Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "II. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.2\002 (1716), S. 7-13, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2545 [aufgerufen am: ].


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II. Discours

Zitat/Motto► magnus sine viribus ignis Incassum furit.

Virg. Georg. III. 99, 100.

C’est un grand feu qui n’a, joint de force, & qui s’irrite en vain. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Je ne sache pas qu’il y ait de moïen guére plus éficace, pour éteindre les desirs criminels de la cupidité dans le cœur de l’Homme, que la consideration des idées que Platon & ses Disciples ont euës là-dessus. Ils prétendent que l’Ame retient, dans une autre Vie, les mêmes Inclinations qu’elle a contractées dans celle-ci, & que, soit dans le corps ou hors du corps, elle change aussi peu de nature qu’un Homme qui est à la Campagne ou à la Maison. Ainsi lorsque les Passions brutales en particulier ont une fois pris racine dans l’Ame, il est impossible, selon eux, de les en bannir, il faut qu’elles y demeurent pour toute l’éternité, après qu’elle est dégagée du Corps. Pour confirmer cette Doctrine, ils remarquent, qu’un jeune Homme, adonné à la débauche, plusieurs années de suite, ne fait à la longue, & par degrez, qu’un Vieillard impudique ; que la Passion regne toujours dans l’Esprit, quoiqu’elle soit éteinte dans le Corps, & que le desir char-[8]nel, de même que toutes les autres Habitudes, acquiert de nouvelles forces, à mesure qu’il perd les moïens de se contenter. Si l’Ame, disent-ils, est plus sujette aux Paissions qui la gourmandent lorsque le corps n’a presque aucune influence sur elle, nous pouvons bien supposer qu’elles y dominent lorsqu’elle est délivrée de ses liens. La substance de l’Ame en est empoisonnée ; la Gangrène est si profonde qu’on ne sçauroit jamais la guérir ; l’inflammation durera dans toute l’Eternité.

C’est en ceci, ajoutent les Platoniciens, que consiste la Punition d’un Voluptueux après la Mort. Animé d’une passion qui manque d’Objets & d’Organes propres, il est tourmenté de mille desirs qu’il ne peut satisfaire, & brûle d’une envie insatiable de posseder ce qu’il croit ne pouvoir jamais obtenir. C’est pour cela même, dit Platon, que les Ames des Trépassez fréquentent souvent les Cimetieres, & roulent autour des lieux où leurs corps sont ensevelis, parcequ’elles sont acharnées après leurs anciens plaisirs brutaux, & qu’elles souhaiteroient y rentrer pour en jouïr de nouveau.

Quelques-uns de nos plus habiles Théologiens ont fait usage de cette Idée Platonique, du moins pour ce qui regarde la durée de nos Passions après la Mort, avec beaucoup d’éloquence & de solidité. Platon la pousse un peu trop loin, lorsqu’il y ajoûte l’apparition des Esprits autour des Cime-[9]tieres ; mais si l’on croïoit que les Ames separées tracassent dans ce bas Monde, j’avoue qu’on ne sauroit inventer un Enfer plus digne d’un Esprit impur, que celui de cet illustre Philosophe.

Il semble que les Païens ayent voulu nous décrire les tourmens d’une autre vie, lorsqu’ils disent que Tantale y brûle d’une soif ardente, au milieu de l’eau, qu’il a jusques au menton ; mais qui s’enfuit de ses levres, d’abord qu’il en veut goûter.

Virgile, qui a réduit tout le Systême de la Philosophie Platonique en magnifiques Allegories, pour ce qui regarde l’Ame separée du corps, nous donne la Punition d’un Voluptueux dans l’autre Monde, d’une maniere qui n’est pas éloignée de celle dont il s’agit en cet endroit. Zitat/Motto► « C’est là, dit-il, où l’on voit briller de superbes Lits d’or, qu’on croiroit destinez pour de nouveaux Epoux, & des Tables somptueuses couvertes de mets exquis pendant que la plus cruelle de toutes les Furies y est assise pour empêcher qu’on ne porte la main sur aucun Plat, ou qu’elle menace de tout brûler avec son Flambeau, & ce qu’elle pousse des cris horribles qui jettent la terreur dans l’Esprit. » Voici le Passage en Latin.

Lucent genialibus altis

Aurea fulcra toris, epulæque ante ora paratae
Regifico luxu : Furarum maxima juxta
[10] Accubat, & manibus prohibet contingere mensas ;
Exsurgitque facem attollens, atcque intonat ore.
Æneïd. VI. 607, 611. ◀Zitat/Motto

