Le Philosophe nouvelliste: Article XXIX.
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Nivel 1
Article XXIX.
Du Mardi 14. au Jeudi 16. Juin 1709.
Du Caffé de White le 14. Juin
Nivel 2
Metatextualidad
J’ai tant d’égards pour la Nature
Humaine, quelque difforme que la rendent l’Affectation, le
Caprice, le Coutume, le Malheur, ou le Vice, que je
m’adresse à tous mes Amis pour les prier de me fournir des
raisons, qui obligent les Hommes à se conserver
eux-mêmes, aussi long-tems qu’il se peut. Un de mes
Correspondans m’a fait la Réponse suivante.
Nivel 3
Carta/Carta al director
Monsieur, « Vous me demandez
pourquoi des Hommes qui ont du sens, de la vertu &
de l’experience se soûmettent à la ridicule coûtume de
se battre en Duel. Pour répondre à cette question, je
vous prie de remarquer que la Mode avoit introduit les
Fraises godronnées dont les plus sages de nos Ancêtres
se paroient, & qu’elle a de nos jours couvert les
meilleures têtes de ces longues Perruques qui traînent
presqu’à terre. Les gens sensez n’inventeront jamais ces
ajustemens incommodes ; mais ils sont toujours bien
aises de paroître en public d’une maniere décente. Si
les personnes de ce Caratére respectent la Mode en ce
qui regarde les ornemens, faut il s’étonner qu’ils la
suivent en ce qui touche la réputation ? Vous n’ignorez
pas d’ailleurs que les Habits & le courage
constituent les deux principales branches de la
Galanterie, & que l’Opinion des
Dames a toujours fait valoir l’une à l’autre. Soit pour
éviter le ridicule de la singularité, soit dans le
dessein de plaire à sa Maîtresse, un Homme sage, prudent
& poli s’habille comme les gens du beau monde, &
malgré sa Raison, tantôt il se fait un plaisir d’exposer
sa vie dans une Joûte, & tantôt il se prive du
plaisir pour ne s’attirer point de querelle. Ceci
néanmoins nous doit d’autant plus surprendre, qu’en tout
autre chose les Hommes qui ont l’esprit le plus délicat
& le plus éclairé ont une repugnance naturelle à
s’accommoder aux Maximes vulgaires. Tout ce que l’on
doit dire à leur décharge, c’est que l’on peut
distinguer sans peine celui qui cherche le danger par le
plaisir qu’il y trouve, de celui qui n’y va que par
coraplaisance pour la coûtume. Vous remarquez dans le
premier je ne sai quel air de vanité & de triomphe,
au lieu que vous lisez sur le visage de l’autre, au
sortir de l’Action, qu’il ne s’y seroit pas engagé s’il
avoit pû se dispenser de le faire. Ceci me conduit à
rechercher la généalogie de ce Monstre affreux que l’on appelle, Duel. Pour moi, je le tiens
pour un Enfant bâtard de la Chevalerie errante. Dans le
tems de nos vieux Paladins les Statuts de l’Ordre
vouloient que le Heros passât, sous les armes, des
années entieres à la chasse des Géants ; qu’il afrontât
courageusement les avantures les plus perilleuses, &
qu’il souffrît le froid & le chaud, la faim & la
soif à l’honneur de sa Dame. Mais depuis la mort de Dom
Quichote, & que la race des Dragons enchantés s’est
éteinte, il a fallu que les Heros modernes se soient
créé de nouveaux Monstres pour exercer leur courage,
n’ayant plus que ce moyen de prouver au beau Sexe qu’ils
ne le cédent ni en l’honneur, ni en amour aux Chevaliers
d’autrefois ; Il y a pourtant cette différence du vieux
temps au nôtre, que les Monstres anciens ne donnoient de
la tablature qu’aux gens qui les alloient chercher dans
les Bois & dans les Deserts ; au lieu que ceux de
nos jours font admis & reçus familierement dans
toutes les Cours & dans toutes les Villes de
l’Europe, à l’exception de la France. Par-tout ailleurs
ils sont si communs, que l’on ne peut presque trouver de
Societé si civilisée qu’on n’y coure risque
de la vie, les Hommes les mieux nés & les plus polis
ne paroissant point en public qu’ils n’en aient
quelqu’un à leurs côtés. J’ai pensé sur ce sujet
d’autres choses que je vous communiquerai dans la suite,
si ce que & je viens de vous écrire vous donne bonne
opinion du reste. Je suis tout à vous, Mon cher Cousin,
&c. »
Nivel 3
Carta/Carta al director
Mademoiselle, Je prends tant
de part à votre personne & à tout ce qui vous
touche, que je cassera la tête à quiconque aura l’audace
de vous trouver belle & de vous en faire l’aveu.
Les. douces œillades que M... vous jettoit l’autre jour
m’ont fait prendre la résolution de lui passer demain
matin mon épée à travers le corps. C’est ce que mérite
sa faute d’être, sensible à vos charmes, & je ne
connois point de raison qui m’autorise plus à lui ôter,
la vie, à moins que ce ne fût le bonheur qu’il auroit de
vous plaire. Si quelqu’un ose dire qu’il meurt pour
vous,comptez que, je lui ferai dire vrai, & qu’il ne
perira que de ma main.Je suis, &c.