Citazione bibliografica: Jean-François de Bastide (Ed.): "No. 58", in: Le Monde comme il est (Bastide), Vol.2\028 (1760), pp. 325-336, edito in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Gli "Spectators" nel contesto internazionale. Edizione digitale, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2528 [consultato il: ].


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Feuille du Jeudi 31 Juillet 1760.

Suite de la Feuille précédente.

Livello 2► Livello 3► M. de Percel a composé mon éloge, je veux l’aider généreusement, & lui fournir des mémoires sur lesquels il puisse faire plus de fond qu’on n’en doit faire sur les siens. Il m’attribue un zele extraordinaire pour le service du Roi & de la Patrie. C’est me faire honneur sans doute, & je n’ai à désavouer que la multitude d’étendards sous lesquels il me fait passer successivement. Il est vrai que me destinant au service, après avoir été quelques mois chez les RR. PP. Jésuites, que je quittai à l’âge de seize ans, j’ai porté les [326] armes sous différens degrés, & d’abord en qualité de simple Volontaire, dans un tems où les emplois étoient très-rares (c’étoit à la fin de la derniere guerre), & dans l’espérance commune à une infinité de jeunes gens, d’être avancé aux premieres occasions. Je n’étois pas si disgracié du côté de la naissance & de la fortune, que je ne pusse espérer de faire heureusement mon chemin. Je me lassai néanmoins d’attendre, & je retournai chez les PP. J. d’où je sortis quelque tems après pour reprendre le métier des armes avec plus de distinction & d’agrément. Quelques années se passerent. Vif & sensible au plaisir, j’avouerai dans les termes de Monsieur de Cambray, que la sagesse demandoit bien des précautions qui m’échapperent. Je laisse à juger quels devoient être depuis l’âge de vingt jusqu’à vingt-cinq ans, le cœur & les sentimens d’un homme qui a composé le Cleveland à trente-[327] cinq ou trente-six. La malheureuse fin d’un engagement trop tendre me conduisit enfin au tombeau ; c’est le nom que je donne à l’Ordre respectable où j’allai m’ensevelir, & où je demeurai quelque tems si bien mort, que mes parens & mes amis ignorerent ce que j’étois devenu.

Cependant le sentiment me revint, & je reconnus que ce cœur si vif étoit encore brûlant sous la cendre. La perte de ma liberté m’affligea jusqu’aux larmes. Il étoit trop tard. Je cherchai ma consolation pendant cinq ou six ans dans les charmes de l’étude. Mes livres étoient mes amis fideles ; mais ils étoient morts comme moi. Enfin, je pris occasion d’un petit mécontentement, & je me retirai.

On voit, dans un récit si simple & si ingénu, le véritable fond de mon caractere. Je rougis si peu de ce que l’Accusateur me reproche, que j’affecte de m’en parer comme d’un titre d’hon-[328]neur. Quoique l’amour de la liberté m’ait fait quitter la France ; la Fleche & Saint Germain, où j’ai fait mon séjour, sont des noms chers à ma mémoire. La conduite que j’y ai tenue, ne me laisse à craindre aucun reproche, & les bontés qu’on y a eues pour moi excitent encore ma plus vive reconnoissance.

Suivons M. de Percel jusqu’à la fin. Il me reproche d’avoir laissé quelques dettes en Hollande. S’il peut prouver que je les aye perdues de vûe un seul moment, & que tous mes soins ne se rapportent pas au dessein de les payer, je me reconnois coupable. Mais si les promesses que j’ai faites à mes créanciers sont si sinceres, que je ne crains pas d’en prendre ici le Ciel & le Public à témoins ; je ne vois dans mes dettes qu’un accident ordinaire, & dont on n’a jamais fait un crime à personne. Ajoutez qu’elles font honneur à la bonté de mon ame, si elles n’en font [329] point à mon économie ; car c’est une chose assez connue, que ma fortune a toujours surpassé mes besoins, & que j’avois peu d’embarras à craindre pour moi-même, si j’eusse été moins sensible à ceux d’autrui.

