La Spectatrice. Ouvrage traduit de l'anglois: Livre Cinquieme
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Livre Cinquième.
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Metatextualität
Notre societé
a résolu par complaisance & par
reconnoissance pour le premier
correspondant dont elle a été honorée,
de renvoyer ce qu’elle avoit dessein de
publier aujourd’hui, & d’insérer à
sa place l’obligeante lettre qu’elle a
reçue, en poursuivant le sujet dont elle
traite, & qui ne sera jamais proposé
trop souvent, ni avec trop de force.
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Brief/Leserbrief
Madame la
Spectatrice. Je ne suis pas assez austère pour
ne faire aucune difference d’âge, &
pour refuser à la jeunesse
les recréations innocentes qui lui sont
propres ; au contraire, je permets aux
jeunes gens de jouïr avec moderation des
plaisirs que le grand monde procure ;
mais aussi je ne voudrois pas qu’on se
fit de ces plaisirs une affaire, &
qu’on s’en occupât tellement, qu’on
n’eût plus d’attention à donne pour des
sujets plus importans ; parce que ce
seroit rendre dangereux ce qui de
soi-même est fort innocent, & faire
payer chérement à l’avenir, pour ce dont
on jouit dans le present. Il y a des
entrepreneurs modernes de nos plaisirs,
qui ne se contentent pas d’inventer
chaque jour de nouveaux amusemens pour
passer nos soirées ; il faut encore que
nous leur sacrifiions la matinée, comme
si nous n’étions nés que pour le
plaisir. Vauxhall~i, Cupers~i, &
tous les endroits du même genre excepté
les jardins de Ranelagh~i, n’occupent à
la vérité que cette partie de notre tems
que nous donnons ordinairement au
plaisir ; mais les entrepreneurs de ce
dernier endroit ne sont pas contents
qu’ils n’empiétent sur ces heures, que
la nature & la raison
destinent à un autre usage. Je ne suis
pas si âgée, que je ne me rappelle très
bien, qu’après avoir fait mes devotions,
m’être habillée, & avoir déjeuné,
les heures qui me restoient jusqu’à midi
étoient principalement occupées par mes
Maitres de danse, de musique,
d’écriture, par les personnes qui
m’enseignoient les ouvrages, & en
général tout ce que doivent savoir les
personnes de mon sexe. Je regardois
alors comme une très grande faveur,
qu’on me permît de faire un tour de
promenade dans le parc de St.James~i, ou
dans notre jardin, afin de dîner ensuite
avec plus d’appetit. J’ai élevé ma fille
unique de la même manière, & je ne
soupçonnois pas qu’elle en fût
mécontente jusqu’à ce qu’elle eût
atteint sa quatorzième année, lorsque
les entrepreneurs de Ranelagh~i
avertirent malheureusement qu’ils
donneroient un déjeuné public chaque
matin. Ceci me chagrina extrémement,
& ne nuisit pas moins à l’éducation
que je voulois donner à ma fille ; je
m’apperçus d’abord qu’elle
se relâchoit dans tout ce qu’elle
apprenoit, & enfin qu’elle avoit une
aversion totale pour l’occupation. Sa
maitresse de François est à présent une
compagne très incommode ; son éguille
une chose très odieuse ; son clavessin
n’est jamais d’accord ; ses livres de
musique sont jettés de côté, & rien
ne paroit digne de son attention, à
l’exception du deshabillé le plus galant
dans lequel elle puisse paroitre à
Ranelagh~i. Ma maison est remplie chaque
matin de jeunes Dames, qui viennent
inviter Mademoiselle Biddy~i à aller
déjeuner avec elles à Ranelagh~i : il
n’est question de rien à leur retour,
que de ce qu’on a dit ou fait à
Ranelagh~i, & de l’habit avec lequel
on paroitra encore le soir dans ce
charmant endroit ; ensorte que la
journée est entièrement perdue.
