Le Nouveau Spectateur (Bastide): Discours XVIII.
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Discours XVIII.
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Il y a bien des personnes à qui je
déplairai en parlant de la parure fastueuse des femmes. Je sens
pourtant que c’est une matiere que je ne dois pas mépriser. Je
demande si la simplicité des plaisirs n’en fait pas le premier
agrément ? Le Sibarite le plus voluptueux, en répondant non,
sentiroit qu’il ment à son cœur. Cette simplicité charmante doit
être la régle de tout esprit qui cherche à plaire. On plait par
les riens ; parce que les riens sont simples, le vrai sublime
exprime ce caractère de simplicité. L’Architecture, autrefois,
emprunta de la chevelure des femmes, un ornement sensible pour
l’un de ses ordres. Cette chevelure flottante, qui marquoit si
bien la finesse de la taille, a été bannie ; & à sa place,
on a vû les plus beaux cheveux du monde gémir sous
la peigne cruel, & lui obéir sous des formes innombrables,
qui toutes marquoient une captivité particuliere. Je dirai ce
que j’ai oui dire, & si mes mémoires ne sont pas infidéles,
ils renferment une autorité convaincante contre l’abondance du
rouge, les panniers, l’amas des ponpons, &c. On prétend
qu’une femme, attendant son amant pour la premiere fois, après
avoir bien rêvé à la parure qu’elle empruntera pour lui plaire,
finit toujours par la simplifier, par imiter la nature, qui,
dans ce moment, s’empare de son imagination, & lui imprime
ses idées. Si cela est, si les Chroniqueurs ont dit la vérité ;
les femmes, en se parant avec trop d’affectation, décélent leur
répugnance à se régler sur des modéles ; car on peut donner le
nom de modéle à l’ajustement d’une femme qui, en le composant,
en l’adoptant, étoit inspirée par la nature même. Ici les prudes
se sâcheront ; mon raisonnement leur paroîtra digne
du plus grand mépris, & ce sera une impertinence à leurs
yeux, que de vouloir les assujettir aux idées d’une femme qu’en
tout on doit mépriser. Je leur dirai, ce n’est point à vous que
je parle ; je ne m’abaisserai jamais à vous donner des conseils.
Je ne m’adresse qu’aux femmes pour qui il peut y avoir des avis
utiles, parce qu’elles n’ont point les vices qui font qu’on s’en
dissimule le besoin. Je dis à celles-ci, n’est-il pas vrai,
qu’une idée distincte & constante vous conduit à votre
toilette, chez les Marchands, chez les Inventeurs de modes ?
Elle <sic.> me répondent, oui, le desir de plaire nous
anime toujours. S’il est ainsi reprens-je, réglez-vous sur les
femmes à qui la nature, sincerement consultée, donne en un
moment plus de science, qu’on n’en peut acquerir en dix ans
devant un miroir ; elles sont vos maîtres nécessairement, parce
qu’elles ont elles-mêmes pour maître la nature, en
qui réside la perfection de tous les talens. Elles m’écoutent,
me croyent, & me remercient ; je vois leur dispostion à
réformer un abus choquant ; mais une certaine timidité les
retient : elles desireroient qu’une femme courageuse osat
commencer : ce souhait est naturel ; la nouveauté est frondée
quoiqu’adorée, &, dans certains cas, il n’appartient qu’à
l’éclat du rang de la justifier. Puisse donc, dans ce rang
élevé, un esprit philosophe, vouloir donner le ton, &
communiquer la lumiere à des esprits qui l’attendent. J’aurois
d’autres réflexions à faire, sur mille choses qu’on trouve à
reprendre dans le monde, pour peu que l’ame & l’esprit
puissent percer un certain vernis de raison qui paroît les
justifier. . . . O nature, nature. . . . Je considere le mépris
qu’on paroît avoir voulu faire d’elle dans la création de
certains usages, & je me dis que l’outrage est
complet. On peint, à dix personnes assemblées, l’état & les
plaisirs des premiers Bergers, & cette peinture les
attendrit : elles gémissent sur la forme que le monde a prise ;
c’est un globe nouveau, disent-elles, & tout y est frondé
par des cœurs à qui la nature vient de parler. L’instant qui
suit, leur fait d’autres sentimens ; on parle de Madame
