Cita bibliográfica: Jean-François de Bastide (Ed.): "No. 44", en: Le Monde comme il est (Bastide), Vol.2\014 (1760), pp. 157-168, editado en: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Los "Spectators" en el contexto internacional. Edición digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2532 [consultado el: ].


Nivel 1►

No. 44. Du Samedi 28 Juin 1760.

Nivel 2► Nivel 3► Relato general► « Justice est là : j’ai pu d’un bon témoin ;

Et piés qu’enfin l’affaire est entreprise,

J’y magerai, jarni, s’il est besoin,

Jusqu’à ma cotte, & jusqu’à ma quemise :

J’en ai juré no-z-en verra l’effet.

Or écoutez ; Monsieu <sic>, que je vous dise,

Sans brin mentir, quement cela s’est fait »

Et là-dessus la pauvre créature,

De point en point conte son aventure ;

Dans son récit ennuyeux, importun,

Mettant vingt mots où l’on n’en vouloit qu’un,

Et caquettant <sic> sur le ton le plus aigre.

Comme la poule étoit un peu trop maigre

Pour un renard qui n’étoit pas à jeun,

Maître Robert en prenant la parole,

Alors tâcha de renvoyer Margot,

Par ce sermon. « Quoi ! plaider pour un mot,

Ma bonne femme, helas ! êtes-vous fole ?

Qui veut plaider dans le siecle présent,

Réussit mal, s’il n’a beaucoup d’argent.

[158] En avez-vous ? soit dit sans vous déplaire,

Il me paroît que vous n’en avez guere,

Et je vous plains, car enfin sans cela,

Vous aurez beau chanter, justice est là.

Ainsi, Margot, si vous voulez m’en croire,

Vous jetterez votre exploit dans le feu,

Et sagement, vous perdrez la mémoire

D’un mot qui n’est, tout bien pesé, qu’un jeu.

Comptez-vous donc, que toujours on vous flate ?

Ne pouvez-vous souffrir un pareil mot,

Sans que soudain votre courroux éclate ?

On est bien fou, pour ne pas dire sot,

D’avoir l’oreille à tel point délicate :

Tenez, voyez, nous autres Procureurs ;

Il sembleroit qu’on auroit pris à tâche,

De nous traiter tous les jours, de voleurs,

Et cependant nul de nous ne s’en fâche.

Imitez-nous, Margot, vous ferez bien.

Ce nom d’ailleurs nous nuit-il ? moins que rien. . . .

Ah, ah ! Monsieu <sic>, ça, dit la Campagnarde,

[159] Est différent ; car c’est prenez y garde,

votre métier, mais ce n’est pas le mien. » ◀Relato general ◀Nivel 3

Nivel 3► Metatextualidad► Lettre écrite de dessous le cadran des Capucins du Marais. ◀Metatextualidad

Carta/Carta al director► Monsieur,

Metatextualidad► Je croirois faire une injustice au Public, si je ne vous faisois part d’une aventure qui m’est arrivée la nuit du mercredi au jeudi dernier 22 de ce mois.

La voici telle qu’elle est sans déguisement, sauf à quelques défauts d’ortographe que je vous prie de corriger. ◀Metatextualidad

