La Spectatrice. Ouvrage traduit de l'anglois: Livre Second
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Livre Second.
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Metatextualität
Quand nous
commençames, mes associées & moi, à
mettre la main à cet Ouvrage, nous
convinmes d’observer certaines régles,
afin de maintenir parmi nous cette
harmonie, qui devroit subsister entre
toutes les Societés, quel que soit le
nombre de leurs Membres. En particulier,
nous avons réglé de consacrer deux
soirées par semaine à notre entreprise.
Nous nous communiquons réciproquement,
dans le premier de ces rendez-vous, les
intelligences que nous avons reçues,
& nous déterminons les sujets que
nous devons traitter. Dans le second,
nous mettons nos differentes productions
sur la table, & après qu’on en a
fait la lecture, on laisse à chacune de
nous la liberté de critiquer ce qu’elle
désapprouve. En un mot, nous ne donnons
rien au public, sans un consentement
unanime. Notre assemblée se tient dans
mon logement, & je donne des ordres
très sévères, afin que personne ne
vienne interrompre nos
deliberations.
Fremdportrait
Mais il seroit
aussi facile de trouver un azyle contre
la foudre, que contre l’impertinence de
certaines gens. J’ose dire qu’il y a peu
de mes Lecteurs, qui n’ayent été
tourmentés une fois en leur vie du
bourdonnement & des tracasseries de
quelques animaux, dont l’amitié, aussi
longtems qu’elle dure, est plus
incommode que la haine d’aucune autre
créature. Je veux parler d’une espece de
Mortels, qui vous diront tous leurs
secrèts, après une connoissance de deux
heures, & qui s’imaginent être en
droit d’attendre que vous leur
communiquiez les vôtres. Que vous y
consentiez ou non, ils veulent vous
voir. Il ne sert à rien de s’enfermer,
pour les éviter ; ils viendront fondre
sur vous à toutes les heures, & vous
poursuivront partout où vous irez : ils
viennent en courant vous repéter tout ce
qu’ils ont vû ou entendu dire, & il
faut être avec eux d’une extrême
grossiereté, ou renoncer à vos propres
pensées, quelque agrément & quelque
utilité que vous trouviez à vous en
entretenir, pour prêter l’oreille à
toutes les bagatelles bruyantes dont ils
sont remplis ; & la seule consolation qui vous reste, est
l’assurance d’en être délivré aussitôt
qu’ils auront fait une nouvelle
connoissance.
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Allgemeine Erzählung
Fremdportrait
Je fus
dernièrement assez malheureuse, pour
qu’une de ces Tempo Amy-ariennes (si je
puis leur donner ce nom sans offenser
les Critiques) s’attachât à moi ; aussi,
lorsque sa tendresse étoit dans son plus
haut periode, je n’avois pas un moment
dont je pusse disposer. Elle vint une de
ces soirées que nous avions destinées à
entretenir le public, & en depit de
mes ordres, se fit passage à travers mes
domestiques, & vola directement à ma
chambre, où nous étions assemblées.
Comme elle entra sans cérémonie, elle ne
fit aucun compliment sur sa brusquerie,
quoiqu’elle trouvât que j’avois
compagnie. Il lui auroit été facile de
juger à mon air combien sa visite
m’étoit à charge ; mais elle ne vouloit
pas perdre le plaisir de m’apporter des
nouvelles de la dernière conséquence ;
ensorte, me dit-elle, qu’elle n’auroit
pas pû passer la nuit sans m’en faire
part.
Exemplum
Elle nous informa qu’elle avoit été en
Cour le même jour, qu’elle y avoit vû
l’aimable Mylady Bloumette~i, & que
c’étoit le premier jour, que cette Dame
paroissoit en Cour depuis son mariage.
Elle nous décrivit chaque article de sa
parure, nous dit combien elle avoit
parû, charmante, combien tous les jeunes
Seigneurs envioient le bonheur du vieux
Pompilius~i, & rioient en même tems
sous cape d’une union si mal assortie,
paroissant se promettre que les suites
en seroient agréables pour eux-mêmes ;
comment quelques-uns s’écrioient voyant
passer ces deux Epoux, May &
Décembre, d’autres feu & gêlée,
& mille autres semblables
reflexions, auxquelles les nouveaux
Epoux devoient s’attendre, & qu’on
pouvoit conjecturer fort aisément sans
en être le temoin.
Exemplum
Pompiliusi
avoit vécu en très bonne union avec sa
première épouse, & personne ne
l’auroit blâmé de s’engager une seconde
fois sous le joug de l’Hymen~i, pourvû
qu’il eût fait choix d’une moitié dont
l’âge repondit au sien. Il est vrai
qu’il n’auroit pas satisfait ses désirs
avec autant de volupté, mais aussi on ne
l’auroit pas accusé de manquer de
jugement ; & il n’auroit pas perdu
dans un âge avancé cette reputation de
bon sens qu’il avoit
acquise dans sa jeunesse. N’est-ce pas
une chose pitoyable, qu’il ait voulu
satisfaire une passion, qui ne peut lui
procurer que des plaisirs bien courts,
qui fait nécessairement tort à son
propre caractére, & qui est encore
plus fâcheuse à l’objet de son
affection ? Quoi ! si la charmante
Bloumette~i avoit échoué dans ce qu’elle
avoit d’abord désiré ; si le trop
insensible Palemon~i avoit preferé un
peu de métal, à la possession de la plus
belle femme qu’il y eût sur la terre ;
si le ressentiment de l’injure qu’on
avoit fait à sa jeunesse & à sa
beauté, joint à l’ambition de ses
Parens, avoit mis les prétentions de
Pompilius~i dans un jour avantageux ; un
moment de reflexion auroit dû suffire à
ce vieux Epoux pour en pénétrer le
motif : & s’il l’aimoit
véritablement, il auroit dû lui
recommander quelque aimable jeune homme
de sa famille, dont le mérite eût pû
bannir de son cœur les sentimens qu’elle
avoit conçus en faveur de Palemon~i. En
cela il auroit donné une preuve d’une
affection vraiment généreuse, & en
même tems, de cet empire
sur soi-même, qu’un homme de son rang ne
doit jamais perdre. Mais je veux que les
plaisirs réunis de l’amour & de la
table puissent étouffer, jusqu’à un
certain point, les remords d’un Cœur qui
ne pense qu’à satisfaire ses désirs les
plus extravagans ; celui de l’aimable
Bloumette~i doit ressentir des peines,
qui deviendront chaque jour plus vives,
plus elle s’efforcera à les cacher.
Quels combats entre sa sincérité &
son devoir, quand son vieux radoteur
d’Epoux exige qu’elle réponde à ses
caresses ! Combien doit-elle regretter
la dure nécessité de feindre ce que la
Nature lui refuse ! Ces tendres
transports qu’un amant chéri a l’art de
rendre reciproques, nous semblent
gauches & degoutants dans un homme
que nous n’aimons pas, & bien loin
de nous le rendre cher, changent nôtre
indifference en mépris & en
aversion. Enfin il n’y a point de terme,
qui puisse exprimer le désagrément
d’être obligé à recevoir des caresse
dont on est degouté ; & celle qui
sacrifie à l’orgueil ou au ressentiment
les plaisir de la jeunesse en se mariant
avec l’homme qu’elle hait, ne tardera
pas à s’en repentir
amérement, lorsqu’il ne sera plus tems
d’y remédier.
Exemplum
Je trouve
qu’on fait à Artistobule~i une très
grande injustice de l’accuser
d’ingratitude, de perfidie & de
cruauté. Il est un exemple de cette
vérité, que l’amour n’est pas en notre
pouvoir ; & quoique le sort de son
Epouse soit extrémement triste, le sien
même n’est pas moins digne de
compassion. Ce jeune Seigneur avoit peu
d’égaux pour les graces de sa personne,
& il avoit fait plusieurs conquêtes,
sans avoir eu besoin de pousser un seul
soupir, ou de faire la moindre
protestation.
Elle cacha long-tems sa passion à
tout le monde, comme à celui qui en
étoit l’objet ; cependant elle se
permettoit le plaisir de le voir aussi
souvent qu’il lui étoit possible, &
elle frequentoit, dans cette vûe, tous
les endroits où elle esperoit de le
rencontrer. Enfin elle s’apperçut qu’il
n’avoit pour elle que les égards dûs à son rang ; alors ces
douces émotions qui ne lui avoient
presenté d’abord que des images
agréables, se changerent en horreurs,
plus elles approchoient du désespoir.
Elle tomba malade, les Medecins
s’apperçurent bientôt du désordre de son
esprit, & persuaderent ceux qui
l’entouroient, de faire tous leurs
effort pour en découvrir la cause. Les
instances de ses Parens, les ordres du
Père le plus tendre, furent inutiles ;
sa modestie s’opposoit à cet aveu ;
& ce ne fut qu’à l’extrémité
(lorsque tous ceux qui la voyoient aussi
bien qu’elle même jugerent qu’elle étoit
à l’article de la mort) qu’elle se
détermina à avouer que si elle désiroit
de vivre, c’étoit pour voir
Aristobule~i. Son père qui soupçonnoit
son mal, fut charmé de voir que l’objet
de son inclination ne déshonoroit point
sa naissance, & l’assura que s’il
lui étoit si important de voir
Aristobule~i, non seulement elle le
verroit, mais qu’elle vivroit encore
avec lui, jusqu’à ce que la mort vint
mettre fin à son bonheur. Il lui fit
cette promesse dans la ferme confiance
que le père d’Aristobule~i consentiroit
avec plaisir à l’union de leurs familles & il ne fut pas
trompé dans ses conjectures ; la
proposition qu’il en fit fut reçue avec
la plus grande satisfaction, & le
contract de mariage fut dressé, avant
que le jeune Seigneur, qui étoit allé
faire une partie de plaisir à la
campagne, eut reçû aucun avis de ce
qu’on traittoit. Celinde~i fut d’abord
informée du succès de cette affaire,
& dès ce moment les roses parurent
de nouveau sur son teint, sa force &
sa vivacité revinrent, & elle fit
comme auparavant, le bonheur de tous
ceux qui la connoissoient. Mais, helas !
la nouvelle de cette affaire fit un
effet bien different sur celui que
Celinde~i aimoit avec tant de violence.
