Le Monde comme il est (Bastide): No. 4
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Feuille du Jeudi 27 Mars 1760.
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Lettera/Lettera al direttore
Pour M. le Spectateur.
Metatestualità
Vous êtes prié, Monsieur,
d’insérer la Lettre qui suit dans votre premiere
Feuille : c’est un service que vous demande une
malheureuse que vous plaindriez si vous la
connoissiez ; elle ne peut s’adresser qu’à vous,
ignorant à présent la demeure de l’homme à qui elle
écrit. Elle espere que vous trouverez le prix dû à
votre complaisance dans la compassion que cette
lecture vous inspirera : car elle sçait qu’il y a
bien de la satisfaction à plaindre les malheureux.
Ce n’est ici, Monsieur, qu’une partie, & la plus
triste de son histoire ; elle vous
promet toute l’histoire entiere, si vous croyez
comme elle, que les personnes trop tendres &
trop crédules puissent trouver quelques leçons dans
son malheur(I1).
Livello 4
Lettera/Lettera al direttore
Pour l’Ingrat qui
m’abandonne. « Ton cœur m’est enfin connu. Tu t’es
ennuyé de me tromper ! . . . garde-toi de
deshonorer l’humanité en espérant de me faire
croire que c’est elle qui a mis un terme à tes
détours : non, tu ne me persuaderas jamais que tu
sois homme par le cœur. La pitié n’a nul pouvoir
sur toi, le remord en a encore moins ; tu ne
cesses de te déguiser, que parce que la feinte
prend un tems dont la cruauté est jalouse. Mes
allarmes, mon agitation, ma douceur dans les
larmes, ma générosité malgré les soupçons, mes maux affreux ne t’auroient point touché,
j’aurois vu regner une obscurité éternelle sur ton
insensibilité & sur ta perfidie ; mais ce
manége retardoit la marche de tes inconstans
desirs, & ton ame parjure & barbare t’en
demandoit compte à chaque instant. Hélas ! je te
vis toujours compter les momens avec moi ; tu
t’ennuyois dans le sein du plaisir : Tu me disois
que le mouvement t’étoit nécessaire : que ton sang
ne circuloit pas dans une situation toujours
egale : quelle excuse ! Pensois-tu que j’en pusse
être long-tems la dupe ? Si je le fus, c’est que
je t’adorois ; mais j’ai bien vû, depuis, que tu
m’avois sotement trompée ; oui sotement : car il
n’y a point de sang qui ne circule auprès de ce
qu’on aime ; il n’y a pas non plus d’Amant qui ne
sente qu’une mauvaise excuse est un outrage ; mais
tu ne t’embarrassois guere de de
<sic> m’outrager ; tu n’avois qu’une
inquiétude, c’étoit de ne pouvoir pas asseztôt te
dérober à mes empressemens ; tu voyois mon amour
comme un supplice, & tu te reprochois même le
soin de m’en faire sentir le malheur &
l’inutilité. Voilà ton esprit & ton cœur : ils
m’ont été connus trop tard, mais je n’aurois rien
gagné à les connoître plutôt : Mon sort étois de
t’aimer, & tes défauts ne m’auroient point
guérie. Il falloit en te connoissant, ou pouvoir
cesser de t’aimer, ou pouvoir trouver le secret de
te plaire ; il n’est peut-être pas dans la nature.
On m’a dit qu’il n’étoit plus possible de te
toucher ; que ton ame étoit épuisée ; &
qu’ennuyé de toi, de nous, du monde entier, tu ne
cherchois à te communiquer aux femmes, que pour te
fuir toi-même. Si cela est je te plains, & ta
ressource est vaine : les femmes sont
le centre même de l’ennui, quand on les voit sans
amour & sans desirs : Elles ne sçavent
qu’aimer & que plaire ; toute leur émulation
s’y déploye, mais elles en attendent un salaire ;
ce sont des enfans qui demandent des dragées après
avoir bien dit leur leçon, & qui excedent
lorsqu’on n’a rien à leur donner. Tu en as pû
juger par moi ; je t’ennuyai, & je te
demandois peu de chose. . . Mais je cherche à
croire que tu n’es point coupable ! C’est une
trahison de mon cœur accoutumé à être la dupe du
tien : non, tu n’es point insensible comme tu veux
le paroître : l’ame ne s’éteint point puisqu’elle
est immortelle ; tu pouvois encore aimer lorsque
tu t’attachas à moi, & tu n’as pas même
l’excuse du plus méprisable des hommes : car après
toi, l’Amant à qui on peut plus légitimement
donner ce titre, est celui qui soupire sans amour
& sans pouvoir aimer. Il étoit,
dis-je, encore possible de te plaire, dans ce tems
devenu si funeste pour moi ; mais hélas il falloit
avoir de l’art & te croire réduit à cette
ressource : je t’aimai dans la plus grande bonne
foi, je te crus amoureux ; tu ne fis pourtant rien
pour fasciner mes yeux à cet égard ; mais est-ce
que l’amour attend les dernieres ruses de
l’imposture pour se laisser surprendre ? hélas !
tout doit le tromper ; je t’idolâtrois, je te
trouvois charmant, ma vanité n’auroit osé te
prescrire des soins plus flateurs, & elle
s’endormit au bruit de tes moindres discours. Ces
discours m’ont perdue ; je t’ai cru & tu
m’abandonnes !. . . il n’y a rien dans la nature
qui puisse me soutenir contre cette pensée ; je me
livre à mes tourmens, sans songer, ou plutôt en
songeant que la mort doit les finîr. Tu me
connois, tu sçais que tout mon être est dans mon
amour ; puisque cet amour ne te touche
plus, il faut que j’en tire, du moins, la fin de
mes maux. Je sçais que j’y suis réduite ; &
quoique tu pusses aujourd’hui m’écrire ou me
répondre, je croirois que tes remords sont faux :
tu trouveras même de la satisfaction à penser que
la chaîne odieuse qui te lie encore à moi est pour
jamais rompue ; tu seras en sûreté contre les
accens de mon ame plaintive, & contre ces
remords que tu dois craindre, & que tu ne
braves peut-être que parce que tu les crains : tu
seras sûr de n’être jamais obligé de penser à
moi ; quel service ne t’aurai-je pas rendu, &
quelle consolation pour moi de penser que je
t’aurai rendu service ! La générosité est le
dernier sentiment qui s’éteigne en nous ; ce qui
le fait durer, c’est peut-être qu’il y entre de la
vengeance ; eh bien en me vengeant de toi, tu ne
seras plus si coupable, & ce sera toujours
avoir fait quelque chose pour toi. »
Metatestualità
Les bornes de cette Feuille ne me
permettent pas de me livrer ici aux reflexions qui s’offrent
à mon esprit : mais que n’aurois-je pas à dire sur un sujet
si abondant ! J’ai reçu de plusieurs personnes de la musique
pour les couplets insérés dans ma premiere Feuille. Parmi
ces differens airs il s’en trouve un enrichi d’un
accompagnement de Guitarre, & pour le moins égal aux
autres en bonté, ce qui me le fait préférer. Je l’insérerai
dans ma Feuille tout aussitôt qu’il sera gravé.
1(I) Je desire bien ardemment qu’on me tienne parole, & le Lecteur fera le même vœu que moi après avoir lû la lettre qui suit.