Cita bibliográfica: Jean-François de Bastide (Ed.): "No. 48", en: Le Monde comme il est (Bastide), Vol.2\018 (1760), pp. 205-216, editado en: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Los "Spectators" en el contexto internacional. Edición digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2519 [consultado el: ].


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No. 48. Du Mardi 8 Juillet 1760.

Nivel 2► Nivel 3► Carta/Carta al director► Relato general► qu’il ne vouloit le paroître, & par une suite assez naturelle du désordre de son esprit, elle crut être devenue sensible à son tour. Séduite par une illusion qui trompoit sa douleur, elle ne songea plus qu’à s’assurer de sa conquête. Elle fit à Moncade le même aveu qu’il venoit de lui faire.

Bientôt enhardis tous deux par le prétexte d’une reconnoissance qu’ils ne sentoient pas, ils se livrerent sans nulle contrainte aux transports d’une passion qu’ils ne sentoient pas davantage. Mais leur ame moins séduite que leur imagination, & encore remplie de sa douleur, partagea mal le nouvel égarement auquel ils l’associoient. Ils sentirent tous deux qu’ils ne s’inspiroient rien, qu’ils ne s’étoient jamais aimés, & ils furent contraints de se rendre justice. Ils s’avouerent de bonne foi, leur erreur & leur indifféren-[206]ce, & se quitterent aussi singulierement qu’ils s’étoient pris. ◀Relato general ◀Carta/Carta al director ◀Nivel 3

Metatextualidad► Cette aventure ne paroîtra peut-être pas aussi plaisante qu’instructive à quelques femmes qui n’ont jamais eu des aventures plus honnorables. En la lisant, elles seront tentées de faire quelques réflexions sur l’infâmie de leurs mœurs & de leur conduite, & si cela arrive, j’aurai bien fait d’en remplir quelques pages d’un livre qu’elles auroient peut-être toujours trouvé inutile sans cela. ◀Metatextualidad

Nivel 3► Relato general► Fait particulier.

J’étois avant-hier renfermé dans mon cabinet avec un homme sérieux que j’emploie à faire des découvertes importantes dans les mœurs ; & au milieu d’une conversation qui m’intéressoit, j’entendois une voix qui de temps-en-temps prononçoit, voyez l’accident fâ-[207]cheux, voyez l’accident fâcheux. Je ne sçavois d’où cette voix partoit, j’écoutois mon correspondant, & ne pouvois me distraire que foiblement de ce qui m’occupoit. Cependant ces mots touchans revenoient toujours, & mon oreille en étoit frappée, quoiqu’elle s’y accoutumât. Voyez l’accident fâcheux. C’étoit tout ce que disoit celui qui prétendoit attendrir par cette lamentable invitation ; par un jeu de hasard, ou par une disposition de celui qui préside aux plus petits événemens de la vie, elle venoit se placer à la fin de chaque période de notre entretien. Voyez l’accident fâcheux, voyez l’accident fâcheux, il ne prononçoit pas une syllabe de plus, & le son de sa voix plaintive retentissoit encore dans mon oreille, que les mêmes mots recommençoient à se faire entendre. Enfin cette triste répétition lassa ma patience, ou plutôt excita ma sensibilité ; j’écoutai mieux, je jugeai [208] que ce bruit partoit de la rue ; je me mis à ma fenêtre, & je vis un homme étendu par terre, ou plutôt un squelette sans membres qu’il paroissoit qu’un mauvais génie avoit exhumé pour épouvanter les passans. Je fus touché de ce spectacle, & je le considérai pour voir si d’autres que moi en seroient attendris. Je vis des gens qui couroient avec horreur en l’appercevant ; j’en vis d’autres qui paroissoient épuiser le plaisir de la curiosité en tournant autour de lui : le malheureux montroit le reste d’un bras desséché & sanglant. Tout le monde le regardoit avec horreur ou avec plaisir, & personne ne le secouroit. Il prononçoit en pleurant, voyez l’accident fâcheux, il paroissoit souffrir des douleurs très-aigues ; mais il parloit à des rochers. Un homme pourtant lui donna une piece que je jugeai être de dix-huit deniers. Dirai-je sur quoi je le pensai ? Sur la joie sensible de cet infortuné : [209] sa voix & son visage reçurent l’impression de cette joie touchante. Hélas, me dis-je, il est si aisé de soulager un malheureux, & l’on ose avec un habit couvert d’or & d’argent passer à côté de lui sans lui donner le moindre signe d’humanité : Ah ! quiconque est capable de cette dureté, mérite d’être le plus malheureux & le plus abandonné des hommes. . . . Je faisois le procès à beaucoup de gens : heureux si ceux qui me lisent peuvent apprendre à détester toute ressemblance avec des hommes si inhumains. J’envoyai un écu à ce misérable, & ne voulus point être témoin de sa joie, qui m’auroît peut-être trop touché. Un moment après j’entendis distinctement, ô le généreux homme ! ô le bon cœur, ô le bon Ange que le Ciel a envoyé sur la terre pour me secourir. . . . Ces mots me pénétrerent : j’ai appris pour jamais à secourir les malheureux. . . . 