Sortant de chez moi mercredi à cinq heures du soir pour vaquer à mes affaires, je fis rencontre de deux hommes que je ne connois que foiblement ; après un quart-d’heure de conversation dans la rue du Temple, au coin de la rue Mêlée, un d’eux dit ; est-ce que nous ne buvons pas bouteille ? cela à l’air Savoyard, de rester à causer si long-tems au coin d’une rue : je vou-[160]lus m’en défendre, disant que le tems ne me le permettoit pas : ils me prirent chacun par un bras, à la force je ne pus résister. Il fut question de choisir un cabaret honnête. La premiere séance fut chez un Suisse de porte dans le quartier, où nous restâmes jusqu’à environ neuf heures du soir ; en sortant ce fut des complimens & des bons soir sans fin ; moi qui sentois que l’heure m’appelloit, je voulus m’en aller, ces Messieurs trop polis dirent, nous allons vous reconduire un bout de chemin ; je ne fus jamais plus surpris, qu’à la premiere place de Fiacres, un d’eux ouvrit la portiere d’un, & l’autre me prit au travers du corps, me jetta dedans & y monterent tout deux en disant au cocher, mene-nous chez Ramponneau. Je ne voulois pas consentir à aller chez Ramponneau : quoi qu’il en fût nous y arrivâmes. Là nous fîmes la seconde séance. En sortant nous nous rembarquâmes dans notre voi-[161]ture ; je dis au cocher de me descendre à la porte du Temple. J’ai tout lieu de croire que l’on avoit donné au cocher le mot du guet ; car il n’a pas été étonné de tout ce qui s’est passé dans son fiacre. Ces Messieurs par force m’ont bandé les yeux d’un mouchoir, & je ne sçai où l’on m’a mené. Après environ deux heures de marche au grand trot, l’on dit arrête, cocher ; mes deux argousins me prirent, l’un par la tête, & l’autre par les pieds, & m’ont porté je ne sçai où ; mais je sçai que j’ai passé une mauvaise heure, j’étois enfermé dans une espece de salle assez grande ; il y avoit dans le milieu un assez mauvais lit sur lequel on me coucha, & l’on me débanda les yeux ; je n’en voyois pour cela pas plus clair ; j’avois beau regarder, plus j’ouvrois les yeux & moins je voyois ni n’entendois ; je criois de toutes mes forces, Messieurs, Messieurs, où êtes-vous ? Mot. Je descendis de mon lit, & cher-[162]chai à tâtons ; je ne trouvai rien qu’un mur que je suivis ; je m’apperçus bien que ce mur tournoit, j’avois beau tourner, je ne trouvois, ni porte ni serrure, ni trou, ni fenêtre ; je résolus de m’abandonner à mon malheureux sort ; je recherchai mon lit, que j’eus bien de la peine à retrouver ; je me jettai dessus, dans l’instant je crus que tous les diables étoient dans cette chambre. C’étoit un sabat capable de faire trembler l’homme le plus hardi, des sonnettes, des grelots, des boules, des quilles, des tambours, des flûtes, des hautbois, des violons, des cors-de-chasse, des trompettes ; en un mot, je crois que tous les intrumens du monde étoient dans cette chambre, si je dois croire que c’en étoit une ; des danses, des sauts, des cris, un assemblage diabolique, mon lit renversé, culbuté ; j’avois une peur qui ne peut se dépeindre ; j’étois plus mort que vif. Ce fut bien pis quand je me sentis enlever [163] en l’air, sauter, danser, crier sans en avoir envie ; au contraire, je croyois que c’étoit ma derniere heure ; je ne pouvois pas seulement recommander mon ame à Dieu. Ce spectacle si tragique dura au moins une demi-heure. La fin fut bien plus effrayante, un éclair, suivi d’un coup de tonnerre terrible ; je crus être englouti dans le fond des abîmes, dans l’instant parut le plus beau coup-d’œil du monde ; plus de cinq cens lumieres se trouverent allumées tout à la fois par le coup de tonnerre ; elles étoient arrangées toutes par neuf, de distance en distance sur quatre colonnes en quarré, le centre étoit orné d’une infinité de figures toutes différentes, tenant en leurs mains des guirlandes des plus belles fleurs, un tapis verd enrichi de pierreries ; aux quatre coins, il y avoit trois piedsdestaux d’or, enrichis de diamans : sur chacun étoit une figure singuliere, tenant chacune un instrument [164] différent ; le Ciel étoit blanc comme la neige, bordé d’un grand galon d’or bouillonné, les quatre coins relevés en bosse d’or, au milieu pendoit un dragon, de sa guelle sortoit une flamme de feu ; mes yeux n’étoient pas assez grands pour admirer tant de beautés si rares. Je fus bien plus étonné, quand je vis quatre grandes portes dans le milieu de chaque colonne s’ouvrir ; je voyois des avenues à perte de vue toutes illuminées, au bout desquelles je découvris des danses, des feux d’artifices, des carosses superbes, traînés par des chevaux blancs d’une hauteur énorme, harnachés de rouge, les cochers, laquais & postillons aussi habillés de blanc, paremens rouges & un grand galon rouge au milieu du dos, des chapeaux rouges bordés de blanc ; Il y avoit aux quatre portes au lieu de Suisses, deux grands Géans touchant aux voûtes des portes, quoiqu’elles fussent plus hautes que la porte Saint Denis ; [165] ils étoient habillés comme les autres avec des baudriers d’or massif, ainsi que leurs hallebardes ; je ne pouvois m’imaginer d’où venoit tant de beautés si rares dans un endroit qui m’avoit paru si desert ; je croyois être passé de ce monde-ci dans un autre, ma surprise fut encore bien plus grande lorsque je vis une trappe s’ouvrir dans le milieu de cette belle salle, d’où il sortit une infinité d’animaux de toute espece, dansans dans la derniere des perfections au son de la plus belle harmonie de tous les instrumens possibles. Cela fut suivi d’une grêle de feu dont la moindre étoit grosse comme une grosse balle de calibre d’amonition qui rebondissoit depuis le tapis jusqu’au Ciel ; une décharge de plus de cent mille canons tirés tout à la fois fit la clôture de ce superbe spectacle. Toutes les lumieres furent éteintes d’un seul souffle du dragon.