de * * *, & de Monsieur de * * *, qui étoit hier
magnifiquement vêtus, qui avoient les plus beaux diamans, les
plus belles dentelles du monde ; & dans l’instant l’envie
murmure, on voudroit avoir ces étoffes, ces diamans, ces
dentelles admirables ; on méprise les ajustemens & les
bijoux qu’on posséde, quoiqu’on les ait vantés cent fois : c’est
l’amour propre qui les évalue alors, & il s’exagere toujours
ce qui est refusé à son avide jalousie. . . . Pour les rangs,
pour les richesses, pour les emplois, c’est la même chose. Quand
on vient de lire une églogue, on les trouve
importuns, fatiguans, funestes à l’honneur ; mais, dans ce même
instant, voit-on entre un homme décoré, un financier bien
nourri, un commis un peu doré, adieu Cloris, adieu Sylvandre, il
n’y a plus de bonheur que dans le faste ; & la nature est
une sotte. . . . . Je reviens à mon objet qui est de médire des
usages. Je conviens qu’il ne faut point être romanesque, &
moi-même j’accuserois de l’être quiconque abjureroit avec trop
de mépris les choses établies ; mais je dis que ces choses,
quoiqu’établies, doivent être examinées par l’homme qui pense ;
& qu’il est fou de leur sacrifier le sentiment & la
liberté, comme l’on fait sans cesse dans le monde. On les
condame <sic> & on les respecte ; on n’est jamais
soi ; on n’ose point attenter à un abus gênant que souvent on
abhorre. Je dis que cela est ridicule, & digne du plus petit
esprit. Toutes mes réflexions sur ce sujet moins
futile qu’il ne paroît l’être ; sont renfermées dans les Vers
qui suivent.
Je fis ces Vers il y a six ans ; je m’en applaudis aujourd’hui ;
je les crois placés ici ; je crois qu’ils prouvent que le monde
est une grande prison, où l’on a toujours les fers aux pieds,
tant que l’on n’a pas un peu de philosophie dans la tête : car
bergerie ici, c’est philosophie : il ne faut pas qu’on s’y
trompe ; je n’ai voulu peindre qu’un état possible. Les bons
esprits n’examineront pas si, pour me faire croire, il falloit
que je répandisse plus d’ordre dans ce Discours. Je me suis
livré à mes idées, sans pouvoir m’arrêter, ni me soumettre à une
certaine méthode. Il y a des matieres qui nous subjuguent ; ce
sont celles dont les objets se présentent plus
ordinairement à notre esprit, & offrent toujours quelque
chose de nouveau à condamner. On peut bien ranger dans cette
classe, les ridicules & fatiguantes conventions du monde,
grand & petit : mille fois par jour, on est forcé d’en
sentir l’importunité. Le Ministre d’un Souverain d’Allemagne,
alla rendre visite il y a quelques jours à Madame F * * * ; il
la trouva seule, & lui demanda, si elle n’iroit point au
Spectacle : j’avois espéré d’y aller, répondit-elle, mais je
prévois que je serai obligée de rester chez moi ; j’ai envoyé
chez toutes les femmes de ma connoissance, & toutes étoient
engagées. Comment, Madame, reprit-il, vous n’iriez pas bien au
Spectacle, avec un homme ! Non, Monsieur, ce n’est point l’usage
en France. Mais tant pis, Madame ; je vois bien que votre
Nation, hardie à fronder sans cesse les loix, est encore bien esclave des préjugés. Quoi ! une femme, en France,
passera toute la journée avec son amant, elle fera refuser sa
porte à tout le monde ; on sçaura qu’elle est chez elle, qu’elle
est avec lui ; on sera refusé, on ne dira rien, on trouvera cela
tout simple ; & cette même femme, allant à l’Opéra avec un
indifférent, avec moi, sera deshonorée ! Cela est ridicule,
extravagant, barbare ; & je vois que les femmes, qu’on dit
ici si libres, si heureuses, si absolues, sont encore bien
sujets à l’opinion des hommes. J’arrivai un moment après, &
ce Ministre, qui raisonnoit très-bien, me pria de traiter ce
sujet dans mes premieres Feuilles. Madame F * * *, furieuse
d’avoir manqué sa partie, furieuse de ne pouvoir prendre pour
des autorités les raisons qu’on lui donnoit se joignit à lui,
& m’invita à embrasser en même-tems mille sujets de même
nature. Je l’ai fait, & j’ai fait mon devoir.