Le lendemain des cris d’enfans fi-[210]rent ce qu’avoit fait la voix de cet infortuné. Je me mis encore à ma fenêtre ; mais le spectacle dont je fus témoin, me fit sentir plus d’horreur que de pitié. Cinq enfans étendus par terre presque nus sur de mauvais haillons ; une mere estropiée soutenue par deux béquilles, ayant une jambe découverte également desséchée & coupée comme le bras que j’avois vû la veille. . . Mille réflexions m’assaillirent à la fois. 1o. Comment peut-on être aussi malheureux que l’étoit cette femme, & supporter le poids de la vie. 2o. Comment peut-on songer à faire des enfans dans un accablement si grand de douleur & de misere. Je rêvois à cela, & le cri perçant & continuel de ces jeunes victimes pouvoit à peine me distraire, lorsque je m’apperçus que cette cruelle mere, en faisant semblant de les soulager, leur pinçoit la peau fortement pour les faire pleurer davantage. Ah Dieu, me dis-je [211] intérieurement, qu’elle affreuse barbarie, quelle horrible façon d’inspirer la pitié. . . . Cependant je pensai que c’étoit l’excès du besoin qui la rendoit si barbare, & je me dis encore : peut-il y avoir des être <sic> réduits à cette extrêmité, peut-il y avoir des besoins si cruels qu’ils fassent recourir à des ressources si odieuses ? O nature, j’ai vû tous tes malheurs dans l’endurcissement de cette mere. . . . Je me hâtai d’envoyer six livres à cette criminelle & malheureuse femme : je jugeai de la rigueur de ses besoins par l’atrocité de son action. Mais je lui fis dire qu’elle allât plus loin exposer sa misere & ses enfans : elle obéit. Cet affreux spectacle & ces cris perçans ne m’auroient pas permis de rester chez moi un moment de plus, s’ils avoient continué. ◀Relato general ◀Nivel 3

Metatextualidad► Je supplie le Lecteur de croire que ce n’est point par un principe de vanité méprisable que je viens de montrer les sentimens de mon cœur pour la [212] nature gémissante. Je n’ai en vûe que le soulagement de cette même nature : je sçais que l’exemple touche les hommes, & je cherche à inspirer des sentimens aux riches, pour épargner des crimes aux pauvres. Les premiers feront toujours le destin de l’humanité, & il manque à la plûpart, de refléchir à la beauté de cette prérogative, pour devenir capables de générosité. ◀Metatextualidad

Metatextualidad► J’abandonne cette matiere pour en traiter une autre que je ne crois pas moins intéressante. Une conversation que j’eus avant-hier avec M. le Capitaine Canot m’en a donné l’idée. Mon dessein est de prouver que ces hommes qu’on appelle Sauvages, ne le sont point dans toute l’étendue du terme ; on sçait cela par raisonnement, mais je veux le prouver par les faits. Les Aventures arrivées au célébre Marin que je viens de nommer, me faciliteront l’exécution d’un dessein utile. Dans ma conversation avec lui, je lui [213] dis après l’avoir bien écouté, qu’il n’y avoit de Sauvages & de Romans que pour les sots. Je voulois dire que tout ce que nous regardons dans les Romans comme l’effet d’une imagination chimérique & vagabonde est non-seulement possible, mais géralement <sic> arrivé. Je vais établir mes conjectures sur des faits dont personne n’est en droit de douter ; & je commence par faire connoître le caractere de quelques Sauvages. Les bornes de ce cahier ne me permettront pas d’aller bien loin ; mais je reviendrai sur mes pas dans les cahiers suivans, sans nuire au plan de variété que je me suis proposé. ◀Metatextualidad

