Zitiervorschlag: Anonym [Eliza Haywood] (Hrsg.): "Livre Quatrieme", in: La Spectatrice. Ouvrage traduit de l'anglois, Vol.1\004 (1750 [1749-1751]), S. 262-343, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2670 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

Livre Quatrieme

Ebene 2► Ebene 3► Satire► Quel glorieux privilége l’homme n’a-t-il pas au-dessus des autres habitans de ce monde sublunaire ? Supposez-le dans d’indigence, qu’il soit abandonné de tout le monde, enchaîné même dans un donjon, il peut à à <sic> l’aide de la contemplation jouir de tous les agrémens de la pompe, du respect & de la liberté, se transporter par la pensée partout où il veut, & conquerir des empires dans son imagination.

C’est pourquoi je ne comprens pas, pourquoi tant de personnes ne peuvent point souffrir d’être seules, ne fût ce que pour un instant. Il est vrai que le crime occasionne des agitations, qui peuvent rendre la retraitte insupportable, & chasser le misérable qui se tourmente lui-même, dans une compagnie où il puisse se délivrer de ses remords ; aussi je ne parle pas de ceux qui craignent la réflexion, mais de ceux qui semblent n’avoir pas la capacité de refléchir.

Je connois plusieurs personnes de l’un [263] & de l’autre sexe, qui paroissent avoir un fond de vivacité capable d’animer la conversation partout où elles se trouvent ; cependant s’il leur arrive d’essuyer une demie heure de solitude, elles sont pour quelques minutes les créatures les plus pesantes & les plus stupides qu’il y ait sur la terre. Demandez-leur si elles sont indisposées ? elles vous répondront languissamment que non, qu’elles sont assez bien. S’il leur est arrivé quelque malheur ? elles vous répondront encore que non sur le même ton hebêté, & elles paroissent n’avoir plus d’ame jusqu’à ce qu’on ait dit ou fait quelque chose capable de les ranimer. On s’imagineroit qu’elles sont encore à moitié endormies ; aussi peut-on dire que durant cette léthargie, leur esprit a été dans un état plus inactif que celui du sommeil, puisqu’elles n’ont pas même songé. Allegorie► Je crois donc qu’on peut les comparer assez justement à une sonnerie, qui ne rend point de son à moins qu’on ne la frappe. ◀Allegorie

Quelle opinion que le monde puisse avoir touchant les personnes de cette humeur, je ne puis m’empêcher de penser qu’il y a du vuide dans leur ame ; [264] qu’elles n’ont d’elles-mêmes aucune idée, & que c'est l’usage du monde joint à leur éducation, qui les met en état de discourir agréablement. Un véritable genie ne manquera jamais de sujet de s’entretenir lui-même, & quand même il seroit tout seul, sur le sommet d’une montagne, sans livres & sans occupation, il trouvera toujours de quoi se préserver de l’oisiveté : sa mémoire lui récapitulera les événemens passés ; ses observations lui feront discerner les objets présents d’avec leurs causes ; & son imagination dirigée par son jugement, anticipera sur l’avenir. C’est ce pouvoir de contempler & de réflechir qui distingue principalement les hommes d’avec les brutes, & qui prouve que nos ames sont réellement des étincelles de l’Intelligence divine, comme on le prétend. ◀Satire ◀Ebene 3

Exemplum► Les plaisirs d’une aimable societé sont assûrement les plus délicats que nous puissions goûter ; cependant la compagnie même que nous aimons le mieux, nous deviendroit insipide & ennuyeuse, si nous devions y être continuellement ; & ce seroit une aussi grande mortification pour une personne qui pense avec justesse, de se trouver perpétuellement [265] en compagnie, que d’être toujours seule.

En effet, la conversation ne fait que fournir des sujet pour la réflexion ; elle égaye l’esprit, & le rend propre à méditer & à réflechir. Chaque nouvelle chose que nous entendons en compagnie, reveille chez nous de nouvelles idées dès que nous sommes dans notre cabinet ou sur notre oreiller ; & comme il y a peu de personnes dont on ne puisse tirer quelque chose d’amusant ou d’instructif, un bon esprit semblable à l’industrieuse abeille, ira exprimer les differents sucs, pour les digérer ensuite dans la retraite. Mais ceux qui se précipitent continuellement d’une compagnie à l’autre, & qui ne veulent souffrir la solitude que quand la nature fatiguée demande du repos, ne feroient qu’une petite attention aux maximes de Seneque, quoiqu’on les proposât avec l’éloquence persuasive de Ciceron. ◀Exemplum

Exemplum► Cependant une aversion immoderée pour la solitude a encore des suites plus fâcheuses. Des personnes de cette humeur se jetteront, plutôt que d’être seules, dans toute sorte de compagnies sans distinction, & tomberont souvent dans [266] des endroits où elles se repentiront toute leur vie d’avoir été ; car quoiqu’elles ne puissent tirer aucun fruit de la bonne societé, leur réputation très certainement, & peut-être leur morale & leur fortune, souffriront beaucoup dans une mauvaise compagnie ; & lorsqu’on choisit avec précipitation, il est bien rare qu’on rencontre la première, qui est infiniment moins commune, & d’un accès beaucoup plus difficile aux personnes qui y sont inconnues. ◀Exemplum

Cette fureur pour la compagnie a perdu plusieurs jeunes personnes des deux sexes ; ce qui la rend encore plus dangereuse, c’est que bien loin de travailler à s’en defaire, on panche à la prendre pour une inclination louable, & qu’on regarde ceux qui préchent le bonheur d’une vie retirée, comme des gens remplis de vapeurs. Metatextualität► Je ne doute point que je ne passe pour telle dans l’esprit de quelques uns de mes lecteurs, qui seront trop superficiels pour considérer que je ne recommande pas un abandon brusque & total de la societé, mais l’amour de la solitude dans de certaines heures, afin que nous puissions ensuite sentir avec plus de vivacité le plaisir de la compa-[267]gnie, comme aussi afin que notre conversation soit plus agréable aux autres, & que nous ayons le tems de réussir dans le choix de nos amis. ◀Metatextualität

Ebene 3► Satire► Ce n’est pas seulement avec des personnes d’un sexe différent qu’on doit être sur ses gardes ; le danger dans ce cas est si généralement reconnu, que je n’ai pas besoin de m’y arrêter, & peût-être <sic> n’est-il pas plus grand que d’autres où on peut tomber avec des personnes du même sexe. Les extravagances que les parens reprochent souvent à leurs enfans avec tant d’amertume, ne viennent-elles pas presque toutes d’une compagnie mal choisie ? L’exemple a de grands privilèges, & il n’y a trop de personnes assez foibles pour s’imaginer qu’elles doivent se conduire comme les autres. Combien de jeunes gens qui craignoient les railleries de leurs amis, se sont laissé entrainer à des vices pour lesquels ils ne sentoient d’abord que de l’aversion, & s’y sont plûs <sic> ensuite par habitude ? Combien y en a-t-il encore qui après avoir été séduits ont fait le personnage du Tentateur, & ont fait consister leur gloire à en séduire d’autres ? C’est plutôt l’amour de la compagnie que l’espé-[268]rance des plaisirs dont on parle dans les avertissemens, qui engage nos Dames à courir chaque soir en troupe aux mascarades, aux bals, & aux assemblées tandis que l’hyver dure, & en été à Vauxhall, Ranelagh, Cupers-garden, Mary le bon, Sadlers-Wells tant l’ancien que le nouveau, Goodman’s fields ( *1  ), & vingt autres endroits semblables, qui sont autant de leurres, dans ce siécle où on ne respire que le luxe, pour attirer ensemble l’étourdi & l’inconsideré, & pour leur frayer le chemin à d’autres excès plus condamnables. Car il y a même des personnes de condition (comme j’en ai été informée par le Gnome qui préside sur les plaisirs nocturnes) qui après y être venües dans le seul dessein de prendre part à une recréation qui paroit fort innocente, se sont laissées engager par amour pour la compagnie, ou à demeurer dans ces maisons, ou à se rendre [269] dans d’autres endroits de plaisir, & je n’exagere point en disant qu’ils y sont restés jusqu’à ce que l’Aurore paroissant sur l’horizon a rougi de voir l’ordre de la nature ainsi perverti : encore ne se seroient-ils point séparés, si la lassitude de leurs membres, la pésanteur de leurs yeux, & le desordre de leur équipage ne les avoient pas contraints à se rétirer chacun chez eux, où après avoir pris quelque repos ils se sont levés, se sont habillés, & sont sortis pour chercher une nouvelle compagnie & de nouveaux amusemens. ◀Satire ◀Ebene 3

Le Ciel nous préserve, & je suis bien loin de l’insinuer, que tous ceux qui haissent la rétraite soient sujets à tomber dans de semblables excès. La fortune nous est quelquefois plus favorable que nous ne méritons, en écartant de devant nous toute tentation. Dans ce cas notre négligence n’a aucune autre fâcheuse suite, que la perte de ces plaisirs solides que goute une personne qui sent qu’elle s’est conduite conformement aux maximes de l’honneur & de la raison.

Mais supposons que nous en déduisions quelques jeunes personnes, sur [270] tout celles qui ont de la beauté & une haute naissance, & qui par une tendresse aveugle de leurs parens, n’ont entendu que des flatteries dès le moment qu’elles ont eu quelque pénétration, qui s’imaginent qu’elles sont faites pour être adorées, & pour qu’on leur permette tout ; si nous en déduisons, dis-je, ce petit nombre de personnes qui ont été élevées de cette manière, que pouvons-nous dire en faveur de celles qui ont reçu une meilleure éducation, & qui sont d’un âge plus mûr ? Ebene 3► Satire► Comment excusera-t-on une vielle matrone qui ne fait que courir d’un endroit à l’autre, ou une femme qui devroit avoir à cœur le soin de sa maison & de sa famille ? Exemplum► Quelle étrange figure ne fait pas une mère de cinq ou six enfans dans une course nocturne ? ◀Exemplum & n’est-il pas infiniment ridicule pour une personne qui a ses occupations, de se mettre au-dessus de toute pensée d’œconomie, ou du moins de l’affecter, & de s’offrir pour toutes les parties de plaisir qui se présentent ? Cependant ces personnes ne sont pas rares ; comme l’ordre & l’œconomie demandent de la réflexion & de la retrait <sic>, elles aiment mieux s’acheminer à leur [271] ruine, que de s’exposer à deux choses qui leur paroissent si fatiguantes & si ennuyeuses. ◀Satire ◀Ebene 3

Exemplum► Une jeune veuve da ma connoissance, riche, belle & enjouée, voyoit à peine ses habits de dueil <sic> perdre quelque chose de leur lustre, qu’elle s’est hazardée à prendre un autre mari. Si elle avoit voulu penser à ce qu’elle faisoit, elle n’auroit trouvé dans celui-ci aucune qualité qui pût lui promettre le moindre bonheur ; le premier mois ne s’étoit pas encore écoulé dès leur mariage, lorsque son nouvel époux l’a traitée avec la plus grand grossiereté, a mis à la porte ses pauvres petits enfans, & a insulté ses parents parce qu’ils venoient représenter à ce furieux l’injustice & la cruauté de sa conduite. Comme elle s’est conduite avec si peu de précaution, il semble qu’elle en mérite moins de compassion ; mais si on considére la douceur de son naturel, on ne peut s’empêcher de prendre part à son infortune. Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Une de ses intimes amies prit un jour la liberté de lui demander comment elle avoit pû se jetter entre les bras d’une <sic> homme qui en étoit si indigne ? elle lui fit alors cette cour-[272]te mais sincére réponse, Ah, dit-elle, c’est une chose fort ennuyeuse que de vivre seule. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3 Il auroit été facile à celle-ci de répliquer, que ce n’est point être seule, quand on a une mère à consulter & trois aimables enfans avec qui on peut se récréer dans les heures les plus mélancoliques ; mais ce reproche n’auroit servi qu’à aggraver son affliction ; & comme son malheur étoit irréparable, elle n’avoit besoin que de consolation. ◀Exemplum

Metatextualität► Je serois fâchée que ce détail abregé de son infortune renouvellât ses douleurs ; mais comme elle est un triste exemple des dangers qu’on court en se conduisant sans réflexion, je n’ai pû m’empêcher de m’y arrêter un instant. ◀Metatextualität

Ebene 3► Satire► Quoique cette passion immoderée pour la compagnie ne soit pas aussi dangereuse dans une personne d’un âge avancé, elle n’en est que plus ridicule. Je connois une Dame qui de son propre aveu n’a pas moins de soixante-cinq ans, & qui n’a pas amassé dans une vie si longue de quoi s’entretenir pendant deux minutes. Il y a plusieurs années qu’elle est veuve, elle a un doüaire suffisant pour entretenir un équipage décent, elle n’a point d’enfans, ni aucun autre [273] embarras & elle pourroit vivre autant honorée dans le monde qu’elle y est méprisée, si elle vouloit réflechir à la conduite que doit tenir une femme de son âge & de sa situation.