On ne sçauroit trop sévir contre toute convention qui rend les
femmes solitaires : l’ennui va les trouver dans la solitude,
& leur persuade aisément la nécessité d’aimer. Dans cet état
elles aiment souvent le premier venu ; & l’on sçait le grand
mal qui en arrive.
Zitat/Motto
Pourquoi tant de
parure ? Iris, on plaît tout naturellement ; L’art devient
imposture S’il cache l’agrément. Souvenez-vous qu’une
Bergere N’a point d’autre art que l’art de plaire, D’autres
rubans qu’une chaîne de fleurs, D’autre miroir qu’une onde
claire, Et d’autre tein que ses propres couleurs.
Voulez-vous renoncer à notre bergerie ? Vous faites mal plus
que vous ne pensez ; Iris, le bonheur de la vie Dépend de
cet état auquel vous reconcez. Quel est le ton du monde où
l’on vous associe ? Rien n’est si sot dans l’univers. Pour
juger de votre folie, De ce monde, entre nous, connoissez
les travers. Se lever dans la certitude D’avoir beaucoup de
gêne & beaucoup plus d’ennui, Vieillir à sa toilette,
& se faire une étude D’un art simple autrefois,
fatiguant aujourd’hui. Faire un dîner où l’on
s’ennuie, Manger beaucoup, sans appétit, Se servir avec
simétrie, Se complimenter sans esprit ; Entendre des propos
inspirés par l’envie, Ausquels tout le monde applaudit Par
contenance ou bien par jalousie ; Médire, enfin, parce que
l’on médit. Après un long repas, une longue partie, Et jouer
comme on a díné, Se voir placer par fantaisie, Ou par un
motif raisonné ; A la table de ceux dont le triste génie
Vous a le plus assassiné ; Etre maudit par compagnie, Si,
par malheur, on n’est ruiné. Raisonner pesamment sur une
bagatelle, Raisonner sans être d’acord ; Déchirer d’une dent
cruelle Une connoissance nouvelle, Quoiqu’on la voye avec
transport Avec l’amitié la plus vive ; La caresser dès
qu’elle arrive, Et la noircir dès qu’elle sort. Après un
long martyre Se retirer chez soi, triste, avec de l’humeur,
En détestant au fond du cœur Les dîners où
l’on ne peut rire ; Iris, voilà le monde, & voilà le
malheur, Où, malgré moi, j’ai peur Que la foule ne vous
attire. Que le sort des Bergers est un sort différent. Ils
n’ont point de toilette à faire ; La nature est leur art,
ils plaisent en aimant ; Leurs repas n’ont rien d’éclatant,
Aussi chaque Berger digere Le dîner qu’il fait sagement. Ils
ne sont point jaloux, ils ne sçavent point feindre ; Se
déguiser, c’est se contraindre, Et la contrainte est un
tourment. Ils ne font point d’histoire, & n’en ont point
à craindre, Cet art toujours honteux, & toujours
fatiguant, Est étranger, lorsque l’on vit content. Sur un
gazon naissant, Leurs jeux sont des chansons & des
danses légeres ; Ils n’y perdent point leur argent. Ils y
gâgent souvent le cœur de leurs Bergeres. De
ces états si différens entr’eux, Comparez les plaisirs, les
motifs & l’usage ; l’ourrez-vous balancer à saisir
l’avantage De préférer celui qui vaut le mieux. Choisissez
pour jouir ; c’est le droit de votre âge. Sçavoir choisir,
c’est être sage, Sçavoir jouir, c’est être heureux.