Le Spectateur ou le Socrate moderne: I. Discours
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I. Discours
Citation/Motto
Petite hinc,
juvenésque, senésque,
Finem animo certum, miserisque viatica canis.
Cras hoc fiet. Idem cras fiet? Quid, quasi magnum,
Nempe diem donas? Sed cùm lux alrera venit,
Jam cras hesternum consumpsimus : ecce aliud cras
Egerit hos annos, & semper paulùm erit ultra.
Nam, quamvis propete, quamvis temone sub uno
Vertentem sese, frustra sectabere canthum,
Cùm rota posterior currat, & in axe secundo.
Finem animo certum, miserisque viatica canis.
Cras hoc fiet. Idem cras fiet? Quid, quasi magnum,
Nempe diem donas? Sed cùm lux alrera venit,
Jam cras hesternum consumpsimus : ecce aliud cras
Egerit hos annos, & semper paulùm erit ultra.
Nam, quamvis propete, quamvis temone sub uno
Vertentem sese, frustra sectabere canthum,
Cùm rota posterior currat, & in axe secundo.
Pers. Sat. v. 64.-72.
Apprenez de là (je parle aux vieillards aussi-bien qu’aux jeunes gens) apprenez le but & la fin que vous devez vous proposer ; faites provision des vertus & des bonnes qualitez, qui doivent vous servir à passer doucement les fâcheuses & tristes années de la vieillesse. Nous y penserons demain. Demain ! Vous serez demain tout comme aujourd’hui. Attendez un peu, nous ne vous demandons qu’un se jour : est-ce si grande chose? Mais quand demain sera venu, ce jour-ci sera passé comme celui d’hier : il viendra ensuite un autre demain, & puis encore un autre après ; cela ne finira point : vous passerez ainsi toute votre vie. Prenez garde aux roues d’un Chariot ; celles de derriere sont sur la même ligne que celles de devant, & attachées au même timon : Quand le Chariot roule, les roues de derriere roulent en même temps ; mais parce-que celles de devant roulent aussi, il est impossible qu’elles s’attrapent.
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Mes Correspondans sur le chapitre de
l’Amour sont en si grand nombre, que j’ai dessein de les ranger,
s’il est possible, sous différentes Classes, & de les
entretenir chacune à son tour. La premiere, à laquelle je
destinerai ce Discours, est de ceux qui se trouvent engagez avec
des Belles d’une humeur irrésolue, qui veulent qu’on leur en
conte plusieurs années de suite, incapables de se rendre aux
sollicitations de leurs Amans, ou de les congedier.
Pour bannir de la Societé un Mal, qui ne cause pas
seulement de grandes inquiétudes aux Particuliers, mais qui peut
avoir une dangereuse influence sur le Public, je tâcherai de
faire voir le ridicule de cette Humeur indéterminée, par deux ou
trois Réfléxions, que je prie le beau Sexe de
vouloir bien peser. i. Je souhaiterois en premier lieu que les
Belles fissent une attention serieuse à la brieveté de leurs
jours. La vie n’est pas assez longue pour donner le loisir à une
Coquette de mettre en jeu tous ses artifices. Une Dame craintive
tombe dans sa Fosse, avant qu’elle ait déliberé sur le parti
qu’elle doit prendre. Si les Hommes atteignoient aujourd’hui à
l’âge de nos Peres avant le Déluge, une Dame pourroit sacrifier
une cinquantaine d’années à un petit scrupule, & demeurer
indéterminée l’espace de deux ou trois Siecles. Si elle avoit
neuf cens années de vie, elle pourroit atteindre la Conversion
des Juifs avant qu’elle jugeât à propos de se déclarer. Mais
helas! elle doit jouer son rôle bien vîte, si elle pense qu’il
lui faudra quiter la Scène tout d’un coup, & ceder sa place
à d’autres. 2. En deuxiéme lieu, je voudrois que les Filles
considerassent, que si le terme de la Vie est court, celui de la
Beauté l’est infiniment davantage. Le plus beau visage se ride
en peu d’années, & perd si-tôt la fraîcheur & l’éclat de
son coloris, qu’à peine avons nous le tems de l’admirer. Je
pourrois illustrer mon sujet par l’exemple des Roses, de
l’Arc-en-Ciel, & diverses Comparaisons de cette nature ;
mais peut-être y reviendrai-je une autre fois. 3. Enfin, une
Indéterminée doit penser au danger qu’elle court de se rendre
amoureuse à l’âge de soixante ans, si elle ne
tâche pas de se délivrer plûtôt de ses doutes & de ses
scrupules. Il y a une espece d’arriere Saison Printanniere, s’il
m’est permis d’employer ce terme, qui envahit quelquefois le
cœur d’une Vieille, & qui la rend le plus grotesque objet du
Monde. C’est à quoi je souhaiterois que les Indéterminées
voulussent réfléchir. Cependant on auroit tort de croire que je
veuille décourager, dans le Sexe, cette Modestie naturelle, qui
ne leur permet pas de recevoir les premieres offres d’un Amant,
& qui fait accompagner leur refus d’un air agréable &
civil. Tout le but que je me propose, est de les avertir, que si
la Raison & l’Inclination se trouvent de la partie, elles ne
doivent balancer qu’autant que les Formalitez & la
Bienseance l’exigent. Une Fille vertueuse doit rejetter du
premier coup un Mariage qu’on lui offre, comme un honnête
Ecclesiastique refuse un Evêché ; mais je ne conseillerois
point, ni à l’un ni à l’autre, de perseverer dans le refus de ce
qu’ils souhaitent avec ardeur. L.