Mais au lieu de vivre avec décence & régularité, elle court d’un endroit à l’autre, prend en même tems des logemens dans trois ou quatre quartiers différents, passe une nuit à St. James, celle-ci à Convent-Garden, une autre peut-être à Westminster, & celle qui suit dans la Cité ; & encore ne trouve-t-elle pas cette varieté suffisante. Elle a actuellement des appartements à (*2 ) Richmond, Hammersmith, Kensington & Chelsea ; elle les visite tour-à-tour deux ou trois fois par mois ; ainsi sa vie n’est qu’un tourbillon continuel, qui se promène d’un logement à l’autre (s’il y en a qui mérite ce nom) Il semble même qu’elle en ait le seul nom en aversion, car elle n’est presque jamais chez elle, y mange rarement, & s’introduit comme par force chez les étrangers, où elle envoye au-[274]paravant des provisions suffisantes pour toute la famille, afin qu’elle y soit la bien venue. Mais comme les personnes qui font figure dans le monde ne voudroient pas accepter des faveurs de cette nature, & que celles qui ne manquent pas de bon sens veulent se conserver le privilége de s’entretenir de leurs propres pensées, & de regaler les amis qui sont dans la nécessité, ou dont la tête est aussi legere que celle de notre veuve, qui veuillent permettre qu’on vienne occuper leur logement de cette manière.

Pauvre Dame ! Elle dissipe follement un honnête revenu, elle renonce à toute prétention de passer pour un esprit droit & prudent, & cela uniquement afin qu’on lui permette de parler autant qu’il lui plait sans être contredite, & qu’elle puisse n’être jamais seule que durant son sommeil. Des personnes de bonne foi m’ont assuré, qu’elle n’est pas plutôt hors de son lit, qu’elle court chez une voisine avec son corps & sa jupe, ne pouvant pas supporter la solitude, même lorsqu’elle s’habille. ◀Satire ◀Ebene 3

[275] Il y a des gens assez malins pour supposer que ces personnes qui prennent tant de peine pour éviter la solitude, sont agitées par le souvenir de quelque crime secret ; mais je suis bien éloignée de porter le même jugement ; je suis même persuadée que ni cette vieille étourdie dont j’ai parlé, ni plusieurs autres qui visent de la même manière n’ont jamais fait de mal à personne. Ceux qui sont incapables de penser, sont aussi incapables de toute mauvaise action prémeditée ; & comme je l’ai déjà dit, les personnes de ce caractére ne reflechissent jamais ; & n’agissant jamais d’elles mêmes, elles ne font que recevoir les impressions qu’on leur donne.

Avant que de faire une censure si cruelle, on devroit certainement examiner, je ne dis pas la vie & le caractére de ceux dont nous jugeons, car nous pouvons y être trompés, mais le tems dans lequel a commencé cette aversion pour la solitude. Si elle dure dès l’enfance, elle ne peut venir que d’une foiblesse d’esprit , & elle merite notre compassion ; mais si une personne qui se plaisoit auparavant dans la contemplation & dans la retraite, vient à [276] changer totalement de goût, qu’elle tressaillisse, même en compagnie, à la seule proposition de la quitter, & qu’elle évite la solitude comme elle fuiroit une maison enflammée ; on peut fort bien soupçonner que quelque crime secret a occasionné un changement si considerable, & que la conversation la plus insipide leur paroit préférable aux reproches que leurs conscience peut leur faire dans la retraite.

Je sçais fort bien, qu’outre l’incapacité de refléchir, & la persuasion d’avoir commis ce qui fait de la reflexion une peine, il y a encore un autre motif de la même conduite, savoir, quelque affliction sous laquelle notre esprit gémit. Etre capable de refléchir à ses infortunes, c’est être bien près de cette force d’esprit qui convient à la dignité de la nature humaine ; mais tous n’en ont pas le courage, & ceux qui l’ont succomberoient sous le poids de leur chagrin, s’ils se livroienr <sic> au souvenir de ce qui les afflige.

Je suis persuadée que c’est le cas de plusieurs personnes qui passent pour avoir du jugement ; aussi cette excuse est généralement regardée comme très [277] raisonnable ; cependant je les prie de m’excuser si je dis qu’elles se trompent à ce sujet, quoiqu’elles puissent avoir beaucoup de discernement à d’autres égards. Si le bruit & la confusion peuvent donner quelque relâche, il est de courte durée ; & bien loin de se delivrer du fardeau sous lequel elles gémissent, elles ne font que le rendre au double plus pesant.

Quelques-uns portent l’extravagance & la stupidité à un tel excès, qu’ils tâchent de perdre le souvenir d’un malheur, en se précipitant dans d’autres maux qui sont peut-être plus pernicieux. Je veux parler de ceux qui se livrent à la boisson, & à d’autres excès également nuisibles à leur santé & leur fortune. Mais quelle ressource moins propre à nous procurer du soulagement ! Je n’ai besoin que d’en appeller à ceux qui en ont fait l’expérience.

Si ces personnes pouvoient obtenir d’elles-mêmes de refléchir avant qu’il fût trop tard, elles pourroient trouver des consolations plus solides. La lecture de nos Poëtes les plus estimés ne nous distrairoit-elle pas mieux dans nos momens de mélancholie, que les inutilités [278] d’une vaine & sterile conversation ? Les excellens traités de Philosophie qu’on a entre les mains, ne leur donneroient-ils pas un courage au-dessus de celui que la bouteille peut leur inspirer ? Et plus que tout, une entière soumission & une respectueuse resignation aux dispensations de la Providence, qui nous est si souvent & si fortement recommandée, ne seroit-elle pas infiniment plus propre à calmer le trouble de notre esprit, que tous les vains amusemens, de quelle espece que ce soit ?

Je ne prétends pas qu’on doive être continuellement à pâlir sur les livres ; trop de lecture, même des meilleurs auteurs, est capable d’émousser la vivacité de notre esprit, & d’épuiser cette attention si nécessaire pour mettre à profit ce que nous lisons. Quelques bonnes maximes, bien digérées par la réflexion, restent dans la mémoire, & servent non seulement de remede contre les maux présents, mais encore d’antidote contre ceux que l’avenir nous prépare.

Peut-être dira-t-on que cet avis ne convient qu’aux personnes de condition, & qu’il est impossible de s’imaginer que [279] celles du plus bas étage ayent ni le tems, ne la capacité de se conduire suivant de telles regles. Il faut en convenir, mais il n’est pas moins vrai que ceux-ci, qui manquent de moyens, ne peuvent pas consumer leur tems comme les prémiers, dans des tentatives inutiles pour perdre le souvenir de leurs chagrins ; & à l’égard de leur capacité, nous devons supposer que chacun entend le commerce ou les affaires auxquelles il a été élevé, & il est clair suivant moi, que s’ils s’y appliquoient avec toute leur industrie, ils y trouveroient le meilleur soulagement contre les maux qu’ils ressentent actuellement, comme aussi le moyen le plus sûr de se préserver de ceux qui peuvent leur arriver.

C’est toujours marquer une petitesse d’esprit, qu’on ne pardonneroit pas même aux personnes de la plus basse condition, que de chercher à perdre le souvenir d’une affliction qui est peut-être legére, en se précipitant dans des desordres, qui ont souvent des suites plus pernicieuses que les maux dont on se plaint, ce qui ne fait qu’aggraver leur état, bien loin de leur procurer le moindre soulagement. Mais ce qu’il y a de [280] plus surprenant, c’est que des personnes, qui n’ont rien sur cette terre qui doive les incommoder, ne puissent pas se plaire à contempler la tranquillité de leur situation. Cependant il n’est rien de plus vrai, il y en a dans le monde, & même dans le grand monde, qui ont tout ce qu’elles désirent, & souvent plus qu’elle ne meritent ou qu’elles ne pouvoient esperer, & qui paroissent cependant tout à fait insensibles aux faveurs qu’elles ont reçues du Ciel, ou aux obligations qu’elles ont à leur bienfaiteurs humains. C’est-là, à mon avis, une indolence de temperamment dont on ne sçauroit trop se préserver, parce que ceux en qui elle se trouve deviennent injustes & ingrats sans qu’ils le sachent, & s’exposent à être blamés de toutes les personnes de leur connoissance pour des omissions qu’ils ignorent, ce qui peut-être ne leur seroit par arrivé, s’ils avoient connu l’étendue de leur devoir.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Metatextualität► La belle & digne veuve, qui ne manque jamais de venir occuper sa place dans notre petite societé, penchoit à croire que ce défaut de réflexion vient de ce qu’on n’a pas eu soin de leur fai-[281]re sentir de bonne heure la nécessité de rentrer de tems en tems en eux-mêmes ; mais nous fumes toutes d’un avis différent, & nous la convainquimes aisément, que si la jeunesse n’a pas naturellement du penchant à la réflexion, les leçons ni les exhortations ne l’y porteront jamais ; & que s’il y a trop de legereté dans l’humeur, la retraite, même la plus courte, ne feroit que rendre une jeune personne stupide, sans l’engager à réflechir sérieusement. ◀Metatextualität ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Mais après tout ce qu’on a dit, ou qu’on peut dire, ce défaut est de tous, celui que le monde a le plus de penchant à excuser. On regarde une personne qui aime à être toujours en compagnie, & qui se trouve bien partout pourvû qu’elle ne soit pas seule, comme une créature d’un bon naturel, & incapable de nuire ; il est vrai qu’on ne l’exaltera jamais pour aucune vertu extraordinaire, mais ce qu’elle perd du côté du respect, elle le gagne du côté de l’amour. Des personnes de ce caractére ont rarement des ennemis, & la raison en est claire : elles sont généralement enjouées, ne contredisent jamais quoiqu’on dise ou qu’on fasse, & ne refusent rien de ce [282] qu’on leur demande ; les gens d’une pénétration mediocre aiment leur conversation ; les plus foibles ne les redoutent point, & les plus sages s’en amusent quelquefois ; enfin chacun est à son aise avec elles ; de leur côté elles sont fort contentes de tout ce qu’elles disent, ou qu’elles font, comme on le voit par un grand nombre d’exemples.

Exemplum► Ebene 3► Fremdportrait► Belinde est descendue d’une famille noble, est agréable sans être une beauté, & a quelque chose de brillant dans sa conversation, que plusieurs personnes prennent pour de l’esprit : comme elle ne prend jamais le peine de réflechir à ce qu’elle va dire, & qu’elle parle de tout ce qui lui monte à la tête, il lui échappe souvent quelques traits d’esprit, qui étant rapportés dans d’autres compagnies, lui donnent cette reputation. Elle est entrée de bonne heure dans le grand monde. ◀Fremdportrait ◀Ebene 3 Sa jeunesse & un nouveau visage suffirent par la faire remarquer de Rinaldo ; mais comme ce grand personnage s’imagineroit de déroger à sa dignité, s’il s’attachoit à une maitresse en particulier, leur intrigue ne dura que le tems nécessaire pour mériter ce nom.

