XLI. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Michaela Fischer-Pernkopf Herausgeber Katharina Jechsmayr Mitarbeiter Stefanie Lenzenweger Mitarbeiter Martin Stocker Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 24.05.2019 o:mws.401 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Paris: Etienne Papillon 1716, 249-254 Le Spectateur ou le Socrate moderne 2 041 1716 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Theater Literatur Kunst Teatro Letteratura Arte Theatre Literature Arts Teatro Literatura Arte Théâtre Littérature Art Teatro Literatura Arte France 2.0,46.0

XLI. Discours

Quod nec Jovis ira, nec ignes,Nec poterit ferrum, nec edax abolere vetustas.

Ovid. Metam. L. xv. 871.

Ni la colere de Jupiter, ni le Feu, ni le Fer, ni le Tems qui consume tout, ne détruiront jamais un bon Livre.

Aristote nous dit que le Monde est une Copie de ces Idées qui sont dans l’Esprit du souverain Etre, & que les Idées qui sont dans l’Esprit de l’Homme, sont une Copie du Monde. Nous pouvons ajoûter à ceci que les Paroles sont la Copie des Idées qui se trouvent dans l’Esprit de l’Homme, & que l’Ecriture ou l’Impression est la Copie des Paroles.

De même que l’Etre Souverain a marqué, &, pour ainsi dire, gravé ses Idées dans la Création, ainsi les Hommes expriment leurs Idées dans les Livres, qui, à la faveur de ce bel Art, inventé depuis quelques siècles, peuvent durer autant que le Soleil & la Lune, & ne périr que dans le naufrage universel de la Nature. Le fameux Cowley, dans son Poëme sur la Resurrection, & à l’endroit où il parle de la ruine de l’Univers, s’y énonce en ces termes : Alors, dit il, toute cette vaste étendue du Ciel, & tous ces Mondes, qui roulent sur nos têtes, périront avec les Oeuvres sacrées de Virgile.

Il n’y a pas d’autre moïen de fixer les pensées qui s’élevent & s’évanouissent dans l’Esprit de l’Homme, & de les transmettre jusques à la fin des Siècles ; il n’y a pas d’autre moïen de perpétuer nos Idées, non plus que le souvenir d’un Particulier, lorsque son Corps est confondu avec la matiere de l’Univers, & que son Ame s’est envolée au Sejour des Esprits. Les Livres sont des Legs qu’un grand Genie laisse au Genre Humain, & qui passent d’une Génération à l’autre jusques à la posterité la plus éloignée.

Tous les autres Arts, qui servent à perpé-tuer nos Idées, ne continuent que peu de tems : Les Statues peuvent durer quelques milliers d’années ; les Edifices ne sont pas de si longue duree, & les Couleurs durent moins que les Edifices. Michel Ange, Fontana & Raphael seront à l’avenir ce que Phidias, Vitruve & Appellès sont à présent, les Noms d’habiles Statuaires, Architectes & Peintres, dont les Ouvrages ne subsistent plus. Les differens Arts sont exprimez sur des Materiaux qui depérissent & qui ne sauroient conserver les Idées qu’ils représentent.

Ce qui donne aux Ecrivains un avantage considerable sur tous ces grands Maîtres, vient de ce qu’ils peuvent multiplier leurs Originaux, ou en tirer autant d’Exemplaires qu’ils veulent, qui ne sont pas d’un moindre prix que les Originaux mêmes. Ceci flate un habile Auteur d’une espèce d’Immortalité ; mais il le prive en même tems des benefices dont l’Artiste jouït. Le dernier amasse plus d’argent, & l’autre acquiert une renommée plus solide. Que ne païeroit-on pas d’un Virgile ou d’un Homere, d’un Ciceron, ou d’un Aristote, si leurs Ouvrages étoient confinez dans un seul Lieu, ou entre les mains d’une seule Personne, comme une Statue, un Edifice, ou un Tableau ?

