Cita bibliográfica: Anonym (Ed.): "LXIII. Discours", en: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.2\063 (1716), pp. 397-404, editado en: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Los "Spectators" en el contexto internacional. Edición digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1582 [consultado el: ].


Nivel 1►

LXIII. Discours

Cita/Lema► Νηπιοι, ουδ ισασιν οσω πλεον ημισυ παντος,

Ουδ οσον εν μαλαχητε δε ασφοδελω μεγ ονειαρ

Hesiod. Opera & Dies. V. 40

Ce sont des Fous qui ne savent pas la différence qu’il y a entre le tout & ses parties, ni les grandes Vertus de la Mauve & de l’Ache Royale. ◀Cita/Lema

Nivel 2► Dans les Mille & une Nuit, ou les Contes Arabes, 1 il y en a un à l’égard d’un Prince Grec, qui n’avoit jamais pû se délivrer de la Lépre, quelques remedes qu’il y eût emploïez, jusqu’à ce qu’un très-habile Medecin le guérit de la manière suivante : Nivel 3► Allegorie► « Il eut un Mail, qu’il creusa en dedans par le manche où il mit la Drogue, dont il prétendoit se servir ; il accommoda une Boule de même, & le lendemain il dit au Roy, Tenez, Sire, exercez-vous avec ce Mail & poussez vigoureusement cette Boule, jusqu’à ce que vous sentiez votre main & votre corps en sueur.

[398] Cela fait, le remède opera si bien, que le Roi fut gueri de sa Lèpre. » ◀Allegorie ◀Nivel 3 Cette Allegorie n’est pas mal imaginée, pour insinuer que l’Exercice du corps est très-utile à la santé, & la meilleure Medecine que l’on puisse prendre. Metatextualidad► J’ai deja soutenu, dans le XX Discours de ce Volume, fondé sur la structure genérale & le méchanisme du Corps Humain, que l’Exercice est d’une absolue nécessité pour sa conservation : ◀Metatextualidad J’ofrirai ici un autre Préservatif, qui a souvent la même vertu que l’Exercice, & qui peut, en quelque maniere, tenir sa place, lorsqu’il n’y a pas moïen de les mettre tous deux en usage. Le Préservatif, dont je veux parler, est la Temperance, qui surpasse tous les autres moïens de se conserver la santé, en ce qu’elle est pratiquable par toute sorte de Personnes, en tout Tems, & en tout lieu. C’est une espèce de Régime, que chacun peut s’imposer sans interrompre ses affaires, dépenser de l’argent, ou perdre son tems. Si l’Exercice décharge le Corps de toute sorte de superfluitez, la Tempérance les prévient ; si l’Exercice met les Conduits, la Temperance ne les bouche & ne les accable jamais ; si l’Exercice met les Humeurs dans une juste sermentation & contribue de cette maniere à la circulation du sang, la Temperance donne un champ libre à la Nature, qui peut agir alors dans toute sa force & sa vigueur ; si l’Exercice dissipe une Maladie [399] naissante, la Temperance l’étouffe & la déracine.

La plûpart des Remèdes ne servent qu’à supléer au défaut de l’Exercice ou de la Temperance. Il est vrai qu’ils sont absolument nécessaires dans les Maladies aigues, qui ne souffrent pas qu’on ait recours à l’opération lente de ces deux grands Préservatifs de la Santé, mais si les Hommes se formoient une habitude réglée de l’Exercice & de la Tempérance, ils n’auroient guére besoin de la Médecine. Nous voïons aussi qu’ils se portent le mieux dans les Endroits , où ils ne vivent que de la Chasse & que leur Vie en général étoit plus longue, lorsqu’ils ne subsistoient que par là. Les Vésicatoires, les Ventouses & les Saignées ne sont pas trop en usage, que pour les Saignées & les Débauchez. D’ailleurs toutes ces Potions laxatives, si fort en vogue parmi nous, ne servent que de moïens pour entretenir la Santé avec la Crapule. L’Apotiquaire est toujours occupé à contreminer le Cuisinier & le Vendeur de Vin. On assure que Diogene, trouvant dans la Rue un jeune Homme, qui alloit à un Festin, le ramena chez lui, sous ombre de le garantir d’un péril extrême, où il couroit tête baissee. Mais que diroit aujourd’hui ce Philosophe, s’il voïoit l’excès & la friandise de nos Repas modernes ? Ne croiroit-il point qu’un Homme est Fou, & ne prieroit-il point tous ses Domestiques de l’attacher, s’il lui voïoit dévorer, dans un seul Repas, [400] de la Volaille, du Poisson, & de la Viande de Boucherie ; engloutir de l’Huile & du Vinaigre, avec des Sallades composées d’une trentaine d’Herbes differenes ; avaler de trois ou quatre sortes de Vins ; s’exciter l’apétit par des Sauces, où il y a une centaine d’ingrédiens ; manger des Confitures & des Fruits d’un nombre infini de goûts & d’odeurs ? Quelles vicientes secousses & quelles fermentations déréglées un tel mélange ne doit-il pas produire dans le Corps ? Pour moi, lorsque je vois une Table servie avec toute la magnificence qui est aujourd’hui à la mode, il me semble que je vois la Goute & la Gravelle, l’Hydropisie & les Fiévres, accompagnées de cette foule de Maladies, ausquelles nous sommes sujets, se tenir en embuscade entre les Plats & les Assiettes.

