Citazione bibliografica: Anonym (Ed.): "XXX. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.2\030 (1716), pp. 176-182, edito in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Gli "Spectators" nel contesto internazionale. Edizione digitale, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1554 [consultato il: ].


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XXX. Discours

Citazione/Motto► Qui aut, tempus quid postulet, non videt, aut plura loquitur, aut se ostentat, aut eorum quibuscum est rationem non habet, is ineptus esse dicitur.

Cic. de Orat. L. ii. C. 4.

On traite de Sot & d’Impertinent celui qui n’agit point selon les circonstances où les affaires se trouvent, ou qui parle plus qu’il ne doit, ou qui se vante beaucoup, ou qui n’a pas les moindres égards pour ceux avec lesquels il est obligé de vivre. ◀Citazione/Motto

Livello 2► Racconto generale► Après avoir dit à mon Ami le Chevalier, que je partirois le lendemain sans faute, il ordonna qu’il y eût des Chevaux prêts à une certaine heure, pour me conduire jusqu’à la Capitale de la Province, où l’on prend le Coche pour Londres. Je m’y rendis à l’entrée de la nuit, & je ne fus pas plutôt arrivé à l’Hôtellerie, qu’à la vûe du Valet, qui avoit soin des Chambres de la Maison, le Palfrenier, qui me servoit d’Escorte, lui demanda, d’un ton si haut, que je le pus entendre, quelle Compagnie il y auroit dans le Coche. A quoi l’autre répondit, qu’il y auroit Mademoiselle Babet Arable cette riche Heritiere si renommée, la Veuve sa Mere, Mr. Quickset son Cousin, à qui elle vouloit la marier, un [177] jeune Officier, qui levoit des Recrues & qui avoit pris une place à leur occasion, Ephraim le Quakre, Tuteur de la jeune Dame, avec un Gentilhomme, qu’on attendoit de la Maison de Campagne du Chevalier Roger de Coverly, & qui s’étoit rendu muet à force d’étudier. Je vis bien par ce qu’il disoit sur mon chapitre que, suivant l’humeur & le genie de ceux qui occupent un tel Poste, il se piquoit de connoître la Carte du Païs, & je ne doutai pas qu’il n’y eût quelque fondement pour ce qu’il avançoit à l’égard des autres, de même que pour le Caractère bizarre qu’il me donnoit. Quoi qu’il en soit, le lendemain, dès la pointe du jour, on nous éveilla tous ; & comme je n’aime pas qu’on ait aucun sujet de se plaindre de moi, ni de me faire attendre, je sautai d’abord du Lit. Avant notre départ, la demi-Pique du Capitaine fut mise près du Cocher, & son Tambour derriere le Carosse. Cependant ses Gens faisoient beaucoup de bruit, afin que tout son bagage fût placé d’une maniere à ne se point gâter : Là-dessus on fixa son Porte-manteau sur un des Siéges, & le Capitaine lui-même, suivant la pratique assez usitée des Gens de Guerre, quoiqu’un peu odieuse, donna ordre à son Valet de se tenir alerte, & d’empêcher qu’aucun ne prît la place qu’il avoit retenue au fond du Carosse, à moins que ce ne fût une des Dames.

Bien-tôt après que nous fûmes tous placez, on vit paroître ce Dédain que des per-[178]sonnes, qui ne sont pas d’un trop bon naturel, conçoivent les unes pour les autres du premier abord. Mais le cahotement du Coche, nous familiarisa peu à peu ; & nous n’avions pas fait plus de deux Milles, lorsque la Veuve demanda au Capitaine quel succès il avoit dans ses Recrues ? L’Officier lui répondit, d’un air dégagé, qu’il croïoit sans doute fort agréable, Dialogo► « Qu’il y étoit assez malheureux ; qu’il avoit déja perdu bien des Soldats par la désertion ; & qu’il renonceroit de bon cœur à la Guerre pour se mettre à son service ou à celui de sa jolie Fille. En un mot, continua-t’il, je suis un Soldat, & la Franchise est mon caractere : Vous me voïez jeune, robuste & impudent ; prenez-moi pour vous, belle Veuve, ou donnez-moi à votre Fille ; vous pouvez disposer de moi comme il vous plaira. Je suis un Soldat de fortune, ha ! ha ! ha ! » Là-dessus il se mit à éclater de rire, pendant que tout le reste de la Compagnie garda un profond silence. Pour moi, je n’avois d’autre parti à prendre que celui du Sommeil, ou qu’à faire semblant de dormir. Je n’eus pas plutôt fermé les yeux qu’il ajoûta, du même ton suffisant & guerrier, « Allons, Madame, déterminez-vous ; nous célèbrerons les Nôces, à la prochaine Ville. Nous éveillerons ce plaisant Dormeur, pour servir de Pere à l’Epoux, & ce fin Matois, (en frapant un coup sur le genou du Quakre) qui, n’en doutez pas, [179] belle Veuve, entend aussi-bien que vous ou moi ce que c’est, servira de Pere à l’Epouse. » Le Quakre, qui ne manquoit pas de vivacité, lui répondit, « Mon Ami, je prens en bonne part l’honeur que tu me fais de me donner l’autorité de Pere sur cette jolie & vertueuse Fille ; & je te puis bien assurer que, si elle est à ma disposition, tu ne l’auras jamais. Ton badinage sent un peu trop la Folie : Tu as l’esprit leger, & ta Caisse, qui resonne parcequ’elle est vuide, nous en fournit un bon Emblême. Sans mentir les discours que tu nous as tenus jusques ici ne sont pas une marque de ta plénitude. Mon Ami, mon Ami, nous avons loué ce Coche ensemble, pour nous conduire à la grande Ville, & nous ne sçaurions aller aucune autre part. Si tu veux persister à dire des Sotises, il faut que cette illustre Mere les entende, aussi-bien que nous, puisqu’il n’est pas en votre pouvoir de l’empêcher : Mais si tu avois du bon sens, tu ne prendrois pas avantage de ta Mine guerriere, pour nous intimider, nous qui sommes des Enfans de Paix. Tu es un Soldat, à ce que tu dis ; fais donc quartier à des Gens qui ne sont pas en état de se defendre. Pourquoi as-tu regardé d’un air effronté cet honête Homme, qui vouloit s’endormir ? Il ne disoit mot ; & comment sais-tu ce qu’il tient ? Si tu lâches des paroles indécentes en présence de cette jeune & vertueuse Fille, c’est [180] un outrage que tu fais à une personne qui ne sauroit l’éviter ; & si tu nous forces à les entendre, parceque nous sommes enclavez dans la même Voiture publique, c’est une espèce de Guet à pens commis sur le grand chemin. »