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Metatextuality
J’ai une foule de Lettres où
l’on se plaint amerement de ces Cruelles. Un Homme de
Robe & à Calote de Satin noir m’en a écrit une, pour
me dire, qu’il commença ses Instances l’An
vingt-neuviéme du Regne de Charles ii, avant qu’il eût
été une année au College en Droit ; qu’il avoit continué
ses poursuites plusieurs années après avoir
plaidé au Barreau ; qu’il est aujourd’hui Docteur en
Droit Civil ; & que malgré l’esperance, où il étoit
depuis long-tems, d’en venir à une Décision finale, sa
Maîtresse est toujours indéterminée. Je
vois par la Lettre d’un autre Amoureux, qui se
nomme Thirsis, que sa Belle est irrésolue depuis plus de
sept ans. Mais celui de tous ces Plaintifs, dont le sort
me touche le plus, est le riche & le passionné
Philandre, qui me représente que la craintive &
l’irrésolue Sylvie a si bien differé, qu’elle n’est plus
en état d’avoir des Enfans. La Lettre, que j’ai reçu de
Strephon, insinue qu’il est d’un tempérament bilieux,
& si charmé de sa Belle, qu’il n’en démordra jamais,
quoiqu’elle soit indéterminée par un principe d’intérêt.
Il me dit en grande colere, qu’il en a été la Dupe
durant toute sa jeunesse : qu’elle l’a amusé jusqu’à
l’âge de cinquante cinq ans, & qu’elle pourroit bien
l’abandonner sur ses vieux jours, si elle trouve un
meilleur Parti. Je finirai cet Article par une Lettre
que l’honnête Sam. Hopewell1m’a écrite : C’est un
Homme fort agréable en Compagnie, ami de la Bouteille,
& qui s’est enfin marié avec une de ces
Indéterminées, après avoir servi de jouet à ses Amis, à
l’occasion de ses Amours, depuis l’année mille six cens
quatre-vingt-un.
Heteroportrait
L’expression me paroît si juste, que
j’appellerai ces Dames les Indéterminées.
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Letter/Letter to the editor
« Vous n’ignorez pas,
mon cher Monsieur, quelle a été ma passion pour
Mademoiselle Marthe, ni par quels labyrinthes elle
m’a conduit. Je n’avois que vingt-deux ans lorsque
je me dévouai à son service, & j’en ai perdu
plus de trente à chicaner avec elle. Je l’ai aimée
jusqu’à ce qu’elle est devenue aussi grise qu’un
Chat, & j’ai eu beaucoup de peine à l’obtenir
à la fin, telle qu’elle est aujourd’hui.
Cependant, elle paroît à mes yeux une charmante
Vieille. Nous poussons à la verité bien des
regrets ensemble, de ce que nous ne nous sommes
pas mariez plûtôt ; mais elle ne doit s’en prendre
qu’à elle-même : vous savez qu’elle n’a jamais
voulu en venir à une conclusion avec moi, jusqu’à
ce qu’il ne lui ait pas resté une seule dent à la
bouche. De sorte qu’au lieu d’une Devise autour de
ma Bague de Noces, j’y ai fait graver ces mots,
l’An trente, uniéme de mon Amour. J’attens de vous
là-dessus une Epître congratulatoire, ou une
Epithalame, si vous nous en croïez dignes. Je
serai toute ma vie le très humble serviteur de ma
chere Marthe, & le vôtre. »
1C’est à dire, Qui est plein d’esperance