Le Monde comme il est (Bastide): No. 42
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No. 42. Du Mardi 24 Juin 1760.
Je suis,
&c.
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Brief/Leserbrief
Allgemeine Erzählung
le frere de Mademoiselle
de * * *. C’étoit un jeune homme plein d’honneur,
mais plus plein de morgue ; emporté, & toujours
insolent dans ses discours, lorsqu’il se croyoit
fondé à se plaindre. Il ne me fit pas attendre long
tems ce qu’il avoit à me dire. Son air m’annonça le
plus funeste entretien, ou plutôt la scene la plus
violente. Il étoit instruit du deshonneur de sa
sœur, & de la part que j’y avois ; il étoit
encore assez maître de ses mouvemens, pour ne s’en
pas prendre à la Barre, qu’une passion fougueuse
avoit emporté ; mais il n’auroit pas la même
indulgence pour moi, à qui, disoit-il, la raison, la
probité & les égards indispensables imposoient
la loi de prévenir un avénement affreux pour toute
une famille. Il finit son discours qui ne fut pas
long, par me demander raison de
l’insulte qu’il prétendoit que je lui avois faite.
Sans avoir jamais eu d’affaire dans le monde, je ne
craignois pas d’être soupçonné de manquer de
courage. Ce fut ce que je dis au frere de
Mademoiselle de * * *, en le priant avec douceur de
daigner m’écouter, si une justification sincere
pouvoit calmer ses sens ; . . . il répondit que
l’honneur ne lui permettoit pas de m’entendre, qu’il
supposoit aisément que je n’avois pas agi
volontairement dans ceci comme un ennemi public du
bonheur des familles, qu’il jugeoit bien que j’y
avois été porté par l’amitié ; mais que le public ne
s’accommoderoit pas de cette excuse, & qu’il
falloit se battre absolument. En ce cas,
poursuivis-je, nous nous battrons demain ; si vous
agissez sans passion, le moment doit vous être égal,
pourvû qu’il ne soit pas trop différé,
& je ne souffrirai pas d’ailleurs que ma chambre
soit le théâtre du combat. Il y consentit, &
nous convînmes de l’heure & du lieu. Une
réflexion prompte que j’avois faite, exigeoit le
délai que je venois de demander. Dans quelle
circonstauce <sic> me proposoit-on un duel,
& quel étoit l’ennemi qui me le proposoit ? Vous
avez frémi, sans doute, Monsieur, en me voyant prêt
à tirer l’épée contre lui : de pareils combats
finissent presque toujours par la mort de l’un des
deux aggresseurs ; il falloit donc que Mademoiselle
de * * * perdît, ou un frere, ou un ami, qui lui
devenoit à chaque instant plus nécessaire. Je fis
cette réflexion, & elle me détermina aisément au
parti que j’avois à prendre. Je fis part à la Barre
de ce qui venoit de m’arriver. Nous enlevâmes
Mademoiselle de * * *, & je remis en partant une
lettre pour son frere à un confident discret, qui se
chargea de la lui faire secretement
parvenir. Nous partîmes au commencement de la nuit,
& nos mesures avoient été si bien prises que
nous ne fûmes point arrêtés ; j’ignore même si nous
fûmes poursuivis. Vous sçavez, Monsieur, le reste de
notre malheureuse histoire jusqu’au moment où
Mademoiselle de * * * nous fit craindre pour sa vie.
Je passe sur tout ce qui a suivi ce malheureux
moment. Ce seroit attenter à votre tranquillité pour
long-tems, que de vous en détailler les horreurs.
Cependant vous seriez fâché que je terminasse ici un
récit qui vous a attendri, & je ne
serois pas content moi-même de mettre un terme si
prompt à la consolation que j’ai goûtée en vous
racontant mes malheurs. Je vais donc concilier votre
intérêt & le mien, en ajoutant quelques lignes à
ce triste récit. Vous vous êtes douté, Monsieur, que
lorsque la Barre partit de chez la Sage-Femme, ce
fut pour aller se tuer : il crut que Mademoiselle
de * * * expiroit, & vous concevrez aisément que
le désespoir ait pû le porter à cette extrêmité. Je
fus instruit de sa mort le lendemain, & j’en fus
pénétré comme d’un événement qui m’annonçoit tout ce
qu’il pouvoit arriver de plus affreux pour mon cœur.