Dites-mois, Madame, convient-il à une
femme prudente, de permettre à une jeune
personne que le Ciel & la nature ont
mise sous mon autorité, de se conduire
de cette manière ? Cependant comment
étouffer un mal qui ne fait que
croitre ? Si je veux mettre quelques
bornes à ces courses, je
n’ai chez moi que mauvaise humeur &
murmures, & je suis sans doute
critiquée au dehors pour ma grande
sévérité. Toutes mes remontrances sur
cette manière de perdre le tems sont
vaines ; tout ce que je puis dire ne
fait pas la moindre impression ; &
je crains de pousser ma fille à quelque
extrémité, si je la contrains de rester
au logis. Qui sçait jusqu’où une jeune
personne inconsiderée peut se laisser
aller ? Combien y en a-t-il à cet âge
qui ne sont que trop ingénieuses à
tromper la vigilance de ceux qui ont le
soin de leur éducation ? & si dans
le tems que je veux la préserver d’un
danger, je la poussois dans un autre, je
ne pourrois jamais me le pardonner. Le
dilemme sous lequel je me vois est
terrible. Je vous conjure donc, puisque
vous ne pouvez pas être insensible à
l’affliction que plusieurs parens
doivent éprouver comme moi-même,
lorsqu’ils se voient sur le point de
perdre le fruit de leurs soins & de
leur tendresse, je vous conjure, dis-je,
d’exposer de la manière la plus
touchante & la plus pathétique qui
vous soit possible, quelle
folie il y a de courir éternellement
dans ces endroits publics. Faites sentir
à nos jeunes Dames que cette coutume
leur est extrémement pernicieuse,
qu’elle les rend incapables, de
s’acquitter des devoirs de la societé,
qu’elle les porte à négliger ce qu’elles
doivent à Dieu & à ceux de qui elles
tiennent le jour, qu’elles les empêche
<sic> de devenir un jour
d’excellentes femmes, des bonnes mères,
des amies estimables, ou des maitresses
raisonnables, en un mot, qu’elle prépare
pour l’avenir un malheur insaissible, de
même qu’aux personnes qui les
approcheront. Une censure publique de
votre part sera peut-être plus efficace
que toutes les exhortations de leurs
parens, qu’elles regardent ordinairement
comme des discours d’usage ; les avis
d’une personne qui n’a point d’autre
intérêt en les donnant, que la part
généreuse qu’elle prend au bonheur de
ses semblables, feront certainement
beaucoup d’impression sur l’esprit de
ceux qui ne sont pas tout à fait
insensibles à leur propre avantage, & repondront aux
désirs du plus grand nombre de vos
lecteurs, aussi que bien de Votre réelle
admiratrice & très humble
servante,
Sarah Oldfashion~k ( *1).Du quarré
d’Hanover
P.S.
« Si je n’obtiens pas ce que j’attends
de vous, je suis résolue d’envoyer
Biddy~i chez un parent que j’ai dans le
pays de Cornouaille~i, dont le plus
proche voisin est à la distance de
quatre lieues, & où elle n’aura pour
toute vûe que des rocs hauts &
escarpés d’un côté, & des mines d’un
aspect aussi desagréable de l’autre,
aussi longtems qu’elle persistera dans
la même fureur pour les assemblées
publiques. »
Metatextualität
« Quoique vous n’ayez pas
jugé à propos, dans les discours que
vous avez publiés chaque mois, d’inviter
personne à lier une correspondance avec
vous, & que j’ignore tout à fait si
vous recevrez favorablement ce que je
vous communiquerai de cette manière ;
cependant, comme l’intention de votre
ouvrage est clairement de corriger les
erreurs dans lesquelles nous tombons,
qui nous entraineroient
dans le vice, & nous rendroient
malheureux pour toute notre vie si nous
les traitions avec trop de complaisance,
j’ai resolu de vous instruire de mes
sentimens sur votre entreprise, &
sur le succès que vous avez eu dans
l’exécution. Vous savez que tout ce qui
sort de la presse, essuye autant de
censures qu’il y a de lecteurs qui
pensent differemment ; mais je vous
assure que je suis un de ceux à qui les
Auteurs donnent justement le titre d’ami
