Le Monde comme il est (Bastide): No. 55
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Feuille du Jeudi 24 Juillet 1760.
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Metatextualität
Je passe maintenant à l’aventure
que j’ai annoncée. On ne me pardonneroit pas de l’avoir fait
attendre trop longtems.
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Allgemeine Erzählung
Le Chevalier de * * *, homme
d’esprit, homme d’honneur, homme sage & intime ami
de Madame de Mercœur, alla il y a quelques jours chez
elle le matin, pour la voir. Comme il a depuis dix ans
des habitudes chez elle, les domestiques sont accoutumés
à le laisser entrer sans l’annoncer. Il passa dans le
cabinet de Madame de Mercœur sans rencontrer personne ;
il la trouva étendue dans un fauteuil, sans
connoissance, sans sentiment. Son
saisissement fut si grand, qu’au lieu de se hâter de la
secourir, il courut appeller les domestiques. Malgré la
force des eaux qu’on lui fit respirer, l’évanouissement
fut fort long, & le Chevalier eut le tems de lire
une lettre, qu’en rentrant il avoit apperçue aux pieds
de Madame de Mercœur. Il jugea que cette lettre étoit
cause de l’état où il voyoit son amie. Elle renfermoit
en effet des choses capables de causer les plus grandes
révolutions dans une ame sensible. Madame de Mercœur a
un frere dont elle est idolâtre, & que le chagrin de
mille injustices accable depuis long-tems : il avoit
demandé depuis peu, par le conseil de sa sœur, une grace
qui ne devoit pas lui être refusée. Ses démarches
n’avoient point eu de succès, & le ressentiment de
ce refus lui étoit si sensible, qu’il venoit de prendre
la résolution de n’avoir plus besoin de personne, en se
tuant : c’étoit ce qu’il marquoit à sa
sœur, & ses expressions étoient si vives, qu’il ne
paroissoit aucun moyen de le calmer ; il y avoit même à
craindre, de la façon dont il s’expliquoit, qu’il ne fût
déja trop tard pour arrêter son bras. Pendant la lecture
de cette fatale lettre, Madame de Mercœur avoit repris
l’usage de ses sens ; le Chevalier qui s’étoit un peu
écarté, en rentrant se jetta sur une de ses mains :
Madame de Mercœur vouloit répondre ; mais le Chevalier
ne pouvoit plus l’entendre, il étoit déja parti. Il
n’appartient pas à l’esprit de représenter l’état où il
trouva ce malheureux : l’espérance l’abandonna en
entrant dans sa chambre : cependant il se contraignit.
La confiance du
Chevalier étoit fondée. Dès ce premier moment il put
s’appercevoir qu’il n’y avoit plus de catastrophe à
craindre : cependant il ne voulut pas se contenter d’en
avoir l’espérance ; il emmena son ami à la campagne pour
ne le pas quitter, & au bout d’un mois, il eut le
bonheur de le voir presque aussi Philosophe que
lui-même. Le Chevalier est un homme de qualité
très-répandu dans le monde dont on parle
tous les jours, & que je nommerai à quiconque aura
besoin dans ses douleurs, des secours d’une raison
aimable & supérieure. Il méritoit d’être heureux
& élevé, comme il le dit lui-même ; il s’est vu
plongé & abandonné dans la foule des hommes
méconnus. Son insensibilité pour les outrages de la
fortune lui a appris combien cette aveugle Déesse mérite
de mépris, & il est à présent en état de consoler
tous les malheureux, & de fortifier tous les
foibles.
Dialog
je suis instruit de tout,
lui dit-il, je pleure avec vous, mais je veux vous
rassûrer. Espérez en moi ; il m’aime, il m’écoute,
& je puis vous sauver tous deux. Ah, dit Madame
de Mercœur, il ne vous écoutera plus ; je connois
ses passions. . . . C’est lorsqu’elles sont à leur
dernier degré qu’on est plus près d’entendre la
raison, reprit le Chevalier. La nature se trouve
fatiguée par leurs mouvemens impétueux ; elle ne
peut plus s’agiter, & reprend sa tranquillité :
dans cet état on est forcé de prêter
l’oreille aux accens de l’amitié : tout dépend
d’avoir un ami quand on est malheureux.
