Virg. Ecl. x. 63.
Bois & Forêts, permettez-moi de me retirer.
J’ai suivi presque la même ruse depuis un Mois que j’ai abandonné la Ville, ce Champ si fertile en Gibier propre aux Chasseurs de mon espèce, pour aller tenter fortune à la Campagne, où j’ai lancé quelque Gibier, que j’ai poussé à bout, avec assez de plaisir pour moi-même, & de satisfaction, à ce que je croi, pour les autres. Cependant il faut que j’emploie ici beaucoup d’industrie pour faire lever quelque chose qui soit de mon goût, au lieu qu’en Ville, occupé à poursuivre un Caractère, je me voi presque aussi tôt croisé par un autre, & il y a une si grande varieté d’étranges Créatures parmi les deux Sexes, que leurs traces se confondent & interrompent la Chasse. Mon plus grand embarras à la Campagne est de trouver du Gibier, & en Ville de le bien choisir. Quoi qu’il en
Il est sans doute bien tems que je renonce à la Campagne, puisque tout le voisinage s’inquiète pour sçavoir quel est mon Nom & mon Caractère. J’aime la solitude, je suis d’une humeur taciturne & un peu singulier dans mes manieres ; cela suffit pour exciter la curiosité de tout le monde.
On a d’ailleurs ici des idées bien differentes de ma Personne ; les uns me prennent pour un franc Orgueilleux, les autres pour un Homme fort modeste, & la plûpart me taxent de Misanthrope ou de Mélancolique. Mr. blanc., quelques-uns croient que le Chevalier m’a amené ici exprès, pour guérir cette vieille Femme, & délivrer le Païs de ses Enchantemens. De sorte que le Titre qu’on me donne, dans une partie du voisinage, est ce qu’on appelle ici un Sorcier blanc.
Ur. Juge de Paix, qui demeure à cinq Milles d’ici, & qui n’est pas du Parti de mon de Coverly n’entretienne un Jesuite dans sa Maison, & que les Gentilshommes de la Campagne feroient bien de m’obliger à rendre compte de ma Personne.
D’un autre côté, quelques Amis du Chevalier apréhendent que ce bon Vieillard ne s’en laisse imposer par un fin Matois ; & qu’accoûtumé à voir en Ville toute sorte de Gens, il n’ait amené avec lui quelque miserable Whig, qui est de mauvaise humeur, & n’a pas le mot à dire, parce qu’il a perdu son Emploi.
Telles sont les differentes idées qu’on se forme sur mon chapitre, en sorte que les uns me taxent de Personne mal intentionnée, ou de Prêtre Catholique Romain ; & les autres de Magicien, ou de Meurtrier ; & tout cela sans aucune autre raison, qui me soit connue, que parce que je ne crie & que je ne hurle pas avec les autres. Il est vrai que mon Ami le Chevalier leur dit que c’est mon humeur, & que je suis un Philosophe ; mais cela ne peut les satisfaire. Ils s’imaginent qu’il y a quelque chose de plus en moi qu’il n’y découvre lui-même, & que je ne garde pas le silence pour rien.
Toutes ces raisons & plusieurs autres m’engageront à partir demain pour Londres, convaincu par mon experience que la Campagne n’est pas un endroit propre à un Homme de ma trempe, qui n’aime ni la Joie, ni les Divertissemens, ni ce qu’on appelle i. pag. 15, &c.Guill. Londres, & qui me raille en ces termes sur ma Vie Campagnarde.
Spectateur,
« Je supose que ce Billet te trouvera occupé à cueillir des Marguerites, ou à sentir une poignée de Foin, ou à prendre quelqu’autre de ces Plaisirs innocens que la Campagne fournit. Cependant la Coterie te somme & t’ordonne, par ma Plume, de venir au plutôt en Ville : Nous craignons tous diablement que tu n’auras i. p. 12.&c. »
C.