On lui depêcha un exprès pour le faire
venir à Londres~i, & il ne fut pas
plûtôt informé du sujet pour lequel on
le rappelloit, qu’il fut saisi du plus
mortel chagrin : Il se jetta aux pieds
de son père, & le conjura par cette
tendresse paternelle qu’il lui avoit
toûjours témoignée, & qu’il n’avoit
par merité de perdre, de ne pas
l’obliger à remplir un engagement, qui
lui étoit plus terrible que la mort
même. Il n’y eut jamais de surprise plus
grande que celle du père
d’Aristobule~i, lorsqu’il l’entendit
parler de cette manière ; mais il fut
encore plus étonné, quand il lui eut
demandé, pourquoi il ne vouloit pas
devenir l’Epoux d’une Dame de si bonne
famille, jeune, riche & vertueuse,
& que son fils n’eût aucune autre
raison à lui donner, si ce n’est qu’il
n’avoit point de penchant au mariage,
& qu’il ne lui étoit pas possible
d’avoir aucune inclination pour cette
Dame. Le vieux Seigneur trouvoit ce
mariage si avantageux, qu’il ne voulut
pas le rompre pour un motif aussi
frivole que de manquer uniquement
d’amour ; il resolut donc d’obliger son
fils à lui obéir, & pour cet effet
il lui fit les plus terribles menaces de
le chasser de sa présence, & de le
desheriter, ne lui laissant que les
biens attachez au tire, qui étoient très
mediocres, & incapables de
l’entretenir. Ce fut un terrible coup
pour un jeune homme qui avoit les idées
de grandeur les plus relevées, & qui
aimoit avec passion tous les plaisirs de
la jeunesse. Il connoissoit la rigidité
& l’obstination de son père à se
faire obéir de tous ceux qui dependoient
de lui, & il ne doutoit
nullement que son ressentiment ne le
portat à exécuter ses menaces. C’est
pourquoi il se repentit de l’avoir
irrité à ce point, & commença à
feindre une moindre aversion pour ce
mariage ; il le pria de le pardonner,
& lui promit de faire visite à
Celinde~i, dans l’esperance,
ajouta-t-il, de trouver dans la
conversation de cette Dame des charmes,
qu’il n’avoit pas encore remarquez. Son
père parut s’appaiser un peu à l’ouie de
cette assurance ; il lui ordonna d’aller
offrir à Celinde~i un cœur, qu’elle
meritoit bien, & qu’il auroit dû lui
donner dès long-tems. Il est vrai
qu’Aristobule~i ne trompa point son père
à cet égard ; il fut trouver Celinde~i,
mais dans une vûe bien differente de
celle qu’on pencheroit à lui attribuer.
Il ne l’aborda point avec ces douces
protestations, qu’on fait souvent avec
la même indifference qu’il ressentoit
lui-même ; mais il lui confessa
ingenûment, qu’il avoit de l’aversion
pour le mariage, qu’il n’étoit pas en
son pouvoir de faire un Epoux tel
qu’elle devoit s’y attendre, & que
son père paroissant avoir tant
d’inclination pour ce mariage, il la
conjuroit que la rupture vint de son
côté. Chacun peut juger
quelle alarme une telle requête dût
jetter dans un cœur aussi fortement
épris ; cependant l’excès de sa
tendresse l’emporta sur cet orgueil
& cette fierté qui sont si
naturelles aux femmes dans de semblables
circonstances : Elle fit une petite
pause, apparemment pour étouffer des
soupirs qui s’élevoient dans son cœur,
& lui dit ensuite que ce qu’il
demandoit, étoit la seule chose qu’elle
pût lui refuser ; que son propre père
n’avoit pas moins de zèle pour cette
alliance, & qu’elle étoit trop
accoutumée à lui obéir, pour ôser
contredire sa volonté dans une chose qui
paroissoit lui faire tant de plaisir. Il
n’y avoit que le motif de son repos
éternel, qui pût obliger Aristobule~i à
traitter avec tant de dureté une Dame
d’une si haute naissance, si riche &
douée de tant de perfections. Comme il
ne pouvoit s’empêcher d’en convenir,
malgré la foible impression que ces
charmes faisoient sur son cœur, aussi
fut-il étonné du calme de sa réponse :
& jugeant de-là qu’elle n’avoit pas
moins de tendresse que ce qu’on lui
avoit dit il employa toutes les raisons
imaginables, pour faire
servir cette même tendresse à son
dessein de se délivrer de tout
engagement avec elle : Mais voyant
qu’elle alleguoit toujours son
obéissance envers celui qui lui avoit
donné le jour, il tomba dans un entier
desespoir ; & renonçant à cette
politesse qu’il lui avoit témoignée
jusques-là.
C’est ainsi qu’elle cachoit sous
le voile de son obéissance, la tendresse
d’une Amante : mais l’honneur de notre
Sexe souffrit beaucoup
d’une semblable conduite. La pauvre
Dame ! l’excès de sa passion l’empêcha
de voir combien elle s’humilioit, &
l’engagea à se flatter, que malgré
l’aversion qu’il lui témoignoit alors,
il deviendroit un jour sensible à la
tendresse dont elle lui donneroit les
plus fortes marques quand elle pourroit
le faire légitimement ; & il ne
pourroit s’empêcher de lui accorder son
affection par reconnoissance pour une
flamme si pure, si constante & si
violante. Aristobule~i après s’être
separé d’elle, essaya encore de fléchir
son Père, mais sans aucun succès ; ainsi
il aima mieux devenir l’époux de
Celinde~i que d’être deshérité. On
convint d’un jour pour la solemnité de
leur nôces, & leur marriage se fit
avec une pompe plus assortie à leur
qualité qu’à la situation de leur
esprit. La nuit venue, on les mit au lit
avec les cérémonies ordinaires ; mais la
compagnie ne se fut pas plutôt rétirée,
que l’Epoux se leva & aima mieux
passer le reste de la nuit tout seul sur
un mauvais lit, que dans les bras d’une
femme qui avoit assez de charmes pour
faire le bonheur de tout autre homme,
pourvû qu’il ne ressentit
pas cette antipathie naturelle, dont il
n’est pas moins difficile de rendre
raison, que de la surmonter. On ne doit
pas douter que Celinde~i, non seulement
cette même nuit, mais encore dans la
suite ne mît en usage tous les tendres
artifices, ne se servît de toutes les
raison que son amour, joint aux
circonstances où elle se trouvoit, put
lui inspirer ;
Aristobule~i fut toujours
inflexible, & s’obstina à ne porter
d’un Epoux que le nom ; ni le tems, ni
la patience de Celinde~i à souffrir un
traitement si indigne, n’ont jamais fait
le moindre changement en sa faveur. Ils
habitent la même maison, mais ils ne se
rencontrent jamais dans le même lit, ne
mangent jamais à la même table, se
voyent rarement l’un l’autre, & leur
Domestiques même paroissent appartenir à
deux familles differentes. Plusieurs
années se sont écoulées de cette
manière, & Celinde~i est toujours
dans le même état ; pendant
qu’Aristobule~i, sans faire aucune
attention à l’amour & à l’affection
de son Epouse, tâche de se consoler dans les bras des autres
femmes, du chagrin que son mariage lui a
causé.
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Fremdportrait
Celinde~i
fut assez malheureuse pour être de ce
nombre : Celinde~i d’une maison
illustre, héritière d’un grand bien,
& douée de plusieurs perfections du
corps & d’esprit ; Celinde~i en un
mot, dont l’amour a fait toute
l’infortune.
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Dialog
Madame,
lui dit-il, si je suis obligé à vous
épouser pour conserver mon droit
d’ainesse, il ne me sera pas possible,
& je ne tâcherai jamais de vous
aimer comme ma femme. Vous n’aurez à
attendre que des jours destituez de tout
consolation & des nuits encore plus
tristes ; il ne sera pas au pouvoir de
nos parens, ni de la cérémonie, de
convertir un dégout total, en
inclination. Celinde~i repliqua
froidement à cette cruelle déclaration,
qu’il étoit bien fâcheux que leurs cœurs
ne pussent pas s’accorder, puisqu’ils
étoient destinés l’un pour l’autre, par
ceux qui avoient le pouvoir de disposer
de leur main, mais, que de son côté,
elle étoit déterminée à faire son
devoir, dût-elle en être la victime.
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Zitat/Motto
mais
l’amour, dit un de nos Poëtes, ne peut
souffrir aucun lien, s’il ne le forme
lui-même.
Exemplum
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Fremdportrait
Madame
Tulipe~i est dans l’automne de son âge,
& elle est aussi brillante dans sa
parure que la fleur dont elle porte le
nom ;
Exemplum
Qui a jamais
vû Philimont~i & Daria~i ensemble,
sans s’apercevoir que Philimont~i n’aime
rien autant que Daria~i, & que rien
n’est plus cher à Daria~i que
Philimont~i ? Quel feu, quelle passion
dans les regards de cet amoureux
couple ! Ne semble-t’il pas, pour
s’exprimer ainsi, qu’ils
se lancent leur ame à chaque coup
d’œil ? Daria~i est-elle jamais à
l’Opera, au Parc, à la Comédie sans son
cher Philimont~i ? Ou Philimont~i se
plait-il dans aucune compagnie si
Daria~i est absente ? Cependant
Philimont~i est sur le point d’épouser
Emilie~i, & Daria~i est promise dès
long-tems à Belamour~i : Etrange
bizarrerie de l’amour & du destin !
Exemplum
Sabine~i
a-t’elle quelque raison de s’attribuer
des charmes supérieurs au reste de son
Sexe, ou peut-elle se flatter d’être
toujours l’objet de la tendresse de
Theomene~i ? N’a-t’il pas prostitué ses
vœux à la moitié des belles femmes de la
ville ? & s’il a persisté jusqu’au
mariage dans ceux qu’il lui a offerts,
n’est-ce pas parce que la fortune de
Sabine~i est plus considérable que la
sienne, & qu’elle le met en état de
payer les dettes qu’il avoit contractées
par ses extravagances ?