Je me suis laissé enlever par une Femme ou une Fille. M. de Percel n’est pas sûr lequel c’est des deux. Jupiter tout-puissant ! Quelle étrange accusation ! M’a-t-il jamais vû ? Croit-il qu’un homme de ma taille s’enleve comme une plume ? Se figure-t-il d’ailleurs que j’aye de quoi charmer le beau sexe, jusqu’à le rendre capable de violence pour s’assurer de mon cœur ? C’est Medor, ou Renaud, dont il a cru retracer l’aventure. Il n’y manque que l’enchantement. Mais je vois bien qu’il faut encore aider M. de Percel, & lui faire prendre une plus juste idée de mon caractere. Ce Medor, si chéri des Belles, est un homme de trente-sept ou trente-huit ans, qui porte sur [330] son visage & dans son humeur les traces de ses anciens chagrins ; qui passe quelquefois des semaines entieres sans sortir de son Cabinet, & qui y employe tous les jours sept ou huit heures à l’étude ; qui cherche rarement les occasions de se réjouir ; qui résiste même à celles qui lui sont offertes, & qui préfere une heure d’entretien avec un ami de bon sens, à tout ce qu’on appelle plaisirs du monde & passe-tems agréables. Civil d’ailleurs, par l’effet d’une excellente éducation, mais peu galant ; d’une humeur douce, mais mélancolique ; sobre enfin & réglé dans sa conduite. Je me suis peint fidelement, sans examiner si ce portrait flatte mon amour-propre ou s’il le blesse ; c’est M. de Percel qui doit juger à présent dans quel degré je suis capable de plaire.

Mais n’auroit-il pas voulu rire ? Et son dessein ne seroit-il pas de faire entendre que c’est moi-même qui suis le [331] ravisseur ? Il me semble que je puis faire cette supposition sans témérité, à l’égard d’un homme qui m’a fait faire si gratuitement le voyage de Basle, qui m’a fait chasser de Londres, & qui a tracé de moi un portrait si peu ressemblant. Je veux l’instruire à fond de l’aventure, afin de le satisfaire dans toutes sortes de sens. Pendant mon séjour à la Haye, le hazard me fit lier connoissance avec une Demoiselle de mérite & de naissance, dont la fortune avoit été fort dérangée par divers accidens qui n’appartiennent point au sujet. Un homme d’honneur, qui faisoit sa demeure à Amsterdam, lui faisoit tenir régulierement une pension modique, sans autre motif que sa générosité. Elle vivoit honnêtement de ce secours, lorsque son bienfaicteur se trouva forcé par l’état de ses propres affaires, de retrancher quelque chose à ses libéralités. J’appris ce changement, qui devoit la mettre dans le [332] dernier embarras. J’en fus touché. Je lui offris tout ce qui étoit en mon pouvoir, & je la fis consentir à l’accepter. Diverses raisons m’ayant porté quelques mois après à quitter la Haye pour repasser en Angleterre, je lui fis connoître la nécessité de mon départ, & je lui promis que dans quelque lieu qu’elle voulût faire sa demeure, j’aurois soin de pourvoir honnêtement à son entretien. Elle n’avoit aucune raison d’aimer la Haye, où elle ne pouvoit vivre que tristement sans biens de la fortune ; elle me proposa de la faire passer à Londres, dans l’espérance qu’avec toutes les qualités & tous les petits talens qu’on peut desirer dans une personne bien elevée, je pourrois lui faire trouver, par l’entremise de mes amis, une retraite honorable & tranquille auprès de quelque Dame de distinction. J’y consentis. Elle a mérité effectivement par sa conduite & ses bonnes qualités, l’estime d’une infi-[333]nité d’honnêtes gens, qui s’intéressent en sa faveur ; & moi qui ne lui ai jamais trouvé que de l’honnêteté & du mérite, je n’ai pas cessé de lui rendre tous les bons offices qui ont dépendu de ma situation.

