Citazione bibliografica: Anonym (Ed.): "XLV. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.2\045 (1716), pp. 279-284, edito in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Gli "Spectators" nel contesto internazionale. Edizione digitale, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1566 [consultato il: ].


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XLV. Discours

Citazione/Motto► Non solùm Scientia, quæ est remota à Justitiá, Calliditas potiùs quàm Sapientia est appellanda ; verùm etiam Animus paratus ad periculum, si sua cupiditate, non utiliate communi impellitur, Audaciæ potiùs nomen habeat, quàm Fortitudinis.

Plato apud Cic. de Offic. L. i. c. 19.

Non seulement l’Habileté, qui s’éloigne de la Justice, mérite plutôt le nom de Ruse que celui de Prudence ; mais cette disposition d’esprit, par laquelle un Homme affronte le péril, doit plutôt être appellée Audace que Bravoure, lorsqu’il n’a pour but que sa propre gloire, & non pas l’utilité du Public. ◀Citazione/Motto

Livello 2► On ne sauroit faire plus de tort à la Societé civile que d’estimer ceux qui possedent de beaux talens, sans avoir aucun égard à la maniere dont ils les emploïent. Les dons naturels & acquis sont estimables, lorsqu’on les exerce pour les intérêts de la Vertu, ou qu’on les soumet aux principes de l’Honneur. Il faudroit mettre à l’écart les bonnes qualitez de ceux avec qui nous vivons, jusqu’à ce que [280] nous eussions quelque connoissance de la disposition de leur cœur, puisqu’autrement la beauté de leurs Personnes, ou les charmes de leur Esprit peuvent nous donner de l’amitié pour ceux que nous devrions avoir en horreur, à suivre les lumieres de la Raison.

Lorsqu’on se laisse ainsi entraîner par la simple Beauté ou le seul Esprit, on risque d’avoir autant de bienveillance pour Omniamante avec tous ses vices, que pour la Vierge la plus innocente ou la Dame la plus vertueuse ; & il n’y a point d’esclavage plus vil dans ce Monde que celui d’aimer ce qu’on croit digne de mépris : Il faut, malgré tout cela, que nous aïons un tel fort durant tout le cours de notre vie, si nous approuvons autre chose que ce qui tend à favoriser la Justice, l’Honneur & la Vertu. Si on vouloit bien prendre la peine d’examiner toutes choses par les lumieres de la Raison & de l’Equité, un Homme quoique dans le grand feu de la jeunesse, regarderoit une Coquette avec le même degré d’indifference & de mépris qu’il auroit pour un Sot ; les manieres lascives d’une jolie Femme la priveroient de cette admiration, qu’elle recherche avec tant d’ardeur, & la vaine parure, ou le discours folâtre d’un Homme, ruineroit sa bonne mine, ou la beauté de son Esprit. Je dis la beauté de son Esprit, puisqu’il n’est pas moins ordinaire [281] de voir des Hommes de bon sens devenir ridicules, que de belles Femmes devenir impudiques. Lorsque ceci leur arrive aux uns ou aux autres, le penchant que nous avons à estimer leurs Personnes à cause de leurs bonnes qualitez, devroit diminuer à proportion. Mais quelque juste que soit cette regle d’estimer les Hommes par l’usage qu’ils font de leurs talens, & non point par l’excellence de ces qualitez en elles-mêmes, on a suivi le contrepie dans tous les Siècles du Monde, aussi bien que de nos jours. Quel nombre d’Inventions mal honêtes n’a-t-on pas conservé d’un Siècle à l’autre, qui auroient péri dès leur naissance, si l’on avoit autant estimé les Peintres & les Sculpteurs pour le but, que pour l’execution de leurs Desseins ? Les Imaginations chastes & bien reglées ont perdu, à l’occasion de ce mauvais goût, une infinité de charmans Tableaux, qui leur auroient fait sentir la beauté naturelle de la Vertu, la generosité du Zéle, le courage de la Foi, & la tendresse de l’Humanité ; au lieu qu’on a substitué à leur place, & à la honte éternelle de ces beaux Arts, des Satires, des Monstres & des Furies.