Exemplum
Avec quelle
amertume Dalinde~i ne se repent-elle pas
de s’être abandonnée à une passion
inconsiderée, & de s’être jettée
dans les bras de Macron~i, cet homme de
basse naissance, mais d’un esprit encore
plus bas, & d’un si mauvais naturel ! Elle s’imaginoit, comme
elle l’a avoué ensuite, qu’en épousant
un homme si fort au-dessous d’elle, elle
seroit la seule maîtresse &
d’elle-même & de son bien ; que
Macron~i n’ôseroit jamais prendre aucun
privilége sur l’un sans son
consentement, ni s’arroger le moindre
empire sur l’autre : en un mot, qu’au
lieu d’être sous l’autorité d’un époux,
elle ne trouveroit en lui qu’un esclave
complaisant & soumis à ses volontés.
La pauvre Dame ! qu’elle s’est trompée !
Macron~i n’a pas eu plutôt le pouvoir en
main, qu’il lui a fait éprouver un
triste revers de toutes ses espérances.
Bien loin de régler les affaires &
la maison de son Epouse, comme elle le
souhaitoit, ou comme elle avoit
accoutumé, on voyoit clairement qu’il se
faisoit un point d’honneur de la
contredire. Il ne consultoit ses
inclinations à aucun égard, &
donnoit même devant elle les ordres,
qu’il n’ignoroit pas lui devoir être
très desagréables : & si elle
paroissoit s’y opposer, il lui disoit de
la manière la plus grossiere, qu’il
étoit le maître, & comme tel, qu’il
vouloit être obéi. Au commencement elle
s’emportoit, lui reprochoit son
ingratitude, & protestoit de s’en venger ; mais
hélas ! qu’auroit-elle pû faire ? Elle
n’avoit point eu soin de se reserver la
jouissance de son bien en cas
d’accident, & elle n’ôsoit recourir
à aucun de ses parens, qu’elle avoit
deshonorés & desobligés par cet
indigne choix. Ainsi le ressentiment
qu’elle fit paroître ne servit qu’à
rendre sa condition plus triste, &
qu’à appesantir le joug, qu’elle s’étoit
imposé avec tant de précipitation. Il
lui retrancha son équipage & sa
table, fixa même sa parure, ne lui
permit de faire des visites & d’en
recevoir, que des personnes qu’il
approuvoit, qui étoient toutes créatures
ou alliées de cet homme, & avec qui
elle n’avoit jamais eu la moindre
liaison, lui refusa même de l’argent
pour se petits besoins, prit toutes les
mesures imaginables pour abbattre son
orgueil & pour la soumettre à ses
volontés, jusqu’à ce qu’enfin la
tyrannie de Macron~i ait eu son effet,
& ait reduit Celinde~i <sic> à
l’esclavage le plus abject.
Exemplum
On
dit que les vœux reciproques de
Myrtano~i, & de l’aimable Cleore~i
vont être couronnez dans peu de jours.
Les Parens de chaque côté y donnent leur
consentement ; les articles du mariage
sont signés ; un équipage superbe est
préparé ; la maison de campagne est
embellie ; le lit nuptial est paré de
tous ses ornemens ; enfin on a mis en
état tout ce qu’une ingenieuse
ostentation a pû inventer, pour rendre
pompeuse & magnifique la cérémonie
de leur mariage : Mais comment Cleore~i
peut-elle s’assurer que son cher
Myrtano~i sera toujours constant ?
ignore-t’elle un triste exemple de
l’inconstance naturelle à ce Cavalier ?
Brillante~i étoit-elle inférieure à
Cleore~i en naissance, en fortune, ou en
qualités personnelles? Myrtano~i
n’a-t’il pas recherché Brillante~i avec
autant d’ardeur qu’il en témoigne à
present pour Cleore~i ? Toute la Ville
ne s’est-elle pas apperçue des hommages
qu’il rendoit à la première ? N’a-t’il
pas fait à son sujet plusieurs
extravagances, qui ne pouvoient venir
que d’une passion très
violente & très réelle, & qui ne
pouvoient être excusées par aucun autre
motif ? Et cependant n’a-t’il pas
abandonné tout d’un coup Brillante~i,
sans le moindre prétexte, & paru
oublier qu’il l’eût jamais aimée, pour
se déclarer l’adorateur de Cleore~i ?
Exemplum
Ebene 3
Fremdportrait
Belair~i
est un Cavalier accompli, il a un bien considérable, & il
dépense son revenu sans toucher au
capital ; & il est charitable envers
les pauvres, liberal envers les gens de
mérite, surtout s’ils sont dans la
misére ; accueillant & généreux
envers ses amis, exact à payer ses
ouvriers, tient un bon équipage, &
une table encore meilleure, aime le
plaisir, mais hait le vice ; en un mot,
il n’a rien dans son caractère qui ne
puisse faire le bonheur d’une épouse
raisonnable, & d’un bon naturel.
Ebene 3
Fremdportrait
Il eut le
plaisir, je ne dirai pas le bonheur de
rencontrer dans un bal cette jeune
Dame ; elle étoit grande, bienfaite,
dansoit avec beaucoup de grace, avoit un
visage fort agréable sans être
parfaitement beau, quelque chose
d’extrêmement doux & attirant dans
sa conversation & dans ses manières.
Metatextualität
Peut-être
regardera-t-on ce que j’ai dit sur ce
sujet, comme la défense d’un mariage qui
s’est fait depuis peu, & qui donne
un juste sujet d’étonnement à tout le
monde ; puisqu’il n’a pû réüssir,
dira-t’on, qu’à cause de cette simpathie
d’humeurs, que j’ai recommandée comme
une condition essentielle à la félicité
conjugale.
Exemplum
Il faut
avouer que l’artificieux Vulpon~i a sçu
réunir la charmante Lyndamire~i à penser
comme lui sur un seul sujet ; mais ce
n’est qu’une consequence du goût qu’il
lui avoit inspiré pour sa personne,
& il n’a fait en cela que ce que
mille autres avoient fait avant lui, ou
ils n’auroient jamais possedé l’objet de
leurs désirs.
Il avoit l’honneur de rendre des
visites fréquentes aux illustres Parens
de Lyndamire~i, & d’en être traitté
avec cette civilité, que ses bonnes
qualités paroissoient mériter. Hélas !
qu’ils en prévoyoient peu les suites !
qu’ils s’attendoient peu
que leurs bonne manières dûssent
enhardir Vulpon~i à lever ses yeux
jusqu’à leur aimable fille ! &
beaucoup moins encore, que cette jeune
Dame, qui entroit à peine dans sa
dixhuitième année, qui étoit l’idole de
la Cour, & l’objet de l’admiration
universelle, pût s’abbaisser à
entretenir le moindre penchant pour un
homme qui avoit passé le méridien de son
âge, & qui étoit à tout autre égard
tellement son inférieur, qu’on ne
pouvoit faire entr’eux aucune
comparaison ! Cependant cela est arrivé
ainsi. Le Dieu des tendres désirs montra
quelle étoit l’étendue de son pouvoir,
en surmontant ce qu’on a toujours
regardé comme opposition de la nature :
cette jeune beauté, qui voyoit tous les
jours à ses pieds les jeunes gens de la
première qualité, les plus aimables
& les plus accomplis, ne put
résister aux poursuites d’un amant plus
vieux que son père. Il eut peu
d’occasions de l’entretenir en
particulier, mais il en profita si bien,
qu’il obtint d’elle une assurance
positive, qu’elle ne consentiroit jamais
à donner sa mains à un autre homme,
& il en vint à bout,
plutôt même qu’on ne pourroit s’imaginer
qu’elle lui eût pardonné la témérité
qu’il avoit eue de lui déclarer sa
passion. On ne peut pas douter, qu’ils
ne conduisissent leur correspondance
avec la plus grande circonspection ;
mais il arrive à l’égard de l’amour
comme à l’égard du feu, il est très
difficile de le cacher, toutes les
précautions possibles ne l’empêchent pas
de se montrer ici & là. Peut-être ne
se tinrent-ils pas toujours sur leurs
gardes, ou ne se défioient-ils pas de la
pénétration de quelques personnes qui
les observoient. Quoiqu’il en soit, leur
secret fut découvert, & on remarqua
certaines choses, qui paroissoient
deroger au rang de cette jeune Dame.
C’est pourquoi ces mêmes domestiques en
avertirent sur le champ la mère, qui ne
tarda pas à communiquer à son Epoux ce
qu’on venoit de lui dire. Quoique cet
avis leur parût incroyables, cependant
après avoir consulté ensemble, ils
jugerent qu’il ne convenoit pas de
recevoir à l’avenir aucune visite de
Vulpon~i, mais qu’il s’étoit rendu
suspect d’ôser entretenir un commerce de
cette nature avec leur fille. Ils le prierent donc fort
civilement, & sans l’instruire d’où
venoit ce changement dans leur procedé,
de cesser ces visites, & dans le
même tems ils établirent une étroite
garde sur toutes les actions de
Lindamire~i. Cependant ils ne lui
laisserent pas le moindre sujet de
soupçonner qu’ils eussent aucun doute
sur sa conduite ; parce que s’il y avoit
quelque chose de vrai dans le rapport
qu’on leur avoit fait, elle ne seroit
pas autant sur ses gardes, ne
s’imaginant pas d’être suspecte, &
qu’ainsi il leur seroit plus facile de
s’en éclaircir que s’ils avoient recours
aux reproches. Il faut convenir, qu’ils
se conduisoient avec beaucoup de
prudence : mais Lindamire~i avoit aussi
ses intelligences. Les mêmes domestiques
qui avoient instruit sa mère, ne pûrent
s’empêcher d’en parler entr’eux : sa
femme de chambre les entendit, & en
avertit cette jeune Dame, qui sçut alors
déguiser ses sentimens avec tant d’art,
& affecter une si grande
indifference à l’égard de ce qui lui
perçoit le cœur, que ses parens y furent
trompés malgré toute leur vigilance,
& qu’ils se persuadérent ensuite parfaitement, qu’il n’y
avoit pas le moindre fondement dans ce
qu’on leur avoit dit ; pendant que les
deux amans avoient la consolation de
s’entretenir par leurs lettres, qu’une
confidente avoit soin de leur faire
parvenir secrettement. Trois mois
entiers s’écoulérent de cette manière,
& durant tout ce tems Vulpon~i n’eut
pas une seule fois la satisfaction de
voir son adorable Lindamire~i. Cette
jeune Dame, qui vouloit étouffer tout
soupçon, lui avoit fait dire d’éviter
tous les endroits publics où il pourroit
la rencontrer ; ajoûtant qu’elle auroit
soin de l’avertir, quand elle devoit s’y
rendre. Comme elle y alloit rarement,
excepté avec sa mère, ou quelque autre
personne qui ne l’accompagnoit
vraisemblablement que pour épier sa
conduite, & qu’elle ne pouvoit pas
s’assurer que sa contenance ou celle de
son Amant ne trahissent ce qu’elle
désiroit de cacher, elle avoit resolu de
n’abandonner rien au hazard, & de ne
laisser à ses parens pas même l’ombre
d’une excuse, pour l’envoyer, ce qu’ils
auroient pas manqué de faire, dans
quelque endroit, d’où il lui auroit été
impossible d’écrire à son
cher Vulpon~i, & de recevoir chaque
jour des nouvelles protestations de son
amour & de sa constance. Enfin
l’occasion qu’elle attendoit avec tant
d’ardeur se présenta. Sa mère avoit
retenu les premières places d’une loge à
la Comedie ; mais soit à cause d’une
légère indisposition, ou qu’elle n’êut
pas envie d’y aller ce jour-là, elle
consentit que Lindamire~i y allât avec
une Dame, pour qui elle avoit beaucoup
de consideration, & qu’elle avoit
invitée auparavant à l’accompagner dans
cet endroit. Lindamire~i ne manqua pas
d’en avertir Vulpon~i, & de lui
marquer qu’ils pourroient s’y entretenir
avec toute la liberté qu’ils désiroient,
puisque la Dame qui devoit l’accompagner
ne le connoissoit point. Cet avis ne fut
pas inutile ; à peine étoient-elles
arrivées dans leur loge, qu’il y entra :
& comme il y avoit ce soir là peu de
monde à la Comedie, il ne vint aucune
autre personne dans la même loge.