lecteur, & que je me plais davantage
à applaudir qu’à condamner. Je me joins
de bon cœur à toutes les personnes sages
& vertueuses qui vous ont donné des
louanges, & je tâche à rendre leurs
éloges publics autant que ma situation
le permet. Je défends avec zèle votre
cause, contre toutes les chicanes que
l’ignorant présomptueux & le
libertin déclaré peuvent lui opposer ;
& si je m’apperçois que vous tombiez
dans quelques endroits au-dessous de mon
attente, je me tiens alors dans le
silence. Je pense que ce procedé est
celui d’une amie, j’espére donc que vous
ne prendrez pas en mauvaise
part que je vous donne de tems en tems
des avis, & que je vous rappelle
actuellement dans cette lettre, ou
lorsque j’en trouverai l’occasion, des
omissions que vous puissiez aisément
réparer dans le discours suivant, ou
même que je m’hazarde à vous communiquer
quelques idées vagues de mon propre
fond, puisque je vous laisse en pleine
liberté de les supprimer ou de les
publier, suivant que vous le trouverez à
propos. Il n’y a certainement rien de
plus juste que votre définition des
passions, ou de plus pathétique que
votre description des maux qu’elles
attirent au genre humain ; mais je pense
que vous avez touché trop légerement, ou
du moins que vous ne vous êtes pas
arrêtée autant qu’on auroit pû
l’attendre d’une Spectatrice~i, sur
quelqu’un de ces moyens sans nombre qui
ont été inventés dernièrement par les
partisans d’une luxure effrenée, pour
adoucir, ou plutôt pour irriter les plus
dangereux penchans de la jeunesse.
Sarah Oldfashion~k ( *1).
Du quarré
d’Hanover
Ce 2. Août 1744
P.S.
« Si je n’obtiens pas ce que j’attends
de vous, je suis résolue d’envoyer
Biddy~i chez un parent que j’ai dans le
pays de Cornouaille~i, dont le plus
proche voisin est à la distance de
quatre lieues, & où elle n’aura pour
toute vûe que des rocs hauts &
escarpés d’un côté, & des mines d’un
aspect aussi desagréable de l’autre,
aussi longtems qu’elle persistera dans
la même fureur pour les assemblées
publiques. » Zitat/Motto
on chercheroit
vainement l’expérience parmi la
jeunesse, & c’est la payer trop
chérement que de l’acquerir avec l’âge.
Combien de personnes ne savent pas se
conduire dans le monde, même
lorsqu’elles sont sur le point de le
quitter, & comme s’exprime Dryden~i,
qui ont laissé passer leur vie comme par
un sas qui ne retient rien !
Exemplum
Ebene 3
Fremdportrait
Alvario~i
est un Gentilhomme riche, & qui fait
figure dans le monde : il resta veuf
avec deux filles, qui du côté de leur
mère, étoient héritiéres en commun d’un
bien dont le revenu montoit à plus de
mille piéces.
Ebene 3
Fremdportrait
L’ainée,
que j’appellerai
Christabelle~i, étoit parfaitement belle
& pleine d’esprit ; mais Lucille~i
sa cadette, étoit d’une constitution
valétudinaire, & par consequent plus
sombre & moins propre pour le monde.
Elle ne se soucioit jamais de sortir, ou
de recevoir compagnie chez elle. Mais
Christabelle~i, dont l’humeur étoit plus
enjouée, ne restoit qu’avec repugnance
au logis. Le parc, la comédie, l’opera,
la cour, étoient les idoles de son
cœur ; la parure, les équipages, &
le plaisir de se voir admirée occupoient
toutes ses pensées. La jeunesse, la
beauté & la fortune se rencontrent
rarement sans un mélange proportionné de
vanité ; & il faut convenir que
cette Dame n’en étoit pas destituée.
Elle triomphoit des conquêtes que ses
charmes lui procuroient chaque jour,
& quoiqu’elle eût trop d’esprit pour
croire toutes les déclarations
flatteuses qu’on lui faisoit, elle n’en
avoit cependant pas assez pour se
défendre du plaisir qu’elle trouvoit à
les entendre.
Ebene 3
A toute
personne charitable qui passera ici,
& qui aura assez de compassion pour
aider une fille maltraitée à s’échapper
des mains du plus barbare de tous les
pères.
