Le Monde comme il est (Bastide): No. 45

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No. 45. du Mardi 1er Juillet 1760.

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Fremdportrait

tesse de leur traits, un contraste qui nous répugne. Je n’ignore pas qu’on voit des hommes s’attacher de préférence à ces Amazones que rien n’épouvante de ce qui menace leur vie, & peut même altérer leur beauté ; mais je n’imiterois pas leur exemple. Il n’en est pas de mes goûts comme de mes opinions ; ceux du plus grand nombre sont presque toujours les miens. Vin vieux, femme jeune, caressante, sensible jusqu’à la foiblesse, femme en tout, voilà ce qu’il me faut. Peu d’Auteurs ont parlé des femmes sans en venir aux injures. Il faut l’avouer, elles offrent une ample matiere à la mauvaise humeur de quiconque voudra se venger des momens fâcheux qu’elles lui auront fait passer. Mais nous leur fournissons, me semble, à peu près le même fonds de reproches & d’injures : & ce qui résulteroit du détail où l’on pourroit entrer pour sçavoir de quel côté est le plus ou le moins, c’est qu’étant les uns & les autres pleins de ridicules & de vices, nous sommes parfaitement bien assortis. Une chose à laquelle depuis si long-tems, on ne devroit plus se laisser tromper, & dont on sera toujours la dupe, c’est l’hypocrisie involontaire de leur figure. Il faut qu’une femme soit un monstre, pour que sa physionomie n’inspire pas de la confiance, c’est-à-dire, en général, ne trompe pas. A voir ces yeux où se peint la candeur, au son de cette voix si douce, comment imaginer qu’un vieux scélérat couve dans son cœur moins de perfidie, que cette jeune personne n’en médite ? Quoi ! cet air d’innocence seroit démenti par un déréglement caché, dont la vieille Clotho rougiroit, elle dont la galanterie & la duplicité ne connoîtront de terme que celui de la vie ? Nous avons bien moins à nous plaindre des femmes, que les femmes n’ont à se plaindre d’elles-mêmes. Elles seroient beaucoup plus modestes dans leur parure, si nous en étions l’objet principal. C’est pour les femmes qu’une femme a vingt robes d’une saison, vend ou fait vendre une terre dont elle met le fond en diamans, & passe souvent six heures d’ennui entre les mains du coëffeur. Elle se trouveroit toujours assez bien pour nous ; elle ne se trouve jamais trop bien pour les autres femmes. Comme elles se détestent ! Oh, ce n’est pas sans raison ; jamais haine ne fut mieux méritée. L’excès de la haine & de l’amour se pourroit rencontrer dans le même cœur ; mais ce ne seroit pas dans le cœur d’un homme, il s’en faut bien, si nous aimons aussi vivement, que nous sçachions haïr comme elles ! Après l’âge de la galanterie. . . . je me trompe, cet âge est déja loin depuis long-tems, lorsqu’elles pensent à renoncer à l’amour, à renoncer du-moins à faire des conquêtes. Quand donc les noces d’un petit-fils viennent leur annoncer de prochaines funérailles, la plûpart se mettent à la raison, & reconnoissent enfin que les roses de la premiere jeunesse ont perdu en elles un peu de leur fraicheur. Cet aveu une fois fait, on se dit de la meilleure foi du monde, qu’il faut se garder sur-tout d’être du nombre de celles que les amours ont laissées ; qu’il convient de prévenir un abandon humiliant, par une retraite peut-être trop précipitée, mais d’une trop grande conséquence pour être différée davantage. Là-dessus, chacune prend ses arrangemens suivant ses entours, son tempérament & sa fortune. Malheur alors, malheur aux familles infortunées dont les ayeules repentantes, ou de ce qu’elles ont fait ou de ce qu’elles ne peuvent plus faire, prennent le parti de devenir saintes, &, pour cela, se jettent, non dans la dévotion, qu’on doit embrasser à un âge où l’on a des sacrifices à faire, mais dans une pruderie qui lui ressemble. Passe encore quand elles choisissent le jeu. Il est vrai que cela peut devenir coûteux : cependant ce qui doit rassurer, c’est qu’en géneral les femmes qui font profession d’être joueuses, passent pour ne pas jouer en dupes. J’ai crayonné légérement quelques traits d’un tableau qui a trop souvent été fait, & dont le coloris seul peut être susceptible des agrémens de la nouveauté. Je me garderai donc bien de me jetter dans cette foule de lieux communs, que les ridicules des femmes, leur art de tromper, tous leurs défauts enfin ont fournis, & dont on a fait un usage si répété. J’aurois même commencé d’abord par les portraits d’un grand nombre de celles qui n’ont de leur sexe ; que les agrémens ; j’aurois, dis-je, commencé par ces portraits sans m’arrêter à l’esquisse générale des mœurs de nos femmes, si je n’avois pensé que le contraste de ces mœurs avec les qualités & les vertus que j’avois à peindre, ajouteroit encore à l’éclat naturel de celles-ci. Mais quoi ! Qui me retient ? . . . C’en est fait, & je renonce à mon projet de rendre un hommage public dont le principal effet seroit d’attirer une foule de nouvelles ennemies à celles à qui je le rendrois. Cet hommage n’en est pas moins