No. 22 Jean-François de Bastide Moralische Wochenschriften Michaela Fischer Editor Elisabeth Hobisch Editor Mario Müller Editor Veronika Mussner Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 11.04.2016 o:mws.4238 Jean-François de Bastide: Le Monde comme il est. Tome Premier. Amsterdam und Paris: Bauche und Duchesne und Cellot 1760, 253-264, Le Monde comme il est (Bastide) 1 022 1760 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Autopoetische Reflexion Riflessione Autopoetica Autopoetical Reflection Reflexión Autopoética Réflexion autopoétique Schweiz Svizzera Switzerland Suiza Suisse Wirtschaft Economia Economy Economía Économie Wissenschaft Scienza Science Ciencia Sience Place Vendôme 2.32946,48.86746 France Champagne-Ardenne Champagne-Ardenne 4.5,48.75 France 2.0,46.0 Switzerland 8.01427,47.00016

Feuille du Jeudi 8 Mai 1760.

J’ai reçu depuis quinze jours une si grande quantité de lettres, qu’à peine aurois-je, désormais, le tems de lire, si cette abondance devoit continuer. Ceux qui ont pris la peine de les écrire me pardonneront de ne leur avoir pas fait de réponse ; ils doivent regarder comme une très-bonne excuse le court espace de tems que six pages de composition, par jour, peuvent me laisser. Je vais pourtant tâcher de m’acquitter en rendant leurs lettres publiques ; car c’est apparemment ce qu’ils ont souhaité. Je sacrifie aux uns mon amour propre, aux autres, ma modestie ; & si tous sont justes & sçavent sentir, ils verront par-là que je suis très-sensible moi-même à l’honneur de les occuper. Je les avertis au reste qu’ils ont mal observé l’incognito en remettant eux-mêmes, ou faisant remettre leur lettre à mes Facteurs : lorsqu’ils voudront m’écrire désormais, sur-tout dans une intention peu flatteuse pour moi, il sera plus prudent & plus sûr d’envoyer en droiture au Bureau ; mais je leur conseille plutôt, du moins à ceux qui auroient cette intention, de ne plus perdre de tems à barbouiller du papier : pensent-ils que connoissant le Monde comme il est, je puisse me fâcher de quelques Epigrammes clandestines, qu’on dit même avec honte, puisqu’on n’ose pas les signer ? Mon amour propre n’est plus enfant : formé par la raison à l’école de l’expérience, il a appris à mépriser une légere égratignûre ; & il ne peut plus y avoir pour lui de blessure sensible, que celle qu’il auroit méritée. Quand j’aurai tort, quand j’aurai mérité d’être repris, je serai toujours prompt à m’en appercevoir & à m’en gronder moi-même : les fautes échappent, on ne les pressent pas ; mais la raison & le goût les voyent & les jugent ; & tous deux suffisent pour corriger un homme qui est de bonne foi avec lui-même. Ces lettres au surplus, par leurs opinions diverses, feront connoître le Monde comme il est, & je vais au but de mon ouvrage en les rendant publiques. J’ai cru devoir n’en employer que quelques-unes, quoiqu’elles forment une variété qui n’ennuye pas.

Lettreécrite de * * * en Suisse.

Mon cher Monsieur,

Je crois que voici la premiere fois qu’on vous écrit de la moyenne région de l’air ! pour ne pas vous tenir en suspens (défaut que j’avois il y a deux mois, & dont votre exemple m’a cor-rigé pour toujours), c’est du sommet de la plus haute montagne de Suisse, sur laquelle je frissonne maintenant au milieu des glaces & des neiges éternelles dont on y est environné. J’ai peine à ne pas dater ma lettre du mois de Décembre, quoiqu’on veuille me soutenir que c’est ici le vingt-cinq d’Avril. Mon encre géle sous mes doigts : en récompense, j’ai le plaisir de voir divers païsages de neige qui sont les plus jolis du monde. Cette neige est aussi durable que le marbre : me voici sur un tas qui s’éboula du tems de Charlemagne ou de Pepin le Bref, à ce qu’on dit dans le pays.

