Citation: Anonym (Ed.): "LIV. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.2\054 (1716), pp. 341-346, edited in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): The "Spectators" in the international context. Digital Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1574 [last accessed: ].


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LIV. Discours.

Citation/Motto► Verùm opere in longo fas est obrepere somnum.

Hor. A. P. V. 360

Hé le moïen de ne pas se laisser aller au sommeil dans un Ouvrage de longue haleine ! ◀Citation/Motto

Level 2► Lorsqu’un Homme a découvert une nouvelle source de Badinage, elle l’en-[342]traîne souvent plus loin qu’il ne s’étoit figuré. Mes Correspondans ont pris la bale au bon, & à l’occasion de mon Discours sur une Partie de Grimaciers, ils ont poussé leurs Spéculations jusqu’à un point, où je ne les aurois jamais attendus. Metatextuality► Voilà la deuxiéme Lettre qu’il a produit, & que j’ai reçue par la derniere Poste. Tout ce que j’en puis dire, c’est qu’elle roule sur un Fait connu de tout le monde. ◀Metatextuality

Level 3► Letter/Letter to the editor► « Vous avez, Monsieur, diverti le Public par un Discours sur les Grimaces, d’où vous êtes venu à la Siflerie ; d’ici vous avez passé au Bâaillement & il me semble que la transition seroit fort naturelle, si vous y joigniez enfin le Sommeil. C’est pour cela que je vous offre l’Avertissement qui suit ; on le distribua dans nos Ruës il y a environ deux Mois, & on peut le voir, avec quelques additions, dans la Gazette journaliere du 9 ou 20 d’Août dernier 1711. Le voici mot pour mot,

Level 4► Satire► Nicolas Hart, qui dormit l’année derniere dans l’Hôpital de S .Barthelemi, a dessein de dormir cette année à l’Enseigne du Coq & de la Bouteille dans la Ruë, qu’on nomme la petite Bretagne.

Après m’être enquis du Fait, je trouve que ledit Nicolas Hart est saisi toutes les années d’un accès périodique de Sommeil, qui commence le 5 d’Août & finit le 11.

[343] Que le 1. de ce Mois ses yeux s’appesantirent.

Le 2. il parut assoupi ;

Le 3. il se mit à bâailler ;

Le 4. il commença à sommeiller ;

Le 5. il s’endormit profondément ;

Le 6. on l’entendit ronfler ;

Le 7. il se tourna dans son Lit ;

Le 8. il reprit sa premiere situation ;

Le 9. il étendit ses bras ;

Le 10. environ minuit il s’éveilla ;

Le 11. au matin il demanda un peu de Biere. ◀Satire ◀Level 4

J’ai tiré de ce détail du Journal exact & fidèle qu’un Etudiant en Droit du Collége de Lincoln a fait des prouesses de cet insigne Dormeur, dont il veut être l’Historiographe. Je vous l’envoïe, non seulement parcequ’il contient les actions de Nicolas Hart; mais aussi parcequ’il répresente au naturel la Vie de bien d’honnêtes Gentils Hommes Anglois, qui se bornent à bâailler, à sommeiller, à étendre les bras, à se tourner de l’autre côté, à dormir, à boire, & à telles autres occupations dignes de leur rang. Je ne doute pas, Monsieur, que, si l’envie vous en prenoit, vous ne pussiez donner un Avertissement, comme celui qui précede, á l’égard de plusieurs personnes distinguées, & à faire savoir au Public que Mr. Jean tel, Gentilhomme, ou Mr. Thomas tel, Ecuïer, qui dormit l’Eté dernier à la Campagne, viendra dormir cet Hyver en Vil-[344]le. Le malheur est, que les plus assoupis de notre Espèce sont de fort honnêtes Gentils-hommes, qui vivent en paix avec leurs Voisins, & qui ne troublent jamais l’Etat. Ce sont de véritables Bourdons sans aucun éguillon. Je souhaiterois de tout mon cœur que bien de nos Esprits turbulens, inquiêts & ambitieux voulussent changer de rôle pour quelque tems avec ces bons Messieurs, & se placer dans la Confraire de Nicolas Hart Si l’on pouvoit endormir un petit nombre de Têtes à nouveaux Projets & pleines de ruses, que je pourrois nommer, je ne doute pas que leur sommeil ne tourrât au repos de plusieurs Particuliers, & à l’avantage même du Public.

Mais, pour revenir à Nicolas Hart, je croi, Monsieur, que vous trouverez fort extraordinaire qu’un Homme gagne sa Vie à dormir, & que le Sommeil tienne lieu d’industrie ; cependant il est certain que Nicolas amassa l’Hyver dernier de quoi s’entretenir une année de suite. J’ai appris d’ailleurs qu’il a déjà fait cette année une assez longue Méridienne, qui l’a bien rafraîchi. Les Poëtes s’estiment beaucoup pour avoir dormi sur le Parnasse ; mais je n’ai jamais oüi dire qu’ils aïent profité d’un fou : Tout au contraire notre Ami Nicolas gagne plus par le sommeil qu’il ne pourroit gagner par son travail, & l’on peut assurer de lui à plus juste titre qu’on ne le disoit d’Homere, qu’il [345] a des Songes d’or. Il est vrai que Juvenal parle d’un Mari Dormeur, qui fit sa fortune en ronflant ; mais il nous le représente comme plongé dans un sommeil, que le Vulgaire appelle un dormir de Chien, ou supposé qu’il dormît tout de bon, sa femme veilloit & s’occupoit à ses affaires. Votre Génie, qui se plaît à moraliser sur toute sorte de sujets, peut si je ne me trompe, tirer de cette circonstance quelque chose d’utile, & nous indiquer ces Hommes, qui, au lieu de s’enrichir par une honnête industrie, se recommandent à la faveur des Grands, par le soin qu’ils prennent de se rendre agréables dans les débauches & les excès, où il se plongent avec eux.

Enfin, Monsieur, je dois vous avertir qu’un des plus célèbres Ecrivains de 1 Grub-street est occupé à nous donner le Songe de ce miraculeux Dormeur, & un détail de tout ce qui s’est passé dans son Imagination durant un si long Sommeil ; ce qui ne peut aller que fort loin. Il en

a déjà expedié trois jours & trois Nuits, qui comprennent, à ce que l’on m’assure, tout ce qui est arrivé de plus remarquable dans les quatre premiers Empires du Monde. S’il peut renoncer à l’esprit de [346] Parti, ou à ses traits piquans, son Ouvrage ne manquera pas d’être bien reçu, mais je doute beaucoup qu’il ait la force de s’en abstenir ; du moins un de ses intimes Amis m’a dit en confidence qu’il a déjà parlé de Nimrod avec un peu de liberté. Je suis, &c. » ◀Letter/Letter to the editor ◀Level 3

L. ◀Level 2 ◀Level 1

1C’est le nom d’une rue de Londres, où il y a quantité de miserables Librairies, qui gagnent leur vie à publier des Ballades, des Vaudevilles & des faussetez Nouvelles, qu’on appelle à cause de cela même, en commun Proverbe, Nouvelles de Grub street.