Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "LXIV. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.2\064 (1716), S. 404-410, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1583 [aufgerufen am: ].


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LXIV. Discours

Zitat/Motto► Et Ulubris, animus si te non deficit aequus.

Hor. L. I. Epist Xi. 30

Soïez toûjours égal, & vous êtes, même à Ulubre, le plus heureux de tous les Hommes. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Ebene 3► Brief/Leserbrief► Mr. le Spectateur,

« Il y a un défaut genéral qui regne dans la plûpart des Ecrivains de Morale, anciens & modernes, c’est-à-dire qu’ils prétendent jouïr eux-mêmes du Bonheur, & y conduire les autres. Il me semble avec tout cela qu’on ne sauroit y arriver dans cette Vie, ainsi je vous exhorte à ne parler pas d’un ton si haut que vos Prédecesseurs, & au lieu d’aspirer à nous rendre heureux, enseignez-nous seulement à devenir tranquilles. Le but de celui qui veut agir avec quelque discretion, & ne penser qu’à des choses praticables, doit être de diminuer notre Peine plûtot que d’augmenter notre Joie. On peut éviter [405] une Inquiétude excessive ; mais on ne sauroit ateindre à un grand Bonheur. La grande Leçon, qu’il faut donner aux Hommes est l’Egalité d’Ame, une certaine Régularité d’Esprit, qui est un peu au dessus de la bonne Humeur & au dessous de l’Enjouement. On doit être toujours de bonne Humeur lorsqu’on ne souffre aucun mal ; mais la Joie doit être toûjours accidentelle à un Homme sage & prudent ; c’est-à-dire qu’elle doit venir de l’occasion qui se présente d’elle même, & qu’on ne doit guères rechercher ; du moins ceux à qui la joie est nécessaire pour être de bonne Humeur, ressemblent à ces Temperamens qui ont besoin d’Eau de vie pour se soutenir. Je dis donc, mon cher Monsieur, que votre unique Précepte doit être, Soïez tranquilles. Cet Esprit, qui veut être, pour ainsi dire, transporté hors de lui-même par de grands éclats de rire, ou des plaisirs sensuels, & qui à moins de cela tombe dans l’inaction est déréglé & tout-a fait dissolu.

Ebene 4► Exemplum► Je connois deux Vieillards, qui ont, tous les jours leur Rendez-vous, où ils fument leur Pipe ensemble, & qui, par leur Amitié réciproque, quoi qu’ils aient eu l’un & l’autre assez d’embaras & de fatigue dans le Monde, jouïssent d’une plus grande tranquillité, qu’ils n’en pourroit jamais obtenir par la lecture d’aucun Chapitre de Seneque. ◀Exemplum ◀Ebene 4 On [406] peut arriver souvent à l’indolence du Corps & de l’Esprit, lorsqu’on ne tâche pas d’aller plus loin ; mais la poursuite du Bonheur, est toujours accompagnée de quelque inquiétude en elle-même, dont un Homme qui se borne à des repas moderez, qui jouït de la conversation a de ses Amis, & d’un Sommeil doux & paisible, ne s’embarase guére. Pendant que les Esprits Sublimes & rafinez parlent de la Tranquilité, c’est lui seul qui la possede.

Toutes ces reflexions à pièces de raport n’ont autre chose en vûë, Mr. le Spectateur, que de vous encourager à nous entretenir de la vie que doivent mener les bonnes Gens, pour remplir, avec quelque satisfaction, ces vuides qui leur restent sur les bras & qui les ennuient. C’est une chose bien triste que la Sagesse, ou, comme il vous plaît de la nommer, la Philosophie, ne fournisse des idées qu’aux Savans ; & qu’un Homme soit obligé d’être Philosophe pour savoir de quelle maniere passer la vie avec quelque douceur. Il me semble donc qu’il seroit digne de vos soins d’examiner les différentes combinaisons qui peuvent se former entre les Hommes, & leur procurer autant ou plus d’agrément que n’en sauroient donner les a plus beaux talens de l’Esprit. Vous pouvez trouver certaines Descriptions & certains Discours qui rendront le Foïer [407] d’un honnête Artisan aussi agréable que votre Coterie le peut être pour vous. La bonté du cœur est une source infinie de plaisir ; & vous rendrez un grand service au Public, si vous dépeignez au naturel tous les charmes d’un Domestique bien réglé, au lieu d’insister, avec les fameux Ecrivains, sur les vexations ordinaires de la Vie.