C’est de la mort de ma chere amie que je veux
parler : elle devenoit inévitable. Comment lui
cacher la perte qu’elle venoit de faire !
quoiqu’accablée de son état & de ses maux, elle
sentoit aussi vivement que jamais. Cet homme qui l’avoit tant tourmentée avant que de la
posséder, avoit pris un caractere nouveau depuis le
moment qui l’avoit étroitement uni à elle. Il étoit
toujours à ses genoux ou au chevet de son lit, &
lui disoit tout ce que l’amour a de plus tendre ; il
ne parloit jamais que du bonheur d’avoir enfin
triomphé & de sa résistance, & de ses
ennemis ; & quoique ce bonheur ne fût plus que
dans le sentiment, il en étoit transporté comme le
premier jour. Nous jugions elle & moi combien il
l’avoit aimée, & cette pensée nous consoloit de
tous les maux que nous avoit causé son amour.
Lorsqu’elle fut revenue de l’évanouissement qui nous
avoit si vivement allarmé, elle demanda où étoit la
Barre, je lui répondis ce qui me vint à l’esprit,
sans prévoir encore que mon embarras ne feroit
qu’augmenter ; à chaque instant elle regardoit vers
la porte, & ne le voyant point arriver, elle pleuroit & s’évanouissoit. Vers
la nuit elle me dit,
Je m’épuisois à inventer des prétextes pour colorer
son absence ; mais on ne trompe point le cœur d’une
Amante. Enfin elle fut persuadée qu’il avoit attenté
à ses jours. Hélas, dit-elle, il ne falloit pas me
le cacher si long-tems, vous m’avez laissé vivre
deux jours de trop ; vous sçaviez qu’il étoit mort ;
pourquoi me l’avoir dissimulé ? craigniez-vous pour
moi une mort nécessaire & consolante. Je
m’obstinois à lui dire qu’elle le reverroit, mais
elle n’en vouloit rien croire, & toujours elle
regardoit vers cette porte fatale. L’agitation de
son esprit étoit si grande, que le délire s’en
suivit. . . . Je me sentis soulagé. Mon plus grand
tourment étoit de lui dissimuler l’excès de ma
douleur. Je me livrai à tout ce que je
sentois dès que je vis que la contrainte devenoit
inutile. Combien de larmes je versai, avec quelle
ardeur ne souhaitai-je pas de voir ma mort arriver
avant la sienne ! Hélas, mes vœux n’ont pas été
exaucés ; j’ai vécu pour voir mourir tout ce que
j’aimois dans le monde. Si quelqu’un méritoit de
vivre, c’étoit elle ; jamais il n’y eut de plus
parfait modele de la vertu & de la beauté. Sa
foiblesse ne lui a pas fait perdre cette qualité.
L’aliénation de son esprit dura pendant trois
jours ; je redoutois le moment où elle finiroit,
pensant très-bien qu’elle ne vivroit pas long-tems
ensuite : je ne me trompai point. Dès qu’elle eut
retrouvé sa raison, elle tomba dans un accablement
total, & je crus qu’elle alloit expirer. Pour
réveiller ses sens assoupis, je lui parlai de la
Barre, elle ouvrit les yeux, & me tendant la
main : c’est en vain que vous voulez
m’abuser sur son sort, me dit-elle, il ne reviendra
point, & nous l’avons perdu tous deux ; mon cœur
ne s’est pas trompé un moment : vous avez vû que je
n’ai jamais pû vous croire quand vous avez voulu me
flatter. Je connoissois sa promptitude & sa
tendresse ; hélas ! il n’a fait que ce que j’aurois
fait pour lui ; mais je m’accuse de ce qu’il a
souffert, & je meurs de sa mort. Ce furent les
dernieres paroles qu’elle prononça : elle expira une
demi-heure après. N’exigez pas, Monsieur, que je
vous apprenne ce que je devins, ni ce que je veux
devenir après l’avoir perdue. Je n’ai plus une
destinée à mon choix, & vous pouvez deviner ce
que je suis capable de faire, par ce que j’ai été
capable de sentir. Mes malheurs seroient finis, si
ma constance à les dévorer n’avoit été encore un peu
nécessaire à la mémoire de ma chere amie. J’ai fait
ce que l’amitié demandoit, & je me
vois enfin au bout de la plus triste épreuve qu’un
homme puisse faire de ses sentimens.