[283] D’autres femmes auroient été inconsolables de se voir abandonnées immédiatement après s’être rendues ; leur orgueil, sin non leur amour, leur auroit fait regretter la perte d’un adorateur aussi illustre ; mais Belinde badinoit, railloit & folâtroit comme auparavant ; elle ne paroissoit pas plus sensible à ce changement, qu’elle l’avoit été aux reproches de ses amies, lorsque les premiers bruits se répandirent de sa liaison avec Rinaldo. Bientôt Lavallie, Ebene 3► Fremdportrait► aussi galant & aussi inconstant que Rinaldo, succéda à ce dernier dans le cœur de cette belle, si l’on peut donner le nom de passion, à ce qui ne fait qu’amuser durant quelques heures de loisir.

Comme Belinde étoit toujours la même, enjouée, étourdie, & qu’elle ne faisoit aucun cas des censures du monde, cette intrigue fut menagée avec si peu de circonspection, qu’elle parvint bientôt aux oreilles de Manelle, l’Epouse de Lavallie. Cette Dame étoit infiniment passionnée pour son Epoux, & si jalouse de ses droits, qu’elle regardoit un simple coup d’œil à une autre femme, comme s’il lui avoit fait une injure impardonnable.

[284] Une personne moins véhemente dans ses passions se seroit accoutumée à supporter avec patience ces sujets d’affliction, puisqu’ils ne revenoient que trop souvent, & elle gagnoit si peut à communiquer au public ce qu’elle apprenoit des amours de son Epoux, qu’elle auroit dû se taire par prudence ; mais sa vivacité ne lui permettoit pas de souffrir paisiblement la moindte <sic> injure à son esprit ou à sa beauté. ◀Fremdportrait ◀Ebene 3 Elle lui fit les reproches les plus amers au sujet de Belinde ; & peut-être fut-ce pour se venger qu’il continua son intrigue avec cette Dame, plus longtems que son inclination ne l’y auroit porté. Belinde de son côté, ayant appris la rage dont Manelle étoit saisie, triomphoit du pouvoir de ses charmes ; & bien loin de sentir la moindre honte ou le moindre remords, cette imprudente créature ne faisoit que rire & plaisanter à ce sujet.

Manelle s’appercevant que tout ce qu’elle pouvoit dire à son Epoux faisoit un effet contraire à celui qu’elle désiroit, résolut d’en venir aux dernières extremités, pour rompre cette liaison ; elle n’ignoroit pas que Rinaldo avoit eu autrefois du goût pour cette jeune Dame [285] & quoiqu’il parût s’être entièrement défait de cette passion, elle s’imaginoit cependant qu’il seroit piqué d’apprendre qu’une Dame qu’il avoit honorée de son inclination s’abbaissât à écouter un Cavalier d’un rang si inférieur à celui de son prémier amant ; c’est pourquoi elle se flattoit qu’il ne manqueroit pas d’ordonner à Lavallie de mettre fin à cette intrigue, surtout puisque les plaintes d’une Epouse lui en fournissoient un prétexte plausible.

Elle fut donc se jetter aux pieds de ce Seigneur, l’informa de tout ce qu’elle avoit appris, & le conjura en répandant un torrent de larmes, d’employer son autorité sur ce perfide Epoux, pour l’obliger de revenir à ses prémiers engagements, & de ne plus continuer à percer le cœur d’une femme qui l’avoit épousé plutôt par amour que par intérêt, & qui n’avoit jamais pensé à s’écarter des devoirs de son état.

Rinaldo vit aisément ce qui en étoit, mais il ne fit pas semblant de s’en appercevoir. Il auroit voulu persuader Manelle que ses soupçons étoient sans fondement ; mais elle n’étoit pas femme à se laisser renvoyer facilement ; elle réitera [286] ses instances, lui représenta une seconde fois les raisons qui la persuadoient de la réalité de cette intrigue, enfin elle devint si importune, qu’il lui promit de recommander à Lavallie d’être plus circonspect dans sa conduite.

Il est incertain si ce grand personnage y a pensé dans la suite, mais le hazard ou l’imprudence des parties intéressées donna à la jalouse Manelle une occasion suffisante de montrer toute la rage dont elle étoit remplie contre les personnes qui l’avoient offensée.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Elle entra un jour chez une marchande de galanteries, où elle avoit accoutumé d’acheter diverses bagatelles qui regardoient sa parure, & ne trouvant pas la maitresse dans la boutique, elle monta directement l’escalier, jusqu’à une chambre où cette femme tenoit une partie de ses marchandises. Quoiqu’elle y eût été plusieurs fois, & qu’elle connût parfaitement l’endroit qu’elle cherchoit, elle vint par accident à la porte d’une autre chambre qui n’avoit été que poussée, & qui cédant sans résistance, lui fit voir un objet auquel elle s’attendoit bien peu ; son Epoux & Belinde, dans une posture qui auroit suffi [287] pour la convaincre de leur intrigue, si elle ne l’avoit pas été auparavant.

L’étonnement de Manelle de les trouver dans cet endroit, comme la honte & le chagrin des autres de se voir ainsi surpris, les tint tous pour un moment dans le silence ; mais la marchande qui avoit entendu que cette Dame montoit l’escalier, & qui en craignoit les suites, entra avec précipitation dans la chambre, & commençoit à lui faire quelques mauvaises excuses, comme de crier à Lavallie & à Belinde, ô Ciel ! comment êtes-vous entrés ici ! & vous, Madame ! s’addressant à Manelle, Dieu me benisse ! vous vous êtes surement trompée d’appartement ; personne ne vient dans cette chambre que pour . . . . . Pour des desseins criminels, infame créature ! s’écria Manelle, à qui la violence de sa passion enfloit le gozier, au point que sa voix étoit à peine intelligible. Elle courut ensuite à cette femme, à Belinde & à son Epoux, criant, maudissant, égratignant, & renversant pêle mêle les mouches, la boëte à poudre, & tout ce qui se trouvoit sur la toilette ; jusqu’à ce que Lavallie revenu enfin de sa surprise & de sa confusion, courut à elle, lui saisit les mains [288] & l’assura que si elle ne se conduisoit pas avec plus de moderation, il seroit obligé de la traiter avec dureté.

Cette menace ne servit qu’à augmenter sa fureur, & sa force croissant à proportion, elle se debarassa avec violence de ses bras, & courant à la fenêtre, où elle appercevoit son épée, elle la tira sur le champ, & se jette sur Belinde avec tant de précipitation, que tout ce que Lavallie put faire fut de sauver la vie da sa maitresse.

Cependant il vint à bout de désarmer cette Amazone enragée ; mais la supériorité de ses forces n’empêcha pas qu’il ne se coupât les mains en se debattant. Durant tout ce demêlé il se faisoit dans la chambre un bruit confus de cris, d’imprécations & de battemens de pieds, qui suffisoit pour alarmer tout le voisinage. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Comme cette marchande gagnoit infiniment plus par ses chalands secrets que par son commerce, & qu’elle tenoit sa maison principalement pour les entrevues des personnes de qualité, Rinaldo qui brûloit dans ce tems-là d’une nouvelle flamme, & qui s’étoit rendu dans la même maison avec l’objet qu’il [289] aimoit, entendit tout ce desordre d’une chambre voisine ; ne pouvant pas en deviner le sujet, il accourut l’épée à la main, là où se faisoit le bruit, pour s’informer de la vérité.

Il entra dans la chambre précisément comme Lavallie achevoit d’arracher des mains de son Epouse cet instrument de destruction, & à la vue des acteurs de cette scéne, il ne fut plus en peine de savoir ce qui étoit arrivé. Cependant son arrivée leur inspira à tous un peu plus de moderation, & Belinde saisit cette occasion de s’échapper, ce qu’elle n’avoit pas pû faire auparavant, parce que la furieuse Manelle lui avoit toujours barré le chemin de la porte. La marchande commença alors à rendre raison de cet accident d’une manière plus plausible, qu’elle n’avoit pû le faire jusques-là. Elle allegua que Belinde s’étant trouvée saisie d’une foiblesse soudaine, lui avoit demandé la permission de reposer sur son lit, jusqu’à ce qu’elle fût un peu mieux ; & comme elle avoit été occupée ensuite avec quelques pratiques, qu’elle n’avoit pas vû entrer Lavallie ; mais qu’elle s’imaginoit que ne [290] connoissant pas la maison, il étoit entré dans cette chambre par mégarde.

Lavallie profita de cette ouverture, & protesta qu’il cherchoit la même chambra où j’ai dit que cette femme tenoit une partie de ses effets, lorsqu’ayant ouvert la première porte qu’il avoit trouvée, & voyant une femme couchée sur un lit, il avoit eu la curiosité de s’approcher, pour voir s’il la connoissoit, & pour la railler ensuite de ce qu’elle s’exposoit ainsi dans une chambre qui n’étoit pas fermée. En m’approchant, continua-t-il, j’ai reconnu Belinde, & je me suis apperçu par quelques gemissemens qu’elle étoit indisposée ; la politesse & même l’humanité vouloient que je m’informasse de sa santé, & comme je me baissois vers le lit afin qu’elle pût entendre à son aise ce que j’avois à lui dire, Manelle est entrée dans la chambre avec une rage qui convient peu à son sexe, & a chargé cette pauvre Dame aussi bien que moi-même des réflexions les plus injurieuses que la malice la plus noire puisse inventer.

Pendant qu’il parloit Manelle branloit la tête, & se mordoit de dépit les lévres jusqu’au sang ; mais la présence [291] de Rinaldo l’empêchant de continuer ses reproches comme elle avoit commencé, elle se contenta de dire que Dieu savoit à quel point elle étoit offensée, & qu’il ne manqueroit pas de prendre sa défense un jour ou l’autre.

La marchande qui savoit que Rinaldo avoit ses raisons pour la protéger, commença alors à montrer son ressentiment de ce que Manelle cherchoit à diffamer sa maison, & lui dit en termes clairs, qu’il n’y avoit point de réputation à l’abri des folles boutades d’une jalouse. Lavallie de son côté poussa l’affectation jusqu’à demander pardon à cette femme de l’injustice que son épouse lui avoit faite, & à faire contre lui-même mille imprécations, de ce qu’il avoit occasionné ce desordre par une malheureuse méprise.

Rinaldo trouvoit cette scéne extrêmement amusante, mais il ne voulut pas aggraver l’affliction de Manelle, en lui laissant voir combien il y faisoit peu d’attention. Cependant elle avoit trop de pénétration pour ne pas s’apercevoir que ni ses plaintes, ni son ressentiment ne lui serviroient à rien dans cet endroit ; & étant sur le point d’éclater, de dépit [292] & de rage elle sortit de la chambre en lançant un regard très significatif à Lavallie, & à la maîtresse de la maison, pour leur faire sentir combien elle étoit peu satisfaite de leurs foibles excuses ; & elle étoit tellement hors d’elle-même, qu’elle avoit presque passé la porte, avant qu’elle eût pu se remettre assez pour rendre à Rinaldo les égards qui étoient dûs à son rang.

Son départ les délivra de la contrainte dans laquelle elle les avoit tenus ; Lavallie fut obligé de souffrir à ce sujet les railleries de Rinaldo, & ensuite de doubler le présent qu’il avoit fait constamment à la marchande, à cause du desordre que sa femme avoit fait dans la maison.

On n’a pas sçû si cette avanture mit fin à son intrigue avec Belinde ; mais s’il la continua, ce fut avec tant de précaution, que leurs rendez-vous ne furent jamais découvertes dans la suite.

Manelle tâcha de rendre cette affaire aussi publique qu’il lui fut possible, puisqu’elle n’en pouvoit tirer aucune autre vengeance ; ensorte que Belinde fut exposée aux reproches les plus séveres de la part de ses parens, pour sa mauvai-[293]se conduite. Mais elle étoit si insensible à la honte ou à la crainte de perdre l’amour & l’estime de la famille, que quoiqu’elle prêtât en apparence l’oreille à leurs exhortations, elle n’en étoit point affectée intérieurement ; & tout ce qu’on lui dit ne fut point capable de l’engager à faire le moindre changement dans sa conduite, ou à donner même un seul moment à la réflexion.