Metatextualität
Elle avoit
écrit une lettre à son père peu d’heures
avant son évasion, & elle la laissa
dans un endroit, où elle étoit sûre
qu’on la trouveroit, aussi-tôt qu’on
s’appercevroit de sa fuite. Elle
s’exprimoit dans cette
lettre de la manière suivante.
Ebene 3
Brief/Leserbrief
Monsieur,
« Le cruel traitement que j’ai reçu de
votre part, me fait penser que vous ne
me regardez plus comme votre fille,
& me dispense de ce que je vous
devrois d’ailleurs comme à mon père. Je
vous quitte pour toujours, &
j’espére que vous ne me forcerez pas à
prendre des mesures qui ne conviennent
pas au caractére de fille, afin de me
mettre en possession de mes droits :
vous n’avez que trop joui de ce bien,
& il est bien tems qu’il revienne à
Votre très offensée
fille
Christabelle~i.
Christabelle~i.
Ebene 3
Fremdportrait
Si des
raisons d’état, que je ne dois point
approfondir, ne nous engageoient pas
dans une guerre avec la France~i, je lui
conseillerois d’envoyer sa fille chez
une nation aussi polie ;
cette jeune personne trouveroit dans ce
pays-là une vaste diversité de plaisirs,
qui donneroient bientôt une tournure
differente à son humeur, & lui
inspireroient du mépris pour tout ce qui
l’avoit enchanté auparavant. Qu’on
se livre à tous les plaisirs, ou
seulement à une espéce particuliere, il
y a deux raisons qui rendent cet abandon
moins pernicieux en France~i qu’il ne l’est souvent en
Angleterre~i. D’abord le tems qu’on
donne au plaisir bien loin d’être
entièrement perdu, sert plutôt à
perfectionner qu’à altérer l’éducation
qu’on a reçue, comme tous ceux qui
connoissent les usages de cette nation
doivent en convenir. L’arrivée d’une
Dame étrangere n’y est pas plutôt
connue, qu’on l’invite à prendre part à
tous leurs amusemens ; elle se voit
d’abord introduite dans les bals, les
assemblées, les mascarades ; ce ne sont
pour elle que plaisirs continuels, dans
les palais des Princes, & chez les
personne de la première qualité, où elle
est traitée avec delicatesse &
magnificence, & où elle n’entend
aucune de ces impertinences & de ces
obscénités si ordinaires dans nos places
d’assemblée, dont l’entrée n’est jamais
refusée à ceux qui veulent payer. Une
femme d’honneur devroit trembler, quand
elle pense qu’elle peut entrer en
conversation avec certaines personnes,
qui ne manqueront pas de se vanter
ensuite de cette connoissance, & de
lui en donner des marques quand elles se
rencontreront avec elle dans un autre
endroit.
Metatextualität
Je prévois que
plusieurs de mes lecteurs s’écrieront
ici, que si elle suivoit ce conseil elle
ne feroit que se dégouter des plaisirs
qui sont particuliers à sa patrie, &
se passionner pour ceux d’un autre pays.
Cette objection paroit d’abord assez
plausible, mais quand on la considere de
près, on ne lui trouve aucune solidité ;
car sans parler du souvenir des
personnes qui lui sont chères, cette
partialité naturelle que nous avons tous
pour le lieu de notre naissance, lui
feroit bientôt désirer son retour ;
ensorte qu’elle seroit plutôt guérie de
cet amour immoderé des plaisirs, que si
elle avoit eu la liberté de le
satisfaire dans un endroit où elle
n’auroit eu rein à désirer.
Exemplum
Il y a peu de
nos petits maitres Auglois <sic>
qui eussent autant de
discrétion qu’un Cavalier François en
montra dans une certaine occasion ; il
se trouvoit à Paris~i dans une galerie
de l’opera, lorsqu’il remarqua à ses
côtés une Dame mieux mise que ne le sont
ordinairement les personnes qui occupent
cette galerie : il la prit donc par
cette raison pour une fille de joye,
l’accosta & l’entretint avec toute
la liberté dont on use avec les femmes
de ce caractére. Cette Dame ne se mit
point en peine de le détromper,
cependant elle ne voulut point lui
permettre de l’accompagner chez elle
comme il s’y attendoit. Il arriva peu de
jours après qu’il la vit en Cour suivie
d’un train aussi leste que nombreux de
pages & de domestiques : il demanda
alors le nom de cette Dame à une
personne qui étoit à ses côtés, & on
lui répondit que c’étoit Mademoiselle de
Charollois~i, l’une des Princesses du
sang. Cette repartie lui
plût, elle reconnut qu’elle ne devoit
blâmer qu’elle-même, de s’être rendue
pour satisfaire une fantaisie, dans un
endroit où on ne s’attendoit pas à la
rencontrer.
