No. 7 Jean-François de Bastide Moralische Wochenschriften Michaela Fischer Editor Elisabeth Hobisch Editor Veronika Mussner Editor Sabine Sperr Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 11.04.2016 o:mws.4224 Jean-François de Bastide: Le Monde comme il est. Tome Premier. Amsterdam und Paris: Bauche und Duchesne und Cellot 1760, 73-84, Le Monde comme il est (Bastide) 1 007 1760 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Theater Literatur Kunst Teatro Letteratura Arte Theatre Literature Arts Teatro Literatura Arte Théâtre Littérature Art Menschenbild Immagine dell'Umanità Idea of Man Imagen de los Hombres Image de l’humanité Frauenbild Immagine di Donne Image of Women Imagen de Mujeres Image de la femme France 2.0,46.0

Feuille du Jeudi 3 Avril 1760. Sans l’esprit, les plaisirs ne sont que des supplices, Lui seul est pour nos sens, la source des delices ; Lui seul sçait les apprétier : Eh ! que m’importe que Dorante Me regale splendidement, Quand ses fades discours, de moment en moment, Me font languir, dans l’ennuyeuse attente De voir desservir promptement ? Quel goût peut-on trouver, au plaisir de medire, Si le trait n’est toujours porté Avec cette légéreté, Qui rend à bon droit la satyre L’ame de la société (I(I) Les ennuisdu <sic> Carnaval. Théâtre de Romagnesi.).

Combien de choses n’y a-t-il pas à répondre à cela ? Les objections se présentent en foule, quand on a un peu vû combien l’amour de l’esprit fait faire de sottises. Pour moi je le considere sur-tout par un endroit qui me l’a fait toujours envisager comme très-dangereux ; c’est l’abus attaché à cet amour. Ces paradoxes ingénieux où brille l’amour-propre, & dont les succès momentanés désaccoutument d’apprendre & de dire la vérité ; ces médisances si meurtrieres qu’un faux éclat d’esprit fait adorer dans les sociétés ; ces Vaudevilles assassins, monumens indestructibles de la malignité humaine, encore plus que des sotises, ou des défauts des hommes : tous ces jeux de l’esprit, regardés comme des gentillesses, sont autant de crimes réels, car il n’y en eut jamais un seul, un peu applaudi dans le monde, qui ne produisît un malheur pour celui qui en étoit l’objet. Avec de pareils défauts, l’es-prit me paroîtra toujours redoutables ; je ne serai plus touché de ses charmes : je les verrai pourtant, je ne deviendrai ni aveugle, ni sourd, ni injuste, mais je dirai comme à l’Opera.

Tu vois ces fleurs nouvelles Dont Flore vient de s’embellir : Sans leurs épines cruelles, Qu’il seroit doux de les cueillir.

Et véritablement l’esprit est une fleur qui pour soi comme pour les autres cache une fatale épine. S’il est permis de le personnifier, je dirai qu’il est le plus hardi menteur qu’il y ait dans la nature. Souvent dupé de son propre défaut, il finit comme ces conteurs qui à force de débiter une fable, croient raconter le fait le plus vrai, l’aventure la plus arrivée : il ne raisonne plus alors que sur de faux principes, & s’égare nécessairement & pour toujours. Son air persuadé entraîne la debile raison de ceux qui l’écoutent, autres dupes à qui des malheurs ne suffiront peut- peut-être <sic> pas pour apprendre à raisonner avec le bon sens & non avec l’esprit. Je m’adresse ici aux femmes, & je leur dis, défiez-vous de ce dangereux enchanteur ; il est sans cesse inspiré par les plus malignes intentions contre vos vertus : connoissez-le par ses actions ; n’attendez pas de pouvoir le juger par des épreuves personnelles : quiconque perd un moment avec l’ennemi qu’il doit craindre, risque de l’avoir craint trop peu. Voulez-vous rester indifférente, attachée à ces devoirs dont la douceur coule dans l’ame avec la paix, fidelle à un époux que votre vertu fixe autant que vos charmes, lisez la peinture qu’il fit autrefois de l’amour à une femme, qui raisonnable comme vous, pensoit que rien ne lui paroîtroit jamais préferable au doux exercice de sa raison. Cette peinture vous paroîtra charmante, & elle l’est en effet ; mais si vous avez un peu compris ce que je veux dire, vous serez impatiente de sçavoir l’effet qu’elle produit, & vous haïrez l’esprit en l’apprenant.