Les habitans ne sont pas une des moindres curiosités du pays. Dans leur jeunesse ils se louent à leurs voisins ; & ceux qui ont eu le bonheur de se voir à l’épreuve du mousquet jusqu’à soixante ans, reviennent avec l’argent qu’ils ont gagné, & les membres qu’ils conservent, achever leurs jours parmi leurs montagnes natales. Un des Gentilshommes du lieu qui en a été quitte pour un œil, m’a dit d’un air très-persuadé, qu’il y avoit à présent sept jambes de bois dans sa famille, & que depuis sept générations, on n’avoit enterré aucun mâle entier de sa branche aînée.

Voilà, mon cher Monsieur, pour ce qui est du lieu d’où je vous écris ; voici pour ce qui est du dessein que j’ai en vous écrivant ; c’est pour vous dire que je vous trouve trop retenu dans vos Feuilles. Je suis ici dans un pays de liberté, où toutes productions sans hardiesse, paroissent des hommes sans vigueur ; & les Suisses, vigoureux & francs, comme vous sçavez, n’estiment que leurs semblables : je serois d’ailleurs un peu bien-aise que vous vous fissiez mettre pour deux ou trois mois à la Bastille ; en sortant de là, vous feriez de belles réflexions sur l’ennui de la solitude ; cet ennui forme aujourd’hui ma situation ; & je vous lirois alors avec plaisir, parce que similis similem amat, &c. &c.

Lettreécrite de la Place de Vendôme.

Si l’Auteur du Monde comme il est, étoit un Chartreux, il faudroit l’avertir que les femmes ne mettent plus de mouchesImportante observation. : il doit le sçavoir ; mais cela lui est échappé dans une énumération rapide des moyens artificiels qu’employent les femmes, pour plaire & rajeunir à nos yeux.

Il n’a pas fait attention non plus qu’après sa protestation sur la vérité des histoires qu’il rapporte, celle du mari aux dentelles, désigné comme Fermier Général, va devenir publique, si elle est vraie, & sera sûrement mise sur le compte de quelqu’un quand le fait ne seroit pas vrai ou seroit fort ancien. Peut-être est-ce un moyen de faire souscrire pour ses Feuilles tous les Fermiers Généraux qui sont mariés, & qui ne voudront pas être soupçonnés d’avoir fait le trop bon marché des dentelles. Si c’est là son idée, elle a réussi, du moins à mon égard, car je suis Fermier Général, & je viens de faire demander ses Feuilles, que je n’avois point en propre, quoique je les paye chez Mademoiselle de S. H * * * où je les lis à mes heures d’ennui.

M. de Bastide me permettra de lui faire observer qu’il y a dans le monde, depuis vingt ans, une histoire pareille à celle du marché des dentelles, avec une petite différence cependant, c’est que la femme de l’acquéreur avoit un Amant, que cet Amant avare imagina de faire payer la moitié de la somme au mari, ne voulant en payer lui-même que la simple moitié ; & que le mari en donnant les dentelles à sa Maîtresse, qu’on ne le soupçonnoit point d’avoir, rendit l’Amant fort triste, & la femme fort sotte.

Lertre <sic> d’une femme, écrite de Champagne.

Monsieur.

Je lis vos Feuilles avec beaucoup d’exactitude toutes les fois qu’elles paroissent : la variété qui se trouve dans cet Ouvrage me plaît assez, c’est même ce qui m’a engagée à exciter la petite société dont je suis le membre, à les lire.