Elle continua donc à se conduire comme auparavant : toujours indolente, étourdie, elle ne fit que rire, chanter, danser & coquetter dans l’intervalle de deux ans ; sans qu’il lui arrivât rien de fort important. Il est vrai qu’elle faisoit si peu de cas de ce qu’on disoit sur son compte, que son indifférence lassa enfin la médisance, & qu’on ne parla plus d’elle comme si elle n’y avoit pas donné sujet ; on ne se plaisoit plus à répéter ce que chacun savoit, & dont les personnes intéressées ne faisoient point de mystére.

Elle auroit peut-être continué ce train de vie extravagant, jusqu’à ce que l’âge & les rides l’eussent forcée à se retirer du monde, si le Comte de Loyter n’avoit pas montré pour elle une [294] passion bien différente de celles que ses autres amants lui avoient témoignée.

Ce jeune Seigneur paroissoit épris d’une si forte passion pour Belinde, qu’il avoit de la peine à la quitter pour quelques heures ; & sa qualité comme son attachement obligérent les anciens amants de cette belle à se retirer. Les parens & les amis de Belinde furent charmés de voir avec quel respect & quelle tendresse le Comte lui faisoit la cour ; mais leur satisfaction diminua beaucoup, quand ils l’eurent questionnée à ce sujet, & qu’ils n’apprirent point qu’il lui eût jamais parlé de mariage ; & quoiqu’il lui eût fait dix mille serments qu’il ne lui étoit pas possible de vivre sans la posséder, il ne lui en avoit pas fait un seul que son intention fût d’y parvenir par le seul moyen qui pouvoit faire honneur à leur famille. Cependant comme il paroissoit vraisemblable, qu’il avoit pour elle une considération plus sincére qu’aucun de ses amants passés, ils lui conseillerent, la conjurerent même de n’omettre rien de ce qui étoit en son pouvoir pour l’augmenter, & pour lui inspirer des desseins honorables, si ceux qu’il avoit formés n’étoient pas de ce [295] genre. Belinde leur donna sa parole qu’elle suivroit leurs conseils, mais elle n’y pensa plus dès qu’ils eurent fini de parler ; & comme elle étoit parfaitement tranquille à ce sujet, son amant qu’elle laissoit en pleine liberté de suivre son inclination, n’en fut que plus à son aise.

Cette conduite chagrina extrêmement ceux qui souhaitoient de la voir réparer par un mariage avantageux les égaremens de sa vie passée : mais l’un d’entr’eux plus ardent que les autres pour les intérêts de cette Dame, résolut de faire pour elle-même ce qu’elle ne vouloit pas entreprendre, & saisit pour cet effet la première occasion que se présenta de parler au Comte de cette affaire. Celui-ci, qui vouloit éviter un éclaircissement, s’efforca <sic> d’abord de détourner la conversation ; mais se voyant pressé, il répliqua enfin, que comme Belinde & lui étoient les principales personnes intéressées, & qu’ils étoient reciproquement contents de leurs intentions, ils n’avoient rien à démêler à ce sujet avec d’autres personnes.

Ces dernières paroles piquerent un peu le parent de Belinde, & donnérent [296] lieu à des expressions assez vives des deux côtés, ensorte qu’ils furent sur le point de se demander reciproquement satisfaction, comme l’usage l’exige entre gens d’honneur. Cependant dès ce moment leur liaison fut rompue ; le parent de Belinde lui reprocha cette légéreté qui avoit pensé lui être fatale ; & le Comte pour faire voir qu’il ne se mettoit pas en peine de desobliger leur famille, engagea cette Dame à venir chez lui & à y vivre publiquement.

Chacun la regardoit alors comme sa maitresse ; & cela ne pouvoit être autrement. Elle avoit un appartement joignant celui du Comte, afin qu’ils pussent passer aisément de l’un dans l’autre, sans qu’aucun de la famille s’en apperçût ; elle se rendoit avec le Comte dans tous les endroits publics ; elle avoit une autorité entière sur les domestiques du Comte ; elle faisoit les honneurs de sa table quelle compagnie qu’il y eût ; cependant il ne se faisoit pas entr’eux la moindre mention de mariage ; mais en dépit de toutes ces circonstances, il est encore possible qu’ils fussent innocens.

Après qu’ils eurent vécû ensemble de cette manière, jusqu’à ce qu’on cessât [297] d’en parler, comme cela ne manque jamais d’arriver lorsque le sujet est usé, le Comte déclara tout d’un coup qu’il avoit intention d’épouser Belinde. On commanda d’abord un nouvel équipage & de nouveaux habits. On invita les parens des deux côtés, & ils furent réellement mariés lorsqu’on s’y attendoit le moins.

Il faut convenir que le Comte se conduisit dans cette occasion avec beaucoup de cœur & de générosité, il ne voulut pas que la force l’obligeàt à donner une réponse definitive sur ses desseins à l’égard d’une femme du caractère de Belinde ; mais quand il se vit à l’abri des persécutions, & dès qu’on l’eût abandonnée comme si elle avoit été perdue, il montra alors la sincérité de sa passion, & il répara entièrement le tort qu’il avoit fait à la réputation de cette Dame.

Je serois charmée qu’il fût aussi facile d’excuser Belinde ; mais hélas ! elle consentit à vivre chez le Comte, sans avoir aucune certitude, ou même la moindre promesse de devenir un jour l’épouse de ce Seigneur, & elle ne fut peut-[298]être pas la moins surprise, quand elle le vit déterminé à ce mariage.

Le changement dans sa fortune n’en a fait aucun dans son humeur & dans sa conduite ; elle veut qu’on la loue de ce qu’elle n’est point enflée de sa grandeur, mais elle mérite encore plus qu’on la blâme hautement de ce qu’elle ne pense point que son honneur regarde maintenant son époux, & que tout ce qu’elle fait d’indécent ou de peu convenable retombe sur ce Seigneur.

Je crois qu’on prouveroit difficilement qu’elle l’ait jamais offensé réellement ; mais chaque femme mariée devroit se conduire de manière à n’être pas même soupçonnée. Belinde a assez de jugement pour le sentir, mais elle a trop de légéreté pour s’en souvenir.

Adonius, qui n’est pas moins galant & inconstant que son frère Rinaldo, mais qui est plus orné que lui de ces qualités qui charment les femmes, a trouvé dans Belinde, dès qu’elle est devenue la femme d’un autre, des perfections qu’il n’avoit pas encore remarquées. Elle goute tant de plaisir dans sa conversation & dans les éloges qu’il lui addres-[299]se, qu’elle ne pense plus aux obligations qu’elle a à son époux : & elle est tellement occupée de ce nouvel amant, qu’elle se rencontre rarement chez elle, à moins que ce ne soit pour recevoir une de ses visites. Il est vrai que son époux est souvent de leurs parties de plaisir ; cependant cela même ne lève point le blâme auquel elle s’expose pour d’autres parties qu’elle lie sans lui.

Comme le Comte n’a encore aucune inquiétude à ce sujet, il regarde les douceurs qu’Adonius dit en sa présence à sa femme, comme des effets de son excessive politesse, & il n’attribue le plaisir qu’elle trouve à les entendre qu’à la vanité de son sexe ; les courses qu’ils font ensemble, à la légéreté de leurs humeurs ; & au lieu de s’en fâcher lorsqu’on lui en fait le récit, il se contente d’en rire.

La jeune, la belle & la tendre Amadée ne supporte pas aussi tranquillement l’infidélité de son cher Adonius, qu’elle adore ; elle languit en secret, sans oser se plaindre, & elle regrette trop tard de ce qu’elle a été assez crédule pour se flatter de fixer un cœur si volage.

[300] Il court un bruit qu’il y a à peine deux mois qu’Adonius sourd à toute autre considération, s’exposa pour satisfaire sa passion à se ruiner pour toujours l’esprit de ceux dont il dépend, qui l’avoient promis avec une autre Dame ; & qu’Amadée s’exposant aussi à se voir repudiée honteusement par une autorité sans appel, ils hazardérent l’un & l’autre tout ce qui pouvoit en arriver, en s’unissant par un mariage clandestin. Si ce bruit est vrai, quel grand changement dans le cœur d’Adonius ! La cérémonie sacrée n’a pas le pouvoir de le lier ; il s’imagine n’être plus obligé à la constance à l’égard d’une épouse qui est son inférieure. Où pourra s’addresser cette Dame, pour obtenir justice d’un époux, qu’elle ne peut reconnoître, sans desobliger ceux dont elle voudroit conserver la bienveillance ?

A quelles fâcheuses suites ne s’exposent pas en particulier les personnes de notre sexe, lorsqu’elles se livrent à la plus tendre de toutes les passions ? Amadée pense qu’elle a satisfait sa vertu en n’accordant aucune faveur à son amant, jusqu’à ce que le mariage en ait fait un devoir ; mais à quoi lui servira un ma-[301]riage qu’elle n’ose pas avouër, lorsque le Prêtre qui en a fait la cérémonie, sera obligé de le desavouër, & qu’Adonius bien loin de ratifier ce qu’il a fait, & de chercher à mériter son pardon par la perséverance dans son amour, & par sa patience à souffrir les effets du ressentiment de ses parens, ne cachera point sa satisfaction de voir son mariage nul ? Quel ne sera pas l’affliction & le désespoir d’une personne ainsi abandonnée par celui qui devroit la protéger & la défendre ?

Elle sent déjà un avant-coureur de ce qui doit lui arriver, depuis qu’Adonius s’est attaché à Belinde ; déja la jalousie s’est emparée de son cœur, accompagnée des réflexions & des angoisses les plus cruelles, à la vûe des maux qui la ménacent, & qu’elle s’est attirés en ne consultant qu’une inclination imprudente, jointe peut-être à un mélange d’ambition mal digerée.

Il est certain qu’elle n’est point telle que Belinde, vaine, volage & étourdie ; cependant si elle avoit pensé avec raison, elle n’auroit jamais consenti à se marier, puisque le caractère d’épouse devoit avoir pour elle des suites plus [302] fâcheuses que celui de maîtresse. ◀Exemplum

Comme le principal dessein de ces speculations est de corriger les erreurs de l’esprit, qui sont plus imperceptibles, & par consequent plus dangereuses, on ne propose ces exemples que pour montrer à quel point le défaut de penser convenablement dans notre jeunesse, peut nous rendre malheureux dans la suite, sans que la réflexion puisse nous procurer alors aucun soulagement. Les anatomistes vous diront, que s’il y a quelque défaut dans la structure du cerveau, cette incapacité de réflechir est méchanique, & par consequent sans reméde ; mais en raisonnant de cette manière, ils peuvent aussi prétendre, comme l’ont fait quelques personnes, que tous nos vices dépendent de notre constitution ; ce qu’on ne pourra jamais me persuader, parce qu’une opinion de cette nature feroit retomber toutes nos fautes sur l’auteur de notre être, renverseroit la doctrine du franc arbitre, en un mot mettroit l’homme de niveau avec la brute qui n’agit que par instinct. Je conviens que la structure de nos organes peut nous donner plus ou moins [303] de penchant au mal ou au bien, & qu’une ame a plus de facilité de montrer sa raison dans un corps que dans un autre différemment constitué ; cependant on peut aider à notre ame à fortifier considérablement son penchant au bien, pourvû que ceux qui ont le soin de notre jeunesse commencent l’ouvrage, & que nous le poussions ensuite avec toute la vigueur & l’application qu’il demande.