« Il n’est rien de si commun que de parler d’amour, il n’est rien de si rare que d’en bien parler ; le cœur qui le sent le définit bien mieux que l’esprit qui l’imagine. Demandez à un Amant ce que c’est que l’amour ? Sentir & desirer vous répondra-t-il, en deux mots : mais ses yeux, sa physionomie, tout en lui vous expliquera sa définition. Un homme d’esprit vous répondra la même chose, sans vous éclairer de même. En un mot, un Amant qui parle d’amour, vous en fait éprouver les mouvemens ; un homme d’esprit ne fait que vous les montrer (I(I) Voyez comme l’esprit, ce fourbe adroit, parle ici contre lui-même.).

Le monde aux yeux d’un Amant ne conserve jamais la même face, il change avec l’état de son cœur. Est-il heureux ? Tout est riant, tout est tranquille : la nuit devient mille fois plus belle que le jour : ses ténebres sont des voiles charmans, où les plaisirs se cachent pour séduire ; son silence devient le langage du bonheur même, tout est animé ; les saisons amenent de nouveaux plaisirs avec de nouveaux jours : l’univers enfin devient le théâtre de la félicité. Est-il malheureux ? Les éléments sont bouleversés : le jour n’est plus qu’une nuit funebre ; la pointe des plaisirs devient celle de la douleur : ce n’est plus cet air pur, cette nature riante, & parée ; le caprice d’une Maîtresse a renversé ce bel ordre ; c’est un nouveau ciel, ce sont d’autres étoiles.

Le monde est bien petit aux yeux d’un Amant ; sa Maîtresse, les habits qu’elle porte, le lieu qui l’enferme, l’air qui l’embrasse, voilà le monde entier, voilà le vaste univers.

Il faut penser modestement de soi-même pour aimer sincerement ».

Voilà les beaux discours, les belles maximes, que l’esprit débita à cette femme : vertueuse, mais tendre, elle douta & crut tout à la fois : un reste de raison, une terreur soudaine lui firent cependant dire, mais l’amour n’est pas si charmant puisqu’il peut rendre malheureux : il y auroit trop de risque à ne pas regarder cette reflexion comme une raison de s’en défendre…. Oh, répondit l’esprit, ce n’est pas pour des personnes aussi charmantes que vous qu’il a des caprices, ni des rigueurs ; vous sentez qu’il ruineroit par-là ses intérêts ! Eh ! qui voudroit aimer, si la beauté même, si les talens, les vertus, tout ce qu’on recherche & tout ce qu’on adore, n’enchaînoient pas la légereté de l’amour ; non, ne croyez-pas que vous fussiez jamais exposée à vous repentir d’avoir fondé une espérance délicieuse sur un droit incontestable ; je vous garantis le plus grand bonheur, les plaisirs les plus durables, si vous êtes capable d’aimer. . . Oh, je n’en suis que trop capable, répondit-elle, & ce ne seroit pas par mon insensibilité que je pourrois me défendre des charmes de l’amour, mais la raison m’y serviroit mieux, & certainement. . . l’esprit l’interrompit, lui cita mille femmes adorées jusqu’au tombeau, lui chanta tous les plus tendres morceaux de Quinaut, fit lui-même en une minute dix madrigaux charmans, & finit par lui tourner la tête ; elle se rendit, c’est-à-dire, s’abandonna à ses conseils ; & trois jours après, elle eut occasion de lire une satyre affreuse que ce perfide venoit de faire contre la constance. J’ai mis en vers ce monument d’horreur, & le voici.

Ami dont la main toujours pure Voudroit peser avec severité La bienfaisante utilité Des loix de la nature ; Cher ami, souffre que mon cœur Ose, à la fin, sentir & te répondre. J’arrache aux préjugés leur éclat imposteur, Je vais penser enfin ; si je suis dans l’erreur, Je te permets de me confondre. Où crois-tu me conduire ! à d’éternels tourmens. Par une prudence stoïque Tu voudrois limiter le cours des sentimens ? Entends la voix de tes propres penchans, Et d’un esprit philosophique Sonde la profondeur de mes raisonnemens. L’homme est né libre : il lui falloit un Maître Un maître qu’il aimât, qui sçut le gouverner ; En a-t-il un ? Sans doute, & tu vas le connoître, C’est l’univers. Dieu voulut l’enchaîner Par une ombre d’indépendance Qui prit sa source au sein de la diversité : Il se croit toujours libre, & cette confiance Accélere & commence La perte de sa liberté. Une flatteuse avidité Devient pour lui, comme une chaîne immense, Qui lie à tout son cœur, ses goûts, sa vanité Par le charme de l’espérance Et par l’attrait plus fort de la légereté ; Tout jusqu’à ses plaisirs forme sa dépendance. Si rebelle à ce tout qui pique ses penchans Il place sa raison à resserrer son être, En réprimant ses sentimens, Osons le dire, alors l’homme est un traître : Infidele à tout l’univers, Ingrat envers son cœur, dont la constante étude Etoit de déguiser ses fers Sous la séduisante habitude De tant de sentimens divers ; Il devient, à la fois, perfide & miserbale. Né pour sentir toujours ce goût insatiable Qui nous livre au besoin d’aimer, Se laissera-t-il enflammer Par quelque objet bisarrement aimable Dont tout le soin sera de l’attacher Par un lien peut-être détestable, Uniquement pour l’arracher Au goût sensé d’une ivresse adorable ! Non sur nos cœurs tout plaisir a des droits ; L’homme est né pour changer & rien ne l’en dispense : Il est injuste s’il balance Il est ingrat s’il fait un choix. Je scais que ce systême engage Un cœur qui veut en faire usage A la nécessité d’être toujours conduit Par une machine volage ; Mais la nécessité n’est plus un esclavage Quand le plaisir en est le fruit.