D’ailleurs la Dame qui étoit venue avec
Lindamire~i, étoit uniquement attentive
à la piéce, c’est pourquoi ils ne
craignirent pas qu’on entendît un seul
mot de leur conversation. Quoique ce fût, dont il l’entretint
cette nuit à l’oreille, il eut le secret
d’en obtenir une promesse qu’elle
hazarderoit tout en sa faveur, &
qu’elle l’épouseroit le lendemain matin.
Aussi ne manqua-t-elle pas suivant sa
promesse de sortir ce jour-là de bonne
heure sous le prétexte de prendre l’air,
& de se rendre à l’endroit dont ils
étoient convenus, où le nœud
indissoluble fut formé ; après quoi elle
revint au logis, où un jour entier
s’écoula sans qu’on eût le moindre
soupçon de ce qui étoit arrivé. Le jour
suivant, quelqu’un informa sa mère, soit
par accident ou de dessein prémedité,
qu’elle s’étoit entretenue fort
étroitement avec Vulpon~i dans la loge,
& qu’ils paroissoient si fort
occupés l’un de l’autre, qu’ils ne
faisoient aucune attention ni à la
piéce, ni aux spectateurs. Cet avis
alarma cette excellente Dame ; cependant
ne sachant point si elle ne devoit pas
le confondre avec celui qu’elle avoit
reçu précédemment, & qui ne s’étoit
pas confirmé, elle résolut de n’y pas
ajoûter foi jusqu’à ce qu’elle s’en fût
éclaircie ; s’imaginant qu’elle y
réussiroit aisément, en s’en informant de la Dame qui étoit allée
avec sa fille à la Comedie, Mais que son
inquiétude & ses craintes
redoublerent, lorsqu’étant à sa toilette
& se deshabillant pour se mettre au
lit, elle vit entrer dans sa chambre son
illustre Epoux, avec une agitation
qu’elle ne lui avoit jamais remarquée ;
& qu’ayant ordonné à sa femme de
chambre de sortir, il lui demanda avec
précipitation, où étoit Lindamire~i ?
Elle lui repondit, qu’elle venoit de la
quitter, & de se retirer dans son
appartement. Sur quoi il repliqua avec
un soupir, qu’il doutoit beaucoup, si
elle meritoit actuellement un
appartement dans sa maison ; ensuite il
continua à instruire son Epouse, qu’il
étoit bien assuré par ceux qui l’avoient
vû de leurs propres yeux, que
Lindamire~i avoit été le matin du jour
précédent avec Vulpon~i dans un fiacre,
& qu’ils alloient fort vite du côté
de la Cité : d’où il ne pouvoit
s’empêcher de conclure, ou qu’ils
étoient déjà mariés, ou qu’elle étoit
trop engagée pour que son honneur &
sa reputation lui permissent de rompre.
Il en auroit dit d’avantage dans l’excès
de la colère & du chagrin dont il
étoit saisi, si la
tendresse qu’il ressentoit pour son
épouse, & le desordre qu’il
remarquoit dans ses regards & dans
ses gestes ne l’en avoient pas empêché.
Après que leur émotion fut un peu
calmée, ils firent venir leurs
domestiques l’un après l’autre, &
s’informerent fort exactement si on
n’avoit remis aucune lettre ou fait
aucun message à Lindamire~i ; mais ils
l’ignoroient tous absolument, ou ils
prétendoient seulement de n’en rien
savoir, ensorte qu’ils n’en purent tirer
aucune lumière, si non qu’elle étoit
sortie de bonne heure le matin du jour
précédent, suivie d’un seul laquais,
qu’elle avoit laissé à la porte du Parc,
& qu’il ne l’avoit plus vûe ensuite,
jusqu’à ce qu’elle fût revenue au logis
dans un fiacre. Toute cette nuit se
passa à examiner & à debattre
comment ils decouvriroient la vérité.
Ils étoient trop aigris pour
l’entretenir avec quelque moderation ;
ainsi ils résolurent enfin que son père
lui écriroit, ce qu’il fit de cette
manière.
A cette lecture il ne leur resta
plus aucun doute ; cet illustre couple
s’apperçut alors que ce qu’ils avoient
pris tant de soin à prévenir étoit
arrivé & ne souffroit plus de
remede. Quelle dût être
leur trouble & leur affliction ! Il
faut être père & se trouver dans les
mêmes circonstances pour le concevoir.
Cependant <sic> leur colere
l’emporte encore sur leur chagrin. Cette
reponse leur sembloit un peu trop
hardie, & quoiqu’ils lui eussent
ordonné de dire la vérité, ils pensoient
qu’elle auroit dû le faire d’une manière
plus soumise ; & la regardant comme
une personne qui avoit abusé de leur
indulgence, affronté leur autorité,
déshonoré leur maison, & renoncé en
quelque manière à toute prétention à
leur bontés, il <sic> lui
envoyerent sur le champ ordre de quitter
la maison dans le même instant, & de
ne se presenter jamais devant eux dans
la suite. Lindamire~i après avoir reçu
cet ordre, envoya messages après
messages, pour implorer leur grace &
leur bénédiction ; mais ils furent
sourds à toutes ses instances, &
elle se vit obligée de partir ; après
quoi ils se retirerent à leur Terre pour
dissiper leur chagrin, & afin de
n’entendre rien sur un sujet qui leur
étoit si désagréable. D’un autre côté
Vulpon~i conduisit son aimable Epouse
dans une agréable retraite qu’il lui
avoit préparée, en cas que quelque
accident vint à découvrir
leur mariage plutôt qu’ils se le
proposoient. On fait bien des
conjectures en ville sur les suites de
ce mariage ; mais je pense qu’il ne peut
être qu’heureux, pouvû que Lindamire~i
continue à trouver Vulpon~i doué des
mêmes qualités qui l’ont déterminée à
faire ce choix, & que ses illustres
Parens daignent enfin approuver leur
amour.
Metatextualität
Aussi je suis bien éloignée
de regarder ceci comme un exemple de mon
opinion, & je m’imagine que le
lecteur pensera comme moi, quand je lui
aurai fait le récit de la manière dont
s’est conclue ce mariage clandestin. Je
tiens ce recit d’un Sylphe, que
j’employe à examiner la conduite de ces
personnes que la nature a douées de
charmes supérieurs.
Ebene 3
Fremdportrait
Lindamire~i montroit dès sa plus tendre
enfance des charmes, qui crûrent &
se perfectionnérent plus elle avançoit
en âge. Du côté de son
père, elle descendoit d’un Prince, qui
avoit été chéri avec raison de ses
sujets durant sa vie ; & du côté de
sa mère, elle venoit d’un Héros, dont on
respectera toujours la mémoire : elle
avoit été élevée dans les principes de
la plus pure vertu ; & ses Parens
également remarquables par toutes les
qualités brillantes qui convenoient à
leur haute naissance, & par leur
affection conjugale, avoient eu soin de
ne la perdre jamais de vûe. Vulpon~i
n’avoit point d’ancêtres dont il pût se
vanter, c’étoit un de ces nobles
modernes, que nous avons vû s’élever
& se multiplier dans ces derniers
tems ; mais pour lui rendre justice, il
n’étoit pas moins redevable de son
avancement à son propre mérite qu’à la
faveur. Il avoit suppléé par son
éducation à ce qui lui manquoit du côté
de la naissance, & l’envie même ne
pouvoit nier qu’il ne fût un Cavalier
accompli.
Ebene 3
Dialog
Lindamire~i, « J’entends dire d’étranges
choses sur votre sujet : si vous ne vous
sentez pas coupable d’avoir rien fait
qui puisse offenser des Parens à qui
vous avez été si chère, ou qui déroge à
votre naissance, ne differez pas de vous
justifier, & de nous convaincre que
vous n’avez entretenu aucune
intelligence clandestine avec Vulpon~i,
ou avec aucun autre homme : mais si vous
êtes coupable, gardez-vous de vouloir
nous tromper, de peur qu’une seconde
faute ne rende la première plus
impardonnable. Vous avez été élevée dans
l’amour de la vérité, prouvez-nous enfin
que vous ne vous êtes pas écartée de ces
vertus, qu’on a eu tant de soin de vous
inculquer. » Il lui envoya cette lettre
par sa femme de chambre, qui un moment
après revint avec cette reponse, scellée
comme la lettre l’avoit été. Mes très honorez parens, « Il est
possible que quelque personne, qui se
mêle de tout, vous aura informés de ce
que je ne puis, ni ne veux cacher,
quoiqu’en le reconnoissant, je n’aie
d’autre merite que ma sincérité, pour
obtenir mon pardon. J’avoue donc que
j’ai hazardé de disposer de moi-même
sans votre permission ; soyez persuadés
que je ne l’aurois jamais fait si
j’avois eu la moindre esperance
d’obtenir un jour votre consentement, ou
si je n’avois pas risqué de perdre mon
repos pour toujours en renonçant à celui
qui est actuellement mon Epoux.