Il faut que je vous décrive cette petite société, & les objets dont elle s’occupe : elle est composée de douze personnes de l’un & de l’autre sexe : les assemblées se tiennent l’hyver chez celui des membres qui a l’appartement le plus commode & le plus échauffé. L’été elles se tiennent dans le jardin de Sylvie qui est celle qui préside ordinairement à ces assemblées ; un berceau de tilleul, inaccessible aux rayons du soleil, nous tient lieu de salle.

Vous imaginez peut-être que dans nos assemblées nous y parlons de cho-ses vagues, comme on a coutume de faire dans le Monde commeil <sic> est, c’est-à-dire, de modes, de bijoux, d’habillemens, de carrosses, de cheveux, de maisons de campagne, de plaisirs de chasse, de promenades, de repas somptueux, &c. point du tout : nous n’y parlons pas même d’affaires de Religion ni d’Etat : nous n’avons aucuns entretiens de ce qu’on appelle guerre, marine, &c. nos occupations & nos entretiens se tournent du côté des Sciences : la Physique & l’Agriculture sont celles qui nous affectent ordinairement ; l’économie sur-tout est la partie à laquelle nous nous attachons le plus intimément, nous convenons tous qu’elle doit être au-dessus des autres sciences dans le Monde comme il est.

Quoique tous ces objets paroissent assez étendus, & qu’ils méritent tout notre travail, nous ne laissons pas encore d’analyser toutes les productions de littérature & de science qui se publient de tems en tems : c’est moi comme Secrétaire de l’Académie, qui suis chargée d’annoncer, dans nos assemblées, les nouveaux livres qui s’impriment ; on en fait ensuite l’aquisition <sic>, & la société nomme trois Commissaires pour en faire l’examen.

Le vôtre intitulé : le Monde comme il est, s’étant répandu dans la Province, je présentai les quatre premieres semaines à notre Académie : Cléon, Cenie & Julie furent nommés, & c’est le rapport de ces trois Académiciens que je vous envoye.

Nous soussignés, Commissaires nommés pour l’examen des quatre premieres semaines d’un Ouvrage périodique, intitulé : le Monde comme il est ; par l’Auteur du nouveau Spectateur, avons trouvé 1°. Le titre très-intéressant, & digne d’exciter la curiosité des honnêtes gens & des cercles. 2°. Que les aventures, lettres, pieces de vers & chansons qui y sont contenues, forment une agréable variété, dont l’ensemble peut amuser, intéresser & instruire ; mais nous avons trouvé que cet Ouvrage étoit de niveau, avec tous les Livres comme ils sont, c’est-à-dire, d’un format qui n’est point au profit des Lecteurs : les caracteres trop gros forment des lignes plus écartées qu’elles ne devroient être, les marges ont deux doigts de largeur, c’est trop pour une brochure, & le prix en conséquence nous paroît trop cher, puisqu’un volume de trois cens quatre-vingt pages, qui ne fait que la grosseur des in-12 ordinaires, se payera trois livres quatre sols en feuillesFeu M. le Président du * *, riche de quatre-vingt mille livres de rente, m’écrivit il y a quelques années, une très-longue lettre sur une pareille matiere. Dans une dissertation de six grandes pages, il me prouva qu’un Ouvrage que je venois de faire paroître, étoit trop cher de dix-huit deniers. Je le crus, lui en fis mes excuses dans une réponse de trois cens cinquante pages écrites sur le plus beau papier du monde, pour lui prouver que je n’étois ni avare, ni paresseux ; & ne diminuai point le prix de mon Livre..

Si l’Auteur veut augmenter le nombre des matieres par quelques feuillets de plus, & continuer de les rendre intéressantes, ou en diminuer le prix : nous croyons que la lecture pourra plaire à ceux qui dans le Monde comme il est, se sentent aisément gênés d’une dépense très-médiocre. Avec ces changemens nous croyons que le débit en sera plus grand, l’acquisition plus aisée, & que la société en pourra continuer la lecture.

