Zitiervorschlag: Jean-François de Bastide (Hrsg.): "No. 5", in: Le Monde comme il est (Bastide), Vol.1\005 (1760), S. 49-60, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2480 [aufgerufen am: ].


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Feuille du Samedi 29 mars 1760.

Ebene 2► Metatextualität► Quelques jours avant le Carême il me prit envie de sortir de bonne heure contre mon ordinaire, & d’aller me promener au Palais Royal. Il faisoit beau, je pensois que la même envie prendroit à bien d’autres que moi, & que je pourrois apprendre quelque nouvelle, ou rencontrer quelque figure qui exerceroit utilement ou agréablement ma plume. Je ne me trompois point : bientôt une affluence extraordinaire de gens, de toute espece, de tout état, de toute couleur, vint m’offrir, pour ainsi dire, une moisson plus abondante que je ne l’avois ambitionnée. On eût dit cinq cens machines asser-[50]vies aux loix du mouvement & venues là tout exprès pour tirer vanité de leur obéissance & de leur ferveur. Les machines ne marchoient pas ; elles couroient, elles voloient ; & comme les limites du jardin en mettoient une à la longueur de leur course, leur mouvement continuel me les ramenoit sans cesse : je m’étois assis, & ne pouvant les examiner toutes séparément, comme je l’aurois souhaité, j’allois porter mon attention sur quelques objets bien dignes de la préférence, par leur effronterie & la bisarrerie de leur ajustement, lorsque deux hommes, dont l’un paroissoit de la plus mauvaise humeur, & l’autre de la meilleure, vinrent s’asseoir à côté de moi. J’ai sçu que l’un s’appelle Tristan, & l’autre Rianfort : ils eurent ensemble un entretien qui les peint tous deux, & mérite d’être rapporté. ◀Metatextualität

Allgemeine Erzählung► Tristan demanda à son ami s’il avoit lû une brochure nouvelle qui faisoit [51] quelque bruit ? Ebene 3► Dialog► Ma foi, non, répondit Rianfort, je ne l’ai pas lûe & n’en ai pas été tenté ; je ne lis plus rien. Pourquoi cela ? demanda Tristan ; pourquoi ? répondit-il ; eh parbleu, parce qu’on ne voit plus paroître que du serieux, & que cela m’excede : Don Quichotte, Scarron, Hamilton sont morts sans retour ; on ne voit plus que des Tragédies étiques, des Elégies épiques, des Comédies anti-comiques, des Romans métaphysiques, & tout cela m’est mortel : Je veux faire un Roman fou, intitulé, les Foux : cela fera rire, ou du moins je rirai en l’écrivant, & c’est bien assez pour m’y autoriser : après avoir tant lû, tant bâillé, tant souffert, j’ai bien acquis le droit de regarder mon plaisir comme la meilleure raison pour moi.