Exemplum► Ebene 3► Fremdportrait► Le Philosophe Socrate est un exemple de cette vérité : on sçait qu’ayant été addonné dans sa jeunesse à toute sorte d’intempérance, il en triompha par son courage & sa raison, & devint ensuite un exemple de vertu & de d’abstinence. ◀Fremdportrait ◀Ebene 3 ◀Exemplum

Tout le monde convient que la connoissance de nous-mêmes est la plus utile de toutes ; c’est pourquoi les premières leçons qu’on nous fait devroient rouler sur ce sujet. Les parens & les gouverneurs ne pourront jamais justifier leur négligence à cet égard. Il faudroit sonder le cœur des jeunes gens, & si on a une fois découvert leur inclination favorite, il sera aisé ensuite de la déraciner, ou de la fortifier, suivant qu’elle tend au vice ou à la vertu.

Je convies qu’il y a des naturels pe-[304]sants, qu’il est très difficile d’animer ; & d’autres si vifs, qu’on a beaucoup de peine à les fixer, comme ils sont donc directement opposés, il faut employer à leur égard des méthodes toutes contraires. Mais on ne doit point se dispenser de ce devoir à cause de sa difficulté, & il n’est peut-être pas si difficile d’en venir à bout, si nous considérons que le vrai moyen de donner de l’esprit & de la vivacité à celui qui est pesant, c’est de ne lui présenter que des objets riants ; & qu’il faut au contraire présenter des objets plus sérieux & plus touchants à un esprit léger & étourdi.

Lorsque l’ame est dominée par un excès de gayeté & par l’amour du plaisir, on devroit l’accoutumer de bonne heure à réflechir aux revers, aux désastres & aux calamités, qui sont le partage d’une bonne partie du genre humain. La compassion pour les malheurs des autres, & la ferme persuasion qu’il n’est point de condition ou de qualité à l’abri des revers de la fortune, donnera un tour plus sérieux à notre manière de penser, & contribuera beaucoup à calmer l’impétuosité de notre naturel.

Il y en a peu qui ayent le bonheur d’être composés d’élémens dans leur juste [305] proportion : c’est pourquoi on devroit suppléer par le jugement à ce qui manque dans la constitution. Le stupide où le terrestre domine, & le phlegmatique aqueux, devroient être réveillés par l’exercice, la musique, la danse, & les amusemens les plus vifs ; pendant qu’il faudroit tempérer avec les contraires le colérique, le volage & l’évaporé.

Mais, comme je l’ai déjà remarqué, cette méthode même n’auroit aucun succès, si elle n’est pas secondée par les efforts des jeunes gens, lorsqu’ils sont sous leur propre conduite. Il suffit que ceux qui ont le soin de notre éducation jettent un bon fondement ; c’est ensuite entièrement notre faute, si nous tombons dans des irrégularités grossieres.

Ebene 3► Allegorie► C’est pourquoi la réflexion & la médiation sont aussi nécessaires à l’esprit que les alimens le sont au corps ; ◀Allegorie ◀Ebene 3 un examen léger des penchants de notre cœur, ne causera aucun préjudice à l’humeur la plus mélancholique, & sera infiniment utile à un tempéramment trop sanguin. Les malheureux pourront en se livrant à leurs pensées, trouver quelque heureux stratagême pour le soulagement de leur infortune, & ceux qui sont [306] heureux le deviendront infiniment davantage en contemplant leur situation.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Il y a des personnes qui trouvent tant de plaisir à rentrer de tems en tems en elles-mêmes, qu’elles ne voudroient pas pour tout au monde qu’on leur en otât le privilége.

J’ai connu un Gentilhomme marié à une femme qu’il aimoit à la passion, & dont il préferoit la compagnie à toute autre societé, lorsqu’il étoit disposé pour la conversation : cependant il prenoit un air chagrin, si elle venoit troubler ses méditations. Il faisoit tant de cas de la liberté de penser, qu’il ne pouvoit souffrir aucune interruption, même de la part de celle qui lui étoit plus chère que lui-même. J’étois un jour chez lui, lorsque son épouse trouvant qu’il avoit été trop long-tems seul, alla avec une aimable violence l’arracher de son cabinet. Je m’étonnois de le voir plus grave qu’à l’ordinaire, & comme je lui en demandai la cause. Cette chère créature, me répondit-il, me dérobe la moitié du plaisir que me procure son amour, en ne me permettant pas de contempler le bonheur que j’ai de la posséder. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

[307] Est-il donc possible que tant de personnes se refusent la plus grande satisfaction dont un être raisonnable puisse jouir, & qui est de plus tellement importante dans les diverses circonstances de notre vie, que nous ne pouvons sans la réflexion ni parvenir au bien, ni nous garantir du mal.

Mais il y a des personnes assez ignorantes pour s’imaginer, & d’autres assez méchantes pour l’insinuer, que ceux qui pensent beaucoup, & qui aiment la solitude, ne se retirent du monde que pour lui nuire. A proportion du poste où ils se trouvent placés, on les juge capables de former des projets plus ou moins pernicieux au genre humain. On accusera un homme d’état qui aime la vie sédentaire, de former une conspiration contre son Prince ou contre sa Patrie ; on prétendra pour la même raison que ce Négociant cherche à en imposer à ses pratiques ; que cet Intendant étudie de nouvelles méthodes pour grossir ses comptes ; & ainsi en continuant depuis la condition la plus élevée, à l’étage le plus bas.

Il n’est que trop vrai, qu’un petit nombre d’exemples autorise cette opi-[308]nion. Nous avons vû des gens qui pensoient profondement, ne s’occuper qu’à s’aggrandir eux-mêmes sur les ruines de ceux qu’ils prétendoient servir ; des faiseurs de protestations, qui n’épargnoient rien pour gagner la confiance de ceux qu’ils vouloient trahir ; des grand partisans de la liberté, qui ne pensoient qu’a la reduire sous l’esclavage ; & des gens qui préchoient hautement la justice, mettre à couvert les plus grand criminels.

Faire un abus si palpable de la faculté de penser, c’est tourner contre nous-mêmes les armes que nous avons reçues du Ciel, & forcer à nous accompagner dans les sentiers du vice, cette raison sacrée qui devoit être notre guide pour nous conduire à la vertu. Il faut avouer qu’il vaudroit infiniment mieux ne penser point du tout, que de penser de cette manière ; parce que dans le prémier car on ne nuiroit qu’à soi-même, au lieu que dans le second on rendroit à nuire au genre humain & à l’opprimer.

Zitat/Motto► L’Hypocrisie est détestable devant Dieu & devant les hommes ; ◀Zitat/Motto une bouche qui ne peut errer l’a dit ; ceux qui se rendent [309] coupables de ce vice encourent le châtiment le plus terrible, & assurément ils méritent que les autres hommes les traitent sur cette terre avec le plus grand mépris. Dès qu’on aura arraché à ce faux Ange le masque de bienveillance & de sincérité dont il se couvroit le visage, & qu’on verra paroître dans sa laideur naturelle une furie dont tous les traits n’annoncent que trahison & perfidie, plus on l’avoit admiré avant ce moment, plus aussi le détestera-t-on dans la suite. On le haïra, & on le fuira autant qu’on l’avoit aimé & recherché ; chacun sera prêt à jetter la pierre contre lui, & à l’insulter dans toutes les occasions qui se présenteront.

Exemplum► Protée est convaincu par une triste expérience, de l’inutilité de tous ses artifices, pour regagner la moindre partie de cette estime dont chacun l’honoroit. Le fourbe ne peut plus tromper. Il s’est mépris dans ses mesures, lorsqu’il cherchoit comme Licifer à s’attirer de plus grands hommages : l’enflure qui étoit l’ouvrage de son orgueil a éclaté, & il s’est vû précipité dans un abîme sans fond de mépris & d’infamies, d’où il ne pourra jamais sortir.

[310] Les Dames même se plaisent à lui canser <sic> toutes les mortifications qui sont en leur pouvoir ; & comme notre sexe a le privilége de parler librement, sans craindre le ressentiment des hommes, Protée essuye souvent les railleries les plus piquantes de celles qui ont assez d’esprit pour les imaginer.

Il jouoit un jour avec des personnes de condition, lorsqu’il fut saisi subitement d’une violente douleur de côté, ensorte qu’après plusieurs grimaces visibles, il ne put s’empêcher de s’écrier. Ah mon côté ! mon côté ! surquoi Tarxille, qui étoit de cette compagnie, lui repliqua avec un sourire malin, votre côté ! Protée, je croiois que vous n’en aviez point. Ces paroles qui faisoient clairement allusion à l’état où il se trouvoit, étant abandonné des deux parties, lui furent peut-être plus sensibles que la douleur dont il se plaignoit ; ce qui lui donna tant de mauvaise humeur, qu’il repliqua avec précipitation bien differemment de sa politesse ordinaire. Oui Madame, & de plus un derrière. Cette réponse, toute grossière qu’elle étoit, ne causa pas la moindre confusion à Tarxille, & sans hésiter, Je l’ignore, lui dit-elle, mais [311] tout le monde sçait que votre femme on a un.

A cette repartie, qui paroissoit aussi juste que vive, chacun éclata de rire : le caractére de la femme de Protée étoit généralement connu ; & comme il n’avoit rien à repliquer à une refléxion satyrique aussi fondée, il ne put résister à sa honte & à son dépit, & sortit de la chambre, laissant à sa belle antagoniste la satisfaction de recevoir les louanges que sa présence d’esprit méritoit. ◀Exemplum

Ebene 3► Satire► Quand des personnes de cette distinction se rendent coupables de quelque action notoire, indirecte ou ridicule, elles doivent s’attendre que tous les genies satyriques s’exerceront sur ce sujet ; mais je trouve que le vieux Pompilius a essuyé de la part de son propre fils une plaisanterie aussi piquante que celle dont je viens de parler, sur son mariage avec une Dame assez jeune pour être sa petite fille.

Peu de tems après la consommation de ce mariage inégal, le père & le fils se rencontrérent dans la même assemblée. Quelques personnes qui n’avoient point vû Pompilius dépuis la cérémonie, le féliciterent alors suivant l’usage ; la con-[312]versation tourna ensuite sur le bonheur de l’état conjugal, & une personne de la compagnie demanda au fils quand il avoit dessein de se marier ? Réellement, Monsieur, répondit-il, c’est une chose dont je ne me suis pas mis en peine ; mais, ajouta-t-il avec un regard satyrique, la seule Dame que je souhaiterois pour mon épouse est la sœur de ma belle mère, & le seul motif qui pourroit m’y engager seroit l’honneur de recevoir de mon père le titre de frère.

Ceux même qui étoient intéressés à se converser la bienveillance de Pompilius, ne purent s’empêcher de sourire à l’ouie d’une replique si piquante, & qu’on attendoit pas de la bouche d’un fils ; mais ceux qui ne se mettoient en peine ni de sa faveur, ni de son ressentiment en rirent à gorge déployée ; & le vieux Epoux se voyant ainsi turlupiné par son propre sang, ne fut pas moins confus & incapable de repliquer qu’il l’avoit été dans une autre occasion, lorsqu’étant obligé de faire la description d’une bataille, pendant que le canon grondoit encore à ses oreilles, & que toutes les horreurs de la mort étoient devant ses yeux, il ne put point se re-[313]mettre de sa frayeur, qu’il n’eût avalé suivant sa doze ordinaire, une demi douzaine de bouteilles de vin de Bourgogne, pour reprendre ses esprits. ◀Satire ◀Ebene 3

Ebene 3► Satire► Il est certain que le nombre des têtes folles a beaucoup augmenté depuis quelques années. Nous avons vû des choses dont le seul récit auroit été traité autrefois de fabuleux ; & il est sûr que tous les personnages des Romains sont fort au-dessous de quelques caractéres que nous avons parmi nous. Nous avons plusieurs Chevaliers avanturiers, qui semblables à Don Quichotte, lorsqu’il éperonnoit Rossinante pour attaquer le moulin à vent, se précipitent dans des dangers réels, lorsqu’ils veulent en surmonter qui sont purement imaginaires ; nous avons des hypocrites & des gens qui ne pensent qu’à conserver leur vie, dont Itudibras ne donne qu’un modèle imparfait, dans son Gentilhomme campagnard à qui il fait donner les étrivières ; nous avons nos Thersites, nos Pandares, & nos Demagores, qui surpassent même ceux dont les historiens ou les Poëtes ont tracé le caractére. Il est difficile de décider, s’il y a parmi nous plus de folie ou plus de corruption, & s’il y [314] a plus de ces personnes qui achetent leur bonheur aux depens de leur vertu, que de celles qui se rendent malheureuses par leur extravagance. En effet, il n’y a rien de plus commun que de voir, soit à la Cour, dans le camp, à la ville ou à la compagne, des gens qui prennent autant de peine pour se perdre que d’autres en prennent pour les ruiner.

