Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "XXXVIII. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.2\038 (1716), S. 228-233, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1561 [aufgerufen am: ].


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XXXVIII. Discours

Zitat/Motto► Servetur ad imum
Qualis ab incepto processerit, & sibi constet.

Hor. A. P. 126.

Qu’il soutienne toujours le même caractere, & qu’il ne se démente point depuis le commencement jusqu’ à la fin. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Il n’y a rien au dessous du Crime, qui rende un Homme plus méprisable aux yeux du monde que l’inconstance, sur-tout en fait de Religion & des Partis Politiques. Dans l’un & l’autre de ces cas, quoiqu’un Homme s’acquite peut-être alors de son devoir, il s’attire non-seulement la haine de ceux qu’il abandonne, mais il ne gagne presque jamais l’estime de ceux ausquels il se joint.

Il faut donc que dans ces démarches capitales de la Vie on ait une pleine conviction, & qu’on ne puisse pas soupçonner un Homme qu’il y trouve ses avantages temporels ; autrement le monde est assez malin pour croire qu’il n’agit pas en ceci par connoissance de cause, mais plutôt par legereté ou par des vûes d’interest. Les nouveaux Convertis & les Apostats de toutes les sortes devroient prendre un soin tout particulier de faire voir au monde qu’ils agissent par un principe d’Honeur & de Ver-[229]tu ; puisque malgré l’indulgence qu’ils ont pour eux-mêmes, & les applaudissemens qu’ils peuvent recevoir de ceux qui les fréquentent, ils seront toujours l’objet du mépris de tous les honêtes Gens, & porteront les marques d’une éternelle infamie.

L’irrésolution sur le genre de vie qu’on doit mener & l’inconstance à le poursuivre sont les Causes les plus universelles de nos inquiétudes & de notre Malheur. Lorsque l’Ambition nous entraîne d’un côté, l’interêt d’un autre, le Penchant à un troisiéme, & que la Raison vient peut-être s’opposer à tous, un Homme, qui a tous ces Partis à prendre, ne peut que mal passer son tems. Lorsque l’Esprit balance entre divers Objets, il vaudroit mieux se déterminer pour celui qui ne seroit pas tout à fait le meilleur, que de vieillir dans l’incertitude, & de sortir du Monde, comme font la plupart des Hommes, avant qu’on ait choisi de quelle maniere on y doit vivre. Il n’y a qu’un seul moïen de nous mettre en repos de ce côté-là, qui est d’avoir toujours un But fixe, où tendent toutes nos Actions. Si nous sommes fortement résolus de nous gouverner par les lumieres de la Raison, sans avoir aucun égard pour les Richesses, la Réputation, ou les autres avantages de cette nature, à moins qu’ils ne s’accordent avec notre But principal, nous pouvons mener une Vie douce & tranquille ; mais si nous agissons par [230] différéntes vûes, & que non contens de la Vertu, nous voulions être riches, populaires, & tout ce que le monde estime, nous vivrons & nous mourrons dans la misere & le repentir.

On devroit se munir d’une façon toute particuliere contre ce Foible, puisque notre penchant nous y entraîne avec violence, & que si l’on s’examine de près, on trouvera que nous sommes les Creatures les plus inconstantes de l’Univers. A l’égard de l’Entendement, nous embrassons & rejettons bien des fois les mêmes Opinions ; au lieu que les Etres au dessus & au dessous de nous n’en ont peut-être aucune, ou que du moins ils ne chancelent pas dans l’incertitude. Les premiers se conduisent par la vûe intime qu’ils ont des Objets, & les autres par l’instinct ! A l’égard de la Volonté, nous tombons dans le Crime, & nous nous en relevons, nous devenons aimables ou dignes de haine aux yeux de notre souverain Juge, & nous passons toute notre vie à l’offenser & à lui demander pardon. Au contraire, les Etres qui nous sont inférieurs ne sauroient jamais pécher, ni les superieurs se repentir. Les uns sont incapables d’aucun devoir, & les autres sont fixez à vivre éternellement dans le Crime ou dans la Vertu.

