Le Monde comme il est (Bastide): No. 60
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N°. 60. Du Mardi 5 Août 1760.
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Allgemeine Erzählung
pour bien des femmes, d’avoir
à choisir entre un Amant pauvre & un mari riche. Ce
dernier se nommoit Rizis, & joignoit à une grande
fortune, la naissance & le mérite. Il adoroit Eglé,
il s’offrit lui-même. Sa proposition fut la déclaration
la plus tendre ; Zamor lui-même ne s’étoit jamais
exprimé plus tendrement. Eglé éprise d’amour, ne
connoissant de bonheur, que de vivre pour son Amant, ne
fut point embarrassée à répondre : elle sçavoit qu’elle
avoit affaire à un honnête homme : l’aveu de sa passion,
fut l’excuse de son refus. Rizis admira sa vertu,
respecta son secret, & déguisa sa douleur, pour lui
épargner une pitié qu’une ame aussi tendre, ne refuse
jamais, & qui auroit troublé un bonheur aussi
respectable. Eglé avoit fait ce sacrifice
sans violence, il ne lui en coûta pas plus de le faire
sans indiscrétion : elle eût voulu l’apprendre à Zamor,
non pour s’en vanter ; mais pour lui prouver toute sa
passion. La crainte de l’humilier, & de lui donner
des inquiétudes pour l’avenir, l’emporta sur le penchant
le plus doux à suivre ; & dès qu’elle eut senti tout
ce que Zamor pouvoit y perdre, elle ne vit plus ce
qu’elle y pouvoit gagner ; mais Rizis n’étoit pas obligé
à la même discrétion : sa douleur extrême avoit besoin
d’un soulagement. De mille qui s’offrirent à son
imagination, il préféra celui qui s’accordoit mieux avec
le respect qu’Eglé lui avoit inspiré. Il écrivit cette
lettre à Zamor :
Zamor vola aux genoux d’Eglé : ce n’étoit que là
qu’il pouvoit reconnoître la nouvelle faveur qu’elle
venoit de lui accorder. Une générosité aussi admirable,
lui imprimoit un respect qui passoit dans tous ses
sentimens. Eglé répondit à ses discours avec cette
modestie des cœurs qui regardent leurs bienfaits, comme
un avantage sur les autres qu’ils doivent leur adoucir.
Vous donnez un trop beau nom à ce que j’ai fait,
lui-dit-elle ; les plus grandes preuves d’amour ne sont plus des faveurs, dès qu’on y trouve
soi-même un charme qui en est la récompense. Ah ! Eglé !
Eglé, répondit Zamor, ne retranchez rien de vos
bienfaits ; laissez-moi croire qu’à force de les sentir,
je puis les mériter. Les parens de Zamor avoient pour
lui une tendresse qui n’étoit que de l’ambition. Ils
voulurent l’établir avantageusement : pour éviter les
importunités cruelles, il s’expliqua dès la premiere
fois qu’ils lui en parlerent. Ils sçavoient qu’il voyoit
Eglé tous les jours ; ils soupçonnerent sa passion,
& l’éloignement le plus prompt, fut le remede qu’ils
apporterent à ce qu’ils appelloient sa phrénésie. Il
fallut obéir : mais où trouver des consolations ! Il
alloit perdre Eglé, & elle ne seroit plus défendue
par son ardeur contre les persécutions que ses charmes
lui attiroient de toutes parts. Il partit dans cette prévention affreuse : il aimoit trop
pour n’être pas injuste. Il fut à peine arrivé au lieu
de son exil, qu’il tomba malade. Il fut bientôt en
danger : ses parens en furent informés, & le bruit
s’en répandit. Que devint la sensible Eglé, en
appreprenant <sic> cette nouvelle ! Elle avoit
épuisé l’effort des bienséances en consentant au départ
d’un Amant adoré : Zamor lui avoit proposé les partis
extrêmes ; elle avoit préféré de le pleurer toujours à
l’exposer un moment. Mais toutes les considérations
cedent au désespoir où la plonge une nouvelle
accablante : elle prévoit toutes les suites de sa
démarche, & les réflexions qu’elle fait malgré elle,
& qu’elle se reproche, lui prêtent une nouvelle
ardeur : elle vole où l’amour transformé en vertu, vient
de marquer sa place. Elle trouve Zamor expirant : ses
larmes bienfaisantes coulent dans le sein
d’un Amant, qui ne peut plus vivre qu’en s’en abreuvant.