Le Quakre s’arrêta ici, & le Capitaine, avec une effronterie aussi heureuse qu’extraordinaire, qui peut être convaincue & se soutenir en même tems, lui répondit : « De bonne foi, mon Ami, je te remercie ; j’aurois poussé l’impertinence un peu plus loin, si tu ne m’avois fait cette réprimande. Va, je m’apperçois que tu es un vieux Routier qui en fais long ; tu peux compter que je serai discret pendant tout le reste du Voïage. Ainsi, Mesdames, vous ne trouverez pas mauvais, s’il vous plaît, que je renonce à mes grands airs. » ◀Dialogo

Le Capitaine fut si peu choqué de cette petite Bourrasque, & la Compagnie en souffrit si peu, qu’Ephraïm & lui prirent un plaisir tout particulier à se rendre agréables l’un à l’autre dans la suite, & qu’ils redoublerent leurs soins en notre faveur. Ephraïm étoit chargé de tout ce qui regardoit la Nourriture, le Logement & les Comptes dans les Hôteleries où nous passions ; & le Capitaine avoit l’œil sur la conduite du Cocher, & le droit que nous avions de prendre l’avantage du terrain sur toutes les Voitures qui venoient de Londres. Il ne se passa rien de fort extraordinaire, ni qui soit [181] digne de la curiosité du Public : Mais eu égard aux differentes Personnes que nous étions, je pris pour un grand bonheur de ce qu’on n’emploïa pas toutes les journées à des Impertinences, qui auroient pû servir de Divertissement aux uns, & de Suplice aux autres. Quoi qu’il en soit, ce qu’Ephraïm nous dit, lorsque nous fûmes presque arrivez à Londres, me parut non seulement très solide, mais conforme aux principes d’une bonne Education. Sur ce que la jeune Demoiselle témoignoit être bien satisfaite de son Voïage, & y avoir trouvé beaucoup de plaisir, Ephraïm s’exprima en ces termes : Dialogo► « Il n’y a point de trait dans la Vie civile qui marque tant un bon Esprit, & l’honnête Homme intérieur, que la maniere dont il en use avec des Etrangers, sur-tout ceux qui sont d’un Génie fort éloigné du sien : Lorsqu’un tel Homme se trouve avec des Personnes simples & innocentes, quelque connoissance qu’il ait du Monde, & quelques talens qu’il possede, il ne s’en vantera pas, mais il cachera plutôt sa superiorité, afin de ne leur être pas incommode. Mon bon Ami, ajoûta-t’il, en s’adressant à l’Officier, nous allons nous séparer bien-tôt, & peut-être que nous n’aurons plus l’occasion de nous revoir jamais : Pren l’Avis d’un Homme franc & sincere, quelque mal habillé qu’il te paroisse ; les Modes & les Habits ne sont que des bagatelles à l’égard de l’Hom-[182]me réel ; ainsi ne crois pas que ton Juste-au-corps rouge te rende plus terrible, ni que le mien tout uni me rende plus méprisable. Lorsque deux Hommes, tels que toi & moi, se rencontrent, avec la bienveillance que nous nous devons les uns aux autres, tu devrois te réjoüir de voir mon humeur douce & paisible, & moi je devrois être bien aise de voir ta force & ta bravoure, qui te mettent en état de me proteger. » ◀Dialogo

T. ◀Racconto generale ◀Livello 2 ◀Livello 1