Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "XLVIII. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.2\048 (1716), S. 300-308, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1569 [aufgerufen am: ].


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XLVIII. Discours

Zitat/Motto► Quis enim bonus, aut face dignus Arcanâ, qualem Cereris vult esse Sacerdos,
Ulla aliena sibi credat mala ?

Juv. Sat. xv. 140.

Car un Homme de bien, tel que le Prêtre de Cerès veut qu’on soit, a-t-il jamais tenu pour maxime, qu’il dût compter pour rien le mal d’autrui ? ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Metatextualität► Dans 1 un de mes derniers Discours, j’ai parlé du bon Naturel, qui est une production du Temperament, & j’en traiterai ici sur le pié d’une Vertu morale. ◀Metatextualität Le premier peut rendre un Homme tranquille en lui-même, & agreable aux autres ; mais il ne donne aucun merite à celui qui le possede. On ne sauroit non plus louer un Homme à cette occasion, que parcequ’il a un pouls bien reglé ou un bon Estomac. Quoi qu’il en soit, ce bon Naturel machinal, que Mr. Dryden appelle quelque part une douceur du Sang, est un fondement admirable pour l’autre. Afin donc de sçavoir si notre bon naturel vient du Corps ou de l’Esprit, s’il est fondé sur la partie animale ou raisonnable de nous-mêmes ; en un mot, s’il est tel qu’il mérite quelque chose de plus que cette satisfaction interieure qui l’accompagne toujours, & que l’honnête reception qu’il nous procure dans le monde, nous devons l’examiner par les Regles suivantes. [301]

I. Il faut voir, en premier lieu, s’il agit d’une maniere constante & uniforme dans la Maladie & la Santé, dans la Prosperité & l’Adversité ; puisque, s’il varie dans l’un ou l’autre de ces cas, on ne peut le regarder que comme une illumination subite de l’Ame causée par une affluence nouvelle d’esprits animaux, ou comme une plus favorable circulation du sang. Le Chevalier François Bacon nous parle d’un Solliciteur rusé, qui ne demandoit jamais une grace à un Homme en crédit avant le dîner ; mais qui s’adressoit à lui lorsqu’il le voïoit à table, loin du tracas des affaires, manger de bon apétit, & de belle humeur. Un bon Naturel de cet ordre, qui dépend des Lieux & des circonstances, n’est pas cette Philanthropie, cet amour du Genre Humain, qui mérite le nom d’une Vertu morale.

II. Le second moïen qu’on a, pour connoître son bon Naturel, est d’examiner s’il opere suivant les principes de la Raison & ce que le Devoir exige : Car si, malgré sa bienveillance universelle pour tous les Hommes, il ne met aucune distinction entre ses Objets, s’il se déploïe également sur les dignes & les indignes, s’il donne le même secours au Paresseux qu’au véritable Pauvre, s’il se livre au premier venu, & qu’il se répande en faveur de qui que ce soit plutôt par accident que par choix, il peut bien passer pour un instinct aimable ; mais il ne doit pas s’arroger le titre d’une Vertu morale. [302]

III. La troisiéme épreuve du bon Naturel consiste à nous sonder nous-mêmes, pour voir si nous sommes en état de suivre tous ses mouvemens, en faveur de ceux qui en sont les Objets légitimes, quoiqu’il nous en revienne quelque petit embarras, quelque perte, ou quelque inconvenient ; en un mot, il nous voulons hasarder une partie de nos Biens, de notre Réputation, de notre Santé ou de nos Aises, pour l’avantage du Genre Humain. Entre toutes ces marques d’un bon naturel, je m’étendrai sur celle qui porte le nom de Charité, & qui s’exerce à secourir les Pauvres ; puisque c’est une épreuve qui s’offre à nous presque en tout tems & en tous lieux.

Je conseillerois donc à tous ceux qui ont au de-là de ce qu’il leur faut pour subvenir à leurs besoins, de mettre à part une certaine portion de leurs revenus, & de la destiner aux Pauvres. C’est une offrande que nous devons à celui qui a un souverain droit sur le total, & par consequent à ceux qui le représentent sur la Terre, comme il nous le dit lui-même dans un beau Passage, que j’alleguerai dans la suite. D’ailleurs nous devons ménager notre Charité avec tant de prudence, qu’il n’en résulte aucun mal à nos Parens ou à nos Amis, pendant que nous travaillons à secourir les autres.

