Zitiervorschlag: Armand de Boisbeleau de La Chapelle (Hrsg.): "Article XXX.", in: Le Philosophe nouvelliste, Vol.1\036 (1735), S. 401-413, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2303 [aufgerufen am: ].


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Article XXX.

Du Jeudi 16. au Samedi 18. Juin. 1709.

De mon Cabinet, le 16. Juin.

Ebene 2► Je suis convaincu quʼavec le tems on me louera de l’attention, de l’inquiétude, [402] & des tendres soins que je me donne pour servir la Patrie ; mais je doute fort qu’on les recompense jamais. Quoiqu’il en soit, je dois continuer l’Ouvrage de la reformation que j’ai commencee <sic>. Puisque c’est le principal but où je vise, il me faut prendre garde qu’il ne me tombe sur les bras plus de besogne que je n’en puis faire. C’est pourquoi je m’attache sur tout à observer l’humeur & les inclinations des Enfans & de la Jeunesse, de peur que la folie & les vices de notre Génération ne passent à la suivante. On aurait de la peine à croire combien cette étude est utile ; & les grands avantages qui reviendroient à la Société de nous appliquer dès nos plus tendres années aux choses à quoi nous sommes les plus propres.

Allgemeine Erzählung► Je suis Tuteur de trois Enfans, dont je voulus l’autre jour fonder le penchant. Pour cet effet, Mardi dernier je les pris en Carosse, pour leur faire voir la Ville. Je leur montrai 1 les Lions de la Tour, [403] les Tombeaux de 2 Westminster, l’Hôpital des Fous, & les autres endroits où il se présente le plus de ces Objets qui font impression sur les Esprits de cet âge. L’aîné des trois Frères, à prêsent, âgé de 16. ans, étoit le Favori du Père. Le sécond, qui est dans sa quatorzième, étoit Pensent gâté de la Mère, & le troisiéme, plus jeune de deux, années, est mon Mignon. Guillaume, qui est l’aîné, a de l’esprit ; mais l’honneur qu’il a d’être à la tête de tous les Ecoliers de sa Classe le rend d’une arrogance extrême. Si en lui parlant je hazarde quelques mots Latins, ce petit Coquin m’interrompt pour me dire que tel mot ne doit pas être employé dans le sens que je lui donne. Ebene 3► Dialog► Fi donc, mon Frere, lui disoit l’autre jour son Frere Jacques, à l’occasion de quelques paroles semblables où il m’avoit relevé, vous ne prenez pas garde, à qui vous parlez, Cela n’est pas civil de reprendre ainsi mon [404] Oncle. Voyez un peu le drôle ! repartit l’aîné, comme il voudrait faire sa cour à mes dépens, si l’on prenoit garde à ce qu’il dit. Tenez, mon Oncle, ce Garçon-là est le plus stupide de tous les Enfans de ma Mère. Il perd tout son tems à l’Ecole. Au lieu de s’appliquer à sa Leçon, il ne songe qu’à faire amas de 3 Boules de Marbre r ouqu’à compter son Argent. Il sait fort bien que vingt-quatre Fardins font six sous, & que dix Pièces de six sous font un Ecu. Ce Pince-maille a déja serré une vintaine de Chelins ; mais nous les lui attraperons bientôt. ◀Dialog ◀Ebene 3 Cette menace fit pâlir le Cadet, qui mit aussi-tôt les mains sur sa poche, comme pour empêcher qu’on ne lui enlevât son Thrésor. L’humeur ménagère de cet Enfant me fait préjuger qu’il sera bon Mari, bon Pére & bon Tuteur. Toutes les personnes qui font le plus de figure sur la Bourse, à la Cour, & quelquefois même dans les Parlemens, n’ont, à la. lettre pour toute capacité, qu’une espece d’Instinct, qui les porte naturellement à chercher leur avantage & celui de leurs Amis par les routes les plus cour-[405]tes, & plus communes. Le Chevalier Scrip, qui a toujours été de ce caractère, a trouvé le secret d’aquerir de grands biens, & fait bien mieux ses Marchés que le Chevalier Wildfire, qui a beaucoup plus d’esprit & de vivacité que lui. Lors que ce dernier a besoin d’argent, il vient monter à l’autre ses affaires en badinant, & lui emprunte de nouvelles Sommes sur Hypothèque. Les gens qui font consister tout le mérite dans les richesses, ne manquent guère de s’enrichir ; pendant que les autres, uniquement occupé de la jouïssance, font litière de leur argent, & se trouvent enfin dans la dépendance de ceux qui avoient moins d’esprit & de bien. J’ai ouï dire à un Homme de très-bon sens, & d’une longue expérience, qu’il échoue plus d’affaires dans le monde pour être placées entre les mains des personnes qui ont plus de capacité qu’il n’en faut pour l’entreprise, qu’il ne s’en manque pour être conduites par des gens qui n’ont pas l’habileté nécessaire pour les exécuter.