La plûpart des Hommes tolerent le mauvais usage qu’on faït de ses Dons, naturels ou acquis, non seulement à l’égard des choses que je viens de specifier, mais aussi dans ce qui touche la Vie civile. Si un Avocat n’obtenoit l’estime du Public [282] que lorsqu’il emploïe son Eloquence pour défendre la Justice, & qu’il se rendît méprisable d’abord qu’il paroîtroit dans une mauvaise Cause, dont l’injustice ne peut que lui être connue, quel honneur ne feroit-t-il pas à son Caractère ? N’en voïons-nous pas, au milieu de nous, qui s’attirent le respect de tout le morde parce qu’ils travaillent à proteger l’Innocence, à bannir l’Oppression, à faire condamner le Débiteur négligent, & à maintenir le droit de l’Artisan laborieux. Mais leur nombre est bien petit, comparé à ceux qui tâchent de couvrir un endroit foible dans la Cause de leur Partie, d’éluder une Enquête, ou de pallier une Fausseté ; & qui, malgré tout cela, obtiennent le prix de l’Eloquence, quoi qu’il soit aussi raisonnable de louer la bravoure d’un Assassin.

Si lorsqu’on juge des autres, on avoit toûjours égard au but qu’ils se proposent, tout Mensonge seroit bien-tôt banni de la Societé ; & l’adresse d’en imposer au monde seroit également méprisable dans tous les états de la Vie. Deux Courtisans, qui se donnent des assurances d’une estime réciproque, feroient un aussi triste personnage, après avoir manqué de parole, que deux faux Témoins convaincus de parjure. Mais le Commerce de la vie civile est si déchu en fait de Morale, qu’on en peut dire ce qui se dit d’un marché, Que l’Acheteur y prenne garde : Il en est de même en Amitié ; celui-là risque le plus qui est [283] le plus credule, & qui témoigne le plus d’ardeur à former cette liaison.

Quoi qu’il en soit, ceux-là seuls méritent le titre de grands Hommes, qui executent de nobles entreprises, sans avoir aucun égard à la gloire qui leur en peut revenir. Ces Genies superieurs aimeroient mieux avoir rendu quelque service signalé au Public, & demeurer inconnus, que d’en avoir la réputation sans en être eux-mêmes les auteurs. Lors donc qu’un Mérite de cet ordre est attaqué par les ruses & les calomnies de ses Ennemis, c’est alors qu’il brille avec le plus d’éclat ; Les efforts qu’ils emploïent pour le ternir, ou le transporter sur une foule d’autres, produisent un effet tout contraire à celui qu’ils en attendoient : Ils ont beau cacher ce feu sous la cendre, il en sortira des étincelles qui brûleront tout ce qu’on y met dessus pour l’éteindre.

La Patience, qui sert à l’acquisition de la veritable gloire, est la seule Vertu qui puisse en faire jouïr, & qui tranquilise l’ame au milieu de toutes les oppositions. Lorsqu’un Homme est persuadé qu’il ne cherche, n’admire & ne poursuit rien qui ne soit exactement conforme à son devoir, il n’est pas en la puissance de tous les revers de la Fortune, ni de ses Ennemis, de porter coup à son mérite : Il peut négliger les applaudissemens de la Multitude, & ne dépendre point de sa faveur. La tâche est rude à la verité ; mais c’est aussi [284] le plus haut degré de perfection où la Nature Humaine puisse atteindre. Les triomphes & les acclamations flatent agréablement l’orgueil de l’Homme ; mais il vaut mieux être en état de se dire à soi-même qu’on s’est acquité de son devoir, que de s’entendre applaudir de tous les Hommes en corps, à moins que vous n’y puissiez donner votre voix. Un Esprit égal & inébranlable peut être abandonné par de petits Admirateurs à la mode ; mais il sera toûjours respecté & honoré par ceux qui lui ressemblent. Allegorie► Le Chêne conserve ses branches durant toutes les saisons de l’année, quoiqu’il perde ses feuilles en Automne, & qu’il ne les recouvre qu’au retour du Printems. ◀Allegorie

T. ◀Livello 2 ◀Livello 1