Zamor renaît, & sa guérison subite le flatte plus
par la faveur qui en est le principe, que par tous les
plaisirs qui en seront l’effet. Il revoit à peine la
lumiere ; il jouit à peine des embrassemens d’une
Maîtresse adorable, qu’il n’est plus occupé que du
danger où elle est exposée. Il lui propose la fuite la
plus prompte. Eglé n’a pas les mêmes terreurs que lui :
elle aime assez pour braver les murmures de la gloire
& le courroux de ses parens : mais on a voulu la
séparer de Zamor ; on prendroit des précautions pour
l’en séparer à jamais. Cette idée se grave dans son
esprit, & décide sa réponse. Ils partent : Eglé y
excite Zamor ; c’est elle qui a tout préparé pour leur
départ. Elle est dans l’âge des graces, des plaisirs
& des amours : elle eût pu vivre heureuse &
brillante ; mille fortunes lui étoient offertes, mille amans n’attendoient qu’un regard pour
tomber à ses pieds : elle va perdre tout l’honneur de la
beauté : elle vivra dans la solitude obscure : elle
sentira l’affreuse indigence. . . tout ce qu’elle va
perdre & tout ce qu’elle va souffrir, est un nouvel
aiguillon pour elle. L’excès de son courage naît de ses
sacrifices ; le nom de faveur que Zamor donne à tout ce
qu’elle fait pour lui, la flatte plus que toutes les
couronnes. Un héroïsme si touchant trouve des
protecteurs dans le ciel & dans les hommes. Ils
arrivent dans une ville où ils se croient en sûreté sous
un nom étranger ; ils sont reconnus par un oncle de
Zamor, que ses affaires viennent d’y conduire. C’est un
Dieu tutelaire que l’Amour a placé sur leur passage. Il
est assez tendre pour protéger des amans, il est assez
riche pour faire des heureux : il leur fait bientôt
éprouver l’un & l’autre. Il écrit aux maîtres de leur destinée : il demande leur aveu pour
une union qu’il croit déjà signée dans le Ciel ; il
l’obtient, & tout son bien est le prix de leur
consentement. Eglé & Zamor reçoivent la récompense
de leur grand amour. Leur joie pénétre les témoins : ils
semblent se voir & s’aimer pour la premiere fois.
Eglé toujours plus tendre, paroît tous les jours plus
nouvelle à Zamor : en lui prodiguant tous les plaisirs
de la passion, elle en fait autant de faveurs par l’air
d’accorder qu’elle a, sans le prendre : il reçoit encore
ce qu’il a épuisé.
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Brief/Leserbrief
« Vous possédez un
trésor ; en connoissez vous le prix ? souvent
l’excès du bonheur nous empêche de le connoître.
Un rival malheureux peut vous fournir des lumieres
nouvelles ; c’est tout ce qu’il osera
jamais se permettre d’une passion immortelle,
réduite au respect & à l’admiration. Mais
quand je vous apprends combien Eglé est au-dessus
de l’opinion que vous avez pû prendre d’elle ;
quand je vous rends un service qui ne peut être
reconnu, me rendrez-vous ce que vous me devez, me
donnerez-vous la consolation d’avoir été utile à
Eglé ? Vous le pouvez, vous le devez : ici le
devoir devient plaisir ; heureux qui peut en avoir
de si doux à remplir ! Vous connoissez mon rang
& ma fortune : Eglé vient de me refuser, à ses
genoux. L’offre d’un établissement brillant, les
sermens de l’amour, les larmes du désespoir n’ont
abouti qu’à augmenter sa passion par le plaisir de
vous les sacrifier. Jugez du cœur d’une femme si
tendre, si génereuse : jugez aussi de vos
devoirs ; ils ne peuvent être remplis que par une
passion qui égale la mienne. Une
ardeur extrême vient d’apprendre à Eglé combien
elle mérite d’être aimée ; & si elle ne
retrouvoit pas mes sentimens dans les vôtres, elle
seroit en droit de vous accuser d’ingratitude : ne
méritez jamais ce reproche deshonorant ; tout vous
y invite. Hélas ! vous devez juger de la douceur
qu’on goûte à mériter d’être aimé, par les
consolations que je trouve dans la délicatesse de
mes sentimens ».
Metatextualität
Avis. Je n’ai point la
vanité de croire que mon livre soit ni bien utile ni bien
agréable, cependant il a attaché quelques
personnes depuis sa naissance, & leur goût ainsi que
leur estime eût suffi pour me rendre facile, la continuation
d’un travail pénible. Mais l’agrément que j’aurois trouvé à
plaire à quelques êtres sensibles, n’a pû me faire oublier
que j’écrivois peut-être inutilement pour le reste de mes
Lecteurs. Depuis que j’ai commencé cet Ouvrage, on a vû
naître des guerres litteraires pour lesquelles le Public a
pris généralement parti : ces guerres ont fait naître des
libelles, & ces libelles n’ont cessé un moment d’occuper
& d’emporter les esprits. La curiosité y est fixée :
vainement espéreroit-on, en ce moment, de se faire lire par
des Ecrits même infiniment supérieurs aux miens.
J’interromps donc mon ouvrage ; j’attendrai la paix des
esprits & une meilleure saison, pour le continuer, &
j’espere qu’au mois de Novembre, je pourrai donner avec
quelque succès mon troisieme Volume en entier. Il est déja
tout prêt.
Metatextualität
Avis.