Voilà l’esprit démasqué par Euphrosine ; elle conçoit qu’il est un traître, un imposteur insigne, mais sur la foi de ses premiers discours, elle avoit cru qu’aimer, lorsqu’on étoit belle, remplissoit tous les vœux, & assuroit tous les plaisirs. Une plus douce erreur avoit achevé sa séduction, & voici où commence véritablement son histoire & son malheur.

La suite dans la Feuille prochaine.

Nouvelles.

Une Demoiselle, jeune, jolie & peut-être sage jusqu’alors, après avoir long-tems repoussé les instances d’un Marchand, dont elle étoit Fille-de-Boutique, eut enfin la facilité de céder à ses desirs après lui avoir fait promettre qu’il ne lui en arriveroit rien. Elle s’est apperçûe, au bout de quelques mois, qu’il lui avoit manqué de parole. Elle en demande justice & ne cesse de s’écrier : Ah ! les hommes sont bien trompeurs.

Un homme alla il y a quelques jours chez un Armurier, & lui demanda des pistoles de médiocre valeur. Je n’ai point d’argent, lui dit-il, après avoir vû ceux qu’on lui présentoit, mais je m’en vais vous laisser mon chapeau pour sureté. Le chapeau étoit bordé, l’Armurier y consentit. Le lendemain un inconnu vint chez lui, & lui dit en lui montrant les pistolets, n’est-ce pas vous qui avez vendu ces pistolets ? Oui, répondit l’Armurier : vous avez fait une belle chose, répondit l’inconnu, & tout de suite il sortit de la boutique, & se mit à courir.

On ignore la suite de cette aventure ; mais si elle me parvient, j’en ferai part au Public.

A samedi la Chanson.