Metatextualität
Je lui
disois dans cette lettre,
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Brief/Leserbrief
qu’il auroit tort de
croire que la crainte de la mort m’eût fait
prendre le parti de la fuite : que je cédois à un
sentiment plus noble & plus désintéressé ;
& que s’il n’avoit pas été le frere d’un objet
pour qui je devois réserver tout mon sang &
tout mon courage, il m’auroit vû le prévenir au
lieu du rendez-vous.
Dialog
vous me trompez ; la Barre ne reviendra point,
oh ! dites-mois ce qu’il est devenu, dites-moi
s’il faut que je meure en ce moment. . . .
Metatextualität
Je ne ferai aucune réflexion sur
cette tragique aventure : le Lecteur pourroit me reprocher
de m’y être arrêté trop long-tems. Je passe à une nouvelle
qu’on vient de me raconter.
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Allgemeine Erzählung
Monsieur de * * * épris il y
a deux ans des charmes d’une jeune personne
très-coquette, crut se l’être attachée par les
bienfaits. Il eut bientôt des raisons de devenir jaloux,
& il la quitta. La Demoiselle charmée de se voir
libre, l’oublia dans les bras d’un autre, & crut
même l’avoir toujours haï. Au bout de quelque tems elle
pensa à lui, & crut l’aimer plus que jamais : elle
revint, lui fit parler, le séduisit. Il l’aimoit, &
se crut trop heureux. Six semaines après ils se
brouillerent encore, & ce fut elle qui le quitta. Un
mois ne s’étoit pas écoulé, que par le manége de l’infidelle, il y eut un nouveau
raccommodement aussi tendre que leur premier ardeur ;
& la quinzaine ne s’étoit pas écoulée, qu’ils
étoient encore brouillés & séparés absolument. Enfin
pendant deux ans, ils n’ont fait que la même chose ; il
est venu un bon moment qui a mis fin à toutes leurs
tracasseries ; mais peut-être mettra-t-il fin aussi à
leur goût mutuel. On peut le croire du-moins d’après le
caractere de la coquetterie, qui doit toujours finir par
être insupportable & vicieuse. Ils viennent de se
raccommoder pour la vingtiéme fois, & ils partiront
demain pour la campagne, où ils comptent fixer désormais
leur séjour & leur destinée. Il n’y a pas de plus
grande preuve de la fatale vérité que j’ai prétendu
exprimer dans les vers qui suivent :
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Zitat/Motto
Fremdportrait
Coquettes sont
l’écueil du sage ; Dès qu’une fois l’on apperçoit
Certain minois, certain corsage, On a bientôt
répondu soit. Coquette n’est jamais
sauvage ; Dans ses regards, dans son langage Elle
peint l’amoureux desir : Toujours un air
d’apprentissage Cache avec soin l’art du plaisir.
Dans tous ses goûts elle est volage, Tout
l’enchante, tout la séduit ; Mais on l’en aime
davantage ; Son inconstance vous engage, Un
nouveau charme en est le fruit : Son retour marque
de l’estime, Et l’estime à son tour le suit : Elle
paroît voir en victime L’œil pénétrant qui la
poursuit : Elle revient humble & sincere ;
Elle s’accuse, elle rougit ; On lui croit plus de
caractere, Et l’on sent mourir le dépit. Le desir
l’offre avec des charmes Que trop d’usage avoit
détruit, Qui vous consolent de vos larmes Et que
son crime reproduit. Vous pardonnez malgré
vous-même ; Vous songez qu’il faut la punir, Mais
vous croyez qu’elle vous aime Et la raison cede au
plaisir.