Puis donc que les Livres peuvent se communiquer ainsi d’un Siècle à l’autre, quel soin ne doit pas avoir un Auteur de ne rien écrire qui puisse infecter l’Esprit des Hom-mes du poison mortel du Vice ou de l’Erreur ? Ceux qui emploient leurs talens à les répandre & à les assaisonner de quelque joli tour, doivent être regardez comme les Pestes de la Socieré & les Ennemis du Genre Humain : On peut dire, de leurs Livres, ce qu’on dit des Personnes qui meurent de quelque maladie contagieuse, qu’ils ne laissent après eux que de la puanteur & de l’infection. Ils prennent le contrepié d’un Confucius ou d’un Socrate, & il semble qu’ils n’ont été envoïez au Monde que pour corrompre la Nature Humaine, & la plonger dans l’état des Bêtes brutes.

J’ai vu des Auteurs Catholiques Romains, qui prétendent que les Ecrivains d’une Morale relâchée sejournent en Purgatoire aussi long tems que leurs Ouvrages ont quelque influence sur la posterité ; parce, disent-ils, « que le Purgatoire n’est autre chose que la purification de nos pechez, & qu’on ne sauroit en être purgé, pendant qu’ils corrompent le Genre Humain. Un Auteur qui a écrit, ajoutent-ils, en faveur du Vice, péche après sa Mort, & il doit être puni tout le tems qu’il péche. » Quoique l’idéée <sic>, que l’Eglise Romaine donne du Purgatoire, ne soit pas trop solide, on ne sauroit presque douter que, si l’Ame separée du corps a quelque connoissance de ce qui arrive ici bas, celle d’un Ecrivain relâché n’ait plus de regret de corrompre ses Admirateurs, qu’elle n’a de satisfaction de leur plaire.

Je me souviens d’avoir entendu parler d’un Athée, qui, se voïant accablé d’une maladie dangereuse, fit venir un Curé du voisinage, pour lui témoigner la douleur qu’il avoit de ses fautes passées, & sur tout d’avoir écrit un Livre, dont la maligne influence ne pouvoit que s’étendre après sa mort. Le Curé, qui ne manquoit ni de bon sens ni d’érudition, lui dit que son Cas n’étoit point si desesperé qu’il le craignoit, puisqu’il lui paroissoit touché d’un vif & serieux repentir. Le Malade insista de nouveau sur le but criminel de son Livre, qui alloit à ruïner toute sorte de Religion & de Vertu, & qu’il n’y avoit point de Salut pour un Homme, dont les Ecrits continueroient à infecter le Monde, lorsqu’il n’y seroit plus lui-même. Le Curé, qui s’aperçut qu’il n’y avoit pas d’autre moïen pour le consoler, avoua que sa douleur étoit juste & bien fondée, qu’il avoit eu grand tort de publier un tel Livre ; mais qu’il devoit s’estimer heureux de ce qu’il n’étoit pas à craindre qu’il fît aucun mal ; qu’il y soutenoit une trés-méchante Cause par des Argumens aussi foibles ; que son Livre produiroit aussi peu de mal à l’avenir, qu’il en avoit fait par le passe ; que d’ailleurs il n’y avoit que ses intimes Amis qui se fussent donnez la peine de le lire, & qu’il ne croioit pas que Personne s’avisât de le demander après sa mort. Le Pénitent, qui n’avoit pas renoncé à la tendresse que les Auteurs ont pour leurs Ouvrages, fut si outré des motifs de consolation que cet honête Homme lui offroit, que, sans lui répondre un seul mot, il dit à ceux qui l’environnoient, avec cet air chagrin si naturel aux Malades, « Où avez vous été chercher cet Animal ? Croiïez-vous qu’il fût propre à consoler un Homme qui se trouve dans mon état ? » Le Curé, qui vit bien qu’il avoit jugé trop favorablement de sa repentance, lui fit une courte Exhortation & se retira, persuadé qu’on ne manqueroit pas de le rappeller, si le mal devenoit incurable. Quoi qu’il en soit, l’Auteur en échapa, & il ne fut pas plutôt guéri, qu’il écrivit deux ou trois Brochures dans le même goût, & pour le bonheur de son ame, avec aussi peu de succès.