Plaignez, je vous en conjure, la
fâcheuse extrémité à laquelle s’est vûe
reduite, celle qui sera toûjours à tout
autre égard l’obéissante » Lindamire~i
Vulpon~i.
Exemplum
On fait
acutellement de grands préparatifs pour
les nôces de Belfont~i, & de la
jeune Tittup~i. Comme ils pensent tous
deux de la même manière, & qu’ils
s’aiment trop eux-mêmes pour
s’embarrasser beaucoup l’un de l’autre,
ils peuvent s’accorder passablement bien
tandis qu’ils seront dans les mêmes
sentimens : mais, s’il arrivoit que l’un
des deux vint à se reformer, ce qui
seroit pour lui un très grand avantage
dans toute autre circonstance, seroit
alors une malediction pour l’un &
l’autre ; puisque c’est seulement en
persistant dans nos folies, que nous
pouvons les endurer de ceux avec qui
nous sommes obligés de vivre. Donc le
meilleur souhait qu’on puisse faire en
leur faveur, puisqu’on ne peut pas
s’attendre à une conversion reciproque, c’est qu’ils soient
toujours aussi vains, aussi bruyans
& aussi étourdis qu’ils l’ont été
jusqu’ici. De cette manière ils vivront
tranquillement & à leur aise chez
eux, & ils ne seront ridicules que
dans le public.
Exemplum
Le cas
d’Altizire~i est extremément fâcheux ;
quoiqu’elle eût un esprit fort juste,
elle s’est vûe forcée par la tyrannie de
son père, à ´épouser le plus grand fat
qu’il y eût en ville, naturellement foû,
& qui l’étoit devenu encore
davantage par une mauvaise éducation. Il
pense qu’il doit avoir plus de jugement
que sa femme, parce qu’il est homme,
& qu’il lui convient de la
contredire en tout ce qu’elle fait &
ce qu’elle dit, parce qu’il est son
Mari. Elle est assez raisonnable pour se
soumettre à lui comme à son Epoux ; mais
elle craint d’ouvrir la bouche dans une
compagnie où il se trouve, de peur qu’il
ne fasse connoître sa folie ; car il ne
manque jamais en pareille occasion de
chercher à montrer son esprit, en
critiquant ce qu’elle dit. Je ne sais
pas ce qu’elle en pense dans son cœur,
mais je suis sûre que ses amies ne
peuvent ni doivent pas pardonner à son
mari, de ce qu’il les prive par sa
stupidité & par son
arrogance du plaisir que la conversation
d’Altizire~i leur procureroit.
Metatextualität
Comme je suis convaincue que tous les
articles en sont vrais, je m’en amusai
beaucoup, & je crois que le Public
la lira avec plaisir.
Ebene 3
Exemplum
Satire
Le
Cornette Lovely~i ( *1) doit à Rebecca
Facemond~i du 6. Juin 1743. Un
masque de Cheval pour se préserver du
hâle. 1- 1-0 Un masque de nuit pour ôter
les rousseurs. 1- 1-0
Six livres de
pomade de jasmin pour les cheveux. 6-
6-0
Douze pots de crème froide.
1-10-0
Quatre
bouteilles d’eau de benjoin. 1-
0-0
Trente livres de poudre
parfumée. 1-10-0
Trois boëtes de
poudre pour les dents. 0-15-0
Une
éponge à nettoyer les dents. 0-
2-6
Une petite brosse pour le même
usage. 0- 1-0
Six bouteilles d’eau
parfumée pour rincer la bouche. 1-
4-0
Un peigne d’argent pour les
sourcils. 0- 5-0
Deux onces de
poudre jayet pour le même usage.
0-18-0
Quatre boëtes d’excellente
pomade pour les lévres. 1- 0-0
Une
once du plus beau Carmin. 3- 0-0
Six
bouteilles d’eau de fleur d’Orange.
1-10-0
Douze livres de pâte
d’amande. 6- 6-0
Deux livres de
tabac à la bergamotte. 8- 0-0
Trois
bouteilles d’essence ditto.
1-10-0
Six paires de gands de peaux
de chien. 1-10-0
Somme totale 38-9-6
C’étoit vraisemblablement pour sa campagne que ce courageux Héros
fit cette provision ; si elle vient
jamais à tomber entre les mains des
ennemis, il est vraisemblable qu’il sera
plus touché de cette perte, que si
l’armée entière avoit été mise en
deroute, pourvû que sa chère personne
échappe sans une seule cicatrice. Il
faut esperer que des campagnes
fréquentes les corrigeront de cette
mollesse, & que l’exemple des autres
montrera à ces guerriers qui ne font que
d’éclorre, que s’ils veulent acquerir de
la gloire, ils doivent renoncer à cette
vie effeminée, dans laquelle ils avoient
consumé leur jeunesse.
Je ne dis pas qu’un homme doive être
mal-propre, parce qu’il est soldat, ni qu’il
doive négliger toutes les bienséances pour
montrer son attachement à son Etat. Il peut
aussi y avoir de l’affectation à cet égard ;
& j’ôse dire qu’un Officier, qui peut se
procurer une bonne tente pour se défendre
des injures de l’air, & qui aime mieux
coucher sur la dure, n’a pas moins de
vanité, que celui qui auroit son pavillon
tendu en velours & en broderie.
Supporter avec patience & intrepidité
toutes les peines & les
fatigues de la campagne, ne craindre point
le danger quand notre devoir nous y appelle,
est une chose extremement louable &
digne d’émulation ; mais y courir quand on
n’y est pas appellé, lorsque la bravoure ne
sert à rien, c’est une grande folie ; &
le courage dans ce cas, semblable aux autres
vertus, s’il est porté à l’excès, degenère
& se change en vice. Mais ce qui me fait
le plus de peine, c’est d’apprendre qu’un
homme a fait une action courageuse en plein
champ, & qu’il s’en enfle tellement
qu’il se regarde lui-même comme une petite
divinité, & qu’il s’imagine, parce qu’il
a fait son devoir à un égard, qu’il est en
droit de se dispenser de tout autre
obligation. Ebene 3
Exemplum
Satire
Le
Cornette Lovely~i ( *1) doit à Rebecca
Facemond~i du 6. Juin 1743.
Six livres de pomade de jasmin pour les cheveux. 6- 6-0
Douze pots de crème froide. 1-10-0
Quatre bouteilles d’eau de benjoin. 1- 0-0
Trente livres de poudre parfumée. 1-10-0
Trois boëtes de poudre pour les dents. 0-15-0
Une éponge à nettoyer les dents. 0- 2-6
Une petite brosse pour le même usage. 0- 1-0
Six bouteilles d’eau parfumée pour rincer la bouche. 1- 4-0
Un peigne d’argent pour les sourcils. 0- 5-0
Deux onces de poudre jayet pour le même usage. 0-18-0
Quatre boëtes d’excellente pomade pour les lévres. 1- 0-0
Une once du plus beau Carmin. 3- 0-0
Six bouteilles d’eau de fleur d’Orange. 1-10-0
Douze livres de pâte d’amande. 6- 6-0
Deux livres de tabac à la bergamotte. 8- 0-0
Trois bouteilles d’essence ditto. 1-10-0
Six paires de gands de peaux de chien. 1-10-0
Somme totale 38-9-6 C’étoit vraisemblablement pour sa campagne que ce courageux Héros fit cette provision ; si elle vient jamais à tomber entre les mains des ennemis, il est vraisemblable qu’il sera plus touché de cette perte, que si l’armée entière avoit été mise en deroute, pourvû que sa chère personne échappe sans une seule cicatrice. Il faut esperer que des campagnes fréquentes les corrigeront de cette mollesse, & que l’exemple des autres montrera à ces guerriers qui ne font que d’éclorre, que s’ils veulent acquerir de la gloire, ils doivent renoncer à cette vie effeminée, dans laquelle ils avoient consumé leur jeunesse.
Exemplum
Un brave & jeune Officier, que
j’appellerai Amarant~i, fit la cour à
Aminte~i, peu avant l’ouverture de la
dernière campagne. Sa passion fit tout
l’effet qu’il desiroit sur le tendre
cœur d’[Aminte:#F:Aminte~i]. Elle se
confioit trop sur la probité
d’Amarant~i, ou elle n’étoit pas assez
dissimulée pour cacher les sentimens
qu’il lui avoit inspirés. La découverte
qu’il en fit le ravit de joye ; il jura
qu’il ne seroit jamais qu’à
elle, & ils se promirent alors
solemnellement de se marier aussitôt
qu’Amarant~i seroit revenu
d’Allemagne~i, où il s’attendoit que son
Regiment alloit être transporté. Chaque
jour sembloit augmenter leur tendresse,
& il n’y a peut-être jamais eu aucun
couple, dont l’amour dans son origine
promit une félicité de plus longue
durée. Amarant~i témoignoit dans toute
sa conduite qu’il n’avoit de volonté que
celle de sa chère Aminte~i ; &
Aminte~i n’éxigeoit rien de son cher
Amarant~i, que ce qu’elle sçavoit lui
devoir faire plaisir. Enfin le moment
fatal de leur séparation arriva,
accompagné de toutes ces peines qui ne
peuvent être conçues que par ceux qui
aiment. La gloire, qui avoit été l’idole
chérie d’Amarant~i, n’avoit plus de
charmes pour lui, depuis qu’elle
l’arrachoit d’auprès d’Aminte~i ; &
Aminte~i se voiant sur le point de
perdre Amarant~i, sembloit vouloir
consacrer sa vie aux regrets & aux
plaintes. Cependant il falloit se
soumettre à cette cruelle nécessité.
