Pendant que Pacolet à roder parmi les
gens d’épée pour y examiner les sources cachées de leurs
fréquentes querelles, & qu’il dresse ainsî les Mémoires dont
j’aurai besoin dans la suite ; je trouve le loisir de satisfaire
la curiosité des Provinciaux qui lisent mes Ouvrages. & qui
n’y entendent pas certains mots qui sont fort connus dans la
Ville. A leur intention, j’ai déja donné quelques Caractéres ;
mais j’en ai oublié un qui, parmi tant de mauvais, est le plus
agréable. C’est celui du Petit-Maître. Le Petit Maître est un
Homme toujours digne de compassion, & qui se corrigera
certainement à la fin, s’il vit assez long-temps pour cela, ses
desordres ne venant ni de son choix ni de son inclination, mais de ses passions, trop violent dans la
jeunesse pour subir les loix de la Raison, du bon-Sens, de la
Civilité & du bon Naturel. Ce pauvre Malheureux n’auroit pas
tant de défauts, s’il n’avoit pas un grand fonds de bonnes
qualités. L’extrême bonté de son cœur l’expose souvent à être la
duppe de ses Camarades, qui quelquefois n’ont pas tant d’esprit
que lui. La vivacité de son Imagination communique tant de feu a
ses désirs qu’il se trouve plongé dans le crime, avant qu’il ait
eu le tems d’y bien reflechir. Avec les plus belles intentions
du monde & les plus vertueuses, on le voit abuser
perpetuellement, contre le Ciel, contre ses Amis, contre sa
Patrie, & contre lui même, des merveilleux talens qu’il a
reçus pour des fins très-differentes de l’emploi qu’il en fait.
Peut-on imaginer sous le Soleil de condition plus déplorable ?
Quel est l’état d’un Homme qui ne fait point d’action qu’il ne
condamne, qui ne goûte point de plaisir qu’il ne se reproche,
& qui ne trouve de suspension à ses remords que dans la
réïteration du crime qui les a causés ? Peut-être ma compassion
va-t-elle trop loin ; mais enfin, c’est mon avis, qu’une
personne semblable est l’objet le plus digne de
pitié qu’il y ait au monde. A juger sainement ces choses, les
plus violens accès de la Pierre, de la Goute & des Maladies
les plus douloureuses, n’approchent point de ce que soufre une
Ame qui est perpetuellement dechirée par des retours de crime
& de repentance, de repentance & de crime. On plaint un
Impotent qui a perdu un bras ou une jambe. Ne plaindra-t-on
point un Homme qui a toute sa Raison, & qui ne peut s’en
servir ? Ne vaudroit-il pas mieux pour lui de l’avoir perdue,
que de la conserver inutilement, ou que de ne la conserver que
pour se rendre plus malheureux ? Aussi peut-on dire que de tous
les gens d’un mauvais Caractére, le Petit-Maître est celui qui
déplaît le moins, parce qu’il n’est pas toujours dans
l’égarement & que, dans ses bons intervales, ce que l’on
voit en lui de grand & d’aimable fait une especc de
compensation pour ses foiblesses. Mais combien voyons-nous dans
ces lieux, de sots Impertinens qui s’efforcent de devenir ce que
cet Homme-là souhaite de tout son cœur de n’être point ? Ce sont ses Singes & ses Imitateurs qui sont tout
le désordre qui se fait
1dans ce Quartier sur les six heures du soir.
Cela seul, si je ne me trompe, devroit corriger un Homme qui a
du sens. Quand oh voit des Copies si hideuses de soi-même, ne
doit-on pas avoir honte de l’Original, & prendre garde à
mieux regler des actions qui peuvent servir de modèle ? Ne
pense-t’on point que celui qui montre le chemin aux autres se
rend complice du crime de tous ceux qui le suivent, & que la
contagion de l’exemple d’un Petit Maître s’étend plus loin qu’on
ne le croiroit ? À ce propos, observons que les Vices où l’on
s’engage par imitation, & que l’on tient, pour ainsi dire,
de la seconde main sont toujours les plus choquans. On ne peut
donc comprendre que des Hommes, qui parôissent avoir encore le
sens-commun, puissent être assez fous pour trouver, dans ces
mauvais Exemples, des charmes qui les entraînent contre leurs
lumieres. C’est-là cependant ce que l’on ne
voit arriver que trop tous les jours. Tel est le bizarre caprice
de bien des gens qu’ils veulent être ce qu’ils ne sont point.
