservir Rome, Action plus barbare,
& plus dénaturée, si nous la pésons dans l’exacte Balance de la vraie Vertu, que le
Parricide de son Successeur Néron.
Metatextualität
Mais une Digression sur les Affaires nationales est
tout-à-fair <sic> étrangère à mon Dessein présent, je quitterai donc ce sujet en
recommandant au Public, & surtout aux Personnes de mon Sexe, de juger
avec Bonté & Charité la Conduite de leurs Voisins, puisque c’est le seul Moyen assûré
de préserver de la Censure leur propre Conduite, toute Innocente qu’elle puisse être. La
Lettre signée Elismonde, avec la Vengeance d’une Dame, vient de nous être rendue, nous
avons lû ces deux Pièces avec beaucoup de Plaisir, & nous promettons de les insérer
dans le Discours suivant, puisque le Tems ne nous permet pas de leur donner Place dans
celui-ci.
1On sçait qu’en Angleterre la Dame de la Maison occupe toûjours le haut Bout de la Table.
2On a laissé une Citation de Shakespear, sans la traduire. Ce Poëte est de tous, celui dont le Style s’éloigne le plus du Génie de notre langue ; & en particulier le Morceau qu’on supprime ici, auroit perdu toute sa Beauté dans la Traduction.