Leurs tendres & melancoliques adieux
se passerent tous en pleurs, en soupirs,
en embrassemens & en
protestations reciproques d’une
constance éternelle. Il n’auroit pas été
possible en voyant leur separation de
decider, lequel étoit le plus touché ;
mais si nous considerons les
circonstances où se trouvoient l’un
& l’autre, nous y trouverons une
très grande difference. Amarant~i aimoit
sans doute alors avec la plus grand
ardeur, il étoit sur le point de perdre
de vûe l’objet de sa flamme, & il ne
savoit pas quand il le reverroit. Mais
dans ce cas même, il n’avoit à combattre
que contre l’absence : au lieu
qu’Aminte~i avoit à ressentir d’autres
peines encore plus terribles. Les
dangers auxquels une vie mille fois plus
chère que la sienne propre alloit être
exposée, la remplissoient de frayeurs
qu’elle avoit de la peine à supporter.
Après le depart de son Amant, elle passa
la plus grande partie de son tems aux
pieds des Autels, à faire des vœux &
des prieres pour sa préservation ;
toutes les instances de ses plus intimes
amies & de ses compagnes ne purent
jamais l’engager à partager avec elles
ces plaisirs & ces divertissemens
qu’elle avoit tant aimés autrefois. Elle
ne vouloit entrer en conversation que
pour s’informer d l’armée ; elle faisoit des questions
continuelles sur ce sujet, étoit gaye
out triste suivant qu’elle apprenoit
qu’elle s’approchoit ou s’éloignoit de
l’ennemi ; chaque Courier qui arrivoit
faisoit palpiter son tendre cœur,
jusqu’à ce qu’elle se fut convaincûe par
une lettre d’Amarant~i, que ses terreurs
avoient été sans fondement. Il lui
écrivit plusieurs fois avant la bataille
de Dettingen~i ; & il lui marquoit
dans la dernière de ses lettres, qu’ils
étoient sur le point de quitter
Aschaffenbourg~i, afin de réunir toutes
leurs forces à Hanau~i, d’où il ne
manqueroit pas de lui écrire une autre
lettre. Celle-ci lui fit plus de plaisir
qu’elle n’en avoit jamais trouvé à
recevoir de ses nouvelles ; parce que
dans le cas d’un engagement avec les
François, le nombre des troupes
combinées empêcheroit qu’elle n’eût
autant à craindre pour celui qui
occupoit toutes ses pensées. Mais que
devint-elle, quand au lieu de recevoir
cette agréable nouvelle qu’elle
attendoit, que l’ennemi auroit fui
devant eux sans qu’il y eût un seul coup
donné, elle apprit qu’il y avoit eu une
sanglante bataille, que quantité de
braves gens étoient restés
sur le carreau de part & d’autre,
& qu’Amarant~i étoit du nombre des
tués ! Ce seroit en vain qu’on voudroit
décrire ce qu’elle sentit à l’oüie de
cette nouvelle : son chagrin & son
desespoir furent sans bornes, &
surpasserent tout ce qu’on en peut
dire : je me contenterai d’assurer
qu’ils étoient trop violents pour
continuer plus long-tems, & qu’ils
auroient été terminés avec sa vie, si
elle n’avoit pas reçu des nouvelle
différentes & plus consolantes. Les
blessures qui avoient donné lieu au
bruit de la mort d’Amarant~i, étoient
dangereuses, à la vérité, mais n’étoient
pas mortelles, & ses amis avoient
plus de sujet de le féliciter que de le
plaindre, puisqu’il s’étoit acquis, en
les recevant, un honneur immortel. Il
est certain qu’il se conduisit dans
cette action avec la plus grande
intrepidité, & que bien loin de
trembler en voyant tomber ceux qui
étoient à ces côtés, il paroissoit
plutôt animé d’un nouveau courage à
venger leur mort ; & quoique le
Régiment où il étoit eût beaucoup
souffert, qu’il eût reçu lui-même
plusieurs blessures, il ne voulut jamais quitter le champ de
bataille, jusqu’à ce qu’un coup fatal à
la tête l’étourdit entièrement, & le
fit tomber mort, suivant toute
apparence. Comme sa valeur lui avoit
fait des amis, même parmi cuux
<sic> qui n’avoient avec lui
aucune liaison, il fut d’abord rélevé,
mais il resta quelques heures sans
donner aucun signe de vie ; ainsi il
n’est pas surprenant, que parmi la
confusion où l’on se trouvoit après la
bataille, on eût mis le nom de ce jeune
Héros dans la liste des tués, qui avoit
été envoyée. Aminte~i apprit son
rétablissement, & les éloges que
chacun donnoit à son mérite, avec un
plaisir qui répondoit à son amour ; mais
il ne lui fut pas possible de ne pas
sentir quelques alarmes, quand elle
apprit qu’il avoit écrit à d’autres
personnes, pendant qu’elle n’en avoit
pas reçu la moindre ligne dès la
bataille, elle qui se flattoit d’être la
première pour qui il dût mettre la main
à la plume. Mais ce n’est pas sans peine
que nous en venons au point de penser
desavantageusement de ceux que nous
aimons ; sa tendresse lui prêtoit des
excuses, que peut-être il n’auroit pas
eu l’adresse d’imaginer,
& elle aimoit mieux imputer le
silence de son Amant à toute autre
cause, qu’à son changement.
L’éloignement étoit considérable ; les
couriers avoient pû partir avant qu’il
eût le tems d’écrire ; la poste avoit pû
s’égarer, ou peut-être avoit-il été
détaché dans quelque endroit d’où il ne
venoit aucun courier ; & que les
lettres qu’il envoyoit passoient par les
mains de certaines personnes, à qui il
ne vouloit pas confier le secret de leur
correspondance. De cette manière elle
calma son desespoir, jusqu’au retour
d’Amarant~i, & quoiqu’elle fût
resolue de lui reprocher sa négligence,
elle ne doutoit pas qu’il ne scût se
justifier si bien, qu’elle-même seroit
obligée de lui demander pardon pour
l’avoir soupçonné si injustement. Elle
ne fut donc véritablement malheureuse
qu’après son arrivée, lorsque plusieurs
jours s’écoulérent sans qu’elle l’eût vû
ou qu’elle en eût recû aucune nouvelle.
C’est aussi ce que tout son amour &
toute sa tendresse ne purent justifier,
& elle se vit obligée en dépit
d’elle-même, à le regarder comme un
ingrat, & comme un perfide. Son
étonnement, un sentiment de vanité si
naturelle dans cette
circonstance, l’empêchérent quelque tems
de lui faire aucune avance : enfin elle
lui écrivit, & lui reprocha son
changement de conduite avec une si
grande douceur, qu’il paroissoit qu’elle
étoit disposés à lui accorder son
pardon, d’abord qu’il viendroit le
demander. Amarant~i lui fit réponse fort
polie, mais qui n’exprimoit en rien les
empressemens d’un amant. Il s’excusoit
sur l’embarras de ses affaires, qui
l’avoit empêché de lui rendre ses
devoirs, mais qu’il ne manqueroit pas de
s’en acquitter dans son premier moment
de loisir. Il finissoit en l’assurant
que personne n’avoit plus de
consideration pour elle que lui-même,
& qu’il se feroit un honneur de l’en
convaincre s’il s’en présentoit une
occasion ; enfin il se signoit, non
comme autrefois son fidèle Amant, mais
son très humble & très obéïssant
Serviteur. Elle auroit dû être la plus
stupide & la plus insensible
personne de son sexe, si elle ne s’étoit
pas appercûe qu’elle avoit entièrement
perdu un cœur dont elle s’étoit crûe
assurée, & dont elle faisoit tant de
cas ; le sien propre fut tour à tour en proye à la rage &
au chagrin : cependant l’amour y
conservoit encore une place, ensorte
qu’elle ne pouvoit ne dédaigner cet
infidèle, ni renoncer à quelques reste
d’esperance, qu’elle viendroit un jour à
bout de le rappeller. Elle panchoit à se
persuader que si elle le voyoit une
fois, il ne pourroit regarder ces mêmes
yeux, qui étoient, comme il le lui avoit
juré mille fois, la lumière de sa vie,
présentement noyés de pleurs à son
sujet, sans reprendre les premiers
sentimens qu’ils lui avoient inspirés.
Mais ayant attendu sa visite plus de
tems qu’il n’en faut pour mettre à bout
la patience d’une personne qui aime,
& voyant qu’il ne venoit point, elle
lui écrivit une seconde lettre, le
conjurant de ne la pas laisser languir
d’avantage dans l’incertitude, & ne
lui demandant que d’apprendre de sa
propre bouche quel étoit son sort, après
quoi elle ne l’importuneroit plus à ce
sujet. Il se rendit à une invitation si
pressante. On peut aisément deviner la
manière dont elle le reçut, après ce que
j’ai dit de la violence de son
affection ; mais elle-même n’a pû
exprimer l’excessive froideur avec
laquelle il répondit à tout
ce qu’elle put lui dire de plus tendre.
En un mot, il lui donna à entendre,
qu’il regardoit un commerce de tendresse
avec une Dame comme incompatible avec le
caractère d’un guerrier, & qu’il
étoit résolu de s’appliquer uniquement à
remplir les devoirs de son métier. Il
lui dit, que s’il se trouvoit dans une
autre situation, ou qu’il pût accorder
son ardeur pour la gloire avec une
inclination, il lui donneroit la
préférence sur toutes les personnes de
son sexe ; mais qu’il se flattoit
qu’elle seroit assez raisonnable pour
lui pardonner ce changement, puisqu’il
n’étoit occasionné que par son zèle pour
le service de son Roi & de sa
Patrie. Il faut avouer qu’il ne la
trompoit pas sur ce dernier article ;
car, de fait, l’avancement qu’il avoit
obtenu, les applaudissemens d’une armée
entiére, les éloges dont son général
l’avoit comblé, & les complimens
qu’il avoit reçus des Dames de la
première qualité à son retour sur sa
bonne conduite à Dettingen~i, l’ont si
fort enflé, qu’il n’est plus
reconnoissable. Ce maintien autrefois si
doux & si modeste s’est changé dans
un air reservé & hautain, dans un
mouvement de tête
méprisant, dans des regard qui ne
daignent s’arrêter que sur sa propre
personne. En un mot, il paroit un si
grand changement dans ses manières, que
si on peut juger des dispositions de
l’esprit sur de simples gestes, comme on
en a le droit, on doit lui attribuer une
extrême suffisance. On diroit qu’il
s’imagine que ce qu’il a fait le met en
droit d’exiger comme une dette, l’amour
& le respect de tous ceux qui le
voyent, & qu’il est au dessous de
lui de les honorer de son attention,
& beaucoup moins de leur en
témoigner quelque reconnoissance.