Mais pour égaïer un peu cette matiere, qui est d’elle-même fort serieuse, & qui seroit capable de rebuter bon nombre de mes Lecteurs polis, si je voulois trop l’approfondir, je les regalerai d’une assez plaisante Avanture, telle que je la trouve dans l’Original, & qu’un des plus savans Hommes du Siècle a citée dans une autre occasion. Mes Lecteurs verront bien qu’elle n’est pas éloignée de mon sujet, & qu’elle est même une image très vive des tourmens qu’enduroit un Tantale, ou de l’Enfer Platonique. Quoi qu’il en soit, Mr.de 1 Pontignan, à qui la chose est arrivée, nous en a donné la Relation suivante.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► « Lorsque j’étois à la Campagne l’Eté dernier, j’eus le bonheur d’y trouver deux charmantes Dames, qui avoient tout l’Esprit, & toute la beauté qu’on peut desirer en des Personnes de leur Sexe avec un grain de Coqueterie, qui me causoit de tems en tems de fort agréables inquiétudes. J’étois amoureux de l’une & de l’autre, suivant ma louable coutume, & j’avois de si fréquentes occasions de les entretenir chacune à part, & de plaider ma Cause auprès d’elles, que je croïois avoir sujet d’en attendre de [11] grandes faveurs. Un soir que je me promenois tout seul dans ma chambre sur le point de me coucher elles y entrerent pour me dire, qu’elles avoient résolu de jouer un plaisant tour à un Gentilhomme qui demeuroit dans le même Logis avec moi, pourvû que je voulusse y tenir mon rôle. Là-dessus, elles me firent un Conte si plausible, que je ne pûs m’empêcher de rire à l’ouïe de leur projet, & de me soumettre à leur discretion. Aussitôt, elles se mirent à m’enmailloter, sur ma Robe de chambre, avec de longues bandes de toile qui tiroient plus de cent verges : Mes bras étoient si bien collez à mes côtez, & mes jambes si près l’une de l’autre, par toutes ces envelopes, que je ressomblois à une Momie d’Egypte. A la vûe de cette Figure antique, plantée par malheur sur mes ergots, une de ces Dames se mit à éclater de rire, & à m’apostropher en ces termes : Dialog► Eh bien Pontignan, nous avons resolu de tenir la promesse que vous nous avez extorquée. Vous nous avez souvent demandé la derniere faveur ; nous voici prêtes à vous l’accorder, & je vous croi trop brave Cavalier pour ne l’accepter pas de bon cœur. Après avoir soutenu un assaut de leurs éclats de rire, je les priai de vouloir me débarrasser de mes langes, & de faire ensuite de moi tout ce qu’elles voudroient. Non, non, dirent-elles, nous vous trouvons fort bien comme vous êtes ; ◀Dialog & là-des-[12]sus elles me firent porter à une de leurs maisons, où l’on me plaça dans un Lit, avec tout mon attirail. La Chambre étoit illuminée de toutes parts ; & je fus mis bien proprement entre deux beaux Draps, avec ma tête, la seule partie de mon corps que je pûsse remuer, sur un Oreiller fort haut. Ces deux Dames vinrent ensuite se mettre à mes côtez, avec leurs plus beaux atours de nuit. Je vous laisse à juger de l’état d’un Homme, qui voïoit deux des plus belles Femmes qu’il y ait au Monde en chemise & au lit avec lui, sans qu’il pût remuer ni pie ni pate. J’eus beau renouveller mes instances, & faire moi-même des éforts pour me dégager, il n’y eut pas moïen d’en venir à bout. Cependant mes agitations leur parurent si violentes, qu’environ le minuit, elles sauterent l’une & l’autre du Lit, & se mirent à crier qu’elles étoient perduës : Mais lors qu’elles virent que mon Maillot tenoit bon & qu’il n’y avoit rien à craindre, elles reprirent leur Poste, & continuerent leurs railleries à nouveaux frais. Engagé, par l’inutilité de mes prieres & de mes éforts, à me tranquiliser du mieux qu’il m’étoit possible, je les menaçai de m’endormir entre elles deux, & de les deshonorer ainsi pour toute leur vie, si elles ne me delivroient de mes liens : Mais helas, que ma menace étoit vaine ! Quand j’aurois eu quelque disposition au sommeil [13] elles me l’auroient bien ôtée, par les petites caresses malignes & les amitiez qu’elles me faisoient. En un mot, tout devoué que je suis au beau Sexe, je ne voudrois pas être condamné à passer une telle nuit pour jouïr de toutes les Femmes du Monde. On aura sans doute la curiosité de savoir ce que je devins le lendemain matin ; Le voici : Mes deux Belles m’abandonnerent à une heure ou environ avant le jour, & me promirent que si je voulois être sage & ne pleurer pas, elles m’envoïeroient une Personne qui auroit soin de moi d’abord qu’il en seroit tems : En effet, environ les neuf heures, une Vieille vint „me démailloter. J’endurai tout ceci avec beaucoup de patience, resolu de m’en venger sur mes cruelles Maîtresses ; & de ne garder aucune mesure avec elles aussitôt que je serois en liberté ; mais lors que je demandai à ma bonne Vieille où avoient tiré ces Dames, elle me répondit qu’elles étoient parties avant cinq heures du matin dans un Carosse à six Chevaux, & qu’elles pouvoient être à la vûë de Paris. » ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

L. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1C’est un nom supposé ; mais l’on prétend que cette Avanture est arrivée au pied de la lettre dans le voisinage de Londres.