Fait au Manoir Rural, ce 23 Avril 1760. Signés, Cleon, Cenie, Julie,

Vu le rapport de Cleon, Cenie, & Julie, l’Académie consent de continuer l’acquisition & la lecture du Monde comme il est, si l’Auteur y fait les changemens mentionnés dans le rapport ci-joint. Au Manoir Rural, ce 24 Avril 1760. Leontine, Secrétaire de l’Académie Champêtre.

J’ai l’honneur d’être, Monsieur,Votre très-humble & très-obéissante servante, Leontine.

Au Manoir Rural en Champagne, ce 25 Avril 1760.

Feuille du Jeudi 8 Mai 1760. J’ai reçu depuis quinze jours une si grande quantité de lettres, qu’à peine aurois-je, désormais, le tems de lire, si cette abondance devoit continuer. Ceux qui ont pris la peine de les écrire me pardonneront de ne leur avoir pas fait de réponse ; ils doivent regarder comme une très-bonne excuse le court espace de tems que six pages de composition, par jour, peuvent me laisser. Je vais pourtant tâcher de m’acquitter en rendant leurs lettres publiques ; car c’est apparemment ce qu’ils ont souhaité. Je sacrifie aux uns mon amour propre, aux autres, ma modestie ; & si tous sont justes & sçavent sentir, ils verront par-là que je suis très-sensible moi-même à l’honneur de les occuper. Je les avertis au reste qu’ils ont mal observé l’incognito en remettant eux-mêmes, ou faisant remettre leur lettre à mes Facteurs : lorsqu’ils voudront m’écrire désormais, sur-tout dans une intention peu flatteuse pour moi, il sera plus prudent & plus sûr d’envoyer en droiture au Bureau ; mais je leur conseille plutôt, du moins à ceux qui auroient cette intention, de ne plus perdre de tems à barbouiller du papier : pensent-ils que connoissant le Monde comme il est, je puisse me fâcher de quelques Epigrammes clandestines, qu’on dit même avec honte, puisqu’on n’ose pas les signer ? Mon amour propre n’est plus enfant : formé par la raison à l’école de l’expérience, il a appris à mépriser une légere égratignûre ; & il ne peut plus y avoir pour lui de blessure sensible, que celle qu’il auroit méritée. Quand j’aurai tort, quand j’aurai mérité d’être repris, je serai toujours prompt à m’en appercevoir & à m’en gronder moi-même : les fautes échappent, on ne les pressent pas ; mais la raison & le goût les voyent & les jugent ; & tous deux suffisent pour corriger un homme qui est de bonne foi avec lui-même. Ces lettres au surplus, par leurs opinions diverses, feront connoître le Monde comme il est, & je vais au but de mon ouvrage en les rendant publiques. J’ai cru devoir n’en employer que quelques-unes, quoiqu’elles forment une variété qui n’ennuye pas. Lettreécrite de * * * en Suisse. Mon cher Monsieur, Je crois que voici la premiere fois qu’on vous écrit de la moyenne région de l’air ! pour ne pas vous tenir en suspens (défaut que j’avois il y a deux mois, & dont votre exemple m’a cor-rigé pour toujours), c’est du sommet de la plus haute montagne de Suisse, sur laquelle je frissonne maintenant au milieu des glaces & des neiges éternelles dont on y est environné. J’ai peine à ne pas dater ma lettre du mois de Décembre, quoiqu’on veuille me soutenir que c’est ici le vingt-cinq d’Avril. Mon encre géle sous mes doigts : en récompense, j’ai le plaisir de voir divers païsages de neige qui sont les plus jolis du monde. Cette neige est aussi durable que le marbre : me voici sur un tas qui s’éboula du tems de Charlemagne ou de Pepin le Bref, à ce qu’on dit dans le pays. Les habitans ne sont pas une des moindres curiosités du pays. Dans leur jeunesse ils se louent à leurs voisins ; & ceux qui ont eu le bonheur de se voir à l’épreuve du mousquet jusqu’à soixante ans, reviennent avec l’argent