Cela fait qu’ils abandonnent un genre de vie qui leur est
naturel, & où ils pourraient se faire admirer, pour en
prendre un autre où ils sont toujours hors de leur élement,
& qui ne leur attire que le dernier mépris. Pour cette
raison, je ne connois personne dont la métamorphose me donne
plus de chagrin que Nobilis. Il a l’humeur fort douce, l’esprit
excellent, & toutes les qualités qui pouvoient le faire
estimer. S’il se fut attaché aux Etudes qui conviennent à se
condition, c’étoit une chose infaillible qu’il auroit fait à
quelque heure une grande figure dans les Etats du Royaume. Mais
après avoir forcé ses inclinations, il s’est mis sur le pied de
dire tout haut des duretés, de vomir des ordures indignes de ce
qu’il étoit, & de ce font les gens de sa sorte, & de se
dépouiller de son Caractére naturel, pour en revêtir un
artificiel, où il n’arrivera pourtant point. Que Nobilis ne se
flatte pas, il aura beau faire, il ne deviendra jamais
Petit-Maitre. Quelque quantité de vin qu’il avale, quelques obscenités qu’il dégorge ; autant lui vaudroit-il
ne boire que de la Ptisane, & aller soir & matin à
l’Eglise. Je le lui repete ; il ne sera jamais Petit-Maitre à
juste titre. Pour entrer dans cet Ordre, il faut être vicieux
involontairement, & non par choix & par études.
Excluons-en aussi, pour de semblables raisons, tout ce que 1’on
appelle Hommes du bel air, tous les Amans transis, & toute
cette espece d’Hermaphrodites qui ne font que se regarder l’un
l’autre pendant qu’ils sont avec les Dames. J’exclus de la même
prétention ceux dont tout le mérite se borne à vuider la
bouteille. C’est le plaisir de boire, & non celui de la
Société qui forme leur troupe Bacchique. S’il ne faut que faire
du Bruit, battre & assassiner, un Sot animé par le vin est
capable de toutes ces prouesses. Je l’ai dit & je le repéte
de nouveau, le Petit-Maitre a naturellement de l’esprit, &
ces Beuveurs furieux n’en ont ni avant ni pendant leur yvresse.
Comme le Petit-Maitre est un Homme qui fait un abus continuel de
sa Raison, la Coquette parmi les Femmes est celle qui fait
constamment un mauvais usage de sa beauté. Mlle. Tosse en est,
si je m’y connois bien, une des plus remarquables.
Elle est toujours à faire des choses qui la défigurent, &
qui lui ôtent tous les appas. Pour vouloir trop plaire, elle
déplait à tout le monde. Sa voix est naturellement douce &
agréable ; elle s’avise de grasseyer. Si elle vouloit se servir
de ses yeux, elle verroit à une lieuë de distance ; mais quand
on passe à ses côtés, elle les ferme a demi, & vous regarde
de près, croyant sans doute que cette maniere ajoute quelque
chose à ses charmes. Quand il arrive par hazard que son Eventail
n’est pas en mouvement, un Cupidon, qui y est peint, est la
seule figure qu’elle y étudie. Vous diriez que ce petit Amour
& elle se font les doux yeux. Peut-on rencontrer l’heureux
moment où cet aimable objet n’occupe point ses regards ? Elle
pourra bien alors trouver le loisir de vous rendre un Salut. Il
faut néanmoins, pour en obtenir cette faveur, que la quinte l’en
prenne, & que ce ne soit pas en présence d’un Homme de plus
grande qualité que vous. Telle est son extrême politesse que les
personnes les plus considerables sont les seules qu’elle voit
dans une Compagnie, & cette Belle, qui éclate de rire dans
l’Eglise, & qui se moque de sa propre Mere,
peut se composer à merveille en présence d’une Homme qui a de
grands bien.
Du Caffé de Guillaume le 9. de
Juin.
Metatextualidad
Un de mes Amis n’a communiqué les
Vers suivans qu’il a reçus de sa Maîtresse pour derniere
réponse. La Belle lui a dit, en les lui donnant, que
l’Auteur de cette Pièce avoit gagné son cœur par ce tour
spirituel, & que tout autre y prétendroit vainement.
