Du Mardi 31. Mai, au
Jeudi 2. Juin 1709.
Les Hommes se trouvent si bien dans le
Monde, & craignent tant d’en sortir, qu’ils veulent, à toute
force, que les personnes qui ont beaucoup de lumieres entendent
aussi la Médecine, parce que c’est, à leur avis, la Science la plus
nécessaire. Lors que je me produisit dans le Public, je n’y parus
d’abord que sur le pié d’Astrologue. A présent on voudroit me faire
accroire que je suis grand Medecin. Quelqu’un est venu me prier
d’en-
decorum, & qui vint à ses fins par une
voie aussi courte, & plus honnête. Elle prit le tour d’avoir des
Convulsions de commande. Si le Mari faisoit mine de la contredire,
ou de lui refuser quelque chose, elle tomboit d’abord en pamoison.
Le premier essai qu’elle en fit lui fut heureux. C’étoit un jour
maigre, où l’on mangeoit du Poisson. Elle seignit d’avoir une arête
au Gosier & contrefit toutes les grimaces d’une personne qui
étrangle. Le bon Gentilhomme pâlit a cette vue, courut vire au
secours de la Dame, & non sans peine la fit revenir d’un mal
quelle n’àvoit point. Contente de l’Epreuve, elle ne voulut pas
pousser les choses fort loin ; Rassurez-vous, mon cher, lui dit-elle, l’arête est passé. Une de ses Voisines le portoit plus beau qu’elle.
Le Carrosse en étoit bien mieux atellé, quoi qu’il n’y eût pas
la moitié tant de bien dans cette Maison-là que dans la leur.
Madame, lui répondit-il avec sa douceur ordinaire, vous savez, aussi bien que moi quels font nos
revenus, &vous n’ignorez
pas que, ce Printems, il m’est mort deux
chevaux.
Celui-là étant mort, elle ne tarda pas à lui donner un Successeur.
Elle se choisit un Galant fort bien fait ; & qu’elle crut
gouverner comme le précédent. Mais elle comptoit sans son Hôte. Cet
Homme la connoissoit de longue main. Instruit de la Comédie qu’elle
jouoit dans son premier Mariage, il résolut en lui-même de lui faire
passer l’envie d’y revenir, & de ne perdre point de tems pour
cela. L’occasion, qu’il en attendoit, ne fut pas longtemps à se
présenter. Un jour qu’ils partaient, par hazard, d’àmeublemens, il
fut charmé de faire tomber le discours sur l’inutilité des Vases Il y a eu un tems
qui en remplissoit les
Maisons, & contre la folie des Femmes qui se ruïnoient à de
pareilles sottises.
L’amour de l’Etude ne m’a point encore guéri de la passion des
Nouvelles. Le Public ne sauroit m’être indifférent, & je prens
toujours beaucoup d’intérêt aux grandes affaires qui se passent à
présent dans l’
A
Ecuyer de la
A
Roi de .
La surprenante Nouvelle, que votre Majesté refuse de signer des
Articles que vos Ministres ont demandés, pour ainsi dire, à genoux,
m’oblige de vous écrire à-présent. Mon Nom est peut être encore trop
obscur pour avoir pénétré jusque dans vos Etats. Mais n’y ayant pas
un seul Habitant de l’
Lettres, qu’ils font les Distributeurs de la Gloire, qu’elle passe par leurs mains aux siécles suivans ; & que sans eux il n’en est point qui puisse être solide ou durable. Par rapport aux Hommes même, qui font la plus petite figure sur le Théatre du Monde, la vie est trop courte
pour y borner ses vues. Notre Ame ne peut se renfermer dans ces
étroites bornes. Elle mesure ses désirs à la durée de son existence,
& cherche à vivre éternellement avec honneur dans la mémoire de
Si l’effet n’y répond pas toujours, c’est en partie la faute des
personnes qui érigent des Monumens à l’honneur des Hommes illustres.
Les Historiens, les Poëtes, &les Orateurs prostituent
indignement leur nom & leur savoir ; sans égard à leur propre
réputation, ils brouillent, & confondent toutes les idées, &
d’une maniére à flêtrir toute la beauté de leurs Ouvrages, ils
marquent témérairement au coin de la gloire des actions qui doivent
couvrir de honte ceux qui les louent, & ceux qui les ont faites.
C’est ce lâche abus des talens de Esprit qui a seduit votre Majesté
depuis tant d’années, & qui d’une vie, qui pouvoit fournir les
plus beaux exemples à tous les Monarques, en a fait un Modèle que
les bons Princes ne sauroient trop soigneusement éviter. De-là le
mauvais usage que vous avez fait de tant de belles &
d’excellentes qualités qui brillent dans votre personne ; qualités,
dont vous avez perdu l’avantage, en faisant servir à l’appui de la
Tyrannie ce qui soutient étoit en cela plus malheureux que
coupable, eut pour réponse que le
Roi ne vouloit point à son service des gens
malheureux. On leur donnoit des Pensions, & on
ne les employoit plus.malheureux, d’avoir recompensé le mérite dans
toute retendue de votre Royaume, & de l’avoir été même
chercher Voici partie de la
Lettre que Mr. dans des
Pays étrangers où il se cachoit à vos yeux ? De quoi, dis-je, vous
servent tant de Vertus personnelles, lorsque tout le lustre en est
effacé par une Ambition démésurée, & qui fait d’autant plus de
mal au monde, qu’elle y est couverte des plus beaux dehors ?
Je ne dois pas avertir votre Majesté que ce que je viens de dire est
du plus grand serieux, & de la derniere importance. Vous vous
piquez de zèle pour la Religion. Si vous la connoissez, faut-il que
l’on vous prie d’arrêter l’effusion du sang humain, & de ne pas
perdre l’occasion qui se présente de donner la Paix à vos Peuples ?
Il est tems que le Charme, qui vous fit chercher la gloire dans les
homicides & dans l’oppression, se dissipe. Souvenez-vous que le
grand jour approche, où le Monde doit disparoître à vos yeux. Dans
ce moment redoutable, où la Terre & la Mer rendront tous leurs
Morts, & où vous comparoîtrez avec vos Sujets devant l’auguste
Tribunal du Souverain Juge, que direz-vous, Roi de Ces gens-là sont morts pour ma gloire ; je les
ai sacrifiez à mon Ambition ? Je le repete ; ce grand Jour
approche ; mais il s’en prépare un autre qui en sera le prélude. Les
Nations, trop justement irritées, ont conjuré votre perte ; elles
marchent à grands pas, & s’avancent vers votre Palais ; elles
courent vous porter les derniers coups que la vengeance leur
inspire, votre repentance seule peut les arrêter. Reveillez-vous,
Monarque, sortez de votre léthargie, ne vous laissez pas endormir à
l’encens dangereux qu’on vous prodigue ; abbatez les Statues qui
vous égalent à l’Immortel ; apprenez à être véritablement grand. Je
suis, avec un profond respect,
votre généreux Ennemi,