qu’ils ont gagné, & les membres qu’ils conservent, achever leurs jours parmi leurs montagnes natales. Un des Gentilshommes du lieu qui en a été quitte pour un œil, m’a dit d’un air très-persuadé, qu’il y avoit à présent sept jambes de bois dans sa famille, & que depuis sept générations, on n’avoit enterré aucun mâle entier de sa branche aînée. Voilà, mon cher Monsieur, pour ce qui est du lieu d’où je vous écris ; voici pour ce qui est du dessein que j’ai en vous écrivant ; c’est pour vous dire que je vous trouve trop retenu dans vos Feuilles. Je suis ici dans un pays de liberté, où toutes productions sans hardiesse, paroissent des hommes sans vigueur ; & les Suisses, vigoureux & francs, comme vous sçavez, n’estiment que leurs semblables : je serois d’ailleurs un peu bien-aise que vous vous fissiez mettre pour deux ou trois mois à la Bastille ; en sortant de là, vous feriez de belles réflexions sur l’ennui de la solitude ; cet ennui forme aujourd’hui ma situation ; & je vous lirois alors avec plaisir, parce que similis similem amat, &c. &c. Lettreécrite de la Place de Vendôme. Si l’Auteur du Monde comme il est, étoit un Chartreux, il faudroit l’avertir que les femmes ne mettent plus de mouchesImportante observation.: il doit le sçavoir ; mais cela lui est échappé dans une énumération rapide des moyens artificiels qu’employent les femmes, pour plaire & rajeunir à nos yeux. Il n’a pas fait attention non plus qu’après sa protestation sur la vérité des histoires qu’il rapporte, celle du mari aux dentelles, désigné comme Fermier Général, va devenir publique, si elle est vraie, & sera sûrement mise sur le compte de quelqu’un quand le fait ne seroit pas vrai ou seroit fort ancien. Peut-être est-ce un moyen de faire souscrire pour ses Feuilles tous les Fermiers Généraux qui sont mariés, & qui ne voudront pas être soupçonnés d’avoir fait le trop bon marché des dentelles. Si c’est là son idée, elle a réussi, du moins à mon égard, car je suis Fermier Général, & je viens de faire demander ses Feuilles, que je n’avois point en propre, quoique je les paye chez Mademoiselle de S. H * * * où je les lis à mes heures d’ennui. M. de Bastide me permettra de lui faire observer qu’il y a dans le monde, depuis vingt ans, une histoire pareille à celle du marché des dentelles, avec une petite différence cependant, c’est que la femme de l’acquéreur avoit un Amant, que cet Amant avare imagina de faire payer la moitié de la somme au mari, ne voulant en payer lui-même que la simple moitié ; & que le mari en donnant les dentelles à sa Maîtresse, qu’on ne le soupçonnoit point d’avoir, rendit l’Amant fort triste, & la femme fort sotte. Lertre <sic> d’une femme, écrite de Champagne. Monsieur. Je lis vos Feuilles avec beaucoup d’exactitude toutes les fois qu’elles paroissent : la variété qui se trouve dans cet Ouvrage me plaît assez, c’est même ce qui m’a engagée à exciter la petite société dont je suis le membre, à les lire. Il faut que je vous décrive cette petite société, & les objets dont elle s’occupe : elle est composée de douze personnes de l’un & de l’autre sexe : les assemblées se tiennent l’hyver chez celui des membres qui a l’appartement le plus commode & le plus échauffé. L’été elles se tiennent dans le jardin de Sylvie qui est celle qui préside ordinairement à ces assemblées ; un berceau de tilleul, inaccessible aux rayons du soleil, nous tient lieu de salle. Vous imaginez peut-être que dans nos assemblées nous y parlons de cho-ses vagues, comme on a coutume de faire dans le Monde commeil <sic> est, c’est-à-dire, de modes, de bijoux, d’habillemens, de carrosses, de cheveux, de