Ebene 3► Exemplum► Peut-être qu’un Exemple développera mieux ceci que la Regle ou le Conseil, que je viens de donner. Fremdportrait► Eugene est d’un Naturel si bon & si généreux, qu’il en [303] produit des marques au de-là de sa Fortune ; mais, avec tout cela, d’une si grande économie dans ses affaires, que ce qu’il distribue en aumônes est compensé par le bon ménage. Il a deux cens Livres Sterlin de revenu, qu’il n’évalue jamais qu’à cent quatre-vingt, parcequ’il suppose n’avoir aucun droit sur la dixme, qu’il emploïe toujours en œuvres charitables. Il ajoûte souvent quelque chose de plus à cette épargne, en sorte que dans une bonne année, c’est-à-dire, pour m’exprimer avec lui, du nombre de celles où il se trouve en état de porter sa liberalité plus loin qu’à l’ordinaire, il a destiné le double de cette somme à secourir des Pauvres, malades ou sains. D’un autre côté, il se prescrit plusieurs jours d’abstinence & de jeûne, & il met à quartier, pour le même usage, la dépense qu’il auroit pû faire alors. Il va souvent à pié aux endroits, où ses affaires l’appellent ; &, au bout de sa course, il donne au premier Mendiant, qu’il rencontre sur ses pas, le Chelin qu’il auroit païé pour un Fiacre. Disposé quelquefois à voir jouer une Comedie ou un Opera, je l’ai vû emploïer, en faveur d’un Objet de charité qu’il trouvoit dans la rue, l’argent qu’il avoit destiné à cet usage, & passer ensuite la soirée dans un Caffé, ou chez quelque Ami, avec beaucoup plus de satisfaction qu’il n’en auroit eu de tous les divertissemens les plus exquis du Théatre. C’est par de [304] tels moïens que sa Libéralité ne sauroit l’appauvrir, & qu’il jouït de ses revenus par le bon usage qu’il en fait. ◀Fremdportrait ◀Exemplum ◀Ebene 3

Il y a peu de Gens si bornez dans leur fortune ou si à l’étroit, qu’ils ne puissent être charitables sur ce pié-là, sans qu’il en résulte aucun préjudice à eux-mêmes ou à leurs Familles. On n’a qu’à sacrifier un Divertissement ou une Commodité à l’avantage des Pauvres, & détourner le cours ordinaire de nos Dépenses dans un meilleur Canal. Il me semble du moins que c’est l’Acte de Charité, non seulement le plus prudent & le plus commode, que l’on puisse mettre en pratique, mais aussi le plus méritoire. C’est alors que nous partageons en quelque sorte, avec les Pauvres, les necessitez où ils se trouvent, & que nous sommes en même tems leurs Bienfaicteurs & les Compagnons de leurs souffrances.

Ebene 3► Exemplum► Le Chevalier Thomas Brown, dans son Livre intitulé La Religion Du Medecin, après avoir cité ce passage des Proverbes de Salomon, 2 Celui qui a pitié du Pauvre, prête à l’Eternel, qui lui rendra son bienfait, s’exprime en ces termes. « 3 Il y a plus d’éloquence, dit-il, dans cette seule Periode, que dans une Biblioteque entiere de Sermons, & si [305] nous avions de tous ces Proverbes des idées aussi exactes qu’en avoit l’Auteur qui nous les a donnez, nous connoitrions la Vertu par une voie fort abregée, & nous n’aurions pas besoin de tous ces gros Volumes de Morale qu’on nous debite. » ◀Exemplum ◀Ebene 3

Ce passage de l’Ecriture me paroît bien touchant & persuasif ; mais je trouve que notre Sauveur encherit beaucoup sur cette pensée, 4 lorsqu’il nous promet de regarder tous les actes de Charité ou d’Hospitalité, pratiquez envers les Pauvres, les Malheureux ou les Etrangers, comme s’il les avoit reçus lui-même, & de les honorer d’une gloire éternelle. Je me souviens à cette occasion d’avoir vû quelque part l’Epitaphe d’un Homme charitable, dont la lecture me fit un plaisir extrême. J’en ai oubliée les paroles ; mais le sens revenoit à ceci : Ebene 3► Zitat/Motto► « J’ai perdu ce que j’ai dépensé ; j’ai laissé à d’autres ce que je possedois, & j’ai mis en reserve ce que j’ai donné. » ◀Zitat/Motto ◀Ebene 3

Engagé insensiblement à citer l’Ecriture, je ne saurois m’empêcher de copier ici quelques endroits du Livre de Job, qui m’ont toûjours paru d’une grande beauté. Ce saint Homme y décrit sa conduite lorsqu’il vivoit dans l’abondance, & à ne les regarder que comme un Ouvrage purement Humain, il faut avouër que c’est le plus beau Portrait d’un Cœur charitable & [306] d’un bon Naturel que l’on puisse trouver dans aucun autre Auteur.