Jaques étant de ce tour d’esprit, j’ai dessein de le mettre dans le Négoce, & je ne doute point qu’il ne soit a quelque heure la ressource de sa Famille, après en [406] avoir été le jouët. Pour son Frère Guillaume, je m’en vais incessamment l’envoyer à Oxford. S’il n’y devient pas honnête-homme, au moins n’y sera-t-il pas Fat impunément. On vous y drape si vivement & de tant de manieres, que, quand bien même on ne vous donneroit pas de l’esprit, on vous fait bientôt connoitre que vous n’êtes qu’un Sot, & c’est-là tout ce qui manque à mon Néveu pour ne l’être point.

Ayant ainsi disposé de ces deux Pupilles, je penserai à loisir au troisiéme. Je lui trouve cette subtilité naturelle d’esprit qui se découvre plutôt par son silence en certaines occasions, que lors qu’il parle & qu’il dit sa pensée. Il réussira dans une Place où il suffit de ne commettre point de fautes pour se pousser plus loin que des Génies brillans ne pourroient le faire dans une situation plus relevée. Comme il est bien fait de corps & d’esprit, & qu’il attrapera facilement les belles manieres, je pourrai le mettre, en qualité de Page, à la suite d’une Princesse, où apprenant à vivre, cela seul lui fera faire plus de chemin dans le monde, qu’il n’en feroit autrement avec les qualités les plus éclatantes. La bonne Mine porte [407] plus loin à la Cour que le bon Esprit ne le feroit ailleurs. Après toutes les peines qu’on a prises dans le Collège, & tout le tems qu’on y a passé pour étudier méthodiquement les devoirs de la vie d’un Homme qui n’a pas fréquenté le monde se déconcentre à la vue d’un habit de velours, & ne paroît presque pas avoir le sens commun lors qu’il s’agit d’entretenir les Dames. Soyez sage, juste, courageux, & savant, tant qu’il vous plaira tout cela ne sera que du mérite perdu, si ce rien, qu’on appelle monde & Politesse, ne le relève pas. Le plus habile Homme à qui ceci manque, ressemble à celui qui auroit ses poches pleines de Pistoles, & qui n’auroit pas de petite monnoie au besoin. Je n’en veux pour preuve que Mr. Courtly, qui n’a eu d’autre éducation que celle que je me propose de donner à mon Neveu. Quoiqu’il ne dise rien qui ne soit commun, cependant il tient sa partie parmi les gens d’esprit sans y paroître jamais ridicule. Avec les Savans, il ne paroit point ignorant, & les gens graves ne le trouvent point indiscret. Le grand usage du monde qu’il a eu dès l’enfance se tire partout d’affaire, & la connoissance des Hommes [408] lui tient lieu des Arts & des Sciences qu’il ignore. Disons-le en un mot. Comme le Cérémoniel est une Invention des Sages pour tenir les Sots en respect, aussi la Politesse est un Expédient qui égale les Sots aux gens sages. ◀Allgemeine Erzählung

Du Caffé de Guillaume,
le
17. de Juin.

Je n’ai eu rien à écrire de cet Endroit4 depuis que le Théâtre ne va plus. Cependant y ayant passé ce soir, j’ai trouvé que la Compagnie y étoit occupée à examiner le stile qui doit régner dans les Lettres de Galanterie. Les sentimens là-dessus ont été fort partagés. Les uns y vouloient de la douceur ; les autres de la délicatesse ; un troisiéme, je ne sai quelle tendresse qui ne se peut exprimer. Quand ç’a été à moi à parler, j’ai dit qu’il n’y a d’autre règle au monde pour faire de bonnes Lettres que d’écrire, autant qu’il se peut, comme on parleroit dans un tê-[409]te-à-tête. Ce que je dis est si vrai, qu’à mon avis, plus d’Amans se sont perdus auprès de leurs Maîtresses par la plume que par d’autres endroits. Lorsque l’on écrit à une Dame pour qui l’on sent un amour ardent & sincere, le respect & l’absence nous dictent d’ordinaire un langage trop plaintif, & qui ne peut que rarement réussir. On a beau se flatter, dans ces occasions, de toucher par des airs si lugubres. Les Femmes entendent mieux leurs intérêts que nous n’entendons les nôtres ; & des Galans en grand deuil ne les accommodent pas. Voulez-vous gagner une Belle ? Tenez un juste milieu ; faites qu’elle trouve son compte à vous aimer, & ne vous imaginez pas qu’elle doive le rendre à vos désirs, parce que vous vous aimez vous-même. Les plaisirs que vous lui procurerez feront plus d’impression que les soupirs que vous pousserez pour elle. Un Homme qui la divertit lui paroit un Objet aimable ; un Homme qui languit ne lui paroit qu’un Objet de pitié.