Tristan l’écoutoit en rêvant : son ami s’apperçut qu’il étoit loin d’applaudir à ce projet ; il s’en plaignit en lui reprochant de le contrarier tou-[52]jours. Cela prouve que je suis véritablement ton ami, répondit Tristan ; sans cette obstination dont tu te plains tu serois déjà aux Petites-Maisons : en ce cas je t’ai bien de l’obligation, mon ami, car je m’imagine qu’il n’est pas plaisant d’être logé entre quatre murailles, & de recevoir régulierement tous les jours les étrivieres ; mais dis-moi, je te prie, mon cher Socrate, où est le risque d’écrire l’histoire des foux ?. . . de se dégoûter insensiblement du commerce des sages quand on n’a pas comme toi tout son nécessaire en bon sens : il n’appartient qu’à celui qui peut tout envisager sans danger, parce qu’il a des principes sûrs, de se familiariser avec des êtres dont la joie extérieure peut tenter la foiblesse humaine : imagine-toi, poursuivit-il, que la vie des foux est dans un sens fort agréable : considere ce Marquis, ce Robin, ce Financier boufi, qui se levent tous les jours sans avoir rien à [53] faire, & se couchent sans avoir rien fait : cette oisiveté paroît odieuse à qui sçait penser, mais le fou ne pense point ; s’il lui échappe quelque petite réflexion, c’est pour considérer les peines d’une existence utile ; ainsi il trouve qu’en ne faisant rien, il a le souverain bonheur, & ce bonheur séduit à la fin ces ames molles sur qui l’exemple fait une impression si facile. . . Je suis donc une ame molle ? M. le Philosophe, & à votre avis, tout plaisir, pourvu qu’il ne soit pas pensé peut me tourner la tête ? Oui, mon ami, souffre que je te le dise ; tu as le meilleur cœur du monde, une humeur charmante, de l’esprit, plus qu’on n’en voit à ceux qui ont toujours craint de s’instruire ; mais tu es le plus grand fou que je connoisse : c’est dommage assûrément, & j’en aurois un vrai chagrin, si je n’espérois. . . . . Non, parbleu, garde-toi d’espérer ; je vois ta trahison ; tu voudrois escamoter à ma triste belle-sœur [54] l’honneur de ma métamorphose ! Je te punirois de cet espoir s’il pouvoit m’allarmer ; je t’ai pardonné ta raison qui m’a cent fois excédé, pardonne-moi ma folie qui ne t’a jamais nui : souviens-toi du fou d’Athenes qui étoit si heureux, & garde-toi d’imiter ses cruels amis. . . . ◀Dialog ◀Ebene 3

[Tristan#F:Tristan] alloit répondre lorsqu’un Ecclésiastique vint à passer. Le premier, qui le connoissoit, l’appella à haute voix : Ebene 3► Dialog► bon jour, mon cher Chanoine, lui dit-il en l’embrassant, je ne vous sçavois pas ici ; depuis quand y êtes-vous ? Depuis deux jours, répondit ce dernier, je me proposois de passer demain chez-vous ; mais puisque je vous trouve ici, je ne differerai pas plus long-tems de vous dire ce que je viens faire dans ce pays ; j’y viens prêcher, mon ami. . . . Vous prêcher ? lui dit Tristan ; & vous venez de deux cens lieues pour cela ? Oui, mon cher, répondit le Chanoine, est-ce que vous ne [55] me croyez pas capable de m’en acquitter tout aussi bien qu’un autre ? Pour capable, mon cher, cela peut être absolument ; mais pour digne. . . . Vous devez convenir que cela souffre un peu plus de difficulté. Je ne conviendrai pas de cela, répondit-il, & j’exigerai même que vous me disiez sur quoi cette idée se fonde. Ah ! sur quoi, mon cher ami, vous sçavez bien que rien ne me seroit plus facile que de vous la justifier ; mais au lieu de cet éclaircissement que vous me demandez, & que je refuse ici à mon amour pour la vérité, je vous demanderai s’il ne reste plus de conversion à faire dans votre Ville ; & pourquoi, s’il reste des esprits à instruire, des cœurs à toucher dans le pays qui vous engraisse, (car vous conviendrez que vous êtes fort gras) vous apportez votre talent dans une terre étrangere ? J’ai vû des enfans battre leur nourrice ; mais je les ai vû leur faire du bien aprèsavoi <sic> [56] grandi ; vous faites précisément le contraire ; c’est en grandissant que vous la battez. . . . je ne la bas pas, mon cher, mais je l’abandonne, parce qu’elle est si bête, qu’elle ne pourroit pas m’entendre : mes Sermons sont écrits de manière qu’il n’y a que dans ce pays-ci. . . . Quoi, reprit Tristan, il y a donc un art local de prêcher la parole de Dieu ? Eh, oui, Monsieur, vous le sçavez de reste, pourquoi faire l’étonné ?. . . Il est possible que je le sçache, répondit Tristan ; mais il est naturel que je m’en indigne. . . . Oh, cette indignation ne mene à rien ; il ne faut pas s’indigner si aisément ; il faut souffrir ce qui est : la tolerence des abus n’en est point un, en matiere d’usages, & l’indignation déplacée est un excès : je ne convertirai personne par mes Sermons fleuris, je le sçais, & je suis le premier à le croire ; mais je ne convertirois pas davantage par des méditations seraphiques ; & si l’un de [57] ces deux genres peut au moins me faire honneur dans le monde, j’aurois tort de me condamner à l’oisiveté ; elle est le plus grand mal pour les gens de mon état.