C’est assez l’ordinaire que l’Amour tienne lieu de veine
Poëtique, & ce Galant s’en est ressenti comme une
infinité d’autres. Cependant il n’a pas osé rimer, de plein
faut, à l’honneur de sa Dame, Le sujet lui a paru trop grand
pour on coup d’essai. Sa prudence lui a suggeré de faire la
tentative sur une Confidente, ou sur quelque Bête chérie. Il
a cru qu’en agir autrement, ce seroit débuter sur le
Parnasse par le Poëme heroique. Vous saurez donc que la
Belle a chez elle un Perroquet, qu’elle caresse, qu’elle
baise, qu’elle écoute, qu’elle admire, en un mot qui étoit
son favori avant que l’Amant le fût. Jaloux de
cet Oiseau, il auroit bien pû faire des Vers contre lui ;
mais à quoi la Satire auroit-elle abouti ? Le plus sur étoit
de faire son Eloge pour le gagner, & voici comme
l’Auteur s’y est pris.
Nivel 3
Cita/Lema
A une Dame, sur son Perroquet.
Dans les tems fabuleux où l’en dit que nos Belles A des
Amans mortels faisoient fort les cruelles,
La
Chronique galante ajoute que les Dieux
Rarement sans
succès leur faisoient les doux yeux.
Sur un point
toutefois cette ancienne Chronique
D’une maniere
obscure, à mon avis, s’explique ;
Prétendant que ces
Dieux, auprès de nos Beauté,
Dûrent se travstir,
pour en être écouté.
Leda, pour Jupiter, auroit été
trop sage,
Si le Dieu n’eût du Cigne emprunté le
plumage.
Que sai-je, belle Iris, Oiseau
charmant
Ne cache point chez vous quelque pareil
Amant ?
Vos yeux, des Immortels méritant tout
l’hommage,
Les pourroient, s’il le faut, abbaisser
davantage,
Que ce beau Perroquet est fier de vos
faveurs !
On diroit qu’il en sent le prix & les
douceurs.
Quels regards amoureux ! Quels transport
de tendresse !
Venus en est jalouse ;
& bientôt la Déesse,
Bannissant pour jamais les
Pigeons de sa Cour,
Fera des Perroquets le Symbole
d’Amour.
Je trouve cette Proposition allez raisonnable, de donner
la préference au Perroquet, si le Pigeon est banni. Le premier
représente l’état d’un Amant qui recherche ; & le dernier
est l’image d’un Amour qui possede. Mais pour accommoder les
choses, ne pourroit-on point faire comme les gens qui attellent
un troisiéme Cheval à un Carrosse ? A cet Exemple, le Char de
Venus sera tiré par deux Pigeons précédés d’un Perroquet. Aussi
bien faut-il être Perroquet pour gagner le cœur des Belles,
& Pigeon pour le conserver. Je conseille donc au Galant
Auteur de cette Pièce, d’imiter l’Oiseau qui lui a fourni le
sujet. Quand on veut plaire aux Dames, il ne faut ni se taire
avant la faveur, ni parler après l’avoir obtenuë.
De mon Cabinet le 10. de Juin.
Metatextualidad
Tant de jeunes gens m’écrivent
pour savoir le rang de distinction qui leur appartient, que
je ne sai où trouver le tems de leur répondre.
Je dois pourtant avoir égard à celui qui m’a fait tenir la
Lettre suivante ; car il m’y dit, au bas, qu’il lui faut
incessamment retourner à l’Academie, & qu’avant que de
sortir de Londres, il seroit bien aise d’y avoir été quelque
chose. Ecoutons-le parler lui-même.
A Monsieur Bickerstaff,
Censeur général de la
Grande Bretagne.
Nivel 3
Carta/Carta al director
Monsieur, Il y a trois mois
que je suis Majeur, & j’en ai passé six à Londres où
je suit venu de l’Université. En arrivant ici on
m’addressa chez un Certain Bublebow, qui me fournit à
son gré de tout ce qu’il crut convenir à un Homme de mon
ordre. Je lui demandai Certificat qu’il ne me manquoit
rien, Il me répondit qu’il y penseroit, & sur ce que
je retournai hier à la charge, il me dit qu’il y avoit
pensé, & qu’il me falloit encore 60. ou 80. Pistoles
de nipes, pour être complet. J’ai commandé tout cela,
& je vous prie de me dire en quelle classe de gens
vous me mettrez quand je serai équippé
de la sorte. Apprenez-moi ce que je sai, & me
croyez, &c.
Quelque envie que j’aie d’encourager les Novices, je ne
sai bonnement où placer celui-ci. Je ne puis deviner par sa
Lettre quelle est sa personne, ni en quoi consistent ses habits.
Mais en passant chez Bublebow, je saurai de quelle figure est la
Tabatiere de ce jeune Homme, & cela me donnera des lumieres.
Il ne me manqueroit rien si je savois de quelle espece de Tabac
il prend par le nez. Si c’est du Seville ou du
2Moisi.