Dialog
Honteux de son procedé, il tâchoit de se
dérober parmi la foule, lorsque la
Princesse le découvrit, & l’ayant
fait appeller auprès d’elle. Comment,
Monsieur, lui dit-elle ironiquement, la
Dame que vous avez entretenue, il y a
quelques jours, avec tant de liberté à
l’opera, ne merite-t-elle pas que vous daigniez la saluer ? O
Madame, répondit-il avec une admirable
présence d’esprit, dans le Paradis nous
étions tous égaux ; mais ici je sais le
respect qui est dû à Mademoiselle de
Charollois~i.
Ebene 3
Fremdportrait
L’autre
raison que j’avois promis de donner,
pourquoi il n’est pas si dangereux en
France~i qu’en Angleterre~i de se livrer
à toute sorte de plaisirs, est
celle-ci ; les innocentes libertés que
les personnes de notre sexe se
permettent en France~i, n’encouragent
point les hommes à se promettre des
faveurs de plus grande conséquence,
puisque c’est sans contredit de tous les
pays, celui où on se scandalise plus
rarement, & où on donne le moins de
sujet à la médisance. Les Cavaliers n’y
font la cour aux Dames, ne leur donnent
des fêtes, ne leur font des présents que
pour montrer leur galanterie ; & les
Dames reçoivent toutes ces marques du
respect qu’on leur témoigne, plutôt
comme un privilége de leur sexe, que
comme des preuves d’un attachement
particulier.
Selbstportrait
Je suis
fâchée de dire que les Dames même de la
première qualité sont traitées en
Angleterre~i avec beaucoup
d’indifférence, si l’on en excepte les
Cavaliers qui ont sur elles
des vûes intéressées ; & pour ce qui
regarde les Dames d’une condition
inférieure, quoiqu’elles fussent douées
de toutes les qualités du corps & de
l’esprit, elles auroient beau se
montrer, autant qu’il leur seroit
possible, dans tous les endroits
publics, elle <sic> ne seroient
pas seulement remarquées, à moins
qu’elles ne fussent résolues d’achéter
cette distinction à un trop haut prix.
Ebene 3
Satire
Dialog
Je fis
part de cette nouvelle à une jeune Dame
qui passe actuellement la plus grande
partie de son tems à Ranelagh~i ; &
je n’ai pas vû dans toute ma vie une
personne si transportée ; ses yeux
étinceloient de joye, ses lèvres
palpitoient, tout son corps étoit en
agitation, tant elle avoit
d’empressement pour apprendre quelque
chose de plus au sujet d’une affaire si
importante ; & quand je lui parlai
de mes appréhensions, que si ce dessein
réuississoit, il ne nuisit à la santé de
ceux qui se rendroient, malgré
l’humidité de l’hyver, dans un endroit
si voisin de la rivière. O ! Madame,
s’écrira-t-elle, on ne peut pas
s’enrhûmer à Ranelagh. Je ne pus
m’empêcher ensuite de lui parler de
quelques autres inconvénients, auxquels
on s’exposeroit en allant si loin de
chez soi, à des heures qui pourroient
encourager des entreprises contre la
modestie de notre sexe ; elle ne me
repondit alors que ces paroles : Bon
Dieu, Madame, comment vous parlez ! Et
toutes mes représentations n’eurent
point d’autre effet que de l’engager à
abréger sa visite, dans le dessein, sans
doute, de faire part de notre discours à
quelques amies, & de tourner en
ridicule mon manque de goût.