Dialog
Eh bien, qu’est-ce que
c’est que cette folie, lui dit-il, que
prétendez-vous faire, avez-vous perdu l’esprit ? Non
mon ami, mon esprit est tranquille, mais mon ame est
mortellement blessée ; je vois que vous êtes
instruit de tout ! plaignez-moi, & dans
l’horrible douleur qui me consume, estimez mon
courage, & laissez-moi courir au repos par la
voie la plus courte. . . . Je vous plains sans
doute, lui dit le Chevalier ; vous connoissez mon
cœur : si les Philosophes ont indigné votre ame par
leur fausse & cruelle stoïcité,
j’ai mérité d’autres sentimens en les condamnant,
& je les ai obtenus, en vous prouvant souvent
que mon mépris pour eux n’étoit ni un orgueil
affecté, ni une foiblesse déguisée. Mais ma
sensibilité n’aura jamais les défauts de la
pusillanimité, & c’est à quoi la Philosophie m’a
toujours servi : je vois les malheurs de mes amis,
je les sens comme eux, je m’en pénetre avec eux,
& en même tems je combats leur désespoir &
j’en éclaire l’erreur. Ils risqueroient de me
trouver dur, s’ils exigeoient que je m’approchasse
témérairement avec eux des bords du précipice qui va
les engloutir : si je m’en approche du-moins, c’est
pour en sonder la profondeur, & dans l’espoir de
les épouvanter par ce coup-d’œil terrible. C’est ce
que je viens faire aujourd’hui ; votre état
m’accable, le chagrin de votre sœur m’est plus
sensible que la mort ; mais tout cela fortifie ma raison loin de diminuer mon courage ;
je veux que vous conceviez que la fortune est
indigne de nos regrets quand elle a méprisé nos
vertus. . . . Eh, Monsieur, ce n’est pas la fortune
qui m’a trahi, elle avoit tout préparé pour moi :
les hommes se servent toujours de son nom pour faire
des horreurs ; c’est là ce qu’il faut concevoir pour
abhorrer ces monstres exécrables. . Si vous les
envisagez comme tels, reprit le Chevalier, pourquoi
vouloir être si sensible à leurs méchans procédés ?
C’est le vice de leur constitution que vous leur
reprochez, & leur constitution n’est pas leur
ouvrage. Mais sans vouloir ici définir ce qu’ils
sont, il est du moins certain que dans l’univers
entier, il ne se fait que des injustices ; que les
hommes soient organes ou moteurs, ce mal qu’ils
font, ou qui se fait par eux, n’en est ni moins
considérable, ni moins général, ni moins
inévitable ; ainsi c’est leur faire cent fois trop d’honneur que de se désespérer d’en
être l’objet. Le ressentiment est quelquefois
raison ; mais le désespoir est toujours folie : le
premier tourne quelquefois au châtiment du crime ;
le second n’est jamais que le comble de
l’infortune. . . . Eh bien, Monsieur, je vois dans
tout ce qui m’est arrivé la malversation, la
mauvaise foi. . . . un misérable sans honneur. . . .