Feuille du Jeudi 3 Avril 1760. Sans l’esprit, les plaisirs ne sont que des supplices, Lui seul est pour nos sens, la source des delices ; Lui seul sçait les apprétier : Eh ! que m’importe que Dorante Me regale splendidement, Quand ses fades discours, de moment en moment, Me font languir, dans l’ennuyeuse attente De voir desservir promptement ? Quel goût peut-on trouver, au plaisir de medire, Si le trait n’est toujours porté Avec cette légéreté, Qui rend à bon droit la satyre L’ame de la société (I(I) Les ennuisdu <sic> Carnaval. Théâtre de Romagnesi.). Combien de choses n’y a-t-il pas à répondre à cela ? Les objections se présentent en foule, quand on a un peu vû combien l’amour de l’esprit fait faire de sottises. Pour moi je le considere sur-tout par un endroit qui me l’a fait toujours envisager comme très-dangereux ; c’est l’abus attaché à cet amour. Ces paradoxes ingénieux où brille l’amour-propre, & dont les succès momentanés désaccoutument d’apprendre & de dire la vérité ; ces médisances si meurtrieres qu’un faux éclat d’esprit fait adorer dans les sociétés ; ces Vaudevilles assassins, monumens indestructibles de la malignité humaine, encore plus que des sotises, ou des défauts des hommes : tous ces jeux de l’esprit, regardés comme des gentillesses, sont autant de crimes réels, car il n’y en eut jamais un seul, un peu applaudi dans le monde, qui ne produisît un malheur pour celui qui en étoit l’objet. Avec de pareils défauts, l’es-prit me paroîtra toujours redoutables ; je ne serai plus touché de ses charmes : je les verrai pourtant, je ne deviendrai ni aveugle, ni sourd, ni injuste, mais je dirai comme à l’Opera. Tu vois ces fleurs nouvelles Dont Flore vient de s’embellir : Sans leurs épines cruelles, Qu’il seroit doux de les cueillir. Et véritablement l’esprit est une fleur qui pour soi comme pour les autres cache une fatale épine. S’il est permis de le personnifier, je dirai qu’il est le plus hardi menteur qu’il y ait dans la nature. Souvent dupé de son propre défaut, il finit comme ces conteurs qui à force de débiter une fable, croient raconter le fait le plus vrai, l’aventure la plus arrivée : il ne raisonne plus alors que sur de faux principes, & s’égare nécessairement & pour toujours. Son air persuadé entraîne la debile raison de ceux qui l’écoutent, autres dupes à qui des malheurs ne suffiront peut-peut-être <sic> pas pour apprendre à raisonner avec le bon sens & non avec l’esprit. Je m’adresse ici aux femmes, & je leur dis, défiez-vous de ce dangereux enchanteur ; il est sans cesse inspiré par les plus malignes intentions contre vos vertus : connoissez-le par ses actions ; n’attendez pas de pouvoir le juger par des épreuves personnelles : quiconque perd un moment avec l’ennemi qu’il doit craindre, risque de l’avoir craint trop peu. Voulez-vous rester indifférente, attachée à ces devoirs dont la douceur coule dans l’ame avec la paix, fidelle à un époux que votre vertu fixe autant que vos charmes, lisez la peinture qu’il fit autrefois de l’amour à une femme, qui raisonnable comme vous, pensoit que rien ne lui paroîtroit jamais préferable au doux exercice de sa raison. Cette peinture vous paroîtra charmante, & elle l’est en effet ; mais si vous avez un peu compris ce que je veux dire, vous serez impatiente de sçavoir l’effet qu’elle produit, & vous haïrez l’esprit en l’apprenant. « Il n’est rien de si commun que de parler d’amour, il n’est rien de si rare que d’en bien parler ; le cœur qui le sent le définit bien mieux que l’esprit qui l’imagine. Demandez à un Amant ce que c’est que l’amour ? Sentir & desirer vous répondra-t-il, en deux mots : mais ses yeux, sa physionomie, tout en lui vous expliquera sa définition. Un homme d’esprit vous répondra la même chose, sans vous éclairer de même. En un mot, un Amant qui parle d’amour, vous en fait éprouver les mouvemens ; un homme d’esprit ne fait que vous les montrer (I(I) Voyez comme l’esprit, ce fourbe adroit, parle ici contre lui-même.). Le monde aux yeux d’un Amant ne conserve jamais la même face, il change avec l’état de son cœur. Est-il heureux ? Tout est riant, tout est tranquille : la nuit devient mille fois plus belle que le jour : ses ténebres sont des voiles charmans, où les plaisirs se cachent pour séduire ; son silence devient le langage du bonheur même, tout est animé ; les saisons amenent de nouveaux plaisirs avec de nouveaux jours : l’univers enfin devient le théâtre de la félicité. Est-il malheureux ? Les éléments sont bouleversés : le jour n’est plus qu’une nuit funebre ; la pointe des plaisirs devient celle de la douleur : ce n’est plus cet air pur, cette nature riante, & parée ; le caprice d’une Maîtresse a renversé ce bel ordre ; c’est un nouveau ciel, ce sont d’autres étoiles. Le monde est bien petit aux yeux d’un Amant ; sa Maîtresse, les habits qu’elle porte, le lieu qui l’enferme, l’air qui l’embrasse, voilà le monde entier, voilà le vaste univers. Il faut penser modestement de soi-même pour aimer sincerement ». Voilà les beaux discours, les belles maximes, que l’esprit débita à cette femme : vertueuse, mais tendre, elle