Tristan fronça le sourcil : Rianfort qui le regardoit, lui dit en éclatant de rire, cela te fâche ? te voilà furieux ! par ma foi tu es bien bon ! eh, que t’importe la façon dont Monsieur prêche, & prêchera, pourvu que tu ne sois pas obligé de l’entendre ! laisse le monde en paix, mon cher, & crois que tout est bien, excepté le critique. . . . Je vais profiter du conseil, reprit Tristan, & je te laisse avec l’Abbé ; je ne sçais plus dissimuler ma pensée & j’ai tort ; car je vois bien que la raison & l’honneur sont maudits dans ce siecle. ◀Dialog ◀Ebene 3

Il partit en effet, & Rianfort en rit pendant un quart-d’heure sans faire attention à l’Abbé qui étoit resté avec lui & qu’il ne connoissoit pas. ◀Allgemeine Erzählung Ils avoient tous trois tort & raison ; & [58] c’est ainsi de presque tous les hommes de l’univers. Envisageons cette vérité du côté consolant, & nous croirons que tout n’est pas si mal dans le Monde.

Tristan, qui lira peut-être ceci ; trouvera que j’extravague, & ne parlera plus de mes Feuilles qu’avec humeur : je lui dis d’avance en prenant le ton de Rianfort : mon cher Socrate vous vous rendrez très-importun & très malheureux par ces idées de perfection qui forment votre logique : Nul homme n’est, ni ne peut être parfait ; il y a eu une certaine quantité de ridicules, de petits défauts, de petites passions répandus sur la terre, & chaque individu en a eu sa part ; la différence entre eux à cet égard n’est que dans la qualité : cela s’est fait par un pouvoir magique, si vous voulez ; mais cela est : le seul remede qu’il y ait, non à ce mal, car il est incurable ; mais aux réflexions chagrines [59] qu’il peut faire naître, c’est de n’en parler qu’en chantant, & de dire avec un Poëte plus sage que vous, peut-être, & certainement plus heureux.

Zitat/Motto► (I1 ) Mars & l’Amour en tous lieux

Sçavent triompher tous deux,

Voilà la ressemblance :

L’un regne par la fureur

Et l’autre par la douceur,

Voilà la différence.

Le Plumet & le Traitant

Nous en content fort souvent,

Voilà la ressemblance ;

L’un nous conte des rébus,

L’autre compte des écus,

Voilà la différence.

Le Voleur & le Tailleur

Du bien d’autrui font le leur,

Voilà la ressemblance :

L’un vole en nous dépouillant,

Et l’autre en nous habillant

Voilà la différence.

[60] Hypocrate & le Canon

Nous dépêchent chez Pluton,

Voilà la ressemblance :

L’un le fait gratuitement

Et l’autre pour notre argent,

Voilà la différence.

Le Drapier & le Robin

En allongeant font du gain,

Voilà la ressemblance ;

L’un allonge le Procès

Et l’autre le Varobais,

Voilà la différence. ◀Zitat/Motto

Metatextualität► Je prie le Suisse de M. le Duc de V * * * de ne pas s’offenser plus long-tems du mot Portiers que j’ai mis dans ma premiere Feuille, à la place du mot Suisses : je le prie aussi de croire que j’estime fort Messieurs les Suisses, quoique j’entende vanter leur exactitude plus que leur politesse ; je le prie encore de recevoir mes Feuilles à l’avenir, & de ne pas obliger son Maître à les envoyer chercher au bureau, comme il a déja fait. ◀Metatextualität ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1Ce Vaudeville a été fait il y a trente ans, & est peut-être oublié aujourd’hui, quoi qu’il ne merite pas de l’être.