Enfin quand on regarde le monde, & qu’on considere le tems où nous vivons comme les caprices du genre humain, on ne peut s’empêcher de s’écrier avec le Poëte.

Ebene 4► Zitat/Motto► Il ne faut de rien s’étonner,
Ou s’étonner de tout. . . . .
◀Zitat/Motto ◀Ebene 4 ◀Satire ◀Ebene 3

Mais à quoi pouvons-nous attribuer toutes ces méprises, ces fautes, ces cruautés, ces oppressions, ces actions dénaturées, & ces calamités sans nombre que nous nous attirons, ou que nous faisons tomber sur d’autres, si ce n’est à un manque de réflexion, ou à un mauvais usage de nos réflexions ? Je conviens encore que le dernier abus est de plus mauvaise conséquence que le premier ; mais comme nous sommes des agents libres, [315] c’est à nous de choisir si nous voulons être vertueux ou vicieux, & ce seroit une excuse pitoyable de dire, que nous n’avons pas ôsé penser de peur de penser mal.

L’homme a été formé un peu inferieur aux Anges, & c’est sa propre faute s’il n’est pas à peu de chose près, aussi heureux. Cette terre produit en abondance tout ce qui convient à sa nature, & s’il veut s’élever sur les ailes da la contemplation, il peut aussi participer aux ravissemens qu’on goûte dans le Ciel. Mais je laisse ce sujet aux Théologiens ; car quoique ce soit une vérité évidente d’elle-même, il y a plusieurs personnes qui aiment mieux s’en rapporter au témoignage des autres, que d’en faire elles-mêmes l’expérience.

Ebene 3► Traum► Satire► Un de mes amis qui faisoit le tour d’Europe avec d’autres Gentilshommes Anglois, s’égara un jour de sa compagnie, lorsqu’il traversoit une des parties les plus sauvages & les plus montagneuses de la France. Dès qu’il s’en apperçut, il s’imagina qu’ils avoient passé devant, tandis qu’il méditoit profondement, & que c’étoit pour cette raison qu’il ne les avoit pas remarqués ; il pi-[316]qua donc son cheval pour les atteindre ; mais il avoit déjà fait plusieurs milles sans avoir pû les découvrir, & il ne recontroit personne qui pût lui indiquer le chemin de la ville où ils avoient convenu de passer la nuit ; enfin pour surcroit d’embarras, il arriva dans un endroit où trois chemins venoient aboutir ; dans ce même moment, il commença à sentir une violente pluye accompagnée d’un grand vent, ensorte qu’il se vit obligé de piquer du côté d’un bois qu’il voyoit à une petite distance, pour se mettre à l’abri lui & son cheval, de l’orage qui sembloit grossir à chaque instant.

L’épaisseur du feuillage le garantit quelque tems ; mais il alloit bientôt se voir exposé à la violence de l’orage, & il commençoit à perdre patience, lorsqu’il entendit une voix qui lui crioit de tourner à la droite d’une petite élévation, qu’il voyoit à la distance de 30 à 40 pas. ◀Satire ◀Traum ◀Ebene 3

Il m’a assuré, que la Musique ne lui avoit jamais fait autant de plaisir, que le simple son d’une créature de son espéce lui en fit dans un lieu sauvage, & qui paroissoit desert. Ebene 3► Traum► Satire► Il ne manqua [317] pas de suivre cet avis, & il apperçut bientôt un homme habillé en hermite, qui se tenoit à l’entrée d’une grotte située sous le même tertre. L’orage ne l’empêcha point de sortir à la rencontre de notre pauvre voyageur ; il lui aida à mettre pié <sic> à terre, attacha son cheval sous l’arbre le plus touffu, & l’introduisit dans sa sombre demeure avec toute la politesse d’un courtisan du premier rang.

Mon ami fut extrémement surpris, non seulement de cet accueil, mais encore de l’extréme propreté de tout ce qu’il remarqua dans cette grotte ; elle étoit divisée en deux chambres, la première contenoit une tables, deux chaises, un petit buffet garni de verres & de quelques piéces de porcelaine chargées des plus excellents fruits ; il n’y avoit dans l’autre qu’un petit lit, avec un matelas & une couverture, outre une chaise & une tablette de livres, jointe à un petit autel decoré d’un crucifix. Il ne put retenir son admiration à la vue d’une habitation si ingénieuse, & comme il parloit très bon François, il commença à questionner son hôte à cet égard, & à lui demander comment il [318] pouvoit se procurer les choses nécessaires à la vie, puisqu’il ne voyoit dans le voisinage ni ville ni village.

L’hermite lui repliqua en souriant, que sa curiosité seroit bientôt satisfaite ; mais, ajouta-t-il, il faut premièrement vous raffraichir avec ce que cette chétive grotte renferme.

En lui parlant ainsi, il couvrit la table d’un beau linge, & servit ensuite des légumes en salade, differentes sortes de fruits secs ou nouveaux, du pain le plus blanc, du fromage, & une bouteille du meilleur vin de Bourgogne. En un mot, on n’auroit pas pû lui présenter dans la ville la plus opulente une collation plus exquise, que celle qu’il rencontroit dans une grotte & au milieu d’un bois qui ne paroissoit pas devoir être fréquenté.

La surprise de l’étranger augmentoit à chaque instant, & le prétendu hermite s’en appercevant, l’entretint pendant qu’ils collationnoient, avec le recit suivant de sa situation.

Il lui dit qu’il ne demeuroit pas ordinairement dans cet endroit, mais qu’il s’y rendoit de tems en tems, & lorsqu’il étoit en humeur de refléchir ; qu’il portoit un habit qui étoit respecté [319] par les plus grands scélérats, afin de se mettre à couvert de toute insulte, en cas qu’il fût découvert par quelcun <sic> de ces miserables, qui vivoient de vol & de brigandage, & qui se retiroient souvent dans ce bois lorsqu’ils étoient poursuivis : qu’il s’appelloit le Comte#F de Montaubin, & qu’il faisoit sa résidence dans un château à la distance d’environ quatre lieues.

Mon ami après lui avoir témoigné les égards qu’il devoit à un homme de cette qualité, lui marqua son étonnement de ce qu’il étoit obligé de venir si loin & de s’exposer à tant d’inconvéniens, uniquement pour l’amour de la retraite, au lieu qu’il pouvoit vraisemblablement en jouir aussi aisément chez lui, pourvû qu’il signifiat à ces connoissances son inclination pour la solitude.

Ebene 4► Le Comte lui repliqua alors, qu’il ne connoissoit pas encore le genie François ; que ce dont il parloit étoit tout à fait impratiquable à un homme de son rang ; que quoiqu’il vécût dans une distance considerable de Paris ou d’aucune grande ville, son château étoit continuellement rempli de Gentilshommes ses voi-[320]sins, ou de voyageurs qui passoient de ce côté ; & de plus qu’il avoit épousé une Dame d’une humeur si gaye & si passionnée pour la compagnie, qu’il lui étoit impossible d’être jamais seul. Et pour surcroit d’embarras, continua-t-il, j’ai plusieurs enfans avec un grand nombre de domestiques ; & quand même je m’enfermerois dans l’appartement le plus retiré que je puisse avoir, je n’y serois point à l’abri de quelque interruption d’une manière ou d’une autre.

L’esprit comme le corps, ajouta-t-il, veut du relâche : quand je suis fatigué de ces plaisirs que je dois procurer à mes amis, je me retire ici, pour m’abandonner à la contemplation ; & lorsque j’ai repris mes esprits, je rentre dans le monde, & j’en goûte les plaisirs avec plus de délices que si je ne l’avoit point quitté.. <sic>

Le Gentilhomme Anglois ne put se dispenser de reconnoître la justesse de ce raisonnement ; néanmoins il trouvoit étrange que le Comte eût choisi un lieu aussi sauvage & où il étoit autant exposé ; mais le Comte, qui étoit suivant toute apparence un des hommes les plus complaisants qu’il y ait sous le Ciel, ne voulut pas le laisser en suspens, lors-[321]qu’il pouvoit l’en délivrer ; c’est pourquoi il ne balança point à lui faire part de différentes circonstances de sa vie, qui leveroient entièrement la difficulté que notre voyageur trouvoit à reconcilier avec la raison une conduite qui paroissoit si bizarre au premier coup d’œil.

Le Comte étant encore jeune eut le malheur d’avoir une querelle avec un homme de qualité, ils se battirent, & il blessa son adversaire en plusieurs endroits. Il ignoroit si ces blessures ne seroient point mortelles, & outre que les loix sont fort sévéres dans ce pays-là contre les duels, le blessé avoit la faveur du Roi, ensorte qu’il n’avoit que des espérances bien foibles d’obtenir son pardon en cas que son ennemi vint à mourir. Il quitta Paris pour se mettre à couvert des poursuites, & ne doutant point qu’on ne cherchât exactement dans toutes les maisons où on pourroit espérer de le trouver, il vint se cacher dans ce bois, accompagné par un seul fidèle domestique, qui avoit été élevé avec lui, & qui ne voulut pas l’abandonner dans cette extrémité.

Il assûra mon ami qu’ils avoient vécû près de trois semaines avec les seules [322] provisions que cet endroit désert leur fournissoit : & qu’ils y avoient été plusieurs jours avant qu’ils eussent trouvé un ruisseau où ils pussent étancher leur soif ; ainsi les fruits qu’ils trouvoient sur quelques arbrisseaux leurs servoient en même-tems d’aliment & de boisson : & que pour se garantir des loups dont ils entendoient les hurlemens durant la nuit, ils étoient obligé de se loger sur les arbres les plus hauts qu’ils pussent trouver. Il n’y a, disoit-il, que la protection du ciel qui les eût soutenu contre les fatigues qu’ils avoient endurées. Enfin le desespoir le saisit, la mort lui paroissoit moins terrible que la continuation d’une vie aussi dure, & il hazarda d’envoyer son domestique pour s’informer de l’état du blessé, & pour chercher en même-tems une autre retraire où il pût se procurer au moins les nécessités de la vie.

Ce domestique à son retour lui apporta la bonne nouvelle que son ennemi étoit non-seulement rétabli de ses blessures, mais qu’il s’étoit encore reconnu pour l’aggresseur, & qu’il employoit tous ses amis pour obtenir le pardon du Comte avec le sien ; que chacun s’at-[323]tendoit à les voir bientôt accordés, & quoiqu’il ne lui convint pas de paroître auparavant en public, qu’il pouvoit quitter cette affreuse retraite, puisqu’on ne faisoit plus de recherche à son sujet, & se rendre chez un de ses parens, qui l’attendroit à l’entrée de la forêt, & le conduiroit chez lui avec toute la précaution imaginable.

Chaque chose arriva suivant cet avis ; il avoit à peine passé une semaine dans sa nouvelle retraite, lorsque la clémence royale se montra en faveur des coupables, qui étant devenus alors aussi bons amis qu’ils avoient eu auparavant de haine l’un pour l’autre, vinrent ensemble se jetter aux pieds du trône, pour y témoigner la grandeur de leur reconnoissance. ◀Ebene 4

Le Comte termina sa narration en disant, que les dangers & les fatigues auxquelles il s’étoit vû exposé, avoient occasionné une révolution considérable dans son humeur, & l’avoient rendu extrémement sérieux, quoique son avanture eût fini heureusement ; que durant son séjour dans cet endroit solitaire, il avoit trouvé tant de sujet de réflechir, que le souvenir lui en restoit encore [324] dans l’esprit, & qu’il n’effaceroit jamais ; que les idées dont il aimoit actuellement à s’entretenir en particulier, bien loin d’avoir rien de sombre ou de mélancholique, lui causoient au contraire la plus grande satisfaction, & une tranquillité parfaite.

