XXIX. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Michaela Fischer-Pernkopf Herausgeber Katharina Jechsmayr Mitarbeiter Stefanie Lenzenweger Mitarbeiter Martin Stocker Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 24.05.2019 o:mws.389 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Paris: Etienne Papillon 1716, 170-175 Le Spectateur ou le Socrate moderne 2 029 1716 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Autopoetische Reflexion Riflessione Autopoetica Autopoetical Reflection Reflexión Autopoética Réflexion autopoétique Reflexão Autopoética France 2.0,46.0

XXIX. Discours

Ipsæ rurfsus concedite Sylvæ.

Virg. Ecl. x. 63.

Bois & Forêts, permettez-moi de me retirer.

Il est ordinaire à un Homme, qui aime la Chasse, de courir quelquefois sur les terres de son Voisin, pour épargner le Gibier qui se trouve dans les siennes. Mon Ami le Chevalier est de ce nombre, & il s’écarte presque toûjours à deux ou trois Milles de sa Maison, avant que de faire lever une Perdrix ou un Lièvre, bien convaincu que, s’il n’en trouve pas à cette distance, il aura de quoi se divertir au retour. De cette maniere, le Gibier, qui est plus à sa portée, croît & multiplie ; outre que la Chasse est plus agréable, lorsqu’il y a moins de Gibier, ou qu’il n’abonde pas jusqu’à confondre les Chasseurs, & à interrompre le Divertissement. C’est à cause de cela même que les Gentilshommes de la Campagne, à l’exemple du Renard, ne chassent guéres près de leurs Gîtes.

J’ai suivi presque la même ruse depuis un Mois que j’ai abandonné la Ville, ce Champ si fertile en Gibier propre aux Chasseurs de mon espèce, pour aller tenter fortune à la Campagne, où j’ai lancé quelque Gibier, que j’ai poussé à bout, avec assez de plaisir pour moi-même, & de satisfaction, à ce que je croi, pour les autres. Cependant il faut que j’emploie ici beaucoup d’industrie pour faire lever quelque chose qui soit de mon goût, au lieu qu’en Ville, occupé à poursuivre un Caractère, je me voi presque aussi tôt croisé par un autre, & il y a une si grande varieté d’étranges Créatures parmi les deux Sexes, que leurs traces se confondent & interrompent la Chasse. Mon plus grand embarras à la Campagne est de trouver du Gibier, & en Ville de le bien choisir. Quoi qu’il en soit, après avoir donné un Mois de relâche à Londres & à Vestminster, je me flatte d’y trouver, à mon retour, quantite de nouveau Gibier.

Il est sans doute bien tems que je renonce à la Campagne, puisque tout le voisinage s’inquiète pour sçavoir quel est mon Nom & mon Caractère. J’aime la solitude, je suis d’une humeur taciturne & un peu singulier dans mes manieres ; cela suffit pour exciter la curiosité de tout le monde.

On a d’ailleurs ici des idées bien differentes de ma Personne ; les uns me prennent pour un franc Orgueilleux, les autres pour un Homme fort modeste, & la plûpart me taxent de Misanthrope ou de Mélancolique. Mr. Wimble, à ce que mon Ami le Sommelier m’a dit, craint beaucoup que j’aie tué quelqu’un, parce qu’il me voit souvent tout seul, & que je ne dis mot en Compagnie. Les Païsans me soupçonnent d’être un Magicien, & sur ce qu’ils ont appris que j’avois rendu visite à Marie White Ce mot signifie blanc., quelques-uns croient que le Chevalier m’a amené ici exprès, pour guérir cette vieille Femme, & délivrer le Païs de ses Enchantemens. De sorte que le Titre qu’on me donne, dans une partie du voisinage, est ce qu’on appelle ici un Sorcier blanc.

Ur. Juge de Paix, qui demeure à cinq Milles d’ici, & qui n’est pas du Parti de mon Chevalier, a insinué deux ou trois fois à sa Table, qu’il craint beaucoup que Mr. de Coverly n’entretienne un Jesuite dans sa Maison, & que les Gentilshommes de la Campagne feroient bien de m’obliger à rendre compte de ma Personne.

D’un autre côté, quelques Amis du Chevalier apréhendent que ce bon Vieillard ne s’en laisse imposer par un fin Matois ; & qu’accoûtumé à voir en Ville toute sorte de Gens, il n’ait amené avec lui quelque miserable Whig, qui est de mauvaise humeur, & n’a pas le mot à dire, parce qu’il a perdu son Emploi.

Telles sont les differentes idées qu’on se forme sur mon chapitre, en sorte que les uns me taxent de Personne mal intentionnée, ou de Prêtre Catholique Romain ; & les autres de Magicien, ou de Meurtrier ; & tout cela sans aucune autre raison, qui me soit connue, que parce que je ne crie & que je ne hurle pas avec les autres. Il est vrai que mon Ami le Chevalier leur dit que c’est mon humeur, & que je suis un Philosophe ; mais cela ne peut les satisfaire. Ils s’imaginent qu’il y a quelque chose de plus en moi qu’il n’y découvre lui-même, & que je ne garde pas le silence pour rien.

