Le Monde comme il est (Bastide): No. 1
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Livello 1
Feuille du Jeudi 20 Mars 1760.
Livello 2
Point de préambule, bien des gens m’en
sçauront gré, & moi je sçaurai gré à ces gens-là de ne
vouloir pas qu’on les ennuye. La vérité est bonne à dire : des
brutaux l’ont rendue haïssable en lui prêtant des traits
grossiers : sous un air aimable & honnête elle plaira
toujours ; & c’est cet air-là que je veux tâcher de lui
donner. Églé ! Je dirai que Misis vous charme, vous adore. . . .
mais votre gloire, votre pudeur ne seront point compromises ; vous vous reconnoîtrez seule au portrait que je ferai
de vous, & vous ne scandaliserez personne dans les bras de
l’Amour. Mondor ! Je dirai que vous êtes le mortel le plus
content de l’univers, lorsque plongeant vos avides regards dans
ce gouffre du bien public, que vous appellez votre coffre-fort,
vous pensez que tout, jusqu’à la vertu, est soumis à votre
puissance ; mais je ne dirai pas que vous êtes un misérable
qu’il faudroit enterrer vivant dans ce gouffre odieux. Je me
contenterai de rire de votre folie ; car au fond on ne doit vous
regarder que comme un fol, quoique vous fassiez du mal. Je me
suis exercé à cette façon d’envisager les choses : j’ai
fréquenté autant que je l’ai pu des gens de bonne humeur ; il
n’y a pas de meilleure école pour l’humanité, quand on a
d’ailleurs un peu de raison ; car un homme triste est toujours
trop sévere : il voit plus qu’il n’y a, ou du moins
il ne voit pas que parmi les choses qui l’irritent, il y en a
dont il ne proviendra jamais aucun mal, & d’autres dont il
naîtra quelque jour un bien. J’ai dit ailleurs qu’on devenoit
indulgent en devenant bon juge ; cela est incontestable, mais il
n’y a pas malheureusement assez de bons juges pour en convaincre
tout le monde. Oh ! que la vérité est intéressante quand on la
dit sans humeur ! elle établit dès-lors un commerce intime entre
le pere & les enfans, entre le maître & les domestiques,
entre la mere pieuse & la fille coquette : Elle rend
respectable & fait écouter quiconque a la charité de la
dire. L’amitié, l’amour s’embelissent de ses traits : ces deux
sentimens ne sont jamais ni si tendres ni si flatteurs que
lorsqu’ils se manifestent par de doux reproches où la vérité
semble se peindre elle-même avec modestie.
En
sortant de cette maison, où mon étoile m’avoit conduit pour
entendre ce charmant aveu, je me rendis dans une autre, où je
vis quelque chose de bien contraire. C’étoit la vérité, &
l’applaudissement eût été ou ineptie, ou imposture ; mais est-ce
ainsi que l’on doit dire la vérité ? A-t-elle été faite pour
nous accabler, pour ne mettre aucune différence, dans son ton,
entre nos erreurs & nos crimes ! Puissai-je toujours la
dire, comme je voudrois qu’on me la dît. Oui, j’espere ne
m’écarter jamais de la regle que le sentiment m’impose ;
cependant il y a des vices bien odieux, & des hommes bien
haïssables. Il seroit bien difficile de n’en parler jamais avec
humeur : je pourrai donc m’oublier quelquefois, mais
alors on verra le sentiment dans mon cœur ; il sera mon excuse.
Racconto generale
Hier une jeune personne se regarda
long-tems dans le miroir : éblouie de l’éclat de ses
charmes, elle s’occupoit sans doute de leur pouvoir. Son
amant inquiet de ses réflexions coquettes, l’aborda &
lui dit : vous m’aviez promis de ne vous contempler jamais
que dans mes yeux, ah ! mon admiration ne vous suffit plus,
vous songez à plaire à d’autres que moi ?. . . Ce reproche
étoit tendre ; aussi l’amante n’y vit-elle la vérité que
pour apprendre à la dire. Vous devinez trop bien, lui
dit-elle, mais votre pénétration me charme autant qu’elle
m’éclaire, & vous n’aurez plus à me gronder.
Racconto generale
Un grand Seigneur y étoit, accompagné de tout le
faste, de toute la morgue, de tout le cortége de ceux de son
espece, qui ne sçavent pas qu’on est bouffi sans
être gras, & haut sans être grand ; il étoit placé
devant la cheminée, & de-là rendoit des oracles. Un
petit homme modeste & simple exposa un projet qu’il
avoit conçu, & demanda l’avis de l’assemblée : le grand
Seigneur prononça pour tout le monde, & lui dit, en
minaudant, qu’il n’y avoit pas le sens commun dans son
projet. . . .
Metatestualità
Il faut que je commence par
raconter une petite avanture <sic> qui est arrivée il
n’y a pas long-tems ; elle apprendra aux femmes à dire la
vérité.
Racconto generale
Un homme aimable avoit inspiré un
goût assez vif à une femme très-aimable aussi. Il avoit fait
sa déclaration, & il croyoit bonnement que cela
suffisoit, puisqu’il avoit plu ; mais il se trompoit ; il
avoit affaire à un de ces esprits incertains, qui veulent,
ne veulent pas, promettent, se dédisent, soupirent &
s’offensent tour-à-tour. L’amant trouva ce procédé
très-irrégulier : sa bonne foi lui donnoit de
l’amour-propre ; il se plaignit, & cela fit un commerce
un peu bizarre. La suite n’en fut pas heureuse pour la belle
incertaine. J’ai mis cette aventure en vers, afin qu’elle
pût se conserver, car les vers restent. Les voici. Il ne seroit pas difficile de les mettre en
chant. Je prie l’Auteur d’Églé d’y jetter un coup d’œil,
& de se laisser tenter, s’il n’a pas renoncé à charmer
le Public par son ingénieuse musique.
Livello 3
Fabula
Citazione/Motto
La Bergere Cloris,
insensible & coquette Ne vouloit point avoir
d’amant ; Mais du Berger Tircis la touchante
musette, La faisoit penser autrement. Le jour elle
écoutoit avec indifférence Le concert le plus
séduisant ; Mais le soir, quand l’Amour gênoit
moins l’innocence, Elle écoutoit bien autrement.
Tous les jours son humeur la trompoit elle-même,
Et Tircis s’y trompoit souvent ; Ses discours
annonçoient une froideur extrême, Mais ses yeux
parloient autrement. Le Berger la trouvant un soir
dans la prairie, Voulut profiter du moment ; Elle
s’en offensa, mais elle en fut punie, Car elle
pensoit autrement. Elle perdit son
cœur : inquiéte, égarée, Elle le pleure
maintenant. La raison la trompa : quand on est
adorée On doit penser tout autrement.
Metatestualità
Il est d’usage de promettre
beaucoup lorsqu’on commence un Ouvrage périodique, &
l’on tient rarement parole ; les miens peut-être ne l’ont
que trop prouvé. J’ose cependant espérer que celui-ci
deviendra chaque jour plus intéressant. Je compte pour cela
sur des moyens particuliers que je suis en état d’y
employer, mais dont il n’est pas tems encore que j’instruise
le Public.