douta & crut tout à la fois : un reste de raison, une terreur soudaine lui firent cependant dire, mais l’amour n’est pas si charmant puisqu’il peut rendre malheureux : il y auroit trop de risque à ne pas regarder cette reflexion comme une raison de s’en défendre…. Oh, répondit l’esprit, ce n’est pas pour des personnes aussi charmantes que vous qu’il a des caprices, ni des rigueurs ; vous sentez qu’il ruineroit par-là ses intérêts ! Eh ! qui voudroit aimer, si la beauté même, si les talens, les vertus, tout ce qu’on recherche & tout ce qu’on adore, n’enchaînoient pas la légereté de l’amour ; non, ne croyez-pas que vous fussiez jamais exposée à vous repentir d’avoir fondé une espérance délicieuse sur un droit incontestable ; je vous garantis le plus grand bonheur, les plaisirs les plus durables, si vous êtes capable d’aimer. . . Oh, je n’en suis que trop capable, répondit-elle, & ce ne seroit pas par mon insensibilité que je pourrois me défendre des charmes de l’amour, mais la raison m’y serviroit mieux, & certainement. . . l’esprit l’interrompit, lui cita mille femmes adorées jusqu’au tombeau, lui chanta tous les plus tendres morceaux de Quinaut, fit lui-même en une minute dix madrigaux charmans, & finit par lui tourner la tête ; elle se rendit, c’est-à-dire, s’abandonna à ses conseils ; & trois jours après, elle eut occasion de lire une satyre affreuse que ce perfide venoit de faire contre la constance. J’ai mis en vers ce monument d’horreur, & le voici. Ami dont la main toujours pure Voudroit peser avec severité La bienfaisante utilité Des loix de la nature ; Cher ami, souffre que mon cœur Ose, à la fin, sentir & te répondre. J’arrache aux préjugés leur éclat imposteur, Je vais penser enfin ; si je suis dans l’erreur, Je te permets de me confondre. Où crois-tu me conduire ! à d’éternels tourmens. Par une prudence stoïque Tu voudrois limiter le cours des sentimens ? Entends la voix de tes propres penchans, Et d’un esprit philosophique Sonde la profondeur de mes raisonnemens. L’homme est né libre : il lui falloit un Maître Un maître qu’il aimât, qui sçut le gouverner ; En a-t-il un ? Sans doute, & tu vas le connoître, C’est l’univers. Dieu voulut l’enchaîner Par une ombre d’indépendance Qui prit sa source au sein de la diversité : Il se croit toujours libre, & cette confiance Accélere & commence La perte de sa liberté. Une flatteuse avidité Devient pour lui, comme une chaîne immense, Qui lie à tout son cœur, ses goûts, sa vanité Par le charme de l’espérance Et par l’attrait plus fort de la légereté ; Tout jusqu’à ses plaisirs forme sa dépendance. Si rebelle à ce tout qui pique ses penchans Il place sa raison à resserrer son être, En réprimant ses sentimens, Osons le dire, alors l’homme est un traître : Infidele à tout l’univers, Ingrat envers son cœur, dont la constante étude Etoit de déguiser ses fers Sous la séduisante habitude De tant de sentimens divers ; Il devient, à la fois, perfide & miserbale. Né pour sentir toujours ce goût insatiable Qui nous livre au besoin d’aimer, Se laissera-t-il enflammer Par quelque objet bisarrement aimable Dont tout le soin sera de l’attacher Par un lien peut-être détestable, Uniquement pour l’arracher Au goût sensé d’une ivresse adorable ! Non sur nos cœurs tout plaisir a des droits ; L’homme est né pour changer & rien ne l’en dispense : Il est injuste s’il balance Il est ingrat s’il fait un choix. Je scais que ce systême engage Un cœur qui veut en faire usage A la nécessité d’être toujours conduit Par une machine volage ; Mais la nécessité n’est plus un esclavage Quand le plaisir en est le fruit. Voilà l’esprit démasqué par Euphrosine ; elle conçoit qu’il est un traître, un imposteur insigne, mais sur la foi de ses premiers discours, elle avoit cru qu’aimer, lorsqu’on étoit belle, remplissoit tous les vœux, & assuroit tous les plaisirs. Une plus douce erreur avoit achevé sa séduction, & voici où commence véritablement son histoire & son malheur. La suite dans la Feuille prochaine. Nouvelles. Une Demoiselle, jeune, jolie & peut-être sage jusqu’alors, après avoir long-tems repoussé les instances d’un Marchand, dont elle étoit Fille-de-Boutique, eut enfin la facilité de céder à ses desirs après lui avoir fait promettre qu’il ne lui en arriveroit rien. Elle s’est apperçûe, au bout de quelques mois, qu’il lui avoit manqué de parole. Elle en demande justice & ne cesse de s’écrier : Ah ! les hommes sont bien trompeurs. Un homme alla il y a quelques jours chez un Armurier, & lui demanda des pistoles de médiocre valeur. Je n’ai point d’argent, lui dit-il, après avoir vû ceux qu’on lui présentoit, mais je m’en vais vous laisser mon chapeau pour sureté. Le chapeau étoit bordé, l’Armurier y consentit. Le lendemain un inconnu vint chez lui, & lui dit en lui montrant les pistolets, n’est-ce pas vous qui avez vendu ces pistolets ? Oui, répondit l’Armurier : vous avez fait une belle chose, répondit l’inconnu, & tout de suite il sortit de la boutique, & se mit à courir. On ignore la suite de cette aventure ; mais si elle me parvient, j’en ferai part au Public. A samedi la Chanson.