M. de Percel doit être content de ce détail. Je lui fournis libéralement de quoi faire une nouvelle édition de son Livre, augmentée & corrigée ; à moins que sans y faire de changement il n’aimât mieux joindre cette feuille à mon article, pour servir de Commentaire. Ne lui refusons pas non plus l’éclaircissement qu’il desire sur ma Religion. Je suis bien éloigné sans doute de cette hauteur de perfection à laquelle il me fait connoître qu’il est parvenu. Le don de prophétie est une faveur d’en-haut, qui ne s’accorde point à tout le monde, & qu’il faut mériter par d’autres vertus que les miennes. Pour lui qui paroît être en communication étroite avec le Ciel, il prédit [334] que je passerai quelques jours à Constantinople, pour tâcher d’y devenir Mufty, (il ne décide pas néanmoins si je le serai) & que de-là je pourrai gagner le Japon pour y fixer tout-à-fait mes courses & ma Religion. Raillerie à part, je croirois M. de Percel fort heureux, & les Japonois aussi, s’ils étoient attachés à ma Religion avec autant de bonne foi & de simplicité que moi. Toujours est-il certain que ni discours, ni lectures, ni exemples, n’ont jamais diminué la vénération & l’attachement que j’ai pour la Religion chrétienne ; j’entens celle qui ordonne tout à la fois la pratique de la Morale & la croyance des Mysteres, qui recommande l’amour de Dieu & celui du prochain, & qui défend sur-tout la calomnie & la détraction. Ce dernier point me fait craindre qu’il n’y ait quelque différence entre M. de Percel & moi sur les articles.

[335] A présent que j’ai satisfait à toutes les parties de sa satyre, n’apprehende-t’il pas que je ne passe de la défensive à l’attaque, & que je ne réjouisse un peu le Public à ses dépens ? Novimus & qui te. . . . Mais qu’il cesse de craindre. Cette même Religion que je dois prêcher au Japon, & mon caractere naturel, me le défendent. Je me souviens des articles par lesquels j’ai commencé. J’observe le premier, & je suis persuadé avec Hobbes que la violation du second changeroit de justice (I1 ) en cruauté. D’ailleurs, j’ai sur M. de Percel trop (22 ) d’avantage, & je ne serois pas généreux d’en user. S’il me reste [336] quelque chose à faire, c’est de chercher par quelle raison, par quelle offense, par quel outrage, j’ai pû lui causer cette violente inflammation de bile, dont il semble que les noires vapeurs ayent obscurci sa raison. Nous ne nous sommes jamais vûs. J’ai lû ses Ouvrages ; mais je n’en ai jamais publié mon sentiment. Il a lû les miens ; & quand il n’y auroit trouvé aucune raison de m’estimer, je suis sûr du-moins qu’il n’en a vû aucune de me haïr. Cependant on ne hait point sans raison.

Je me perds dans cette recherche, car il est certain que je n’ai jamais offensé M. de Percel. Voici bien quelques circonstances qui ont rapport à lui, & ausquelles <sic> je me souviens d’avoir eu part indirectement. Je laisse à juger au Public si elles ont dû m’attirer sa haine.

1°. Etant à Amsterdam en 1731, on me proposa de retrancher de la -◀Livello 3 ◀Livello 2 ◀Livello 1

1(I) Violatio legis hujus, crudelitas soles appellari. Ubi sub. .

2(2) Je suis au point où le vieux Comte de Toulouse étoit avec Argante. Et in due parti, o tre, forate, & satte L’armi nimiche ha gia tepide e rosse ; Et egle ancor le sue conserva intatte, Ne di cimier, ne d’un sol fregio scosse. Il Tasso Cant. 7.