Metatextualidad► Si je ne craignois pas d’ennuyer le [166] Lecteur ou le faire trembler, je lui ferois le récit de tout ce qui s’est passé à la suite de cette aventure. Je crois ne pouvoir m’en dispenser ; mais j’attens, Monsieur, votre approbation, & pourrai vous en donner une par semaine. ◀Metatextualidad

Je suis votre très-humble & très-obéissant serviteur. . . . . . Sept lettres forment mon nom. ◀Carta/Carta al director ◀Nivel 3

Nivel 3► Je vous suis fort obligé, Monsieur, de votre présent & de votre rêve. Si je consultois le plaisir que l’un & l’autre m’ont fait, je ne balancerois pas à vous prier de suivre vos favorables dispositions pour moi ; mais je suis soumis aux décisions du Public, comme vous sçavez, & le Public n’est pas toujours sous le charme. Vous avez cependant un style & une imagination si agréables, que j’ai lieu d’espérer qu’il remplira mes vœux en vous rendant justice. Vous avez, Monsieur, le mé-[167]rite singulier d’être original ; grande recommandation auprès du Public, qui, quoiqu’à une distance infinie de l’Afrique & de l’Amérique, se plaint d’être inondé d’un déluge de singes : vous devez réussir dans le Monde comme il est par trente six raisons, dont quelques-unes peuvent se dire ; & je ne balancerois pas à les dire, Monsieur, si après vous avoir lû, il se pouvoit faire que quelqu’un ne les devinât. La plaisanterie sur-tout, la fine raillerie, l’ironie ingénieuse font partie de votre génie & de vos talens ; vous avez voulu tourner en ridicule la trop pompeuse relation que j’ai faite de l’aventure de Ramponneau avec un certain Directeur de Troupe ! vous avez voulu m’instruire sans m’offenser ! vous y avez réussi : jouissez, Monsieur de votre succès, de ma reconnoissance, & des regrets que vous allez donner aux satyriques de profession, dont la plûpart ne brilleroient pas plus [168] que vous, s’ils s’avisoient d’imiter votre modération & votre politesse. ◀Nivel 3

Nivel 3► Retrato ajeno► Les portraits de plusieurs femmes remarquables par leurs vertus.

Des Femmes en général.

Il y en a de toute espece, ainsi que des hommes : & comme on voit de ceux-ci ressembler aux femmes à beaucoup d’égards, on voit des femmes cesser de l’être en mille occasions, & devenir hommes. Elles gagnent sans doute à préférer le courage de Pallas à la douceur, à la timidité de Venus. Cette paix intérieure, source du bonheur, ou plutôt le bonheur lui-même, cette paix, dis-je, que donne une certaine fermeté assez ordinaire dans les hommes, n’est pas d’un plus grand prix pour eux que pour les femmes ; mais il faut qu’elles renoncent à ce qui nous charme le plus en elles. Cette vigueur de l’ame fait, avec la délica- ◀Retrato ajeno ◀Nivel 3 ◀Nivel 2 ◀Nivel 1