La Nature se contente de ce qu’il y a de plus simple & de plus commun. Tous les Animaux, à l’exception de l’Homme, se bornent à un seul Mets. Les uns vivent d’Herbes & les autres de Poisson ; ceux ci de Chair, & ceux-là de Racines. Il n’y a que l’Homme qui donne sur tout ce qu’il trouve sur ses pas, rien ne lui échape ; le plus petit Fruit, la moindre Excrescence de la Terre, une Baie, un Mousseron, tout doit servir à sa nourriture, ou à sa gourmandise.

Il est impossible de fixer des regles pour la Temperance, puisque la même chose peut être Excès dans l’un & Sobrieté dans un autre ; mais il y a peu de Gens, arri-[401]vez à un certain âge, qui ne sachent quelle sorte & quelle quantité de nourriture leur convient le mieux. Si mes Lecteurs croient mes Patiens, & que je dûsse leur prescrire des règles de Tempérance proportionnées à l’état de chacun, sur-tout eu égard à notre Climat & à notre manière de vivre, je leur donnerois celles-ci, qui sont d’un très habile Médecin : Faites votre repas entier d’un seul Plat : Si vous en goûtez d’un second, ne prenez d’aucune Boisson forte qu’à la fin du repas, & abstenez-vous d’ailleurs de toutes les Sauces, à moins qu’elles ne soient très simples & naturelles. Un Homme, qui s’en tiendroit à ce petit nombre de Maximes aisées & communes, ne sçauroit guères bien tomber dans la Gourmandise. Par la première, il est à l’abri delà variété des Goûts, qui portent à l’Excès ; & par la seconde, il échape à tous les artifices inventez pour donner un faux Apetit, ou le ranimer lorsqu’il est presque éteint. S’il me faloit déterminer les coups que chacun doit boire, je suivrois ce que le Chevalier Guillaume Temple nous dit à cette occasion dans quelqu’un de ses Ouvrages, & je dirois avec lui, le premier Verre pour moi, le second pour mes Amis, le troisiéme pour la joie, & le quatriéme pour mes Ennemis. Mais, parce qu’un Homme qui vit dans le Monde ne sçauroit observer ces regles à toute rigueur, il me semble que chacun devroit avoir ses Jours d’abstinence, suivant que sa constitution le peut souf-[402]frir. C’est le vrai moïen de mettre la Nature en état d’endurer la faim & la soif, lorsque la Maladie ou le Devoir l’éxige ; de se délivrer de ses opressions, de réparer ses forces abatues, & de redonner l’élasticité à tous ses ressorts affoiblis. Outre que le jeûne emplie à propos écarte souvent une grosse Maladie, & la détruit même jusques à la racine. Nivel 3► Exemplum► Deux ou trois Anciens nous disent que Socrate ne ressentit aucun mal de cette cruelle Peste, qui ravagea la Ville d’Athenes, & qui est si fameuse dans l’Histoire ; ce qu’ils attribuent à la Tempérance que ce Philosophe avoit toujours observée. ◀Exemplum ◀Nivel 3

Metatextualidad► Je ne saurois m’empêcher d’inserer ici une remarque qui m’est venue dans l’Esprit toutes les fois que j’ai lû les Vies des anciens Philosophes, & que je les compare avec le même nombre de Princes ou de grands Seigneurs. ◀Metatextualidad On diroit que la Vie des premiers, dont presque toute la Philosophie se réduisoit à l’exercice de la Tempérance & de la Sobriété, avoit de tout autres bornes que celle du reste des Hommes. Du moins il se trouve qu’à leur Mort, ils approchoient plus de l’âge de cent ans que de celui de soixante. Nivel 3► Exemplum► Mais il n’y a point d’Exemple qui fasse mieux voir que la Tempérance contribue beaucoup à prolonger la Vie, que celui de Louis Cornaro, Noble Venitien. Je le cite d’autant plus volontiers, que le dernier Am-[403]bassadeur de Venise que nous avons eu à notre Cour, qui étoit de la même Famille, l’a certifié plus d’une fois en Conversation. Quoi qu’il en soit, ce Louis Cornaro, très-infirme & délicat jusqu’à l’âge de trente-cinq ou quarante ans, prit alors le parti de vivre d’un grand regime, & il rétablit si bien une santé délabrée, qu’à l’âge de quatre-vingts ans il publia là-dessus un Livret, qui a paru en François sous ce Titre, Le vrai Moïen de vivre plus de cent ans dans une santé parfaite Il vécut assez lui-même pour en donner une troisième ou quatrième Edition en Italien, & après avoir passe l’âge de cent ans au pié de la lettre, il mourut sans douleur & sans agonie, ou plutôt il s’endormit avec ses Peres. ◀Exemplum ◀Nivel 3 Il y a divers Auteurs célèbres qui parlent avec éloge de son Petit Livre, où l’on remarque en effet cette gaieté d’Esprit, ce calme, ce bon sens & cette crainte de Dieu, qui sont les fidèles Compagnes de la Temperance & de la Sobriété. Si l’on y trouve quelques endroits qui tiennent de la foiblesse du Vieillard , ils servent plutôt à en relever le prix qu’à le diminuer.

Metatextualidad► Ce Discours n’est qu’une suite du XX, où je traite de l’Exercice corporel, & c’est pour cela même que je ne regarde ici la Tempérance que comme un Moïen facile d’obtenir la Santé, & non pas sur le pié d’une Vertu Morale qui pourra faire le [404] sujet de quelque autre de mes Speculations. ◀Metatextualidad

L. ◀Nivel 2 ◀Nivel 1

1Voïez Tome I. p. 137. &c. de l’Edition de la Haya en 1714.