C.

XLI. Discours Quod nec Jovis ira, nec ignes,Nec poterit ferrum, nec edax abolere vetustas. Ovid. Metam. L. xv. 871. Ni la colere de Jupiter, ni le Feu, ni le Fer, ni le Tems qui consume tout, ne détruiront jamais un bon Livre. Aristote nous dit que le Monde est une Copie de ces Idées qui sont dans l’Esprit du souverain Etre, & que les Idées qui sont dans l’Esprit de l’Homme, sont une Copie du Monde. Nous pouvons ajoûter à ceci que les Paroles sont la Copie des Idées qui se trouvent dans l’Esprit de l’Homme, & que l’Ecriture ou l’Impression est la Copie des Paroles. De même que l’Etre Souverain a marqué, &, pour ainsi dire, gravé ses Idées dans la Création, ainsi les Hommes expriment leurs Idées dans les Livres, qui, à la faveur de ce bel Art, inventé depuis quelques siècles, peuvent durer autant que le Soleil & la Lune, & ne périr que dans le naufrage universel de la Nature. Le fameux Cowley, dans son Poëme sur la Resurrection, & à l’endroit où il parle de la ruine de l’Univers, s’y énonce en ces termes : Alors, dit il, toute cette vaste étendue du Ciel, & tous ces Mondes, qui roulent sur nos têtes, périront avec les Oeuvres sacrées de Virgile. Il n’y a pas d’autre moïen de fixer les pensées qui s’élevent & s’évanouissent dans l’Esprit de l’Homme, & de les transmettre jusques à la fin des Siècles ; il n’y a pas d’autre moïen de perpétuer nos Idées, non plus que le souvenir d’un Particulier, lorsque son Corps est confondu avec la matiere de l’Univers, & que son Ame s’est envolée au Sejour des Esprits. Les Livres sont des Legs qu’un grand Genie laisse au Genre Humain, & qui passent d’une Génération à l’autre jusques à la posterité la plus éloignée. Tous les autres Arts, qui servent à perpé-tuer nos Idées, ne continuent que peu de tems : Les Statues peuvent durer quelques milliers d’années ; les Edifices ne sont pas de si longue duree, & les Couleurs durent moins que les Edifices. Michel Ange, Fontana & Raphael seront à l’avenir ce que Phidias, Vitruve & Appellès sont à présent, les Noms d’habiles Statuaires, Architectes & Peintres, dont les Ouvrages ne subsistent plus. Les differens Arts sont exprimez sur des Materiaux qui depérissent & qui ne sauroient conserver les Idées qu’ils représentent. Ce qui donne aux Ecrivains un avantage considerable sur tous ces grands Maîtres, vient de ce qu’ils peuvent multiplier leurs Originaux, ou en tirer autant d’Exemplaires qu’ils veulent, qui ne sont pas d’un moindre prix que les Originaux mêmes. Ceci flate un habile Auteur d’une espèce d’Immortalité ; mais il le prive en même tems des benefices dont l’Artiste jouït. Le dernier amasse plus d’argent, & l’autre acquiert une renommée plus solide. Que ne païeroit-on pas d’un Virgile ou d’un Homere, d’un Ciceron, ou d’un Aristote, si leurs Ouvrages étoient confinez dans un seul Lieu, ou entre les mains d’une seule Personne, comme une Statue, un Edifice, ou un Tableau ? Puis donc que les Livres peuvent se communiquer ainsi d’un Siècle à l’autre, quel soin ne doit pas avoir un Auteur de ne rien écrire qui puisse infecter l’Esprit des Hom-mes du poison mortel du Vice ou de l’Erreur ? Ceux qui emploient leurs talens à les répandre & à les assaisonner de quelque joli tour, doivent être regardez comme les Pestes de la Socieré & les Ennemis du Genre Humain : On peut dire, de leurs Livres, ce qu’on dit des Personnes qui meurent de quelque maladie contagieuse, qu’ils ne laissent après eux que de la puanteur & de l’infection. Ils prennent le contrepié d’un Confucius ou d’un Socrate, & il semble qu’ils n’ont été envoïez au Monde que pour corrompre la Nature Humaine, & la plonger dans l’état des Bêtes brutes. J’ai vu des Auteurs Catholiques Romains, qui prétendent que les Ecrivains d’une Morale relâchée sejournent en Purgatoire aussi long tems que leurs Ouvrages ont quelque influence sur la posterité ; parce, disent-ils, « que le Purgatoire n’est autre chose que la purification de nos pechez, & qu’on ne sauroit en être purgé, pendant qu’ils corrompent le Genre Humain. Un Auteur qui a écrit, ajoutent-ils, en faveur du Vice, péche après sa Mort, & il doit être puni tout le tems qu’il péche. » Quoique l’idéée <sic>, que l’Eglise Romaine donne du Purgatoire, ne soit pas trop solide, on ne sauroit presque douter que, si l’Ame separée du corps a quelque connoissance de ce qui arrive ici bas, celle d’un Ecrivain relâché n’ait plus de regret de corrompre ses Admirateurs, qu’elle n’a de satisfaction de leur plaire. Je me souviens d’avoir entendu parler d’un Athée, qui, se voïant accablé d’une maladie dangereuse, fit venir un Curé du voisinage, pour lui témoigner la douleur qu’il avoit de ses fautes passées, & sur tout d’avoir écrit un Livre, dont la maligne influence ne pouvoit que s’étendre après sa mort. Le Curé, qui ne manquoit ni de bon sens ni d’érudition, lui dit que son Cas n’étoit point si desesperé qu’il le craignoit, puisqu’il lui paroissoit touché d’un vif & serieux repentir. Le Malade insista de nouveau sur le but criminel de son Livre, qui alloit à ruïner toute sorte de Religion & de Vertu, & qu’il n’y avoit point de Salut pour un Homme, dont les Ecrits continueroient à infecter le Monde, lorsqu’il n’y seroit plus lui-même. Le Curé, qui s’aperçut qu’il n’y avoit pas d’autre moïen pour le consoler, avoua que sa douleur étoit juste & bien fondée, qu’il avoit eu grand tort de publier un tel Livre ; mais qu’il devoit s’estimer heureux de ce qu’il n’étoit pas à craindre qu’il fît aucun mal ; qu’il y soutenoit une trés-méchante Cause par des Argumens aussi foibles ; que son Livre produiroit aussi peu de mal à l’avenir, qu’il en avoit fait par le passe ; que d’ailleurs il n’y avoit que ses intimes Amis qui se fussent donnez la peine de le lire, & qu’il ne croioit pas que Personne s’avisât de le demander après sa mort. Le Pénitent, qui n’avoit pas renoncé à la tendresse que les Auteurs ont pour leurs Ouvrages, fut si outré des motifs de consolation que cet honête Homme lui offroit, que, sans lui répondre un seul mot, il dit à ceux qui l’environnoient, avec cet air chagrin si naturel aux Malades, « Où avez vous été chercher cet Animal ? Croiïez-vous qu’il fût propre à consoler un Homme qui se trouve dans mon état ? » Le Curé, qui vit bien qu’il avoit jugé trop favorablement de sa repentance, lui fit une courte Exhortation & se retira, persuadé qu’on ne manqueroit pas de le rappeller, si le mal devenoit incurable. Quoi qu’il en soit, l’Auteur en échapa, & il ne fut pas plutôt guéri, qu’il écrivit deux ou trois Brochures dans le même goût, & pour le bonheur de son ame, avec aussi peu de succès. C.