dans le cœur de tous ceux qui ont le bonheur de les connoître. On les aime comme ce qu’il y a de plus aimable dans le monde : tant de vertus que l’on voit briller en elles pénetrent du respect le plus vrai ; & ces deux sentimens se marient si heureusement, que loin de se nuire, selon leur coutume, l’amour communiquant un peu de sa chaleur au respect, lui fait perdre ce qu’il a de rebutant ; & le respect, tout froid qu’il est, en justifiant l’amour, augmente encore sa vivacité. C’est peut-être trop exiger du Public que de le prier de croire que ces réflexions ne sont point de moi : un inconnu me les a adressées avec intention de les voir insérées dans mes Feuilles. Je fais ce qu’il souhaite, sans applaudir à ce qu’il a écrit ; j’y vois pourtant bien des vérités ; mais il me paroît qu’en les écrivant, il jouissoit avec malignité du plaisir de croire qu’il avoit fait une découverte, & ce plaisir n’aura jamais mon suffrage. Je voudrois qu’on pût voir les défauts des femmes avec regret, & ne les publier qu’avec peine. Ce sera toujours un malheur pour nous qu’elles en ayent ; cette pensée est naturelle, & elle ne doit exciter que de la tristesse dans ceux qui les découvrent, s’ils sçavent penser. Je reprocherai d’ailleurs à l’Auteur d’avoir annoncé des portraits de femmes respectables, & d’avoir oublié son engagement. A-t’il craint de le remplir ? On peut l’en soupçonner, & les femmes sont vengées par ce soupçon. On écrit trop aisément contre les femmes. J’ai déja traité ce sujet important dans le Spectateur : Je n’y reviendrai pas aujourd’hui ; mais je dirai que généralement on parle de tout avec une liberté & une inconsidération tout-à-fait condamnables. Rien ne peut jamais être plus nuisible aux mœurs, & arrêter plus promptement le cours de cette politesse dont les Nations s’accordent à nous féliciter. Il ne faut qu’un vice de plus dans une Nation pour lui faire perdre toute sa réputation & la rendre barbare. Cette idée me rappelle des regles de conduite que j’ai lues autrefois : elles seront bien placées ici, & je les offre à ceux que des parens peu raisonnables ou mal instruits ont mis de trop bonne heure dans le monde. Ils y trouveront le moyen de réparer le mal qu’on leur a fait par là. Sois toujours disposé à céder plutôt le haut du pavé, qu’à le disputer, de peur de t’attirer une querelle de conséquence pour un sujet de rien. Si tu rencontres dans la rue un ami à qui tu ayes besoin de parler, retire-toi à quartier, pour ne pas interrompre le passage. Ne marche point avec ta canne sous le bras, au risque de blesser les yeux ou le visage de ceux qui te suivent. Pratique aussi ordinaire qu’imprudente, pour ne rien dire de pis. Ne garde point en marchant la lenteur grave d’un Espagnol dans une ville de commerce comme celle-ci : car si tu es oisif ou paresseux, songe que ceux qui vont devant & derriere toi ne le sont pas. Ne regarde point fixement au visage ceux proche desquels tu passes. Cela te fait prendre pour un archer ou pour un fou effronté. Si tu le fais par méprise, croyant reconnoître un ami, fais ton excuse aussi-tôt. Quand tu passes quelque part dans la foule, ne te fais pas passage avec les mains, mais seulement avec les coudes. Pousser quelqu’un avec les mains est une marque de mépris. N’avertis pas non plus tout haut ton compagnon de prendre garde à sa bourse. C’est une insulte que tu fais à ses voisins. Ne fixe pas tes regards sur une personne qui entre dans un lieu public, de peur de gêner sa modestie & de troubler sa contenance. Dans les lieux publics, où l’on mange, où l’on s’assemble, ne marque point trop de curiosité à l’égard des étrangers. Ils souhaitent peut-être de n’être point observés, & de demeurer inconnus. N’affecte point de marquer peu d’attention pour les personnes qui sont dans le même lieu que toi, soit en sifflant ou en frédonnant des airs, ou en prenant des postures indécentes. Si elles sont au-dessus de toi, tu manques à la considération que tu leur dois. Si elles sont au dessous, tu te deshonores toi-même ; mais soit inférieures, soit égales, tu blesses la dignité de la nature humaine, qui est toujours respectable. N’affecte jamais les excès de la civilité françoise avec ceux qui sont simplement anglois : mais considere que le sçavoir-vivre consiste à ne gêner personne. Dans les caffés, ne prends jamais la méthode injuste & choquante de tenir dans tes mains plus d’un papier de nouvelles à la fois. C’est une usurpation arrogante du droit commun de toute la compagnie. Quand tu vas à l’Eglise, place-toi au fond du banc, & ne demeure jamais à l’entrée, pour être un sujet de peine à ceux qui viennent après toi & qui ont le même droit de vouloir être à leur aise. Si tu ris de ces regles, ajoûte l’Auteur, c’est parce qu’elles te paroissent, ou triviales, ou inutiles. Triviales, il est faux qu’elles le soient, car on voit une infinité de personnes qui y manquent à tous momens. Inutiles, je m’en rapporte à ceux qui comptent pour quelque chose, la raison, la charité & la bienséance.