Toutes ces raisons & plusieurs autres m’engageront à partir demain pour Londres, convaincu par mon experience que la Campagne n’est pas un endroit propre à un Homme de ma trempe, qui n’aime ni la Joie, ni les Divertissemens, ni ce qu’on appelle ici le bon Voisinage. Un Homme qui se chagrine, lorsqu’un Hôte qu’il n’attendoit pas vient dîner avec lui, & qui n’a point du tout envie de sacrifier un après-midi au premier venu ; qui veut disposer de son tems, & suivre son inclination, ne fait qu’une triste figure dans ces Quartiers. Je me retirerai donc à la Ville, s’il m’est permis d’emploïer ce terme, & je rentrerai au plutôt dans la foule, pour me trouver seul. C’est-là où je puis, sans qu’on prenne garde à moi, former sur les autres telles Speculations qu’il me plaît, & joindre en même tems tous les avantages de la Compagnie aux douceurs de la Solitude. Pour finir donc mes Spéculations Champêtres, je vais inserer ici un Billet de mon Ami Voïez Tome i. pag. 15, &c. Guill. Honeycomb, qui, depuis quarante ans, n’a pas été un Mois hors de la fumée de Londres, & qui me raille en ces termes sur ma Vie Campagnarde.

Mon cher Spectateur,

« Je supose que ce Billet te trouvera occupé à cueillir des Marguerites, ou à sentir une poignée de Foin, ou à prendre quelqu’autre de ces Plaisirs innocens que la Campagne fournit. Cependant la Coterie te somme & t’ordonne, par ma Plume, de venir au plutôt en Ville : Nous craignons tous diablement que tu n’auras plus de goût pour notre Compagnie, après avoir eu de si beaux entretiens avec Marie White & Mr. Guill.Wimble. Ne nous envoïe plus, je te prie, de tes Contes de Fées, & n’allarme plus la Ville avec tes Apparitions d’Esprits & tes Sorciers. Tes Speculations sentent furieusement les Bois & les Prairies. Si tu ne viens pas au plutôt, nous conclurons que tu es amoureux de quelque Laitiere du Chevalier de Coverly. Assure-le bien de mes obéissances. Depuis qu’il nous a quitté, le Chevalier Voïez Tome i. p. 12. Freeport est devenu le Coq de la Paroisse & s’il ne hâte pas son retour, il est à craindre que ce nouveau Chef de la Societé ne nous rende tous Républicains, quoique nous soïions Fils légitimes de notre bonne Mere. Je suis, &c. »

C.