Dialog► Vous voyez maintenant, ajouta-t-il, les motifs que j’ai pour me retirer de tems en tems du bruit & du tracas du monde ; je ne puis m’empêcher d’avoir une sorte d’attachement pour cet endroit, parce qu’il m’a servi d’azyle dans l’adversité, & je pense que je dois par reconnoissance en faire le théatre de mes méditations les plus agréables ; c’est pourquoi j’ai fait tailler cette grotte de cette manière, je l’ai meublée comme vous voyez, je me suis pourvû de deux chaises en cas que quelqu’un eût besoin de se refugier ici comme il vous est arrivé ; & je voudrois avoir pris la même précaution pur un lit, car il se fait tard ; je ne prévois pas que l’orage veuille s’abaisser, & vous permette de partir avec quelque sûreté. Mais nous passerons la nuit comme nous pourrons ; j’ai ici une provision suffisante de vin de Bourgogne ; avec ce secours & celui de la conversation nous attendrons le matin ; mon domestique arrivera alors, & je vous [325] prierai de m’honorer de votre compagnie dans un endroit où je pourrai vous recevoir d’une manière plus conforme à mon inclination & à votre mérite.

Mon ami lui répondit alors, qu’il ne pouvoit pas avoir l’honneur de profiter de cette invitation, parce qu’il avoit perdu sa compagnie, & qu’il devoit faire diligence pour arriver à la ville où ils avoient résolu de passer la nuit : ajoûtant qu’il ne doutoit point de les atteindre, pourvû qu’il pût trouver son chemin en sortant de la forêt.

Le Comte de Montaubin l’assûra que son dessein étoit impratiquable, que la ville dont il parloit étoit tout à fait de l’autre côté du bois ; qu’il ne lui étoit pas possible de le traverser sans un guide, quand même il le tenteroit pendant le jour, au lieu que la nuit approchoit, à cause des détours qu’il y trouveroit : que la grande route étoit non-seulement la plus sûre, mais encore la plus courte ; & comme il l’avoit manquée en se détournant du côté du bois, il lui seroit facile de la trouver à l’aide de son domestique. Mais, ajoûta-t-il, comme cet homme sera, à son ordinaire, de très-bonne heure ici, ce qu’il y aura de mieux faire, [326] sera de l’envoyer à vos amis pour les informer de l’endroit où vous êtes, & pour les engager ou à venir vous joindre dans mon château, qui se trouve heureusement situé près de la grande route, ou à vous attendre jusqu’à ce que vous puissiez les atteindre. ◀Dialog

Autant cette proposition étoit-elle gracieuse & obligeante de la part de celui qui la faisoit, autant parut-elle sensée & convenable au Gentilhomme Anglois ; & comme c’étoit un Cavalier tout-à-fait degagé de ces ennuyeuses formalités qui ne sont en usage que parmi les personnes dont l’éducation est très imparfaite, il accepta cette invitation sans hésiter, & sans faire la moindre apologie pour son indiscretion.

Ils s’entretinrent si agréablement de la même manière, que la nuit s’écoula sans qu’il s’en apperçussent. A peine le soleil étoit-il sur l’horizon, que le domestique du Comte de Montaubin arriva avec un cheval de main ; parce que c’étoit le jour que son maître avoit marqué pour son retour chez lui, & que le bois étoit totalement impratiquable pour les voitures.

L’orage s’étoit alors entièrement appaisé, & chaque chose paroissoit embel-[327]lie par la bourrasque qu’elle avoit essuyée : on remarquoit de tous côtés quelque chose de si sauvage, & en même tems de si agréable, que mon ami en étoit enchanté ; aussi le Comte ne manqua pas de lui étaler en route, tous les plaisirs de ce lieu champêtre. Ici, dit-il, on voit la nature dans sa pureté, telle qu’elle est sortie des mains de Créateur. L’art & l’agriculture peuvent-ils jamais égaler l’agréable confusion avec.laquelle <sic> ces plantes croissent d’elles-mêmes ? Quelle vénération ne sent-on pas à la vûe de ces hauts & antiques arbres ? Avec quelle volupté ne respire-t-on pas cet air si pur que leurs branches nous renvoyent, qui n’est point mêlé ni corrompu par ces particules grossieres, dont il est constamment chargé dans le voisinage des grandes villes ? Ici l’on jouit de l’Aether dans toute sa pureté, on participe à la nourriture des Anges, on donne à l’ame de nouvelles ailes, & on spiritualise presque ce qu’il y a en nous de stupide & de mortel. Cependant, ajouta-t-il, combien de personnes vivent, & combien d’années n’ai-je pas vécû, sans me laisser le tems d’apprendre que Dieu eût comblé les hommes de tant de bénédictions ?

Il ajoûta de plus, qu’il goûtoit dans ses méditations durant le tems de sa re-[328]traite une satisfaction intérieure, que les paroles ne peuvent point exprimer ; qu’il ne restoit ordinairement dans cet endroit que quatre ou cinq jours de suite, & que personne n’en connoissoit la situation, à l’exception de ce fidèle domestique, qui venoit chaque matin pour recevoir ses ordres, & lui apporter tout ce dont il avoit besoin.

Ils avançoient en s’entretenant de la sorte, & dès qu’ils eurent atteint le grand chemin, le Comte dépêcha son domestique à l’hôtellerie où mon ami lui avoit dit qu’on pouvoit trouver ses compagnons de voyage, avec ordre de les complimenter de sa part, & de leur faire les plus fortes instances pour qu’il vinssent chercher dans son château l’ami qu’ils avoient perdu, & dont l’absence les mettoit sans doute fort en peine.

Le domestique n’eut pas plutôt reçu ces ordres, qu’il piqua des éperons, & qu’on le perdit bientôt de vûe. Le Comte & son hôte alloient lentement, tant pour s’entretenir avec plus d’aisance, que pour soulager le pauvre animal, qui avoit beaucoup souffert toute la nuit, ayant été exposé à la sévérité de l’ora-[329]ge, parce que le Comte n’avoit pas pû le mettre à couvert.

Cependant ils arrivérent bientôt à un château de grande apparence ; le Comte y entra par une porte de derrière dont il avoit la clef, & ayant conduit l’étranger dans une anti-chambre magnifique, il le pria de l’excuser s’il le laissoit pour quelques minutes ; après quoi il revint habillé suivant sa qualité, & si différent de ce qu’il paroissoit dans son habit d’hermite, qu’il étoit à peine reconnoissable. Il introduisit ensuite son nouvel hôte auprès de son épouse, qui étoit une Dame très aimable, & mère de cinq enfans, dont le plus âgé n’avoit pas au-delà de quinze ans, mais qui étoient tous fort beaux & bien-faits. Mon ami les regardoit avec admiration, & après leur avoir fait à tous son compliment, il dit au Comte que rien ne le persuadoit mieux des agrémens de la contemplation dont il lui avoit fait une description si élégante, que de voir qu’ils pouvoient le disputer dans son esprit à ceux qu’il laissoit dans sa maison.

La Comtesse prévint la réponse de son époux, & répondit à ce compliment avec tant de grace & de politesse, que [330] mon ami s’apperçut aisément que son esprit ne le cédoit point aux perfections de sa figure.

Ils déjeunerent tous dans l’appartement de la Dame, & ils s’entretenoient ensuite avec plaisir, lorsqu’ils furent interrompus agréablement par l’arrivée des Gentilshommes Anglois. La joye de voir leur ami sain & sauf, & en aussi bonne compagnie, après avoir été dans l’appréhension qu’il ne lui fût arrivé quelque accident fâcheux, ne les empêcha point de répondre à l’accueil de leurs illustres hôtes avec une politesse assortie à la figure qu’ils faisoient, ensorte qu’on ne pouvoit point douter en les voyant que ce ne fussent réellement des personnes riches & de naissance.

Après les premières civilités, le Comte les conduisit dans ses jardins, qui étoient disposés & entretenus avec tout le bon goût, l’exactitude & la propreté imaginables. Ici des parterres de fleurs charmoient les sens par le parfum qui s’en exhaloit, & par leur beauté ; là des jets d’eaux entouré de grottes ornées de toutes les richesses de la mer, invitoient à prendre un doux repos. Les statues les plus curieuses des an-[331]ciens Héros & Philosophes, placées au coin de chaque avenue, rappelloient au spectateur la félicité des siécles passés : & des allées spacieuses, bordées d’arbres qui se rencontroient au sommet, procuroient un ombrage délicieux, & laissoient assez de place à ceux qui se promenoient, pour s’entretenir sans être obligés de se tourner le dos, comme cela arrive dans les allées étroites de quelques jardins. Le Comte les conduisit ensuite dans les principaux appartements du château, où ils trouverent que tout étoit riche & splendide. En un mot, suivant la description qu’on m’en a fait, la grandeur & le bon goût sembloient se disputer lequel des deux l’emporteroit sur l’autre.

La table fut couverte à l’heure du dîner de tout ce que la saison produisoit de plus délicieux ; des faillies continuelles donnoient à ce repas un nouvel agrément, & dans l’espace de dix jours qu’ils passérent dans ce château à la sollicitation du Comte, ils furent régalés d’une manière qui montroit l’hospitalité & la politesse de la nation Françoise.

Mon ami m’informa encore, qu’il se passoit à peine une heure, durant le [332] tems de leur séjour, sans qu’on introduisit un nouveau convié, & qu’il y avoit toutes les nuits ou bal ou concert. Enfin on paroissoit ne vivre là que pour le plaisir ; & quoique le comte parût aussi gay que personne en compagnie, il le prenoit souvent à part au milieu du tracas & du tumulte, pour lui parler de cette manière : Dialog► Vous voyez, Monsieur, combien il est difficile de gouter ici le plaisir de la méditation ; & vous pouvez juger, s’il n’est pas nécessaire à un homme qui ne veut pas s’oublier soi-même, ni le but pur lequel il a été créé, de quitter pour quelque tems cette profusion de plaisirs tumultueux. ◀Dialog

Je dois avouër que ce recit me surprit beaucoup quand on me le fit : parce que la personne qui me le faisoit est d’une intégrité reconnue ; aussi je penchois beaucoup à soupçonner le Comte de Montaubin de quelque dérangement dans le cerveau, qui le faisoit tomber dans le délire par intervalles, & je demandai à mon ami, dans quel quartier de la lune ce Gentilhomme se condamnoit lui-même à ce bannissement volontaire.

Mon ami s’appercevant à cette question de ce que je pensois, m’assûra que [333] je me trompois extrémement dans mes conjectures ; que bien loin d’être dérangé ou bizarre, il n’avoit jamais connu d’homme plus raisonnable dans sa manière de penser : que non-seulement sa conversation, mais encore toute sa conduite étoient au-dessus de tout blâme, ce qu’on pouvoit attribuer en bonne partie aux réflexions qu’il faisoit dans sa retraite.

J’aimois trop la joye dans ce tems-là, & Dieu sçait que je détestois trop la solitude, pour convenir de son opinion ; mais j’ai changé de goût dans la suite, & je trouve à présent qu’il mérite plutôt notre admiration que notre censure, puisqu’il ne se séparoit du monde de tems en tems, que pour apprendre à se conduire mieux lorsqu’il y rentreroit.