maisons de campagne, de plaisirs de chasse, de promenades, de repas somptueux, &c. point du tout : nous n’y parlons pas même d’affaires de Religion ni d’Etat : nous n’avons aucuns entretiens de ce qu’on appelle guerre, marine, &c. nos occupations & nos entretiens se tournent du côté des Sciences : la Physique & l’Agriculture sont celles qui nous affectent ordinairement ; l’économie sur-tout est la partie à laquelle nous nous attachons le plus intimément, nous convenons tous qu’elle doit être au-dessus des autres sciences dans le Monde comme il est. Quoique tous ces objets paroissent assez étendus, & qu’ils méritent tout notre travail, nous ne laissons pas encore d’analyser toutes les productions de littérature & de science qui se publient de tems en tems : c’est moi comme Secrétaire de l’Académie, qui suis chargée d’annoncer, dans nos assemblées, les nouveaux livres qui s’impriment ; on en fait ensuite l’aquisition <sic>, & la société nomme trois Commissaires pour en faire l’examen. Le vôtre intitulé : le Monde comme il est, s’étant répandu dans la Province, je présentai les quatre premieres semaines à notre Académie : Cléon, Cenie & Julie furent nommés, & c’est le rapport de ces trois Académiciens que je vous envoye. Nous soussignés, Commissaires nommés pour l’examen des quatre premieres semaines d’un Ouvrage périodique, intitulé : le Monde comme il est ; par l’Auteur du nouveau Spectateur, avons trouvé 1°. Le titre très-intéressant, & digne d’exciter la curiosité des honnêtes gens & des cercles. 2°. Que les aventures, lettres, pieces de vers & chansons qui y sont contenues, forment une agréable variété, dont l’ensemble peut amuser, intéresser & instruire ; mais nous avons trouvé que cet Ouvrage étoit de niveau, avec tous les Livres comme ils sont, c’est-à-dire, d’un format qui n’est point au profit des Lecteurs : les caracteres trop gros forment des lignes plus écartées qu’elles ne devroient être, les marges ont deux doigts de largeur, c’est trop pour une brochure, & le prix en conséquence nous paroît trop cher, puisqu’un volume de trois cens quatre-vingt pages, qui ne fait que la grosseur des in-12 ordinaires, se payera trois livres quatre sols en feuillesFeu M. le Président du * *, riche de quatre-vingt mille livres de rente, m’écrivit il y a quelques années, une très-longue lettre sur une pareille matiere. Dans une dissertation de six grandes pages, il me prouva qu’un Ouvrage que je venois de faire paroître, étoit trop cher de dix-huit deniers. Je le crus, lui en fis mes excuses dans une réponse de trois cens cinquante pages écrites sur le plus beau papier du monde, pour lui prouver que je n’étois ni avare, ni paresseux ; & ne diminuai point le prix de mon Livre.. Si l’Auteur veut augmenter le nombre des matieres par quelques feuillets de plus, & continuer de les rendre intéressantes, ou en diminuer le prix : nous croyons que la lecture pourra plaire à ceux qui dans le Monde comme il est, se sentent aisément gênés d’une dépense très-médiocre. Avec ces changemens nous croyons que le débit en sera plus grand, l’acquisition plus aisée, & que la société en pourra continuer la lecture. Fait au Manoir Rural, ce 23 Avril 1760. Signés, Cleon, Cenie, Julie, Vu le rapport de Cleon, Cenie, & Julie, l’Académie consent de continuer l’acquisition & la lecture du Monde comme il est, si l’Auteur y fait les changemens mentionnés dans le rapport ci-joint. Au Manoir Rural, ce 24 Avril 1760. Leontine, Secrétaire de l’Académie Champêtre. J’ai l’honneur d’être, Monsieur,Votre très-humble & très-obéissante servante, Leontine. Au Manoir Rural en Champagne, ce 25 Avril 1760.