Aminte~i avoit donc moins de raison
d’être mortifiée, puisque ce n’étoit pas
une autre beauté, qui l’avoit chassée du
cœur d’Amarant~i, mais plutôt parce
qu’il s’imaginoit qu’aucune femme
n’étoit digne d’un attachement sérieux
de la part d’un homme tel que lui. Elle
fut cependant tout à fait incapable de
supporter ce coup, & elle ne vit pas
plutôt l’impossibilité de rappeller à
elle le cœur d’Amarant~i, que méprisant
toute autre conquête, quoiqu’elle eût
assez de jeunesse, de bien & de
beauté pour en faire de nouvelles, elle
se retira dans une maison
de campagne solitaire, où elle tâche
d’oublier les plaisirs du grand monde
parmi ceux d’une vie champêtre, & où
elle cherche à se distraire par la douce
melodie des aimables habitans des bois
& des bosquets, & à perdre le
souvenir de cette voix qui l’avoit
seduite. Quoique quelques personnes
puissent approuver cette action
d’Amarant~i, il me paroit qu’il y a là
plus du Sauvage que du vrai Héros. L’on
ne peut soutenir que l’amour & la
gloire sont deux choses incompatibles,
sans raisonner contre la nature, &
sans donner un démenti à plusieurs
exemples illustres que lon <sic> a
vûs de nos jours ou dans l’antiquité.
Une épouse sage & raisonnable,
quelque véhemente que soit sa passion,
ne fera jamais si peu de cas de
l’intérêt & de la réputation de son
époux, que d’exiger qu’il neglige son
devoir, pour lui prouver son
attachement.
Ebene 3
Allgemeine Erzählung
Je me
ressouviens d’avoir été un soir à la Comédie, lorsque l’épouse
& deux fils d’un illustre Amiral
entrérent dans une loge ; quelques
personnes qui les connoissoient le
dirent à d’autres, jusqu’à ce que toute
l’assemblée en fut informée : les yeux,
les langues, les mains de tous servirent
d’abord à exprimer leur amour & leur
gratitude pour la famille de ce Héros.
La voix du peuple est la meilleure
trompette de la renommée ; ce ne sont
pas quelques froids panégyriques, ou les
éloges de certaines personnes
intéressées, ou enfin des recompenses
distribuées le plus souvent avec
partialité, qui distinguent le vrai
mérite, mais les éloges & les
bénédictions desinteressés de tout un
peuple : les acclamations que se
faisoient au sujet de cet Amiral
partoient du cœur. Son excellente épouse
s’en apperçut, & en sentit une
satisfaction intérieure, qui se répandit
au-dehors sur tous ses traits, &
donna une nouvelle vivacité à ses
regards. Cependant elle regrettoit sans
doute son époux, languissoit pour son
retour, s’étoit souvent livrée aux
pleurs en particulier, & avoit donné
l’essor à ses tendres inquiétudes sur
les dangers éminens & sans nombre
dont il étoit environné
dans ce tems-là ; mais elle préféroit la
gloire de cet époux à toute la
satisfaction que sa présence auroit pû
lui procurer ; elle la préféroit même à
sa propre vie, puisque c’étoit le cas
que lui-même en faisoit ; c’est pourquoi
elle se plaisoit jusques dans les maux
qu’il souffroit pour la défense de sa
patrie.
Metatextualität
Je pourrois
produire sur ce sujet, pour l’honneur de
mon sexe, plusieurs exemples semblables,
dont j’ai ouï parler, ou que mes
lectures me fournissent ; mais ce que
nous voyons de nos propres yeux nous
frappe davantage, & fait les
impressions les plus profondes & les
plus durables. C’est pourquoi j’ai mieux
aimé parler de cette Dame, dans l’idée
que plusieurs de mes lecteurs avoient
été les spectateurs, comme moi-même, de
son aimable conduite dans cette
occasion, & peut-être aussi dans
plusieurs autres, où je n’ai pas eu le
bonheur de me rencontrer.
Exemplum
Ebene 3
Fremdportrait
Je
voudrois recommander, dans pareil cas,
l’exemples de l’épouse d’un de nos
précédents généraux ; jamais femme
n’aima son mari avec plus de passion,
& n’en reçut plus de marques de
tendresse & d’affection ; elle ne
pouvoit pas de même que tant d’autres
supporter le coup affligeant d’un
depart, sans être saisie de ces émotion
dont j’ai parlé ; & s’appercevant
que la vûe de son desordre faisoit plus
d’effet sur lui qu’elle ne désiroit,
elle le pria de partir à l’avenir sans
prendre congé d’elle lorsqu’ils seroient
obligés de se séparer.
Metatextualität
Il seroit cependant à souhaitter que
cette précaution fût nécessaire dans un
plus grand nombre de ménages ; je dois
en qualité de Specatrice~i, y faire
attention autant qu’il m’est possible,
& je remarque avec chagrin, que
toutes mes recherches me fournissent peu
d’exemples de cette tendresse conjugale,
qui demande autant d’empire sur
nous-mêmes, que cette Dame dont je viens
de parler tâchoit d’en acquerir.
Exemplum
Melinde~i
ne se trouve pas plutôt délivrée de la
présence de Romero~i, qu’elle court
d’une assemblée à l’autre ; coquette
avec le premier joli homme qu’elle
rencontre, elle se fait conduire d’un
bout de la ville à l’autre, envoye
chercher les Cavaliers dans les maisons
à chocolat, en un mot est la plus grande
étourdie qu’il y ait sous le ciel.
Exemplum
Silax~i
prétend que la ville est pleine de
maladie, il persuade son épouse de se
retirer à sa maison de campagne pour y
respirer un air plus pur ; & il n’a
pas plutôt perdu de vûe le carosse qui
enmène sa trop crédule moitié, qu’il
envoye chercher une demie douzaine
d’amis tels que lui, & autant de
filles de joye pour les amuser. Sa
maison est alors un véritable lieu de
débauche, où on ne fait que manger,
boire, danser & se livrer à toute
sorte d’excès ; jusqu’à ce qu’enfin
fatigué de débauche, il vient rejoindre sa femme, & mène
une vie plus réguliére, comme s’il
vouloit faire péntience.
Exemplum
Lelic~i
adoroit Macrobius~i pendant qu’il étoit
auprès d’elle ; mais il n’a pas plutôt
volé où le service de son pays
l’appelloit, qu’elle a cherché à se
consoler dans les bras du propre frère
de son mari. Cependant Macrobius~i
l’avoit épousée sans bien, & ne
l’aime encore que trop pour son propre
repos.
Exemplum
Dorimon~i
n’auroit jamais fait une figure digne
d’envie, s’il n’avoit pas été assez
heureux pour plaire à la jeune, riche
& belle Clotilde~i. En vain ses
amies voulurent-elles la dissuader de le
prendre pour époux, elle ne laissa pas
de le faire, & elle est devenue
l’épouse la plus tendre & la plus
complaisante. Cependant l’ingrat
Dorimon~i insensible aux obligation
qu’il lui a, comme à des charmes qui
devroient fixer tout autre homme, ne
fait que chercher des prétextes pour
quitter Clotilde~i, & passe la
meilleure partie de son tems avec une
créature abandonnée, qu’il a connue par
hazard dans une maison de mauvaise
réputation.
Exemplum
Qui peut refléchir aux
étranges circonstances qui ont separé
Panthée~i de son cher Fidelis~i, à qui
elle étoit même promise, sans être saisi
du plus grand étonnement ! Milette~i sa mère
étoit la maitresse du rusé
& de l’opulent Lacron~i, plusieurs
années avant la mort de son épouse ;
mais elle avoit eu l’adresse de
l’engager à l’épouser s’il devenoit
jamais veuf, ou à lui payer une somme
considerable specifiée dans l’acte
qu’ils en avoient passé. Le destin parut
favoriser leurs vœux ; Lacron~i devint
veuf ; il connoissoit son engagement,
& il se détermina bientôt à épouser
une personne qu’il n’aimoit plus que
foiblement, plutôt de laisser sortir une
somme si considerable hors de sa
famille. Panthée~i étoit dans le même
tems âgée d’environ onze ou douze ans ;
elle avoit été élevée en secret, &
ignoroit entièrement qui étoient ses
Parens, Milette~i l’ayant confiée à une
personne qui avoit été son domestique,
ensorte que Panthée~i ne recevoit rien
que par les mains de cete <sic>
femme, qu’elle regardoit comme une de
ses Parentes. Milette~i, qui avoit
toujours conservé quelque sentiment
d’honneur & de reputation, eut alors
plus de repugnance que jamais à la
reconnoître, & la pauvre fille n’en
fut pas plus heureuse pour toute la
grandeur de sa mère. Etrange caprice
dans les mêmes femmes !
elles ont honte des fruits de leur
crime, & non du crime lui-même.
Chacun savoit qu’elle étoit entretenue
par Lacron~i, pour son amusement dans
ses heures de loisir, & elle n’étoit
pas assez imbecille pour s’imaginer que
ce fût un secret ; cependant elle ne put
supporter la pensée de porter le titre
de mère avant celui de femme ; &
même après son mariage, elle ne voulut
pas laisser paroître une preuve aussi
frappante de ses foiblesses précédentes.
Mais elle jouit bien peu de tems du
titre qu’elle avoit tant désiré ; à
peine avoit-elle paru dans tout son
éclat, qu’elle fut saisie d’un mal
auquel les medecins ne pouvoient donner
aucun nom. Quel qu’il fût, il lui
attaquoit l’esprit & le corps. Elle
tomba dans le délire, & eut quelques
fois des accès si violents de frenésie,
qu’on étoit obligé de la garotter dans
son lit, & cependant elle n’avoit
aucun symptome de fièvre. Elle étoit
dans le même tems consumée d’un mal
intérieur, qui mina tellement sa
constitution, qu’elle devint dans peu de
semaines l’objet le plus digne de
compassion qu’on ait jamais vû, &
qu’elle mourut regrettée de peu de
personnes, excepté de
celles qui profitoient de son secret.
Après la mort de Milette~i, Lacron~i se
mit dans l’esprit de faire venir
Panthée~i chez lui, l’instruit de sa
naissance, & non seulement la
reconnut publiquement pour sa fille,
mais la traita encore avec un soin &
une affection vraiment paternelle. Un
changement de fortune si prodigieux,
auquel elle n’avoit pas même songé, ne
pouvoit que transporter un jeune cœur.