Nivel 3► Relato general► M. Oglethorp, Chef d’un établissement qu’on formoit en Amérique, étant revenu à Londres pour rendre compte au Roi du succès de l’entreprise, se fit accompagner de quelques Chefs Indiens, voisins de la Georgie. Dans le dessein de faire prendre à ces barbares une haute idée de l’Angleterre, on ne manqua pas de leur procurer la vûe de tout ce qu’il y avoit de magnifique à Londres. Ils marquerent de l’admiration pour mille choses ; [214] mais sans faire paroître qu’elles excitassent leurs desirs ni leur estime. On prit d’abord cette réserve pour timidité. Leur interprête leur témoigna de la part du Roi, qu’ils pouvoient agir plus librement, & s’assurer même d’obtenir de S.M. tout ce qui pourroit être de leur goût. Comme ces offres ne changerent rien à leur indifférence, un Seigneur de la Cour qui étoit avec eux quelques jours après, leur demanda ce qu’ils pensoient de la magnificence de Londres, & si les bords de la riviere de Savannah leur paroissoient aussi agréables que ceux de la Tamise. Ils répondirent avec douceur, qu’ils étoient satisfaits du Pays où le Ciel les avoit fait naître. Diálogo► Mais reprit le Seigneur, vous ne satisfaites qu’à la moitié de ma question. Que pensez-vous de Londres ? C’est une Ville fort peuplée, répondirent-ils froidement, & nous sommes ravis d’avoir obtenus l’amitié d’une Nation si nombreuse. Eh bien, repartit le Courtisan, nous ne jouissons ici d’aucun avantage, que nous ne soyons disposés à le partager avec vous. Nos richesses vont se communiquer à [215] vos peuples : La Georgie sera bien-tôt aussi heureuse que l’Angleterre. . . . Les Indiens branloient la tête sans répondre. Enfin Milord, qui expliqua ce signe comme une marque de doute & de défiance, se mit à leur prouver qu’ils devoient compter sur ses promesses. Cette Angleterre, leur dit-il, qui est aujourd’hui si riche & si belle, n’étoit dans son origine qu’un Pays pauvre & désert, tel que la Georgie. Nos Ancêtres vous ressembloient : ils étoient nuds comme vous, parce qu’ils manquoient de quoi se couvrir : mais par notre industrie, par la culture de nos Arts & de nos talens, nous sommes parvenus à ce haut degré d’abondance & de bonheur que vous voyez régner parmi nous. C’est par les mêmes moyens que nous allons vous conduire au même état. « Arrêtez, dit alors le plus ancien des Sauvages, ce que vous nommez bonheur & abondance, ne nous paroît pas digne de ce nom. Il y a longtems que nous connoissons le luxe & la vanité, qui infestent l’Europe ; loin de souhaiter qu’ils s’étendent jusqu’à nous, nous les redou-[216]tons comme les plus grands de tous les maux. Mais dans la servitude où vous êtes, sous l’empire de deux Tyrans si cruels, nous avions cru jusqu’à présent que vous étiez moins à mépriser qu’à plaindre : Aujourd’hui que vous nous assurez vous mêmes que votre malheur est volontaire, & que pouvant être aussi libres, & aussi heureux que nous, à l’exemple de vos ancêtres, c’est par votre choix & par la culture de vos passions, plutôt que de vos talens, que vous avez renoncé aux avantages dont nous jouissons, ne soyez pas surpris que notre estime & notre compassion diminuent. Cependant vivons bien ensemble, puisque votre établissement nous rend voisins. C’est pour demander l’amitié de votre Roi que nous avons traversé tant de mers. Nous vous assurons de la nôtre. Comptez sur nos fideles services. Mais si vous n’en avez point d’autres à nous rendre que ceux que vous nous offrez, nous n’en recevrons jamais de vous ». ◀Diálogo ◀Relato general ◀Nivel 3 ◀Nivel 2 ◀Nivel 1