Metatextualität► Pour faire sentir les effets de cette différente conduite, j’ai produit deux Lettres qu’une Dame m’a communiquées. Elles lui ont été écrites par deux Mes-[410]sieurs qui lui faisoient la cour, & qui ont péri à la bataille d’Almanza. La veille de cette fatale journée, ils écrivirent l’un & l’autre à leur Maîtresse commune. Un de ces Messieurs, nommé Careless, étoit un de ces Hommes de bonne humeur, mais indolens, qui prennent le tems comme il vient. On le jugeroit à la maniere dont sa Lettre est pliée ; cela s’est fait si négligemment qu’on la pourrait lire presque toute entiere sans l’ouvrir. Quoiqu’il en soit, la voici. ◀Metatextualität

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Mademoiselle,

C’est une chose fort plaisante qu’au moment où je devrois songer à la bonne Compagnie que nous devons rencontrer en un jour ou deux pour nous bourrer, je vais penser à une belle Ennemie que j’ai en Angleterre. Je croyois vous avoir laissée dans ce Pais-là ; mais vous suivez l’Armée, quoi que j’aie eu recours à quelques-unes de nos Dames suivantes pour vous faire quitter la Campagne. Tout ce qui me console. C’est que vous incommodez encore plus mon Colonel que moi. Je vous permets de me rendre, visite de loin à loin ; mais vous êtes nuit & jour avec lui. Je m’en moque à son nez, autant que sa gravité me [411] le peut permettre, & je sai bien qu’il a trop de mérite pour réussir jamais auprès d’une Dame. Vous n’avez donc qu’à vous tenir sur vos gardes. Vous ne résisterez pas aux beaux habits, & à ce petit air étranger que vous me verrez cet hiver. En attendant, je suis &c. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Metatextualität► Mr. Constant, l’autre Amant, étoit d’un Caractére bien different de son Officier subalterne. Serieux, & grave dans ses sentimens comme dans sa conduite, in ne faisoit rien qu’il n’y apportât une attention digne de lui. Vous le voyez à son Billet doux. Tout y est de la dernière exactitude, le pli, le Cachet, & l’Adresse. ◀Metatextualität

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Mademoiselle,

Je me donne l’honneur de vous écrire ce soir, parce que je crois que demain sera un jour de bataille, & j’ai quelque pressentiment que j’y dois perdre la vie. Si cela m’arrive, j’espere qu’on vous apprendra que je n’ai rien fait d’indigne d’un homme qui a pour sa Patrie un amour animé par la belle passion qu’il ressent pour une Dame très-vertueuse. S’il y a quelque grandeur à courir à une Mort certaine ; si l’on peut se faire [412] un mérite de courir à cette mort avec plaisir, parce qu’elle promet une place dans votre estime ; si les Eloges que vous me donnerez quand je ne serai plus, sont préferables à la plus glorieuse vie que je pourrois passer loin de vous ; s’il est, dis-je, Mademoiselle, aucune de ces considerations qui soit de quelque poids auprès de vous, je tiendrai dans votre souvenir un rang que je ne cederois pas pour toute la gloire de Jule César. Je verse des larmes en vous écrivant cette Lettre ; & j’espere que vous la lire dans la même disposition. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Vous saurez que cette Demoiselle ne manque ni d’esprit ni de jugement. Cependant elle m’a ingénument avoué, qu’estimant plus le Colonel, elle n’a pleuré que le Capitaine. Ces Ames si grandes & si fermes, qui ont une force égale aux plus grands malheurs, ne paroissent presque point à plaindre. Il semble au contraire que l’on ne peut être insensible au fort des cœurs plus foibles qui sont exposez aux plus tristes avantures, & quelquefois cette compassion conduit à l’amour. Ajoutez à cela que l’espece d’Amour qui succede à celui de la Galanterie, est ennemi du respect & de la contrainte. Lors que je deman-[413]dai à la Belle, lequel des deux elle auroit choisi pour Epoux, s’ils avoient eu le bonheur de survivre au Combat : J’aurois dû prendre Constant, me répondit-elle, mais je croi que son Rival l’auroit emporté. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1La Tour de Londres, ancien Palais des Rois, est un Château peu considerable en lui-même ; mais on y tient les Archives de l’Etat ; on y conserve la Couronne, & les joyaux qui en dépendent. Il y a un magnifique Arcenal ; & l’on y garde des Animaux sauvages, Léopards, tigres, Lions sur-tout ; étant en quelque sorte essentiel, qu’il y ait toujours de ces derniers, qui attirent bien plus la curiosité des Badauts & des Enfans que ne le fâit tout le reste.

2C’est dans l’Abbaye de Westminster que sont les Tombeaux des Rois. Les Monarques, qui n’y ont pas été ensevelis, y ont des Cenotaphes.

3Les Enfans se servent de petites boules de terre cuite ou de Marbre, pour jouer à la Fossette, & à la Rangée. Voyez la description de ces jeux dans les Notes du Rabelais, L.I.Ch. XXII.

4Le beau monde sortant de la Villa vers le mois de Mai & de Juin, on ne jouë presque aucune pièce jusqu’au retour des gens de qualité.