Ebene 3
Fremdportrait
Elle a un
motif particulier, comme je l’ai appris
de quelques Cavaliers, dont elle ne
voudroit pas convenir, pour préférer les
mascarades à tout autre divertissement
public ; c’est qu’on ne lui a jamais dit de jolies choses
lorsqu’elle a été sans masque. Il est
vrai que la nature a été plus que
bizarre dans l’arrangement de ses
traits, & que la petite verole, ce
cruel ennemi de la beauté, l’a encore
cruellement maltraitée ; cependant elle
se forme une taille passable à l’aide
d’un corps neuf chaque mois, qui la
tient étroitement serrée ; mais alors la
contrainte qu’elle se fait se découvre
par la rougeur de son cou : elle cache
de son mieux cette infortune sous un
mouchoir, ou une pélérine, & un tour
de gorge fort ample, & dans cet
équipage elle ne paroit jamais qu’elle
ne soit admirée de ceux qui n’ont pas
les yeux assez perçans pour la
connoître. Il n’est pas surprenant
qu’une mascarade soit l’idole de son
cœur, puisqu’elle s’y montre du côté le
plus avantageux : mais quoiqu’elle
n’ignore pas ce qu’elle a de beau &
de laid dans sa figure, puisqu’elle se
contemple si souvent dans son miroir,
elle fut assez foible l’hyver dernier
pour s’exposer, en se demasquant, à
devenir le rebut de l’assemblée, ce qui
divertit beaucoup ceux qui en ouïrent
parler.
Exemplum
Pour mettre
ses charmes dans tout leur jour, elle s’habilla en Diane~i, avec
un habit de velours vert, garni de
franges d’argent, mais si étroit que sa
femme de chambre, à ce qu’on ma dit, se
foula les deux pouces en le boutonnant.
Sa taille paroissoit sous cet habit
encore plus déliée ; un croissant
d’argent brilloit sur sa tête ; elle
n’avoit pour toute coëffure que ses
propres cheveux, qui sont fort épais,
& d’une belle couleur, & qu’elle
avoit encore ornés de rangs de perles
& de fleurs entremêlées. Il faut
convenir qu’elle avoit alors très bon
air sous le masque, & qu’elle
s’attira cette nuit les regards d’une
bonne partie de l’assemblée. Mais ce qui
flatta le plus son ambition, fut que le
grand Imperio~i la remarqua ; &
s’imaginant qu’une véritable Venus~i
devoit être cachée sous l’ajustement
d’une Diane~i, il ordonna à un homme de
qualité, qui se trouvoit à ses côtés, de
l’aborder & de l’engager à venir se
démasquer au buffet. Ce Cavalier, qui
n’étoit pas novice pour un employ de
cette nature, vola sur le champ pour
exécuter sa commission, & après
avoir enflé au suprême degré la vanité
de cette Dame par les complimens les
plus extravagans, il lui apprit pour
couronner ce qu’il avoit
commencé, quelle étoit la personne qui
l’avoit envoyé, & à quel dessein.
Quoiqu’elle fût infiniment charmée des
éloges qu’il lui donnoit, elle balança
quelque-tems avant que de consentir à ce
qu’il désiroit ; enfin la pensée qu’elle
ne devoit rien refuser à Imperio~i,
l’emporta sur sa résolution, elle se
laissa conduire au fatal buffet, où
Imperio~i lui présenta de sa propre main
un verre de vin, en lui faisant
plusieurs complimens, qu’elle reçut avec
une profonde soumission, & en même
tems elle ôta son masque. Mais cette
complaisance fut fatale à ses
esperances ; Imperio~i recula
d’étonnement, & ne pouvant pas
déguiser combien il étoit trompé dans
son attente : Ceci ne peut pas faire,
Mylord, dit-il à l’homme de qualité,
& je suis fâché de vous avoir donné
tant de peine. Plusieurs personnes que
cette avanture avoit attirées de ce côté
de la salle, virent son visage avant
qu’elle p1ut être assez promte pour
replacer son masque ; & un plus
grand nombre encore entendit ce
qu’Imperio~i dit en lui tournant le dos,
ensorte qu’elle n’ouït autour d’elle
aussi long-tems qu’elle y resta, que ces
mots ceci ne peut pas
faire, accompagnés de grand éclats de
rire. Si elle avoit eu assez de
résolution pour résister aux
importunités de ce noble émissaire &
à l’autorité d’Imperio~i, elle n’auroit
peut-être entendu dans l’assemblée que
les éloges de la charmante Diane~i ;
mais dès que le mystére fut développé
& qu’on connut la véritable Diane~i,
ses plus grandes amies même ne purent
s’empêcher de rire de la mortification
qu’elle avoit reçue, & quand elles
avoient la plus petite dispute, elles ne
faisoient pour se venger que répéter les
paroles d’Imperio~i.