Le travail & le repos, qui se succedent tour à tour dans la Vie des Gens du commun, leur font passer le tems d’une maniere douce & paisible, & vous devriez en discourir, en qualité de Spectateur, aussi-bien que de tous ces autres sujets, qui paroissent à la vérité plus relevez, mais qui sont beaucoup moins instructifs. En un mot, je souhaiterois que vous tournassiez vos pensées à l’usage de ceux qui en ont le plus de besoin, & que vous fissiez voir que la Simplicité, l’Innocence, L’Industrie, & la Tempérance peuvent conduire à la Tranquillité, de même que le Savoir, la Prudence, l’Habileté & la Contemplation. Je suis, &c.

T. B. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Mr. le Spectateur,

« Je suis la jeune Demoiselle, à qui vous avez rendu la justice, depuis quelque tems, de reconnoître que je possede [408] à fond l’exercice de l’Eventail, & que je m’en sers avec toute la dextérité imaginable. Il est certain que le monde, tout critique & malin qu’il est aujourd’hui, avouëra, qu’après de grands éclats de rire j’en reviens tout d’un coup, je reprens un air serieux, je fais une reverence, je laisse tomber mes bras devant moi, & ferme en même tems mon Eventail, de meilleure grace qu’aucune Femme d’Angleterre. Je suis charmée de voir que vous avez pris connoissance de moi, & que j’ai votre aprobation ; aussi, quelques railleries que les autres jeunes Demoiselles me fassent là-dessus, j’en triomphe, convaincue que ce n’est que par un principe d’envie, & je vous demande quelque part dans votre Amitié. D’ailleurs souffrez que je vous expose l’état où mon Esprit se trouve aujourd’hui. Il y a peu de jours qu’occupée à lire 1 un de vos derniers Discours, où il s’agit de l’Ane qui ne sait de quel côté se tourner entre deux botes de soin, qui le sollicitent avec la même force, il me sembla que son cas représentoit bien la situation où je me vois : Ebene 4► Allgemeine Erzählung► car vous saurez que j’aime passionnément deux jeunes Messieurs qui me recherchent l’un & l’autre. Il ne faut rien cacher lorsqu’on demande conseil ; ainsi je vous avouerai de bonne foi que je n’aime pas [409] moins l’Argent que les Hommes. Mon Amant Chruson est fort riche, & mon Amant Calixte est très-joli. Je puis avoir l’un ou l’autre quand il me plaira, mais lorsque je viens à examiner dans mon Esprit lequel des deux je dois préferer, je n’ose accepter Calixte de peur que le Bien de Chruson ne m’echape, ni jouïr du Bien de celui-ci, & renoncer à la Personne de l’autre. Je suis encore fort jeune, mon cher Monsieur, & avec tout cela il n’y a pas une Fille au Monde qui pense plus que moi au principal & à l’essentiel. Calixte est le plus enjoué & le plus aimable Garçon que je connoisse ; il danse bien, il est fort civil, & divertissant à toutes les heures du jour & dans toutes les saisons de l’année ; en un mot, il fait la joie de mon cœur & les délices de mes yeux. Mais de l’autre côte Chruson est si riche & si appliqué au solide ! Je n’ai rien vû de plus propre que les Habits de Calixte qui met tous les jours quelque chose de nouveau pour me plaire ; mais je pense d’abord que tout cela ne sert qu’à l’apauvrir davantage. Enfin, après avoir examiné ces deux Passions de l’Amour & de l’Avarice qui me gourmandent, & pesé mûrement toutes choses, je commence à croire que l’une durera plus long tems que l’autre, & qu’il vaut mieux ainsi me déterminer en faveur de Chruson, si [410] vous n’avez rien à y opposer. Helas, mon pauvre Calixte ! ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 4 Je suis, &c. »

Brigide Argenson. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1C’est le LIX.