XXIX. Discours Ipsæ rurfsus concedite Sylvæ. Virg. Ecl. x. 63. Bois & Forêts, permettez-moi de me retirer. Il est ordinaire à un Homme, qui aime la Chasse, de courir quelquefois sur les terres de son Voisin, pour épargner le Gibier qui se trouve dans les siennes. Mon Ami le Chevalier est de ce nombre, & il s’écarte presque toûjours à deux ou trois Milles de sa Maison, avant que de faire lever une Perdrix ou un Lièvre, bien convaincu que, s’il n’en trouve pas à cette distance, il aura de quoi se divertir au retour. De cette maniere, le Gibier, qui est plus à sa portée, croît & multiplie ; outre que la Chasse est plus agréable, lorsqu’il y a moins de Gibier, ou qu’il n’abonde pas jusqu’à confondre les Chasseurs, & à interrompre le Divertissement. C’est à cause de cela même que les Gentilshommes de la Campagne, à l’exemple du Renard, ne chassent guéres près de leurs Gîtes. J’ai suivi presque la même ruse depuis un Mois que j’ai abandonné la Ville, ce Champ si fertile en Gibier propre aux Chasseurs de mon espèce, pour aller tenter fortune à la Campagne, où j’ai lancé quelque Gibier, que j’ai poussé à bout, avec assez de plaisir pour moi-même, & de satisfaction, à ce que je croi, pour les autres. Cependant il faut que j’emploie ici beaucoup d’industrie pour faire lever quelque chose qui soit de mon goût, au lieu qu’en Ville, occupé à poursuivre un Caractère, je me voi presque aussi tôt croisé par un autre, & il y a une si grande varieté d’étranges Créatures parmi les deux Sexes, que leurs traces se confondent & interrompent la Chasse. Mon plus grand embarras à la Campagne est de trouver du Gibier, & en Ville de le bien choisir. Quoi qu’il en soit, après avoir donné un Mois de relâche à Londres & à Vestminster, je me flatte d’y trouver, à mon retour, quantite de nouveau Gibier. Il est sans doute bien tems que je renonce à la Campagne, puisque tout le voisinage s’inquiète pour sçavoir quel est mon Nom & mon Caractère. J’aime la solitude, je suis d’une humeur taciturne & un peu singulier dans mes manieres ; cela suffit pour exciter la curiosité de tout le monde. On a d’ailleurs ici des idées bien differentes de ma Personne ; les uns me prennent pour un franc Orgueilleux, les autres pour un Homme fort modeste, & la plûpart me taxent de Misanthrope ou de Mélancolique. Mr. Wimble, à ce que mon Ami le Sommelier m’a dit, craint beaucoup que j’aie tué quelqu’un, parce qu’il me voit souvent tout seul, & que je ne dis mot en Compagnie. Les Païsans me soupçonnent d’être un Magicien, & sur ce qu’ils ont appris que j’avois rendu visite à Marie WhiteCe mot signifie blanc., quelques-uns croient que le Chevalier m’a amené ici exprès, pour guérir cette vieille Femme, & délivrer le Païs de ses Enchantemens. De sorte que le Titre qu’on me donne, dans une partie du voisinage, est ce qu’on appelle ici un Sorcier blanc. Ur. Juge de Paix, qui demeure à cinq Milles d’ici, & qui n’est pas du Parti de mon Chevalier, a insinué deux ou trois fois à sa Table, qu’il craint beaucoup que Mr. de Coverly n’entretienne un Jesuite dans sa Maison, & que les Gentilshommes de la Campagne feroient bien de m’obliger à rendre compte de ma Personne. D’un autre côté, quelques Amis du Chevalier apréhendent que ce bon Vieillard ne s’en laisse imposer par un fin Matois ; & qu’accoûtumé à voir en Ville toute sorte de Gens, il n’ait amené avec lui quelque miserable Whig, qui est de mauvaise humeur, & n’a pas le mot à dire, parce qu’il a perdu son Emploi. Telles sont les differentes idées qu’on se forme sur mon chapitre, en sorte que les uns me taxent de Personne mal intentionnée, ou de Prêtre Catholique Romain ; & les autres de Magicien, ou de Meurtrier ; & tout cela sans aucune autre raison, qui me soit connue, que parce que je ne crie & que je ne hurle pas avec les autres. Il est vrai que mon Ami le Chevalier leur dit que c’est mon humeur, & que je suis un Philosophe ; mais cela ne peut les satisfaire. Ils s’imaginent qu’il y a quelque chose de plus en moi qu’il n’y découvre lui-même, & que je ne garde pas le silence pour rien. Toutes ces raisons & plusieurs autres m’engageront à partir demain pour Londres, convaincu par mon experience que la Campagne n’est pas un endroit propre à un Homme de ma trempe, qui n’aime ni la Joie, ni les Divertissemens, ni ce qu’on appelle ici le bon Voisinage. Un Homme qui se chagrine, lorsqu’un Hôte qu’il n’attendoit pas vient dîner avec lui, & qui n’a point du tout envie de sacrifier un après-midi au premier venu ; qui veut disposer de son tems, & suivre son inclination, ne fait qu’une triste figure dans ces Quartiers. Je me retirerai donc à la Ville, s’il m’est permis d’emploïer ce terme, & je rentrerai au plutôt dans la foule, pour me trouver seul. C’est-là où je puis, sans qu’on prenne garde à moi, former sur les autres telles Speculations qu’il me plaît, & joindre en même tems tous les avantages de la Compagnie aux douceurs de la Solitude. Pour finir donc mes Spéculations Champêtres, je vais inserer ici un Billet de mon Ami Voïez Tome i. pag. 15, &c.Guill. Honeycomb, qui, depuis quarante ans, n’a pas été un Mois hors de la fumée de Londres, & qui me raille en ces termes sur ma Vie Campagnarde. Mon cher Spectateur, « Je supose que ce Billet te trouvera occupé à cueillir des Marguerites, ou à sentir une poignée de Foin, ou à prendre quelqu’autre de ces Plaisirs innocens que la Campagne fournit. Cependant la Coterie te somme & t’ordonne, par ma Plume, de venir au plutôt en Ville : Nous craignons tous diablement que tu n’auras plus de goût pour notre Compagnie, après avoir eu de si beaux entretiens avec Marie White & Mr. Guill.Wimble. Ne nous envoïe plus, je te prie, de tes Contes de Fées, & n’allarme plus la Ville avec tes Apparitions d’Esprits & tes Sorciers. Tes Speculations sentent furieusement les Bois & les Prairies. Si tu ne viens pas au plutôt, nous conclurons que tu es amoureux de quelque Laitiere du Chevalier de Coverly. Assure-le bien de mes obéissances. Depuis qu’il nous a quitté, le Chevalier Voïez Tome i. p. 12.Freeport est devenu le Coq de la Paroisse & s’il ne hâte pas son retour, il est à craindre que ce nouveau Chef de la Societé ne nous rende tous Républicains, quoique nous soïions Fils légitimes de notre bonne Mere. Je suis, &c. » C.