Ebene 3
Fremdportrait
Les
hommes ont tant de penchant à la
critique, qu’ils regardent les personne
de notre sexe, qui paroissent trop
souvent dans ces endroit publics, comme
si elles venoient se mettre en vente ;
c’est pourquoi ils prennent la liberté
en qualité d’acheteurs de les mesurer
des yeux depuis la tête jusqu’aux
pieds ; & comme la plus
parfaite beauté peut n’avoir point de
charmes pour ceux qui la considérent
avec tant d’attention, il y en a bien
peu, ou peut-être aucune, devant qui on
n’ait passé avec un mouvement de tête
méprisant qui, n’est pas moins énergique
que les paroles les plus grossiéres.
Selbstportrait
La modestie est ce qui caracterise
notre sexe ; elle est la source te
toutes ces graces qui nous rendent
l’objet de l’amour ou de l’estime ; de
la douceur, de la débonnaireté & de
l’affabilité dans notre conduite, de la
charité dans nos jugemens, de la
prudence à éviter tout entretien sur des
défauts dont nous ne sommes pas
exempts ; elle est encore le gardien de
notre chasteté & de notre honneur,
& lorsqu’on s’en est une fois
défait, toutes les autres vertus
s’affoiblissent insensiblement &
risquent de s’évanouir tout-à-fait ;
celle qui la conserve ne fera jamais
rien de criminel, mais celle qui y a
renoncé est sujette à tomber dans toute
sorte de deréglemens.
Zitat/Motto
se plaira toujours dans son bonheur,
comme elle à le rendre heureux, &
convaincu des perfection de son épouse,
il ne sentira jamais son amour
s’affoiblir.
Exemplum
Ebene 3
Fremdportrait
Amasine~i
est une beauté si parfaite, que l’envie
même n’y pourroit trouver aucune faute ;
lorsqu’elle paroit les autres beautés
perdent tout leur éclat, de même que les
étoiles disparoissent à l’approche du
soleil. Sa haute naissance, les qualités
de son esprit, rehaussoient encore les
graces de sa figure, & à peine aucun
siécle avoit-il produit un objet plus
universellement admiré. Mais de tous les
amans qui lui adresserent leurs vœux,
Palemon~i fut le plus favorisé par ses
illustres parens, & celui qu’elle
aima le mieux : autant le
consideroient-ils pour ses manières, son
jugement & sa vertu, autant
trouvoit-elle que les graces de sa
figure lui donnoient de la supériorité
sur tous ceux qui lui faisoient la cour,
quoique quelques-uns d’entr’eux eussent
des biens plus considerables, & que
leurs déclarations d’amour fussent
faites avec plus de véhémence.
Ebene 3
Fremdportrait
ses
protestations n’étoient accompagnées ni
d’adulations, ni d’extravagances, il se
contentoit de lui assurer qu’il ne
souhaitoit rien avec plus d’ardeur que
de passer sa vie avec elle ; mais il ne
lui protestoit jamais qu’il voudroit
mourir pour elle. Sa passion étoit
parfaitement tendre & sincére,
quoiqu’elle fût bien éloignée de la
jalousie & de l’impétuosité ; il
pouvoit connoître ses rivaux sans penser
à les combattre ; & lorsqu’elle
affectoit de tems en tems de le traiter
avec dédain, elle ne le voyoit point
jurer qu’il alloit se percer de son
épée.
Zitat/Motto
que tout est beau dans une
personne qu’on aime.