A peine y a-t’il aucun état ou aucun âge de la Vie, qui ne produise des révolutions dans l’Esprit de l’Homme. Les idées de l’Enfance se perdent dans celles [231] de la Jeunesse ; les unes & les autres prennent un nouveau tour dans l’âge viril, jusqu’à ce que la Vieillesse nous ramène dans notre premier état. Un nouveau Titre, un Succès inopiné nous jette hors de nous-mêmes, & détruit en quelque maniere notre Identité. Les brouillards d’un jour sombre ou quelques petits raïons du Soleil ont autant d’influence sur nos corps, que le malheur ou le bonheur le plus réel. Un Songe nous métamorphose, & bouleverse notre état pendant qu’il dure : chaque Passion, pour ne rien dire de la Santé & de la Maladie, ni des plus grandes alterations qui arrivent au Corps ou à l’Esprit, nous rend presque des Créatures toutes différentes. Si ce Foible nous distingue des Etres qui sont au dessus ou au dessous de nous, quelle idée doit-on avoir de ces Hommes qui se font remarquer par là, entre les Individus de la même Espèce ? Il n’y a point de si chetif Caractère que celui d’etre un des plus inconstans de l’Espèce la plus inconstante qu’il y ait dans l’Univers ; puis sur tout que le grand Modéle de la Perfection n’a pas la moindre ombre de changement, mais qu’il étoit hier le même qu’il est aujourd’hui, & qu’il sera éternellement.

Cette Humeur variable & cette Contradiction perpetuelle avec soi-même, qui est la plus grande Foiblesse de la Nature Humaine, donne plus de ridicule à celui qui en est atteint que tout autre Défaut en ce [232] qu’elle l’expose sous une infinité de vûës grotesques, & qu’elle le distingue de lui-même par l’opposition de plusieurs Caractères bigarrez. Le plus plaisant Caractère qu’on trouve dans Horace est fondé sur cette inégalité d’humeur & cette conduite irreguliere. Le voici mot pour mot : Ebene 3► Allgemeine Erzählung►

1 Sardus habebat
Ille Tigellius hoc. Cæsar, qui cogere posset,
Si peteret per amicitiam patris atque suam, non
Quidquam proficeret : si collibuisset, ab ovo
Usque ad mala citaret, Io Bacche, modò summâ
Voce, modò hac, resonat chordis quæ quatuor imâ.
Nil æquale homini fuit illi : saepe velut qui
Currebat, fugiens hostem : persæpe velut qui
Junonis sacra ferret : habebat saepe ducentos,
Saepe decem servos : modò Reges, atque Tetrarchas,
Omnia magna loquens : modò : Sit mihi mensa tripes, &
Concha salis puri, & toga, quæ defendere frigus,
Quamvis crassa, queat. Decies centena dedisses
Huic parco, paucis contento ; quinque diebus
Nil erat in loculis. Noctes vigilabat ad ipsum
Mane, diem torum stertebat : nil fuit umquam
Sic impar sibi.

[233] C’est-à-dire, « Tigellius étoit un Homme rare en ce genre. Cézar, tout Cézar qu’il fut, n’avoit pas plus de pouvoir sur lui qu’un autre, quoiqu’il le conjurât de chanter, par l’amitié que son Pere avoit euë pour lui, & par celle qu’il lui portoit lui-même. Mais quand la fantaisie lui en prenoit, il vous entonnoit une Chanson Bachique, faisant tantôt le dessus, & tantôt la basse ; cela ne finissoit point, vous en aviez pour tout le repas. Il étoit l’Inconstance même ; il couroit souvent à perte d’haleine, comme si l’Ennemi l’eût pouisuivi ; & souvent il marchoit à pas comptez, comme les Filles qui portent en cérémonie les Vases destinez aux Sacrifices de Junon. Il avoit quelquefois deux cens Esclaves, & quelquefois il n’en avoit que dix. Tantôt il faisoit l’Homme important, ne parlant que de Princes & de grands Seigneurs : il s’avisoit ensuite de prendre un ton plus modeste. Hélas, disoit-il, une petite Table à trois piés, un peu de sel dans une Coquille ; un Habit de gros drap pour mon hiver, en voilà autant qu’il m’en faut. Qu’on eût donné quatre mille Pistoles à ce bon Ménager, trois jours après il n’avoit pas le sou. Il dormoit tout le jour & veilloit toute la nuit : on ne vit jamais d’Homme si inégal ni si bizare. » ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

C. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1Lib. i. Sat. iii. 3. — 19.