Ebene 3► Zitat/Motto► 5 « Oh, que ne suis je encore, dit-il, dans mon premier état, lorsque Dieu me gardoit, qu’il faisoit luire son flambeau sur ma tête, & que je marchois dans les ténèbres à la faveur de sa clarté ; lorsque le Tout-puissant m’accordoit sa protection, & que mes jeunes Gens m’environnoient ; lorsque je lavois mez piez dans le Beurre, & que des ruisseaux d’Huile découloient du Rocher dans mes Cuves. »

6 « Ceux qui m’entendoient venir disoient que j’étois bien heureux, & ceux qui me voïoient me rendoient bon témoignage ; parceque je délivrois l’affligé qui crioit vers moi, de même que l’Orphelin qui n’avoit personne pour le secourir. La benédiction de celui qui s’en alloit perir venoit sur moi, & je faisois que le cœur de la Veuve chantoit de joie. Je servois d’yeux à l’Aveugle, & de piez aux Boiteux. J’étois le Pere des Pauvres, & je m’informois exactement de la Cause qui m’étoit inconnue. »

7 « Ne pleurois-je pas pour celui qui tomboit dans l’adversité, mon ame ne s’affligeoit-elle pas à cause du Pauvre ? » [307]

8 « Qu’on me pese dans de justes balances, & Dieu connoîtra mon integrité. Si j’ai dédaigné de rendre justice à mon serviteur ou à ma servante, lorsqu’ils ont disputé avec moi. Car qu’aurois-je fait, si Dieu se fût levé contre moi, & que lui aurois-je répondu, s’il m’eût interrogé à cette occasion ? Celui qui m’a formé dans le sein de ma Mere, ne l’a-t’il pas formé aussi, & ne nous a-t’il pas façonnez de même dans la matrice ? Si j’ai refusé aux Pauvres ce qu’ils m’ont demandé ; si j’ai été insensible aux larmes de la Veuve ; si j’ai mangé tout seul les morceaux, qu’on servoit à ma table, & si l’Orphelin n’en a pas eu sa part : Si j’ai laissé perir quelqu’un faute d’habits, & le Pauvre manque de couverture : Si ses reins ne m’ont pas beni, & si la laine de mes Brebis n’a pas été emploïée à le tenir chaudement : Si j’ai levé la main contre l’Orphelin, lorsque je me voïois le plus fort dans l’Assemblée des Juges ; que mon Epaule se separe de sa jointure & tombe en terre, & que mon bras se brise avec tous ses os. Si je me suis rejoui de la perte de celui qui me haïssoit, ou si j’ai témoigné de la satisfaction lorsqu’il lui est arrivé quelque malheur : Je n’ai pas même permis à ma bouche de prononcer aucune malédiction contre [308] lui. Je n’ai pas souffert que l’Etranger passât la nuit dans la rue ; mais j’ai ouvert ma porte au Voyageur. Si mes champs crient contre moi, & si leurs salons se plaignent de ma conduite, si j’en ai mangé les fruits sans argent, ou si j’ai causé la mort de ceux qui les cultivoient ; Qu’ils ne produisent à l’avenir que des épines au lieu de froment, & de l’yvraie au lieu d’orge. » ◀Zitat/Motto ◀Ebene 3

L. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1C’est le xlii.

2Chap. xix. 17.

3Voïez p. 230. de l’Edition Latine de cet Ouvrage in 12. Lugd. Batavorum apud Franc. Hackrum anno 1644.

4Matth. xxv. 35. 40.

5Job Ch. xxix 2, 3, 5, 6.

6Ibid. v. 11, 12, 13, 15, 16.

7Ibid. Ch. xxx. 25.

8Job Chap. xxxi. 6, 13, 14, 15, 16, 17, 19, 20, 21, 22, 29, 30, 32, 38, 39, 40.