Elle avoit maintenant une foule de
domestiques, tous complaisants, tous
disposés à voler à ses moindres
commandemens ; elle eut alors des joyaux
pour se parer, & les plus habiles
maîtres dans leur art se rendoient chez
elle chaque matin pour l’instruire de
tout ce qui convenoit à son sexe, &
au rang auquel elle venoit d’être
élevée ; cependant elle ne s’en enfla
jamais au point de se donner des airs de
hauteur ; & son élevation bien loin
de la rendre vaine & arrogante, ne
servit qu’à la faire aimer davantage.
Quoiqu’elle ne soit pas une beauté,
l’envie même doit convenir, qu’il y a
quelque chose de doux & de fort
attirant dans son air
& dans ses traits : & si le
hazard amenoit dans une compagnie où
elle étoit ceux même qui avoient le
moins de panchant à la voir à cause de
sa naissance, ils s’engagoient
insensiblement dans sa conversation,
& y trouvoient tant de plaisir
qu’ils auroient voulu le renouveller
souvent. Elle avoit à peine quinze ans,
que ses charmes naissans furent
remarqués de plusieurs personnes de
l’autre sexe ; mais ils n’agirent sur
aucun avec plus de force que sur un
Cavalier de mérite & de naissance
que j’appellerai Fidelis~i. La passion
qu’elle lui inspira fut si forte,
qu’elle dissipa tous les scrupules que
d’autres s’étoient formés sur le
caractère de la mère de cette aimable
fille, & même sur celui du père qui
étoit généralement très peu estimé, pour
plusieurs raison. Lacron~i vit avec
plaisir la passion de Fidelis, à cause
de la qualité de cet Amant ; &
Panthée~i gouta encore plus sa personne
& sa conversation. Elle l’aima
long-tems avant que sa modestie lui
permît d’en faire l’aveu ; mais enfin sa
passion rompit toute contrainte, &
elle le dedommagea des peines qu’elle
lui avoit causées, en lui
avouant que sa tendresse étoit égale à
celle de cet Amant. Ils s’engagérent
alors par un vœu solemnel à ne vivre que
l’un pour l’autre. Hélas ! ils pensoient
bien peu que leur engagement alloit être
sans effet. Fidelis~i étoit le maître de
sa personne, & Panthée~i avoit reçu
de son père des ordres positifs de ne
rien négliger pour enflammer davantage
cet Amant. Il convenoit cependant de
demander son consentement en forme, ce
que Fidelis~i fit de la manière la plus
soumise ; & quoique Lacron~i, pour
déguiser la satisfaction qu’il en
ressentoit, voulût d’abord differer la
cérémonie à cause de l’extrême jeunesse
de Panthée~i, il se laissa aisément
engager à la fixer au sixième jour,
& il ne falloit pas moins de tems
pour faire des préparatifs convenables à
la qualité de l’un & aux richesses
de l’autre. Mais qu’on doit peu compter
sur les choses de cette vie ! Lorsque
ces jeunes Amans également enflammez, se
croioïent dans la plus grande sûreté,
& qu’ils étoient sur le point de
solemniser leur union, ils alloient être
séparés pour toujours ; & cela même
par l’obstacle le plus
cruel & le plus désolant que la
malignité de leur sort eut pû inventer.
Lacron~i n’avoit acquis le bien dont il
étoit en possession, qu’en se permettant
bien de choses, que nul autre avant lui
n’avoit peut-être fait impunément. Il
avoit été souvent poursuivi par ceux à
qui il avoit fait injustice ; mais son
adresse jointe à la corruption de
siécle, l’avoit toujours tiré d’affaire,
& il n’en étoit devenu que plus
hardi dans le vice. Enfin il en vint au
point d’ajouter l’insulte à la fraude,
ce qui irrita tellement certaines
personnes plus puissantes que celles qui
l’avoient poursuivi jusques-là, qu’elles
resolurent de l’attaquer, & de se
perdre elles mêmes, ou de le faire
châtier comme ses crimes le meritoient.
Ceci arriva peu de jours avant celui qui
étoit marqué pour les nôces de Fidelio~i
& de Panthée~i. Ces Amants
ignoroient entièrement cette infortune,
& ils passoient leur tems avec toute
la satisfaction que leur affection
reciproque jointe à leur innocence
pouvoit leur procurer ; pendant que
Lacron~i appelloit à son secours toutes
les ressources de son esprit, afin d’escarter l’orage qui
s’apprêtoit. Il n’avoit plus d’esperance
que sur Imperio~i, dont le pouvoir étoit
incontestable, & qui lui avoit rendu
service dans plusieurs occasions moins
importantes ; mais comment s’assurer
qu’il voulût bien le servir dans
celle-ci ? C’est ce qu’il eut bien de la
peine à imaginer. Enfin son démon
tutelaire, qui ne l’avoit encore jamais
laissé sans quelque subterfuge, lui en
inspira un, le plus noir & le plus
horrible qui lui fût jamais venu dans
l’esprit. Il se ressouvint d’avoir oui
louer à Imperio~i les charmes de
Panthée~i, & il se resolut de la
sacrifier à l’infamie, si en la
prostituant il pouvoit se mettre à
couvert des justes poursuites de ses
ennemis. Dans cette vûe il fut
directement trouver ce grand personnage,
& le pria d’employer son autorité en
sa faveur, lui insinuant adroitement que
Panthée~i regarderoit comme un honneur,
d’être l’esclave de celui qui auroit
delivré son père. Imperio~i, qui étoit
naturellement droit, n’avoit pas aussi
mauvaise opinion de Lacron~i que cet
homme le meritoit, & lui auroit sans
doute rendu service, de tout son pouvoir dans ce cas, sans
exiger une telle condition ; mais comme
il étoit fort galant, il ne put se
refuser à la tentation de posseder une
jeune personne, qu’il avoit souvent
regardée avec des yeux de convoitise. Il
prit donc Lacron~i au mot, & lui
promit de mettre en usage tout ce qu’il
avoit de pouvoir, pour l’accommoder avec
ses adversaires les plus redoutables.
Lacron~i revint chez lui fort content,
ne doutant point que ceux qui étoient le
plus animés contre lui, n’eussent trop
d’égard & de respect pour Imperio~i
pour le desobliger ; mais quand il s’en
ouvrit à Panthée~i, & qu’il lui dit
qu’au lieu de devenir l’épouse de
Fidelio~i, elle devoit se préparer à
être la maitresse d’Imperio~i, il trouva
des difficultés, auxquelles il ne
s’attendoit pas de la part d’une
personne si jeune, & qui étoit dans
une si grande dependance à son égard.
Il employa tour à tour la
persuasion & les menaces, jusqu’à ce
qu’enfin leur force réunie fit succomber
la vertu de Panthée~i, & qu’elle
consentit à une chose qu’elle abhorroit
dans le fond de son ame, plutôt que
d’occasionner en la refusant la ruine de
son père, & de se voire
replongée elle-même dans la misere.
Lacron~i ayant ainsi obtenu ce qu’il
désiroit, la conduisit lui-même dans la
maison d’Imperio~i, où elle demeure
actuellement ; mais si elle s’est
reconciliée avec son sort, c’est ce que
personne peut sçavoir qu’elle-même. A
l’égard de Fidelio~i, il seroit tout à
fait impossible d’exprimer l’excès de sa
rage & de sa douleur, quand il vit
ses esperances d’un bonheur durable
s’évanouir de cette manière. Comme sa
passion pour Panthée~i la lui faisoit
regarder pour la plus parfaite de son
sexe, dès qu’il vit qu’elle le trompoit,
il conçut de l’antipathie contre toutes
les femmes. Dès lors il évita toute
conversation, à moins qu’on ne se
joignît avec lui pour invectiver contre
l’amour & le mariage ; & même de
tems en tems, quand il s’imaginoit être
seul, il s’écrioit, ô Panthée~i !
aimable enchanteresse ! pourquoi le Ciel
a-t-il joint un si beau visage à un cœur
si vicieux & si perfide ? Ses amis
l’ont engagé à quitter la ville, dans
l’esperance qu’il se distrairoit de son
chagrin ; mais ce changement de demeure n’a fait que le rendre
sombre & melancholique de sauvage
qu’il étoit, il est même à craindre que
cette profonde melancholie ne se dissipe
jamais.
Metatextualität
Mais comme
l’histoire de cette jeune Dame est très
remarquable, & que peu de personnes
ont été parfaitement instruites de la
vérité, je ne remplirois pas
l’engagement que je me suis imposé, si
je négligeois de communiquer au public
les principales particularités dont je
suis informée ; c’est pourquoi je vais
remonter à la source de ses infortunes,
qui commencerent au moment même de la
naissance.
Ebene 3
Dialog
Elle eut
même le courage de lui dire, qu’elle
aimoit mieux mourir que de manquer à sa
vertu ; sur quoi il lui repliqua d’un
ton méprisant : si votre mère avoit été
aussi delicate, vous ne seriez pas venue
dans le monder pour me contredire. Ce
cruel reproche sur sa naissance venant d’un père, joint au
rolle <sic> qu’il jouoit dans
cette affaire, la frappa jusques au
cœur ; elle fondit en larmes, ne put
plus prononcer une seule parole, &
fut sur le point de tomber par terre. Il
se repentit alors de ce qu’il avoit dit,
& connoissant la douceur de son
naturel, il tâcha d’en venir à bout par
la modération. Consolez-vous, ma fille,
lui dit-il, votre mère ne m’a été que
plus chère parce que je l’ai toujours
trouvée disposée à recompenser mon
amour ; je n’ai pas eu dessein en vous
parlant ainsi, de vous faire autant de
peine ; vous savez que j’ai pour vous la
plus grande tendresse ; je vous en ai
donné des preuves, & j’espére que
vous avez assez de reconnoissance, pour
m’obéir dans une chose, où non seulement
tout mon bien, mais encore ma vie est en
danger. Il lui apprit ensuite qu’il
avoit plusieurs ennemis, & qu’il
n’avoit aucun ami capable de le servir
excepté Imperio~i.
Fin du second Livre.
1Lovely, en Anglois aimable, Facemond, c’est-á-dire, raccommodeuse de visages.