Ebene 3
Brief/Leserbrief
A la trop
aimable & inconsiderée Amasine~i,
« Puisque vous êtes injuste &
cruelle à vous-même, aussi bien qu’à la
plus sincére passion qui fut jamais,
& puisque vous préférez des frivoles
amusemens qui ne méritent pas le nom de
plaisirs, & les galanteries de gens
que vous devez mépriser dans votre cœur,
à votre propre réputation, & à mon
repos éternel ; vous ne devez pas (&
je me flatte que vous n’en ferez rien)
vous ne devez pas, dis-je, m’accuser
d’inconstance, si je ne veux plus me
confondre parmi la troupe d’amans, dont
vous avez non seulement permis, mais
encore encouragé les poursuites depuis
quelque tems ; je ne puis me resoudre à
passer toute ma vie avec une Dame, qui
semble déterminée à vivre d’une manière
incompatible avec le bonheur de l’état
conjugal ; mes prieres, mes
remontrances, mes inquiétudes, mes larmes mêmes, non-seulement
n’ont pas pû obtenir que vous fissiez la
moindre alteration dans votre conduite,
elles n’ont fait encore qu’être un sujet
de ridicule & de dérision parmi vos
amis de plaisir. C’est pourquoi vous
n’en serez plus importunée, & je
prends à présent mon congé pour
toujours ; je l’aurois pris en personne,
& j’ai été plusieurs fois à votre
porte dans ce dessein ; mais j’ai
toujours appris que vous étiez dans des
endroits, où je ne pouvois aller vous
joindre, sans nuire à ce caractère que
je tâcherai toujours de conserver. Je
n’ai pas besoin de vous dire quelle
peine j’ai eu à prendre cette
résolution, vous savez assez quelle
force vos charmes ont eu sur moi ; mais
je n’en suis que plus consolé ; ce qui
ne peut que vous être agréable, puisque
vous avez pris tant de peine pour me
mettre en état de finir une tâche si
pénible, & pour me convaincre que
c’est la seule chose qui puisse vous
faire plaisir de la part de »
L’Infortuné Palemon~k. « P.S. Je ne puis m’empêcher de vous
faire encore une fois mes adieux, &
de souhaiter que vous puissiez trouver
dans un mortel plus heureux, assez de
mérite pour vous déterminer à rendre son
bonheur parfait ; il vous suffira alors
de reprendre ces qualités que votre
dégoût pour moi vous a peut-être fait
abandonner pour un tems ».
Dialog
Elle étoit dans
une agitation terrible, qui approchoit
beaucoup d’un accès, lorsque Armico~i
son frère entra dans sa chambre, &
lui demanda la cause de ce desordre qui
paroissoit si visiblement dans son air
& dans sa contenance. Palemon~i,
s’écria-t’elle en fondant en larmes, m’a
traitée fort mal. Comment s’écria
l’impatient Armico~i, qui avoit beaucoup
du naturel de Chamont~i ( *3), & qui n’avoit
pas moins d’affection pour sa sœur que
le Poëte en a attribué à ce jeune
Guerrier ! Vite, que je sâche en quoi,
afin que je vole pour vous vanger. Lisez
cela, repliqua-t-elle, en lui montrant
la lettre qui étoit étendue sur la
table ; il a l’impudence de renoncer à
ses vœux, de m’abandonner, & de
rejetter ensuite sur mes amusemens
innocens le blâme de sa perfidie.
Ebene 3
Allegorie
Ce n’est
pas cependant à cette partie de la
nation que j’ai dessein de m’adresser à
présent, & ce n’est point pour de
semblables motifs que nos
jeunes Dames fuyent le théatre & lui
préférent les mascarades, les
assemblées, & les ridottes. Les
calamités du tems les affectent peu ; il
n’y a dans leur cœur qu’harmonie, joye
& tranquillité ; elles s’affligeront
avec Melpomene~i, sans se laisser
abbattre par les malheurs qu’elle leur
étale, & elles seront toujours
prêtes à rire avec Thalie~i.
Zitat/Motto
comme
les plantes croissent & s’élevent
par l’influence benigne du soleil, de
même la faveur est le soleil qui fait
prosperer les Poëtes.
Zitat/Motto
Fin du Livre cinquiéme.