Mais je pense encore qu’il auroit pû satisfaire son goût pour la retraite dans un endroit plus commode & moins dangereux que celui dont il avoit fait choix. Je suis bien convaincue qu’il y a dans le monde des personnes importunes, qui viendront avec empressement & d’un air officieux, si elles apprennent le lieu de votre retraite, vous [334] en arracher, & vous obliger à rejoindre la compagnie ; mais ce ne pouvoit pas être le cas de ce Comte François, qui avoit sans doute plusieurs maisons de médiocre apparence, où il auroit pû se retirer, & se tenir aussi-bien caché que s’il avoit été dans sa caverne. ◀Satire ◀Traum ◀Ebene 3

J’aurois encore souhaité de satisfaire ma curiosité à un autre égard, qui étoit de savoir s’il avoit communiqué à la Comtesse sa femme le secret de cette retraite, & les raisons qu’il avoit de faire ces fréquentes absences ; mais mon ami l’ignoroit lui-même, parce qu’il n’en avoit pas été fait mention dans la famille, du moins en sa présence. Cependant il penchoit à croire, comme moi-même, qu’elle n’étoit pas dans l’ignorance à cet égard, puisqu’elle paroissoit vivre dans une parfaite harmonie avec son époux ; ce qui ne seroit jamais arrivé, quoique ce fût une Dame d’un mérite extraordinaire, si elle n’avoit pas sçu pour quelle raison il la privoit de sa compagnie.

Il est certain qu’il y a peu de femmes mariées, qui voulussent approuver une telle conduite, sur-tout si elles aimoient leurs époux, quoiqu’elles fussent convaincues qu’ils se conduisent par les mê-[335]mes motifs qui déterminoient le Comte à la retraite ; elles regarderoient même comme une insulte, si on les laissoit seules sans leur communiquer toutes les particularités d’un procédé si extraordinaire. Il falloit donc, ou que Madame de Montaubin n’eût pas le moindre penchant à la jalousie, ou qu’elle fût instruite à fond de toute cette affaire.

Mais quoiqu’il en soit, cela ne fait rien pour mon dessein ; je souhaite seulement que quelques-uns de nos étourdis voulussent se condamner de tems en tems à la solitude, & je penche à croire que ceux qui regardent à présent la réflexion comme la chose du monde la plus ennuyeuse, se trouveroient dans la suite amplement dedommagés de tout ce qu’ils ont souffert dans les commencemens avant qu’ils eussent pû surmonter leur répugnance.

Je ne sçais rien de plus difficile pour les personnes d’une humeur trop lègere, que de se soumettre à cette habitude que je recommande : on ne doit pas s’attendre à un changement soudain, encore moins faut-il esperer que la contrainte le produise.

Tenez-les enfermées tout un jour dans [336] leur chambre, & demandez-leur ensuite à quoi elles ont pensé ; elles vous répondront qu’elles n’ont pensé à rien qu’à leur prison. C’est donc la plus mauvaise méthode qu’on puisse prendre. On doit les engager par la douceur à la réflexion, & non par les ménaces. Je ne sçais point de meilleur moyen pour y réussir, que de mettre devant leurs yeux les livres qui peuvent être vraisemblablement de leur goût ; quand même ces livres ne paroitroient pas destinés pour l’utilité, pourvû qu’ils ne contiennent rien d’indécent ou de contraire aux bonnes mœurs, ils pourront toujours les accoutumer à se plaire à la lecture ; & quand on a une fois gagné ce point, on peut les faire passer successivement à la lecture d’autres livres plus sérieux.

La peinture, sur-tout celle qui a pour l’objet l’histoire, & les différentes vûes de terre & de mer, contribue beaucoup à inspirer du goût pour la réflexion ; ce qui peut charmer les yeux, passe aisément jusqu’à l’ame, & donne de la curiosité au plus indolent. Il est impossible de regarder la nature ainsi representée, sans que l’esprit en reçoive une impression durable. Les évenemens consi-[337]derables des tems passés, les différentes perspectives que cette terre nous présente dans ses montagnes, ses valées, ses prairies & ses rivières, tout ce qu’il y a d’aimable & en même tems d’affreux dans l’abîme qui nous environne, des vaisseaux cinglants à pleines voiles à l’aide d’un vent favorable, d’autres qui viennent se briser contre un roc, ou échouer sur les sables qui sembloient se cacher sous les flots pour opérer leur destruction ; tous ces objets, dis-je, représentés sur le canevas, resteront dans l’esprit, même lorsque le tableau ne paroitra plus devant nos yeux, & ne pourront que nous inspirer des idées autant instructives qu’agréables. Nous pourrons ensuite nous entretenir nous-mêmes avec plaisir, & nous ne serons plus obligés de chercher ailleurs de l’amusement.

Ebene 3► Satire► Il est vrai que la plus grande partie de notre Noblesse fait profession d’une grande admiration pour cet art, & qu’il y a toujours beaucoup de monde, lorsqu’on met en vente des tableaux de prix ; mais le malheur est que les trois quarts de ces nombreuses assemblées y sont attirés plutôt par le désir de se [338] voir les uns les autres, que par aucun autre motif : on regarde ces auctions comme un des moyens de tuer le tems, un rendez-vous du matin où on cause, on rit, on forme des parties de plaisir, & quelquefois où on noue des galanteries. Les ouvrages d’un Titien ou d’un Raphael n’auront que peu de force sur une personne de ce caractére. Il y a des Généraux sur lesquels les triomphes de l’ancienne Rome ne font aucune impression, des Orateurs qui ne sont point touchés à la vue d’un Demosthene ou d’un Ciceron haranguant à la tribune, & des Dames qui sont incapables de sentir la moindre compassion pour une Lucréce mourante, ou d’admirer cette fameuse princesse Angloise, qui suça le venin de la blessure de son Epoux. ◀Satire ◀Ebene 3

Ebene 3► Satire► On peut dire la même chose de plusieurs d’entre ceux qui fréquentent les théatres ; ils font plus d’attention aux acteurs qu’aux caractéres qu’ils représentent, & paroissent s’intéresser davantage dans les petits démêlés qui surviennent entre ces Héros de théatre, que dans la destinée des Héros & des Héroines réelles. L’habit, la voix & les gestes de Mesdames Quin, Garrik, [Cibber #U::Cibber~i], [339] & de Mesdemoiselles [Horton#U::Horton~i], [Clive#U::Clive~i], [Woffington#U::Woffington~i] &c. seront le sujet des plus longues conversations, pendant qu’on ne fera pas la moindre mention des cruautés du [König Richard#F::Roi Richard~i], de la jalousie injuste d’[Othello#F::Othello~i], de la tendresse filiale de [Hamlet#F::Hamlet~i], de la vertu d’[Andromache#F::Andromaque~i], du changement de [Townly, Milady#F::Milady Townly~i] ( *3  ), & de tous ces caractéres frappants que les Poëtes tâchent de perpetuer ou d’inventer, afin qu’ils servent aux uns de leçons & aux autres de motif pour les porter aux grandes actions. ◀Satire ◀Ebene 3

Quoi de plus agréable encore pour une personne qui pense, que de voir les événemens les plus remarquables de l’antiquité, les coutumes différentes des nations les plus éloignées, représentées sur le théatre avec toute la force & l’énergie dont la tragédie est susceptible ? Ou qu’y a-t-il de plus propre à refor-[340]mer nos folies, que de les voir exposées avec art & sans fiel par l’aimable Comédie ?

Réformer nos mœurs, corriger nos erreurs, se servir du plaisir comme du moyen le plus propre à faire impression sur notre ame, s’en servir, dis-je, pour nous inspirer les plus hautes idées de l’honneur & de la vertu, voilà sans doute le grand but qu’on s’est proposé dans l’établissement de la Comédie : Plusieurs Poëtes anciens, & quelques modernes y ont pleinement réussi. On m’a assuré qu’il y a eu des personne si frappées en voyant représenter sur le théatre un crime qu’elles avoient commis en secret, qu’après s’être rétirées chez elles, elles ont tout avoué, & ont passé le reste de leur vie dans une espéce de penitence pour leurs fautes passées.

Mais ni cette méthode, ni aucune autre dont on pourroit se servir, ne réussira à nous corriger, si nous ne sommes pas attentifs aux objets qu’on nous présente ; & je remarque avec chagrin que c’est rarement le cas de ceux qui fréquentent les spectacles ; ils n’ont de l’attention que pour ce qui les fait rire ; [341] & plusieurs même de ceux qui par complaisance pour d’autres personnes, paroissent très mécontents de ce qu’on a introduit les Pantomimes sur nos théatres, ne trouvent dans leur cœur rien de si amusant.

Quelques uns prendront hardiment la défense de ces représentations muettes ; ils vous diront, que les Italiens, nation très sage, les encouragent autant qu’ils peuvent, qu’il y a beaucoup d’esprit & d’adresse dans cette invention, & que les spectateurs ont occasion de montrer leur sagacité & leur pénétration, en devinant le sens de la piéce par les gestes & les attitudes des acteurs, aussi bien que s’ils parloient. Cela seroit vrai, je l’avoue, si l’on se donnoit la peine d’y faire attention ; mais je ne vois pas que ceux qui se livrent à leur indolence, & qui ne s’amusent que des métamorphoses d’Arlequin, sans s’embarrasser des raisons qu’il a pour y recourir, tirent plus d’utilité de ce spectacle, que s’ils étoient venus voir un sauteur ou un danseur de corde des plus communs.

Enfin, il n’y a rien dont une personne qui pense, ne puisse tirer quelque fruit ; & de quel mérite intrinséque dont une cho-[342]se soit douée, elle n’ameliorera jamais une personne qui ne pense pas ; il en sera comme de la musique à l’égard d’un sourd, ou d’un beau passage à l’égard d’un aveugle.

Il y a une expression dans la bouche de tout le monde, quoique peut-être très peu de personnes la comprennent, c’est que si on veut faire un bel éloge de quelcun <sic> on dit qu’il a beaucoup de goût. Chacun ambitionne cette reputation, parce qu’elle suppose du choix & de l’élégance dans tout ce qu’on entreprend. Plusieurs auteurs célébres ont exercé leur plume à marquer la différence entre le bon & le faux goût ; mais je ne crois pas qu’aucun l’ait fait avec cette netteté qui seroit nécessaire pour en donner au lecteur une idée distincte. Cependant le bon goût n’est autre chose qu’une riche imagination dirigée par un jugement ferme & droit. Ce n’est dans le fond que cette juste manière de penser que j’ai recommandée jusqu’ici. Je dis aussi que le faux goût consiste à imiter imprudemment les idées des autres ; c’est vouloir faire comme d’autres personnes dont la reputation de beau genie est suffisamment établie, sans considé-[343]rer que ce qui sied à l’un, fait souvent un effet tout contraire à l’égard d’un autre. Mille circonstances peuvent rendre cette imitation gauche & déplacée, & lui attirer justement le titre de faux goût.

C’est pourquoi il importe à tous ceux qui souhaitent de faire une figure brillante dans le monde, d’en tirer ce qu’il y a de bon, & de laisser là le mauvais, de se procurer une félicité permanente, & d’en faire part aux autres ; il leur importe, dis-je, de se servir de toute leur application pour connoître, autant qu’il est en leur pouvoir, & ce qu’ils sont, & le but auquel ils doivent tendre. ◀Ebene 2

Fin du Livre quatrième. ◀Ebene 1

1Differentes guinguettes ou endroits de plaisir: les deux premiers, & Mary le bon sont les plus fréquentés par la bonne compagnie. Sadlers-Wells & Goodman’s fields, sont deux théatres, l’un dedans & l’autre aux portes de Londres, où on réprésente des farces, des espéces de pantomimes avec des dances &c.

2(*) Differents villages aux environs de Londres: Richmond & Kensington sont des maisons royales.

3(*) Les trois premièrs caractéres sont les principaux de trois des plus belles tragédies de [Shakespeare, William#H::Shakespear~i] ; l’Andromaque Anglois, est une traduction libre de celle de [Racine, Jean#H::Mr. Racine~i], & est fort estimée. [Townly, Milady#F::Milady Townly~i] est le principal personnage du Provotz d’husband, ou de l’Epoux irrité & poussé à bout, qui est une des meilleures comédies du théatre Anglois.