oui, c’est à lui que je puis imputer mon malheur ;
il me donnoit des paroles, tandis qu’il prenoit
ailleurs des engagemens ; il m’a trahi, il m’a
joué : c’est sur lui que je me vengerai ; je l’irai
trouver, & ma juste fureur. . . . Vous n’y irez
point, mon ami, vous songerez que vous n’avez point
de preuves, que ces sortes de trahisons,
quoiqu’atroces, ne sont point punies par les loix,
& que ce ressentiment si juste, ne seroit qu’un
désespoir punissable lui-même. . . . Mais, Monsieur,
j’ai tout perdu par des événemens
successivement affreux, je n’avois plus que cette
seule ressource, j’espérois tout de la validité de
mes droits, j’espérois au moins la récompense de mes
travaux & de mes vertus : on ne m’accorde rien,
on m’expose à rougir : que voulez-vous que je
devienne, que serai-je dans le monde ? . . . Vous y
vivrez sans ambition, & vous en serez plus
heureux ; vous ne manquerez jamais du nécessaire,
puisque vous avez des amis, une sœur, & de
l’esprit. Vous ne serez pas assez inconséquent pour
rougir d’une médiocrité qui est le choix du sage,
& du véritable honnête homme ; vous aurez les
regrets des honnêtes gens, dont vous aviez les
vœux ; vous serez dispensé de rougir devant eux, car
ils maudiront pour vous la fortune & ses
complices : vous en serez mieux connu, & plus
vertueux peut-être ; enfin vous aurez des jours plus
longs, & des plaisirs moins courts, des amis plus vrais, & des sens plus
tranquilles : cet avantage renferme tout ; mais il
peut encore se détailler : il n’y a pas un seul
bien, dont il ne naisse des biens infinis : c’est un
calcul que fait tous les jours le sage, & que
n’ont jamais pû faire les heureux qu’on envie : il a
fondé mon bonheur. J’étois fait comme vous pour
obtenir des recompenses : si la vanité ne m’abuse
pas, je méritois qu’elles vinssent me chercher ;
elles m’ont été refusées, & j’ai fini par les
mépriser : vous voyez ma Philosophie ! elle est le
fruit de cette même injustice qui vous fait
murmurer. Si les hommes avoient eu plus de vertu,
j’étois peut-être menacé de n’en avoir pas
moi-même ; j’aurois été riche, & la richesse
trop souvent n’est qu’un don conditionnel de la
fortune, qui exige le sacrifice de ce que nous avons
de meilleur ; il y a bien peu de gens riches à qui
il n’en ait coûté du-moins de continuels combats
pour se soustraire à cette loi fatale
de rétribution. Je n’ai point eu ces assauts à
soutenir, & je suis sûr d’y avoir gagné ; je me
regarde comme un homme dans le port, tranquille
spectateur des orages affreux qui menacent & le
vaisseau & l’équipage ; & je goûte dans ma
tranquillité une joie toujours égale & toujours
supérieure au transport même qu’éprouve le matelot
tremblant, après avoir vaincu l’orage. . . . Voilà
mon bonheur ; il est peint sans art, & il est
aisé d’y reconnoître ce sentiment de bonne foi qui
manque à la peinture des joies fausses &
périssables. Les honnêtes gens avoient fait pour moi
ces mêmes vœux qu’ils vous ont prodigués ; j’en
conserve le souvenir, & chaque jour il me
donneroit de l’orgueil, si tout ce qui flatte ne
tournoit en sentiment quand on est devenu
véritablement heureux. J’apprens que je suis
supérieur à la fortune en pensant qu’ils m’en ont
cru digne, & en sentant que leurs
regrets flatteurs n’ont point amoli mon ame. Vous
serez comme moi, vous penserez comme moi, si vous
triomphez de ce premier moment ; & en vérité,
mon ami, je regarde cet entretien comme une
puissante raison de l’espérer pour vous. Il y a des
vérités & des conseils qui ont force de loi pour
un esprit qui sçait penser, & pour un cœur qui
sçait sentir : je vous connois l’un & l’autre,
& je n’insiste pas, pour vous laisser l’honneur
de votre propre victoire.
Fremdportrait
Portrait d’une
femme aimable & respectable.
Metatextualität
J’ai présenté à mes Lecteurs,
avec une fidélité scrupuleuse, le Portrait d’une femme
amoureuse de ses charmes. Jocaste, malgré le déguisement
de son nom, aura peut être été reconnue ; & les
malins, ces esprits qui sourient à la médisance, auront
été charmés de ma fidelité. Il est juste qu’après
Fremdportrait
Portrait d’une
femme aimable & respectable.
Metatextualität
J’ai présenté à mes Lecteurs,
avec une fidélité scrupuleuse, le Portrait d’une femme
amoureuse de ses charmes. Jocaste, malgré le déguisement
de son nom, aura peut être été reconnue ; & les
malins, ces esprits qui sourient à la médisance, auront
été charmés de ma fidelité. Il est juste qu’après